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Décisions

ADLC, 22 juillet 2010, n° 10-D-22

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des transports sanitaires en Seine-Maritime

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Alain-Dominique Dupont, l'intervention de M. Jean-Marc Belorgey, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Reine-Claude Mader-Saussaye, MM. Yves Brissy, Noël Diricq, Jean-Bertrand Drummen, membres.

ADLC n° 10-D-22

22 juillet 2010

L'Autorité de la concurrence (section II),

Vu la lettre, enregistrée le 13 novembre 2007 sous le numéro 07/0080 F par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des transports sanitaires en Seine-Maritime ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu la décision de la rapporteure générale en date du 23 février 2010 prise en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce, qui dispose que l'affaire fera l'objet d'une décision de l'Autorité de la concurrence sans établissement préalable d'un rapport ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par la SARL Auvray Ambulances, la SARL Alliance Ambulances 76, la SARL Normandy Ambulances et M. X..., la SA SOS Ambulances, entreprise Europe Ambulances et le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la SARL Auvray Ambulances, de la SARL Alliance Ambulances 76, de la SARL Normandy Ambulances et de M. X..., de la SA SOS Ambulances, des Ambulances de la Croix de pierre (M. Y...), d'Europe Ambulances (Mme Z...) et de M. A..., entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 8 juin 2010 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi dénonce dans sa saisine des pratiques mises en œuvre par l'Association départementale des transports sanitaires (ci-après l'" ADTS "), le Groupement solidaire (ci-après le " GS ") et l'Union des ambulanciers de Seine-Maritime (ci-après l'" UASM ") ainsi que par leurs membres dans le cadre des marchés publics de transports sanitaires terrestres inter-hospitaliers non médicalisés lancés par le Centre hospitalier universitaire (ci-après le " CHU ") de Rouen pour les années 2007 à 2009.

2. D'après l'enquête administrative, l'ADTS et l'UASM, d'une part, le GS et l'UASM, d'autre part, auraient échangé des informations préalablement à un appel d'offres lancé par le CHU de Rouen le 22 juin 2006. Ces échanges auraient porté notamment sur la décision concertée de " boycotter " l'appel d'offres en cause, dont le cahier des clauses administratives techniques particulières (ci-après " CCATP ") était contesté, afin de passer en marché négocié, permettant ainsi d'obtenir des conditions plus favorables.

B. LE SECTEUR CONCERNÉ

1. LE CADRE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE

3. L'activité de transporteur sanitaire privé est réglementée par le Code de la santé publique.

a) Les conditions d'accès à la profession et de son exercice

4. L'article L. 6312-1 définit le transport sanitaire comme " (...) tout transport d'une personne malade, blessée ou parturiente, pour des raisons de soins ou de diagnostic, sur prescription médicale ou en cas d'urgence médicale, effectué à l'aide de moyens de transports terrestres, aériens ou maritimes, spécialement adaptés à cet effet (...) ".

5. L'article L. 6312-2 dispose que " toute personne effectuant un transport sanitaire doit avoir été préalablement agréée par l'autorité administrative ".

6. Les différentes catégories de véhicules spécialement adaptés au transport sanitaire sont énumérées à l'article R. 6312-8 :

" 1°) Véhicules spécialement aménagés :

a. Catégorie A : ambulance de secours et de soins d'urgence "ASSU" ;

b. Catégorie B : voiture de secours aux asphyxiés et blessés "VSAB" ;

c. Catégorie C : ambulance ;

2°) Autres véhicules affectés au transport sanitaire terrestre :

d. Catégorie D : véhicule sanitaire léger ".

7. L'ambulance permet de transporter des personnes en position allongée tandis que le véhicule sanitaire léger (ci-après " VSL ") assure uniquement le transport des personnes en position assise.

b) La réglementation des tarifs

8. Aux termes de l'article L. 6312-3 : " La législation en vigueur sur les prix s'applique aux tarifs de transports sanitaires. Ceux-ci sont établis par arrêté des ministres chargés du budget, de la consommation, de l'économie et des finances et de la sécurité sociale. L'inobservation de ces tarifs peut entraîner le retrait de l'agrément ".

9. La convention nationale des transporteurs sanitaires privés, signée le 26 décembre 2002, organise les rapports entre les transporteurs sanitaires privés et l'Assurance maladie. Cette convention a notamment pour objet de fixer les tarifs des transports sanitaires.

10. Le régime de tarifs réglementés ne s'applique cependant pas aux transports sanitaires effectués pour le compte des hôpitaux publics qui font jouer la concurrence. Les entreprises expriment toutefois leurs offres par rapport à ces tarifs en proposant un pourcentage de remise globale applicable aux montants des transports concernés.

2. LA DEMANDE DE PRESTATIONS DE TRANSPORTS SANITAIRES POUR LE CHU DE ROUEN

11. Le CHU de Rouen est un centre hospitalier multi-sites (cinq établissements au total) et multi-pavillonnaires qui demande des prestations de transport sanitaire non médicalisé pour transporter des patients d'un site à l'autre, entre les différents pavillons d'un même site ou vers des établissements et centres de soins extérieurs au CHU.

12. Le CHU dispose lui même d'une flotte de véhicules sanitaires et de personnels ambulanciers, mais qui ne suffisent pas à couvrir ses besoins. Il recourt donc à des marchés à bons de commandes pour obtenir les prestations complémentaires nécessaires.

C. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

13. Auvray Ambulances est une SARL au capital de 12 000 euro (RCS 393 307 194 Rouen). M. B... en est le gérant. Son siège social est 3, rue Jeanne d'Arc au Petit Quevilly (76 140). La société dispose d'un établissement secondaire 105, route de Dieppe à Notre-Dame de Bonneville.

14. SOS Ambulances (RCS 327 181 632 Rouen) est une société anonyme au capital social de 58 720 euro. Son siège social est situé route du Havre à Saint-Jean du Cardonnay (76 150). Elle compte trois établissements secondaires à Rouen (76 000), Le Houlme (76 770) et Canteleu (76 380). Le président du conseil d'administration est M. C...

15. Normandy Ambulances (RCS 494 556 897 Rouen) s'appelait, jusqu'au 1er janvier 2010, la SARL Piednoël Duhamel. Cette dernière a été créée le 27 février 2007 par M. X... qui exerçait précédemment son activité en nom personnel, sous le nom de Dubuc-Ambulance. Normandy Ambulances est une SARL au capital social de 8 000 euro. Son siège social est sis 333, impasse des monts à Sierville (76 690). M. X... en est toujours le gérant.

16. Ambulances de la Croix de pierre est une entreprise artisanale domiciliée 37, rue Édouard Adam, 76000 Rouen (SIREN 422 077 925). Elle appartient à M. Y...

17. Alliance Ambulances était une SARL dont le fonds de commerce a été cédé en 2008 à M. D... qui l'exploite désormais, en tant que gérant de la société Alliance Ambulances 76 (RCS 504 419 961 Rouen) domiciliée 183, rue Jules Ferry, 76 360 Barentin. À l'époque des faits, Alliance Ambulances était conjointement gérée par MM. E... et F...

18. Europe Ambulances (SIREN 434 334 496) dont l'exploitante est Mme Z... est une entreprise artisanale domiciliée 394, rue de la République à Bois Guillaume (76 230).

19. Quevilly Ambulances était une entreprise en nom personnel exploitée par M. Jean-Yves A... M. A... en a cessé l'exploitation le 31 octobre 2007. Le fonds a été cédé à la SARL Quevilly Ambulances appartenant à M. G...

D. LE MARCHÉ CONCERNÉ

1. LES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DU MARCHÉ

20. Le marché public du CHU de Rouen en cause concerne les prestations de transports sanitaires hospitaliers pour les années 2007 à 2009. Il s'agissait d'un marché annuel reconductible tacitement, lancé sous forme d'un appel d'offres ouvert. Il succédait à celui qui avait été passé par le CHU pour les années 2004 à 2006.

21. L'avis d'appel public à la concurrence a été publié au bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP) le 22 juin 2006. La date limite de réception des offres était fixée au 4 septembre 2006 à 17 heures.

22. Le règlement de la consultation précisait que le choix se ferait selon le critère de " l'offre économiquement la plus avantageuse avec une pondération de 50 % pour le prix et de 50 % pour le contenu de la prestation " et que " la constitution de groupements est autorisée ".

23. L'appel d'offres était réparti en 4 lots distincts de transports en ambulances ou en VSL. Le découpage était organisé de la manière suivante :

- 2 lots identiques de transports en ambulances ou en VSL de 7 h à 20 h, 7 jours sur 7, y compris dimanches et jours fériés. Le nombre de transports était estimé entre 7 000 et 20 000 par lot. Les 2 lots devaient être attribués à des fournisseurs différents ;

- 1 lot de nuit 7 jours sur 7, y compris dimanches et jours fériés de 20 h à 8 h, le nombre de transports étant estimé entre 1 000 et 2 000 ;

- 1 lot uniquement en VSL du lundi au vendredi de 7 h à 18 h, le nombre de transports étant estimé entre 1 300 et 5 200.

2. LE DÉROULEMENT DES APPELS D'OFFRES

a) L'appel d'offres de juin-septembre 2006

24. Les trois groupements titulaires des lots du précédent marché de 2004, à savoir le GS, l'ADTS et l'UASM ont chacun, par l'intermédiaire de leur conseil ou d'un mandataire, adressé une lettre à la commission d'appels d'offres du CHU en faisant part à cette dernière de leurs réserves quant au contenu du cahier des charges. Les groupements ont ainsi souligné, dans des termes voisins et à des dates rapprochées, leurs grandes difficultés, voire leur impossibilité de répondre aux nouvelles conditions du marché triennal de 2006 et ont exprimé tous trois une demande de nouvelles propositions et/ou de marché négocié.

25. Ainsi, par lettre en date du 31 août 2006, M. B..., mandataire du groupement GS, exprimait sa position sur l'avis d'appel d'offres du 22 juin 2006 : " Il nous apparaît impossible d'y répondre favorablement malgré le fait de vouloir poursuivre notre partenariat [...]. Notre démarche est de vouloir respecter l'accord-cadre du 4 mai 2000 [portant sur l'aménagement et la réduction du temps de travail dans les entreprises de transport sanitaire] [...]. Nous souhaiterions obtenir de nouvelles propositions nous permettant d'y répondre favorablement ".

26. Dans une lettre datée du même jour, le conseil de l'ADTS exposait pour sa part : " Je prends votre contact en qualité de conseil de l'association ADTS (Association Départementale de Transport Sanitaire) dont M. Jean- Yves A... est le président. Comme vous le savez ce groupement doit, à l'instar des autres, répondre pour le 4 septembre prochain 2006 à l'appel d'offres ouvert pour les prestations de transport non médicalisé. Les conditions de l'AO paraissent difficilement applicables compte tenu de leur caractère particulièrement drastique : ainsi les membres de l'association que je représente ne peuvent accepter les mesures suivantes : - transport en VSL 7 jours sur 7 ainsi que les dimanches et jours fériés impossibles à réaliser compte tenu des contraintes tant économiques que réglementaires ; - pénalités de 50 euro pour des transports en VSL pour un coût d'une moyenne de 14 euro. Je vous remercie de bien vouloir m'indiquer dans ces conditions si la mise en place d'un marché négocié serait possible ".

27. Enfin, par lettre en date du 4 septembre 2006, le conseil de l'UASM indiquait notamment : " L'UASM désire répondre à votre AO en ce qui concerne le lot 1 [...]. Ma cliente m'a toutefois fait part de ses plus grandes réserves quant à la possibilité matérielle d'assurer l'intégralité des prestations [...]. Ces prestations nécessitent qu'un équipage soit disponible de 7 h à 20 h chaque jour y compris dimanches et jours fériés. Or je me permets de vous rappeler que l'accord-cadre qui s'applique à l'ensemble des membres de l'UASM interdit le travail des salariés dans le cadre d'une telle amplitude. Il conviendrait sans doute de fixer le lot n°1 à l'amplitude horaire 8 h-20 h [...]. Les VSL nécessitent en effet la présence d'au moins deux ambulanciers et par conséquent d'au moins un salarié accompagnant le directeur de la société d'ambulance. Ma cliente entend voir engagées les négociations au regard des sanctions que le CHU appliquerait en cas de manquement contractuel. En effet, il apparaît que ces sanctions devraient pouvoir se voir appliquées une condition de réciprocité. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'indiquer dans les plus brefs délais si le CHU entend initier un nouvel appel d'offres, cette fois négocié ".

28. La commission d'appel d'offres s'est réunie le 6 septembre 2006. En l'absence d'offre conforme, elle a décidé de déclarer l'appel d'offres infructueux et de relancer une nouvelle procédure au mois d'octobre 2006.

b) Le second appel d'offres d'octobre-décembre 2006

29. Le CHU de Rouen a lancé un second appel d'offres par publication d'un avis de publicité légale d'appel public à la concurrence le 26 octobre 2006. La date limite de réception des offres avait été fixée au 1er décembre 2006.

30. Selon le nouveau règlement de consultation, l'appel d'offres portait cette fois sur 2 lots identiques de transports en ambulances ou en VSL de 7 h à 20 h du lundi au vendredi et de 8 h à 12 h le samedi matin. Le nombre de transports estimés était compris entre 5 000 et 20 000 pour le lot 1 et entre 4 500 et 18 000 pour le lot 2. Il n'y avait plus de lot de nuit ni de demande de disponibilité pour l'ensemble du week-end et les jours fériés.

31. Les autres dispositions du règlement de la consultation, à savoir les critères de choix, la possibilité de recourir aux groupements, étaient identiques à celles de la procédure précédente. Le CCATP maintenait également la possibilité de pénalité d'un montant de 50 euro en cas de retard important constaté lors d'un rendez-vous de transport de patient.

32. Le groupement ADTS s'est abstenu de candidater et a réitéré sa position initiale auprès de la commission d'appel d'offres par l'intermédiaire de son conseil qui a indiqué dans un courrier du 27 novembre 2006 : " Le groupement ADTS, à l'instar des autres groupements ne peut accepter de signer ce document en l'état. Il convient de remarquer en effet que seuls deux lots sont proposés alors qu'existent trois groupements. La difficulté la plus importante réside dans l'absence de toute information et description des lots ; manquent ainsi la répartition entre transports assis et transports allongés ".

33. L'UASM qui a fait acte de candidature a joint à son dossier une demande expresse de passer en marché négocié. Le GS a quant à lui déposé sa candidature ainsi qu'une offre effective.

34. La commission d'appel d'offres s'est réunie le 6 décembre 2006. Confrontée une nouvelle fois à l'absence d'une offre conforme, la commission a décidé de déclarer l'appel d'offres infructueux et de relancer une procédure sous forme de marché négocié, avec le GS, le seul groupement ayant effectivement remis une offre.

35. Les négociations relatives au marché négocié ont eu lieu entre le CHU et le GS le 20 décembre 2006. Aux termes de ces négociations, un marché a été conclu pour une période ferme d'une durée d'un an reconductible deux fois, soit une durée totale de 3 ans maximum avec prise d'effet le 1er janvier 2007. Les prestations de nuit (un lot) et les prestations des week-ends et jours fériés (un lot) ont été poursuivies dans le cadre d'avenants au précédent marché avec le GS, jusqu'à la relance de nouvelles procédures de mise en concurrence par le CHU en 2008 et 2009, qui ont abouti à retenir à nouveau le groupement GS comme attributaire (cf. tableau récapitulatif des procédures au point 37 ci-après).

3. TABLEAUX COMPARATIFS DES MARCHÉS DE 2004-2006 ET DE 2007-2009

36. Le tableau ci-après reproduit les conditions auxquelles ont été attribués les différents lots du marché correspondant aux années 2004-2006 :

<emplacement tableau>

37. Le tableau ci-après reproduit les différentes procédures du marché 2007-2009 et les conditions auxquelles ont été attribués les lots de jour en décembre 2006. Le lot de nuit a été reconduit par avenant avec le GS aux mêmes conditions que celles du marché de 2004-2006 jusqu'en mai 2008, puis un nouveau marché a été signé avec le GS qui présentait les meilleures conditions, dans le cadre d'un marché négocié après mise en concurrence.

<emplacement tableau>

E. LES PRATIQUES CONSTATÉES

38. L'enquête administrative a porté sur les comportements de certaines entreprises, membres des trois groupements UASM, GS et ADTS, qui ont refusé de répondre à l'appel d'offres ouvert lancé par le CHU de Rouen le 22 juin 2006, obligeant ainsi ce dernier à déclarer le marché infructueux, à relancer un nouvel appel d'offres en octobre 2006, déclaré à nouveau infructueux, et à passer finalement en marché négocié.

39. Le 5 décembre 2006, les responsables des entreprises concernées ont fait l'objet d'auditions à leurs sièges sociaux par les services de la DGCCRF à Rouen. Une seconde série d'auditions a ensuite été menée sur convocation dans les locaux de la DGCCRF entre le 2 mars et le 6 avril 2007.

1. LES DÉCLARATIONS DU CHU DE ROUEN

40. Par procès-verbal du 19 février 2007, la directrice des services logistiques du CHU de Rouen, Mme H... a déclaré : " Nous avons rencontré le groupement UASM le 29 décembre (2006) à 14 heures. Ils ont souhaité nous rencontrer suite à notre décision de passer en marché négocié [...]. Une personne (un homme) parmi les membres du groupement UASM présents a reconnu s'être concertée avec les autres groupements pour refuser de répondre à l'appel d'offres de septembre 2006. Je ne peux pas vous dire précisément le nom de cette personne parmi les membres de l'UASM. [...] L'ambulancier qui avait déclaré s'être concerté en septembre 2006 avec les 2 autres groupements a précisé que l'entente n'avait pas fonctionné lors de l'appel d'offres de décembre 2006 ".

2. LES DÉCLARATIONS DES MEMBRES DE L'UASM

41. M. Y... (Ambulances de la Croix de pierre), président et mandataire de l'UASM à l'époque des faits, a déclaré le 16 mars 2007 : " Oui je lui ai donné (à M. A... de l'ADTS) ces documents (dossier de consultation) aux environs du 13 juillet [...]. J'ai évoqué avec M. A... les pénalités de retard et le découpage des lots (intégration des VSL dans les lots ambulances). Ces dispositions du CCATP me posaient vraiment problème ainsi qu'à M. A... [...] Après la réunion qui a eu lieu au CHU (avec Mme H... et Mme I... ) durant l'été 2006 avant le 4 septembre 2006, lors de laquelle les trois présidents de groupements étaient présents (M. A..., M. B... et moi-même) nous avons échangé nos impressions sur le contenu du CCTP à savoir les difficultés que nous posaient les pénalités de retard, les amplitudes d'horaires au niveau des VSL et le découpage des lots car il n'y avait que deux lots de jour (la conséquence était qu'un groupement n'aurait plus de lot de jour sur le nouveau marché). La stratégie de chacun a été évoquée : chacun souhaitait passer en marché négocié pour l'AO de septembre 2006. Je vous précise qu'il ne s'agissait que d'intentions chacun restant libre pour la suite de répondre comme bon lui semblait ".

42. M. Y... a encore déclaré : " Seule la discussion que j'avais eue avec M. A... et M. B... suite à la réunion au CHU [...] me permettait de connaître les intentions de l'ADTS et du GS relatives à l'AO de septembre 2006. Je vous précise à nouveau que les deux autres groupements pouvaient toujours faire ce qu'ils voulaient mais il est clair que de connaître les intentions des deux autres groupements ( à savoir ne pas répondre à l'AO et demander à passer en marché négocié face aux conditions très contraignantes du CCTP ) a fortement influencé la décision de l'UASM de ne pas répondre et de faire envoyer une lettre par avocat demandant à négocier ".

43. M. E..., co-gérant de la société Alliance Ambulance avec M. F... (vice-président puis président à partir de septembre 2006 de l'UASM) a déclaré le 2 mars 2007 : " Tout le monde discute (dans le milieu ambulancier) et nous avons indiqué aux collègues de l'ADTS que dans l'état, nous ne répondrions pas à cet AO. [...] Chaque groupement a pris sa décision de manière isolée et ce n'est qu'après cette décision prise que nous nous sommes échangés ces informations. Il a pu se passer la même chose avec le groupement solidaire. Je persiste à dire que nous avons échangé des informations entre les groupements préalablement à la réponse à l'appel d'offres de septembre mais que toutes les décisions ont été prises de façon isolée par les groupements ".

44. Interrogée sur la tenue d'une réunion de l'UASM portant sur l'attitude à tenir lors de l'appel d'offres de septembre 2006, Mme J..., secrétaire de l'UASM, et gérante des Ambulances Bihorel, a déclaré le 5 mars 2007 : " On a dû tous se réunir ensemble. [...] je pense vers le mercredi 30 août 2006, cette réunion a eu lieu dans les locaux de l'UASM. Puis, à la question : " une personne y a-t-elle évoqué la possibilité que les concurrents étaient d'accord pour ne pas présenter d'offres ? ", Mme J... a répondu : " Oui [...] je pense à Mme Z... ou à M. F... ce sont eux qui avaient des contacts avec l'avocat ".

45. Mme Z..., trésorière de l'UASM, confrontée aux déclarations de M. E... et de Mme J... sur l'échange d'informations entre les trois groupements préalablement à la date limite de remise des offres du 4 septembre 2006, a déclaré le 9 mars 2007 : " [...] je confirme que les membres de l'UASM se sont réunis fin août (le 30 ou le 31). Lors de cette réunion il a été décidé à l'unanimité de ne pas répondre à l'appel d'offres de septembre. De plus chacun de nous savait que les autres groupements d'ambulanciers feraient de même. [...] Oui je confirme ces propos. [...] Mais en ce qui concerne l'échange entre les 3 groupements portant sur la décision de ne pas répondre à l'appel d'offres de septembre 2006 ce lien était entre MM. F... et A... président de l'ADTS, X... (secrétaire et trésorier adjoint de l'UASM) et B... président du Groupement Solidaire. Je n'ai personnellement pris part à aucune de ces relations. Néanmoins nous les membres de l'UASM étions tenus au courant par M. F... ".

46. M. X..., secrétaire et trésorier adjoint du groupement UASM, a déclaré le 6 avril 2007, au sujet d'une réunion tenue en août 2006 au siège de l'entreprise SOS Ambulances de M. C... en présence de MM. B..., K... et C... du GS, ainsi que de Mme Z... et lui-même pour l'UASM : " Nous (Mme Z... et moi-même) leur avons indiqué à cette occasion que l'UASM allait demander à passer en marché négocié avec le CHU. Les membres du GS nous ont indiqué que les conditions du cahier des charges du CHU pour l'appel d'offres de septembre 2006 ne leur convenaient pas non plus et qu'ils souhaitaient passer en marché négocié ".

47. Confronté aux déclarations concordantes des membres de l'UASM, l'ADTS et de GS, concernant les échanges d'informations préalablement au dépôt des offres, M. X... a déclaré : " Je suis d'accord avec toutes ces déclarations. Nous (l'UASM) souhaitions dès le départ demander un marché négocié car les conditions du marché ne nous satisfaisaient pas. Tous les ambulanciers savaient que les trois groupements ne déposeraient pas d'offre pour l'AO de septembre 2006 et demanderaient à passer un marché négocié. M. F... m'avait indiqué que l'ADTS ne répondrait pas à l'AO de septembre 2006. Je vous précise que ces informations n'étaient pas écrites [...] ".

48. M. F..., vice-président puis président et mandataire de l'UASM en 2006 et par ailleurs gérant avec M. E... de l'entreprise Alliance Ambulances a déclaré le 5 décembre 2006 : " Pour le marché 2004-2006 j'appartenais à l'USAM et j'en suis le mandataire ; pour le marché 2006 la situation n'a pas changé. " ; - " En tant que président de l'association j'ai discuté avec M. A... représentant de l'ADTS sur diverses informations et questions au nom des adhérents ".

49. Réinterrogé le 2 mars 2007, il a indiqué : " Oui je confirme ces déclarations (de M. E... selon lesquelles il y a eu échange d'informations préalables à l'AO de septembre 2006 entre les 3 groupements pour ne pas présenter d'offres). Je déclare que j'ai avisé M. A... du refus et réciproquement. L'information a été communiquée à M. C... par un membre de mon groupement qui est M. X... Grégory. Lors de cet entretien il n'était pas seul, Mme Z... était conviée également. Cet échange a eu lieu lors de l'inauguration du local de M. C... ".

3. LES DÉCLARATIONS DES MEMBRES DU GS

50. M. B..., mandataire du GS et responsable de la SARL Ambulances Auvray, a été auditionné le 26 mars 2007. A la question : " A la lecture de différents extraits de procès-verbaux de déclarations de Mmes J... et Z... et de MM. F... et E... confirmez-vous avoir échangé des informations avec l'UASM, en particulier avec M. X..., avant la date limite du 4 septembre pour l'AO de septembre 2006 ? Si oui quelles informations ont été échangées ? ", M. B... a répondu : " J'ai bien indiqué à M. X... que le GS allait demander un marché négocié pour l'AO de septembre. De même je savais qu'eux-mêmes - l'UASM - rencontraient les mêmes difficultés avec le CCTP que nous. Cet échange avec M. X... a eu lieu par téléphone ".

51. A la question : " M. X... vous a-t-il indiqué lors de l'entretien sur le parking de SOS Ambulances, avant le 4 septembre 2006 les intentions des groupements UASM et ADTS pour la CAO de septembre 2006 de ne pas répondre et demander à passer un marché négocié? ", M. B... a répondu : " Je ne me souviens pas que le sujet a été abordé sur le parking ; j'ai abordé le sujet avec M. X... par téléphone comme je viens de vous le dire. Je n'ai jamais été au courant des intentions de l'ADTS pour l'AO de septembre 2006. Mais je me doutais que l'ADTS, étant donné sa taille, allait difficilement pouvoir répondre au nouveau découpage des lots ".

52. M. C..., PDG de SA SOS Ambulances, qui réalise 60 % des prestations exécutées par le GS pour le marché du CHU, a déclaré par procès-verbal du 30 mars 2007 : " [au sujet de la réunion d'août 2006 sur le parking du CHU entre les trois présidents de groupements] J'étais au courant que cette réunion avait eu lieu ; j'ai bien demandé à M. B... ce qui s'y était dit. Je ne sais plus exactement ce que m'a indiqué M. B... [...] ".

4. LES DÉCLARATIONS DU PRÉSIDENT DE L'ADTS

53. M. A..., président de l'ADTS, dont l'entreprise réalise 34 % de son chiffre d'affaires annuel avec le marché du CHU, admet dès le 5 décembre 2006 par procès-verbal : " J'ai eu des contacts informels avec des entreprises des autres groupements, qui elles aussi ne pouvaient accepter les conditions du CHU. Je ne me souviens plus exactement des personnes avec qui j'ai eu ces contacts ".

54. Au sujet d'un projet de fusion des trois groupements élaboré en août 2006 par M. Y... et d'une note du 3 août 2006 qu'il avait diffusée à ce propos à ses adhérents de l'USAM, M. A... a ajouté : " M. Y... m'avait parlé en juin-juillet 2006 de ce projet de fusion entre les trois groupements pour répondre à l'appel d'offres de septembre. Je l'avais informé de ma position personnelle à savoir le refus de cette fusion [...]. Je ne comprends donc pas que l'ADTS soit citée dans cette note. J'avais entendu que M. Y... avait évoqué le sujet de la fusion des trois groupements avec M. B... du GS ".

55. Également confronté aux déclarations convergentes de MM. F... et E... ainsi que de Mme Z... de l'UASM, M. A... a déclaré par procès-verbal du 15 mars 2007 : " J'ai évoqué avec M. F... entre le 28 août et le 2 septembre 2006 (avant le 4 septembre 2006) le fait que je n'allais pas répondre à l'AO de septembre 2006 et faire envoyer au CHU un courrier rédigé par mon avocat ; je lui ai indiqué que je n'étais pas d'accord sur les pénalités de retard et sur l'allotissement. Il était d'accord avec moi pour refuser les pénalités de retard et pour ne pas accepter l'allotissement en l'état. II m'a dit qu'il allait aussi envoyer un courrier au CHU ".

56. M. A... a également déclaré : " J'avais indiqué incidemment à Mme J... (UASM) que je n'allais pas répondre à l'AO de septembre 2006. [...]. Je n'ai eu aucun contact, même informel, avec des membres du groupement Solidaire. [...] De la même façon, nous avons pris la décision au sein de l'ADTS de ne pas répondre à l'AO de septembre 2006, puis nous en avons informé l'UASM via M. F.... Je ne savais pas si le GS allait déposer une offre ".

57. Les déclarations recueillies au cours de l'enquête, reproduites ci-dessus, tendent à montrer que, préalablement au dépôt des offres du 4 septembre 2006, les responsables de certaines entreprises membres des groupements ont échangé des informations relatives à la réponse de ces groupements à l'appel d'offres lancé par le CHU le 22 juin 2006, dont les conditions n'auraient pas été jugées acceptables.

F. LES GRIEFS NOTIFIÉS

58. Sur la base des éléments qui précèdent, le grief suivant a été notifié en ces termes :

" Il est fait grief aux entreprises et sociétés : " SARL Auvray ambulances " (RCS 393 307 194), " SA SOS ambulances " (RCS 327 181 632), " SARL Normandy ambulances " (RCS 494 556 897), " Ambulances de la croix de pierre " (SIREN 422 077 925), " Europe ambulances " (SIREN 434 334 496), " SARL Alliance ambulances 76 " ( RCS 504 419 961) ayant repris la " SARL Alliance ambulances " et à M. Jean-Yves A... ancien exploitant individuel de l'entreprise " Quevilly Ambulances " (aujourd'hui radiée sous le n°325 760 833), d'avoir depuis temps non couvert par la prescription, échangé avant le 4 septembre 2006, date de la réception des offres par le CHU de Rouen, des informations sur leurs réponses dans le cadre des trois groupements d'entreprises ambulancières destinés à candidater à cet appel d'offres. En l'espèce, ces échanges ont consisté à s'informer réciproquement d'un refus de présenter une offre afin d'obtenir une négociation dérogeant au CCATP, plus favorable à leurs desideratas dans le cadre d'un marché négocié - lors de la procédure d'appel d'offres en vue de la passation d'un marché de transports sanitaires terrestres par le CHU de Rouen ; cela a eu pour conséquence, par leur absence de réponse ainsi concertée, en portant atteinte au principe d'indépendance des offres, d'altérer le libre jeu de la concurrence sur le marché et de restreindre la liberté de choix du meilleur concurrent que la personne publique avait recherché en soumettant son marché à la procédure de l'appel d'offres ouvert ; cette pratique est contraire aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° et 4° du Code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles. "

II. Discussion

A. SUR LE FOND

1. L'ÉCHANGE D'INFORMATIONS

59. Selon une jurisprudence constante, chaque marché passé sur appel d'offres, qu'il s'agisse de marchés publics ou de délégations de service public, constitue un marché pertinent. Ce marché résulte de la confrontation concrète d'une demande du donneur d'ordres et des propositions faites par les candidats qui répondent à l'appel d'offres (voir, notamment, décision n° 08-D-05 du 27 mars 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des commerces sous douane des aéroports parisiens, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 2 juillet 2008).

60. En l'espèce, le marché pertinent correspond donc au marché passé par le CHU de Rouen concernant les prestations de transports sanitaires hospitaliers pour les années 2007 à 2009.

61. L'article L. 420-1 du Code de commerce dispose que : " Sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

1°- Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

2°- Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3°- Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4°- Répartir les marchés et les sources d'approvisionnement ".

62. À de nombreuses reprises, le Conseil de la concurrence, puis l'Autorité de la concurrence, ont rappelé, en matière de marchés publics sur appels d'offres, qu'il est établi que des entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement au dépôt des offres (voir, notamment, décisions n° 09-D-34 du 18 novembre 2009 relative à des marchés de travaux publics d'électricité et d'éclairage public en Corse et n° 03-D-19 du 15 avril 2003 relative à des pratiques relevées sur le marché des granulats dans le département de l'Ardèche).

63. Ces pratiques peuvent avoir pour objet de fixer les niveaux de prix auxquels seront faites les soumissions, voire même de désigner à l'avance le futur titulaire du marché, en le faisant apparaître comme le moins disant. Mais de simples échanges d'informations portant sur l'existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel ou en matériel, leur intérêt ou leur absence d'intérêt pour le marché considéré, ou les prix qu'ils envisagent de proposer, altèrent également le libre jeu de la concurrence (voir, notamment, décision n° 06-D-08 du 24 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 23 octobre 2007).

64. La preuve de l'existence de telles pratiques, qui sont de nature à limiter l'indépendance des offres, condition normale du jeu de la concurrence, peut résulter le cas échéant d'un faisceau d'indices constitué par le rapprochement de divers éléments recueillis au cours de l'instruction, même si chacun pris isolément n'a pas un caractère suffisamment probant (décisions n° 01-D-20 du 4 mai 2001 relative à des pratiques relevées concernant plusieurs marchés de travaux de peinture et d'étanchéité dans le département de l'Indre-et-Loire et n° 01-D-17 du 25 avril 2001 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans les marchés d'électrification de la région du Havre).

65. En l'espèce, il ressort des différentes déclarations recueillies au cours de l'instruction qu'à l'occasion de l'appel d'offres lancé par le CHU concernant les transports sanitaires terrestres inter-hospitaliers non médicalisés pour la période 2007-2009, des membres des trois groupements, UASM, GS et ADTS, se sont informés mutuellement, préalablement à la date limite de dépôt des offres du 4 septembre 2006, de l'intention desdits groupements de ne pas soumissionner, afin de mettre en échec la procédure de marché public et d'obtenir un marché négocié.

66. Ainsi, les contacts avec des membres des autres groupements ont été reconnus par M. Y..., président de l'UASM, M. B... président et mandataire du GS et M. A..., président et mandataire de l'ADTS (voir paragraphes 41 et 42, 50 et 51, 53, 55 et 56). Ces personnes ont admis avoir fait part des intentions de leur groupement de refuser de répondre à l'appel d'offres ou à tout le moins de demander à passer en marché négocié.

67. M. B..., du GS, indique que M. X... de l'UASM a parlé avec lui au téléphone des intentions des deux groupements (voir paragraphes 50 et 51). M. X... admet pour sa part avoir communiqué aux membres du GS l'intention de l'UASM de demander à passer en marché négocié à l'occasion d'une réunion tenue en août 2006 au siège de l'entreprise SOS Ambulances (voir paragraphe 46). M. F..., membre de l'UASM, confirme que M. X... a communiqué à M. C..., du GS, des informations sur le refus de répondre à l'appel d'offres (voir paragraphe 49).

68. M. F..., de l'UASM, admet un échange d'informations du même type avec M. A... de l'ADTS (voir paragraphes 49, 55 et 56).

69. M. X..., de l'UASM, indique avoir fait part, notamment à M. C..., du GS, au siège de l'entreprise de ce dernier, SOS Ambulances, de l'intention de l'UASM de demander à passer en marché négocié et avoir reçu la même information pour le GS en retour (voir paragraphe 46). Cet élément est confirmé par M. F... de l'UASM (voir paragraphe 49).

70. MM. X... et F... de l'UASM indiquent tous deux que Mme Z..., trésorière de l'UASM, a participé à la rencontre avec les membres du GS évoquée au paragraphe précédent (voir paragraphes 46 et 49).

71. En résumé, MM. Y..., B..., A..., X... et F... ont admis avoir participé aux échanges visés, tandis qu'en dépit des dénégations de M. C... et de Mme Z..., deux témoignages concordants indiquent qu'ils y ont également participé. Ces personnes étaient alors respectivement responsables des entreprises Ambulances de la Croix de pierre, entreprise artisanale de M. Y..., SARL Auvray Ambulances, Quevilly Ambulances, entreprise artisanale de M. A..., Dubuc-Ambulances, entreprise artisanale de M. X..., SARL Alliance Ambulances, SA SOS Ambulances et Europe Ambulances, entreprise artisanale de Mme Z...

72. Au regard de la jurisprudence précitée, les pratiques identifiées ont faussé l'indépendance des comportements et (ainsi que l'a explicitement reconnu M. Y..., comme indiqué au paragraphe 42) trompé le donneur d'ordres sur l'intensité de la concurrence. Elles sont contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

73. Il convient de rappeler que, dans le cadre de la présente affaire, il n'est pas reproché aux entreprises d'avoir cherché à constituer des groupements pour répondre à l'appel d'offres lancé par le CHU de Rouen ou d'avoir adopté la même attitude (simple parallélisme de comportement), mais de s'être informées mutuellement avant la date limite de dépôt des offres de leur intention, dans le cadre des groupements auxquels elles étaient ralliées, de ne pas déposer d'offres à l'occasion de cette procédure.

74. Selon une jurisprudence nationale et communautaire établie, " si l'exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché " (voir, notamment, arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T-202-98, T-204-98 et T-207-98, Rec. p. II-2035, point 56).

2. RÉPONSES AUX ARGUMENTS DES PARTIES

75. Il convient de répondre à plusieurs arguments avancés par les entreprises mises en cause.

a) Sur l'élément intentionnel

76. Europe Ambulances soutient qu'à aucun moment, les groupements n'ont eu la volonté consciente de faire obstacle au jeu de la concurrence. Elle indique que les présidents des groupements se sont rencontrés durant l'été 2006 à l'initiative du CHU de Rouen qui a souhaité expliquer les dispositions de son cahier des clauses administratives et techniques particulières. Au cours de cette rencontre, ils ont évoqué les difficultés que posait l'application de ce nouveau cahier des charges et leurs doutes quant à l'acceptation de leurs membres de souscrire à l'appel d'offres. À aucun moment, ils n'auraient entrepris de mettre en œuvre une stratégie concertée pour boycotter l'appel d'offres.

77. A cet égard, il y a lieu de rappeler tout d'abord que le comportement identifié précédemment comme contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce n'est pas celui d'une concertation en vue d'un boycott collectif, mais celui d'un échange d'informations sur les intentions de chaque groupement, qui a conforté chacun dans sa décision.

78. De plus, il résulte d'une pratique décisionnelle constante du Conseil de la concurrence qu'il n'est pas nécessaire de prouver que la restriction de concurrence a été consciemment envisagée et voulue par les parties en connaissance de cause : " N'échappent [...] pas à ces règles les pratiques ayant un effet ou pouvant avoir un effet anticoncurrentiel sur le marché sans qu'il soit besoin d'établir l'intention de les enfreindre " (décision n° 94-D-21 du 22 mars 1994 relative à des pratiques de l'Office d'annonces, régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires de France Télécom). Dans une décision n° 01-D-67 du 19 octobre 2001 relative à des pratiques relevées à l'occasion de la passation de marchés publics de travaux routiers dans le département des Bouches-du-Rhône, le Conseil a encore relevé que " l'absence d'intention anticoncurrentielle des entreprises parties à l'entente est sans portée sur la qualification même d'entente ".

79. En l'espèce, il importe donc peu que les parties mises en cause n'aient pas eu conscience de porter atteinte au principe de la libre concurrence. Un tel argument ne saurait suffire à écarter le caractère illicite de l'entente.

b) Sur les conditions particulières de l'appel d'offres et le rôle joué par le CHU de Rouen

80. Les parties mises en cause contestent les conditions du CCATP, notamment, celles relatives aux amplitudes horaires de certains lots (7 heures à 20 heures), qui ne seraient pas compatibles avec la convention nationale relative aux transporteurs sanitaires qui prévoit une amplitude maximale de 12 heures avec des dépassements et des aménagements d'horaires limitatifs. Elles soutiennent encore que le CCATP, tel que proposé, n'était pas économiquement viable.

81. Cependant, il n'entre pas dans les attributions de l'Autorité de la concurrence d'apprécier la conformité des conditions d'un cahier des charges, tel que celui en cause, avec la législation sociale applicable. De même, il n'appartient pas à l'Autorité de se prononcer sur le caractère adapté ou non de l'appel d'offres aux capacités individuelles des entreprises.

82. D'ailleurs même à supposer que les critiques formulées à l'encontre du CCATP soient fondées en l'espèce, celles-ci ne pourraient en aucune manière justifier la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles reprochées.

83. Les parties mises en cause soutiennent aussi que les représentants du CHU de Rouen ont eux-mêmes organisé une réunion pour discuter des termes de l'appel d'offres. Les rencontres reprochées se seraient donc tenues à l'initiative du CHU de Rouen et à une date à laquelle la décision des membres du groupement solidaire de ne pas répondre à la consultation de juin 2006 avait déjà été prise.

84. Cependant, les déclarations reproduites précédemment établissent que les échanges d'informations visés ont eu lieu dans d'autres circonstances que lors d'une réunion au CHU et aucun élément ne montre que celui-ci aurait incité les entreprises à ne pas répondre à son appel d'offres, ce qui aurait d'ailleurs été absurde.

85. Quand bien même le CHU aurait adopté cette attitude, la compromission ou la tolérance des donneurs d'ordres dans la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce. Ainsi, dans un arrêt du 6 octobre 1992 SA Entreprise Jean Lefèbvre et autres, la Cour de cassation a jugé : " [...] Il est fait grief à l'arrêt d'avoir retenu l'existence de pratiques anticoncurrentielles alors que la connaissance ou la tolérance des pouvoirs publics justifiaient le comportement des entreprises et que les pratiques incriminées avaient été, au moins partiellement, imposées par certaines personnes de droit public demandant aux entreprises de simuler la concurrence ; Mais attendu que la compromission des maîtres de l'ouvrage avec les entreprises, à la supposer établie, ne fait pas échec à l'application des dispositions des textes invoqués [en l'espèce l'article L. 420-1 du Code de commerce] " (voir également l'arrêt du 12 janvier 1993, Sogéa). Dans un arrêt du 30 mai 1995, Sté Ghihlion, la Cour de cassation a encore souligné, s'agissant de concertations entre entreprises de déménagement tolérées par l'administration, que " le Conseil n'était compétent que pour sanctionner les entreprises qui s'étaient rendues coupables d'agissements constitutifs d'ententes prohibées [...], même si les personnels bénéficiaires des prestations et l'administration chargée d'en effectuer le remboursement avaient, par leur compromission ou leur complaisance, déterminé ou facilité la mise en œuvre et la persistance de ces pratiques, dès lors que, pour de tels comportements, ces personnes et autorités administratives échappent au pouvoir que lui conférait [le Code de commerce] ".

86. De même, dans la décision n° 05-D-19 du 12 mai 2005, relative aux marchés de construction d'ouvrages d'art sur l'autoroute A 84, dite "route des estuaires", dans le département de la Manche, confirmée sur ce point par la Cour d'appel de Paris et la Cour de cassation, le Conseil de la concurrence a souligné : " [...] les pratiques utilisées par le maître de l'ouvrage à l'occasion d'un appel d'offres, même si elles facilitent les pratiques irrégulières des entreprises, ne peuvent pas faire échec à l'application des dispositions de [l'article L. 420-1 du Code du commerce], dès lors que sont établies à l'encontre des sociétés des pratiques tendant à fausser le jeu de la concurrence " (voir arrêts de la Cour d'appel de Paris du 7 mars 2006, Société Inéo SA, et de la Cour de cassation du 6 mars 2007, Société Demathieu et Bard).

c) Sur l'absence de mise en cause des groupements

87. Certaines parties mises en cause, parmi lesquelles Europe Ambulances, soutiennent que les griefs auraient dû être adressés aux trois groupements et non aux entreprises membres de ces derniers. En effet, les personnes physiques mises en cause n'auraient agi qu'en qualité de représentant de leur groupement, dans le cadre de leur mission, et non à titre de représentant de leur entreprise. Dans la mesure où les groupements ont la personnalité morale, ce sont eux qui devraient être tenus pour responsables.

88. La responsabilité de notifier les griefs appartient, conformément aux dispositions de l'article L. 463-2 du Code de commerce, au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence ou à un rapporteur général adjoint désigné par lui. Le collège se prononce sur le caractère fondé, ou non, des griefs et peut le cas échéant renvoyer le dossier à l'instruction s'il l'estime nécessaire, ainsi que le prévoit l'article R. 463-7 du même code.

89. En l'occurrence, il n'existe aucun motif s'opposant à ce que soient retenus les griefs à l'égard des entreprises ambulancières dont la participation à l'échange d'informations est démontrée. En effet, bien que constitués sous forme d'associations, les groupements GS, UASM et ADTS étaient des structures ad hoc créées dans le cadre des marchés publics lancés par le CHU de Rouen concernant les prestations de transports sanitaires hospitaliers qui n'avaient pas nécessairement vocation à être pérennisées d'un appel d'offres à l'autre. À chaque appel d'offres, ce sont les entreprises elles-mêmes qui sont sollicitées et il appartient à chacune de décider si elle présente une offre individuelle ou si elle fait une offre en groupement avec d'autres, peut-être différente de celles avec lesquelles elle s'est associée à l'occasion d'une précédente procédure. D'ailleurs, les groupements UASM et ADTS ont été dissous durant le premier semestre de l'année 2007 dès lors qu'ils ont été exclus de la procédure négociée de décembre 2006 du CHU et ont acquis la certitude de n'obtenir aucun lot lors de la relance postérieure de l'appel d'offres début 2007 pour les lots restants. Ainsi, seul le GS qui a obtenu in fine l'ensemble des lots du marché considéré a été maintenu. Sa composition a cependant évolué depuis lors puisqu'en 2009, il comptait neuf entreprises membres au lieu de six à la fin 2006. Désormais, les entreprises Alliance ambulances 76, Europe ambulances et Ambulances assistance, anciens membres de l'UASM, ont rejoint ce groupement.

90. Il peut être d'ailleurs relevé que les entreprises, lorsqu'elles adhèrent à un groupement pour répondre à un marché public, restent au sens de l'article 51 du Code des marchés publics dans " un groupement momentané d'entreprises ".

91. À cet égard, il y a lieu de souligner qu'une approche similaire a été retenue par le Conseil de la concurrence dans une décision n° 92-D-08 du 4 février 1992 relative à des pratiques d'entreprises de transports sanitaires lors d'appels d'offres des hospices civils de Lyon.

92. Cependant, dans un tel cas, toutes les entreprises membres d'un groupement n'ont pas à répondre des pratiques commises par certains de ses membres.

93. Ainsi, dans la décision n° 05-D-17 du 27 avril 2005 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des marchés de travaux de voirie en Côte d'Or, le Conseil de la concurrence a clairement indiqué : " la seule circonstance d'avoir signé, en groupement, l'offre de soumission ne suffit pas à fonder la participation de la société Eurovia Bourgogne à l'entente " (paragraphe 68). De même, dans la décision n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales, le Conseil a retenu " [...] pour les entreprises [...] le seul fait d'être cité dans des documents comme membres de groupements ne prouve pas qu'elles ont elles-mêmes participé aux réunions et autres échanges anticoncurrentiels [...] " (paragraphe 98).

94. La Cour d'appel de Paris a pour sa part jugé dans l'arrêt Bayol du 9 novembre 2004 : " Le seul fait d'être membre d'un groupement est insuffisant à lui seul à établir la participation à l'échange d'informations incriminé ".

95. En l'espèce, en application de ces principes, l'Autorité est fondée à retenir l'implication des entreprises membres des groupements pour lesquelles les éléments du dossier prouvent à suffisance de droit qu'elles ont participé à la concertation reprochée.

96. En tout état de cause, une société sanctionnée n'est pas recevable à critiquer la décision en ce qu'elle ne sanctionne pas d'autres entreprises, cette circonstance ne lui faisant pas grief (arrêt Cour d'appel de Paris, 28 janvier 2009, société coopérative de commerçants).

d) Sur les effets de la concertation

97. Europe Ambulances soutient encore que les groupements auraient de toute façon été obligés de refuser les conditions de l'appel d'offres afin de respecter le droit du travail et donc qu'un marché négocié serait nécessairement intervenu.

98. L'argument avancé par Europe Ambulances est dépourvu de pertinence pour contester l'existence matérielle de la pratique d'entente et doit être écarté.

B. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

99. Les pratiques ci-dessus décrites sont imputables aux sociétés Auvray Ambulances et SOS Ambulances ainsi qu'aux entreprises en nom propre, Mme Valérie Z... exploitant Europe Ambulances, M. Jacques Y... exploitant Ambulances de la Croix de pierre et à M. Jean-Yves A..., ancien exploitant de Quevilly Ambulances, qui n'ont pas subi de modification ou de transformation posant un problème d'imputation. En revanche, il convient d'examiner l'imputabilité des pratiques mises en œuvre par la SARL Alliance Ambulances et l'entreprise Dubuc-Ambulance.

1. EN CE QUI CONCERNE LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR LA SARL ALLIANCE AMBULANCES

100. La SARL Alliance Ambulances 76 soutient qu'aucune intention coupable ne saurait lui être imputée, son gérant n'ayant acquis une partie du fonds de commerce de la SARL Alliance Ambulances que deux ans après les faits délictueux. De plus, aucune mention relative à l'existence de la présente procédure ne figurait sur l'acte de cession. Par ailleurs, la SARL Alliance Ambulances aurait scindé son fonds de commerce en deux lots. Si elle a cédé la partie " ambulance " à la SARL Alliance Ambulances 76, elle a également cédé la partie " taxi " à M. F... Or, le taxi pourrait assurer des transports sanitaires. Par ailleurs, lorsque le gérant de la SARL Alliance Ambulances 76 a acquis le fonds de commerce de la SARL Alliance Ambulances, le chiffre d'affaires de celle-ci était déficitaire. Dans ces conditions, la continuité économique entre les sociétés Alliances Ambulances et Alliance Ambulances 76 ne serait pas établie.

101. Cependant, comme le Conseil de la concurrence l'a indiqué dans son rapport annuel pour 2001, les principes régissant l'imputabilité des pratiques en cas de transformation de la structure d'une entreprise, entre la commission des pratiques et leur sanction, ont été formalisés dans l'arrêt du Tribunal de première instance en date du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission (T-6-89, Rec. p. II-1623), selon lequel : " Lorsque l'existence d'une infraction est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale responsable de l'exploitation de l'entreprise au moment où l'infraction a été commise, afin qu'elle réponde de celle-ci. [...] Toutefois, lorsque, entre le moment où l'infraction est commise et le moment où l'entreprise en cause doit en répondre, la personne responsable de l'exploitation de cette entreprise a cessé d'exister juridiquement, il convient de localiser, dans un premier temps, l'ensemble des éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction pour identifier, dans un second temps, la personne qui est devenue responsable de l'exploitation de cet ensemble, afin d'éviter que, en raison de la disparition de la personne responsable de son exploitation au moment de l'infraction, l'entreprise ne puisse pas répondre de la commission de celle-ci [...]" ".

102. En l'espèce, ainsi que le montrent les extraits Kbis produits par elle-même, la SARL Alliance Ambulances 76 a bien repris les "deux fonds", l'un sis à Barentin, 183, rue Jules Ferry et l'autre sis à Pavilly, 8, rue Aristide Briand, vendus par la SARL Alliance Ambulances avant sa mise en sommeil le 30 septembre 2008 et sa radiation le 31 août 2009. Ces "deux fonds" sont mentionnés comme étant à l'origine de l'activité d'Alliance Ambulances 76, dont l'objet est " Transport de malades et de blessés par véhicules sanitaires terrestres (ambulance, VSL). Vente de matériel en rapport avec l'activité ambulancière ".

103. Dans ces conditions, il est suffisamment établi que les moyens matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction ont été transférés à la SARL Alliance Ambulances 76 alors que la SARL Alliance Ambulances a disparu (les sept salariés de cette dernière ont été repris par Alliance Ambulances 76) même si une activité résiduelle "taxi" a continué à être exercée par M. F..., qui n'a quant à lui repris aucun salarié.

104. Il résulte de ce qui précède que la SARL Alliance Ambulances 76 doit répondre des pratiques mises en œuvre par la SARL Alliance Ambulances puisque la cession intervenue entre les deux sociétés n'a pas interrompu la continuité de l'entreprise au sens du droit de la concurrence. La question d'une éventuelle mise en cause de la responsabilité civile des anciens cogérants de la SARL Alliance Ambulances ne relève pas de l'Autorité de la concurrence.

2. EN CE QUI CONCERNE LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR M. X...

105. La pratique d'entente a été mise en œuvre par M. X... (Dubuc-Ambulance) qui était à l'époque des faits exploitant individuel. Le 27 février 2007, ce dernier a créé la SARL Piednoël Duhamel dont il est devenu le gérant. Puis le 1er janvier 2010, cette société a changé de dénomination sociale pour devenir la SARL Normandy Ambulances.

106. Dans son rapport annuel pour 2001, le Conseil de la concurrence rappelle que l'exploitant individuel continue à répondre des pratiques relevées à son encontre.

107. La SARL Normandy Ambulances ne peut, dans cette situation, répondre des pratiques mises en œuvre par M. X... Toutefois, M. X... a eu pleine connaissance des griefs et dans ses observations sur ceux-ci, il indique : " [...] au moment des faits la SARL Normandy Ambulances n'était pas constituée. Aux fins de simplification, nous parlerons de la SARL Normandy Ambulances, gérée par M. X..., qui prolonge l'activité économique de l'entreprise individuelle de transport sanitaire de M. X... "

108. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les griefs ont été valablement formulés à l'égard de M. X... qui a été à même de faire valoir sa défense. La mention de Normandy Ambulances n'a porté atteinte ni au principe du contradictoire, ni à la régularité de la procédure (voir pour une situation voisine, la décision du Conseil de la concurrence n° 08-D-23 du 15 octobre 2008, relative à des pratiques mises en œuvre par le syndicat des artisans et entrepreneurs de taxis des Alpes de Haute-Provence et certains de ses membres, paragraphes 25 et 26).

C. SUR LES SANCTIONS

109. Aux termes du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 : " L'Autorité de la concurrence peut [...] infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions soit en cas de non-respect des engagements qu'il a acceptés. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.

Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante. "

110. L'article L. 464-5 du Code de commerce prévoit : " L'Autorité, lorsqu'elle statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2. Toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs des pratiques prohibées ".

1. SUR LES CRITÈRES DE DÉTERMINATION DU MONTANT DES SANCTIONS

111. Seront successivement abordées, parmi les critères de la sanction :

- la gravité des pratiques ;

- l'importance du dommage causé à l'économie ;

- la situation individuelle des entreprises.

a) Sur la gravité des pratiques

112. Il résulte des appréciations constantes du Conseil de la concurrence, puis de l'Autorité, que les ententes commises à l'occasion d'appels d'offres sont graves puisqu'elles limitent l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises si elles s'étaient déterminées de manière indépendante.

113. De même, la Cour d'appel de Paris a-t-elle souligné à plusieurs reprises la gravité des pratiques d'entente entre soumissionnaires aux appels d'offres lancés dans le cadre de marchés publics " puisque seul le respect des règles de concurrence garantit la sincérité de l'appel d'offres et l'utilisation optimale des fonds publics " (voir, notamment, arrêt du 25 septembre 2007, Entreprise Vendasi).

114. Le caractère ponctuel ou la faible durée effective de la concertation n'est pas un critère pertinent pour atténuer cette gravité puisqu'un appel d'offres est par nature un marché instantané qui peut être faussé sans recourir à une entente durable.

115. En l'espèce, la mise en concurrence n'a pu pleinement jouer puisque les entreprises ont trompé l'établissement public hospitalier en refusant une concurrence réelle entre elles. Les pratiques mises en œuvre ont contraint le CHU de Rouen à lancer une nouvelle procédure d'appel d'offres, après l'échec de la première puis à recourir à la procédure du marché négocié avec un seul groupement.

116. Il convient de relever également que les pratiques en cause ont concerné les prestations de transports sanitaires qui sont nécessaires à la mission du service public de la santé.

b) Sur l'importance du dommage à l'économie

117. Selon une jurisprudence constante " le dommage causé à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence " (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 janvier 1998, Fougerolle Ballot). Ainsi, le dommage à l'économie est distinct du préjudice éventuellement subi par la victime directe de l'entente et s'apprécie en fonction de la perturbation générale apportée au fonctionnement normal des marchés par les pratiques en cause.

118. En l'espèce, il convient de noter de plus que du fait des pratiques mises en œuvre, la personne publique a dû relancer le marché. Le simple fait de retarder l'attribution du marché par une pratique d'entente qui fait obstacle au bon déroulement de l'appel d'offres participe au dommage à l'économie, en empêchant le maître d'ouvrage de réaliser, à l'échéance prévue, l'opération envisagée.

119. Dans le cas particulier des soumissions à des appels d'offres, la jurisprudence considère également que c'est le marché objet de l'appel d'offres qui constitue le marché affecté et que c'est son montant qui sert à apprécier le dommage à l'économie, auquel la sanction doit être proportionnée (voir, notamment, décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-17 du 27 avril 2005, précitée).

120. Dans le cas présent, les pratiques se sont déroulées sur un marché triennal de 2007 à 2009, renouvelable tacitement chaque année. Selon l'estimation fournie par la personne publique, le montant global des sommes allouées au titre de l'appel d'offres concerné était de l'ordre de 3 millions d'euro sur trois ans.

121. Pour apprécier l'importance du dommage à l'économie, l'Autorité de la concurrence tient compte aussi de la " malheureuse valeur d'exemple que ce type de comportements peut susciter pour d'autres marchés ".

c) Sur la situation individuelle des entreprises

122. L'appréciation de la situation individuelle d'une entreprise permet à l'Autorité de la concurrence, au regard du principe de proportionnalité, d'adapter la sanction en fonction de la capacité contributive des entreprises sanctionnées ainsi que de leur taille sur le marché et du rôle qu'elles ont joué dans la mise en œuvre de la pratique en cause.

123. Il ne ressort pas du dossier que, parmi les parties mises en cause, les degrés de responsabilité puissent être appréciés différemment dans le cadre de la concertation identifiée.

2. SUR LE MONTANT DES SANCTIONS

a) M. Jacques Y..., chef de l'entreprise Ambulances de la Croix de pierre

124. Au cours de la période comprise entre 2005 et 2009, le chiffre d'affaires le plus important réalisé est celui de l'exercice 2008 et s'élève à 272 003 euro de sorte que le plafond de la sanction atteint 27 200 euro. Le chiffre d'affaires réalisé au cours du dernier exercice clos connu, s'achevant le 31 juin 2009 a été de 269 571 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils viennent d'être exposés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à M. Y... une sanction pécuniaire de 1 300 euro.

b) SARL Auvray Ambulances

125. Durant l'exercice s'achevant au 31décembre 2009, dernier exercice clos connu, la SARL Auvray Ambulances a réalisé un chiffre d'affaires de 1 115 945 euro, ce qui représente son chiffre d'affaires le plus important sur la période comprise entre 2005 et 2009, de sorte que le plafond de la sanction s'élève à 111 594 euro.

126. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils viennent d'être exposés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à la SARL Auvray Ambulances une sanction pécuniaire de 5 000 euro.

c) M. Jean-Yves A..., chef de l'entreprise Quevilly Ambulances

127. Quevilly Ambulances, l'entreprise en nom propre de M. A..., a été radiée du registre du commerce le 27 février 2008. Son chiffre d'affaires a été de 337 221 euro au cours du dernier exercice comptable qui s'est achevé le 31 octobre 2007 (exercice sur 13 mois), date à laquelle M. A... a cessé ses activités dans le cadre de Quevilly Ambulances.

128. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils viennent d'être exposés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à M. Jean-Yves A..., une sanction pécuniaire de 1 500 euro.

d) M. Gregory X..., chef de l'entreprise Dubuc-Ambulance

129. En 2005, Dubuc-Ambulance, entreprise artisanale de M. X..., a réalisé un chiffre d'affaires de 569 713 euro.

130. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à M. X..., une sanction pécuniaire de 2 200 euro.

e) SARL Alliance Ambulances 76

131. Durant l'exercice s'achevant le 31 décembre 2009, dernier exercice clos connu, la SARL Alliance Ambulance 76 a réalisé un chiffre d'affaires de 692 028 euro, ce qui représente son chiffre d'affaires le plus important depuis sa création, de sorte que le plafond de la sanction s'élève à 69 902 euro.

132. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils viennent d'être exposés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à la SARL Alliance Ambulances 76, qui vient aux droits de la SARL Alliance Ambulances, une sanction pécuniaire de 3 400 euro.

f) SA SOS Ambulances

133. Durant l'exercie s'achevant le 31 décembre 2009, dernier exercice clos connu, la SA SOS Ambulances a réalisé un chiffre d'affaires de 1 670 768 euro, ce qui représente son chiffre d'affaires le plus important sur la période comprise entre 2005 et 2009, de sorte que le plafond de la sanction s'élève à 169 367 euro.

134. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils viennent d'être exposés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à la SA SOS Ambulances une sanction pécuniaire de 8 000 euro.

g) Mme Valérie Z..., chef de l'entreprise Europe Ambulances

135. L'entreprise de Mme Z... a réalisé un chiffre d'affaires de 325 464 euro au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2009, et de 412 718 euro au cours de l'exercice en 2007 qui représente son chiffre d'affaires le plus important au cours de la période comprise entre 2005 et 2009 de sorte que le plafond de la sanction s'élève à 41 000 euro.

136. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils viennent d'être exposés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à Mme Valérie Z..., une sanction pécuniaire de 1 500 euro.

Décision

Article 1er : La SARL Normandy Ambulances est mise hors de cause.

Article 2 : Il est établi que M. Y... (Ambulances de la Croix de pierre), la SARL Auvray Ambulances, M. A... (Quevilly Ambulances), M. X... (Dubuc Ambulances) la SARL Alliance Ambulances, la SA SOS Ambulances, et Mme Z... (Europe Ambulances) ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes aux entreprises ou personnes mentionnées ci-dessous, pour leur propre compte ou pour le compte d'une entreprise dont elles doivent assumer, au regard des règles de concurrence, le comportement :

* à Monsieur Jacques Y... exploitant de l'entreprise Ambulances de la Croix de pierre, une sanction de 1 300 euro ;

* à la SARL Auvray Ambulances, une sanction de 5 000 euro ;

* à M. Jean-Yves A... ancien exploitant de l'entreprise Quevilly ambulances, une sanction de 1 500 euro ;

* à Monsieur Grégory X... ancien exploitant de l'entreprise Dubuc-Ambulances, une sanction de 2 200 euro ;

* à la SARL Alliance Ambulances 76, une sanction de 3 400 euro ;

* à la SA SOS Ambulances, une sanction de 8 000 euro ;

* à Madame Valérie Z... exploitante de l'entreprise Europe Ambulances, une sanction de 1 500 euro.