CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 9 juin 2010, n° 08-16909
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Expandet Screw Anchors (Sté)
Défendeur :
Spit (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
Mmes Chokron, Gaber
Avoués :
SCP Arnaudy-Baechlin, SCP Bommart-Forster-Fromantin
Avocats :
Mes Delorey, Drevet-Baron
Vu l'appel interjeté le 29 août 2008 par la société de droit danois Expandet Screw Anchors (A/S), ci-après Expandet, du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 18 juin 2008 dans le litige l'opposant à la société de Prospection et d'Inventions Techniques (SAS), ci-après Spit;
Vu les dernières conclusions de la société Expandet, appelante, signifiées le 16 février 2010 ;
Vu les ultimes écritures de la société Spit, intimée, signifiées le 23 février 2010;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 16 mars 2010;
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure au jugement déféré et aux écritures des parties ;
Qu'il suffit de rappeler que :
- la société Expandet, fondée en 1955 au Danemark, est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de systèmes de fixations murales à l'usage des particuliers et des professionnels,
- ses produits sont distribués en France depuis 1957, d'abord par la société Expandet (SA), en vertu de contrats de distribution successifs, puis par la société Spit (SAS) celle-ci ayant absorbé la société Expandet SA en 1997,
- à compter de cette date un conflit a surgi entre les parties, la société Expandet faisant grief à la société Spit de l'évincer du marché français en favorisant la commercialisation de ses propres produits sous la marque Red Head X-Tech,
- c'est dans ces circonstances qu'un nouveau contrat a été négocié et signé le 1er décembre 2001, aux termes duquel la société Expandet a consenti à la société Spit une licence exclusive de commercialisation et de distribution, sous la marque Expandet, de deux catégories de produits :
* les modèles de chevilles Plax, Zedex et Celu, fabriqués par la société Expandet,
* les modèles de chevilles tubulaires en grille et à collerette fabriqués par la société Spit,
- ayant constaté en 2005 une baisse importante du nombre des commandes de chevilles Plax par la société Spit, les dirigeants de la société Expandet se sont rendus en France et découvert que le modèle Expandet Plax avait été remplacé dans les rayons des magasins par une copie servile commercialisée par la société Spit sous la marque Red Head X Tech,
- par lettre recommandée avec avis de réception du 13 décembre 2005, la société Expandet a notifié à la société Spit la résiliation du contrat du 1er décembre 2001,
- par acte du 31 janvier 2006, la société Spit a assigné la société Expandet devant le Tribunal de commerce de Paris en rupture abusive des relations contractuelles, la société Expandet a conclu reconventionnellement à la violation par la société Spit de l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi, à la contrefaçon de ses droits d'auteur sur le modèles de cheville Plax, à la concurrence déloyale,
- le tribunal de commerce, par le jugement déféré, a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, constaté la résiliation du contrat du 1er décembre 2001 aux torts exclusifs de la société Spit, retenu à la charge de cette dernière des actes de concurrence déloyale et prononcé de ce chef une condamnation au paiement d'une indemnité de 122 850 euro à la société Expandet, rejeté comme mal fondée la demande en contrefaçon,
- la société Expandet poursuit la réformation de ce jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en contrefaçon de droits d'auteur et prie la cour, statuant à nouveau de ce chef, de lui allouer la somme de 270 900 euro à titre de dommages-intérêts, de prononcer des mesures d'interdiction sous astreinte et de destruction des produits commercialisés par la société Spit sous la dénomination Red Head X-Tech, concluant par ailleurs à la confirmation du jugement en ce qu'il a constaté la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Spit et retenu à la charge de celle-ci des actes de concurrence déloyale, elle demande à la cour de porter les dommages-intérêts alloués de ce dernier chef à la somme de 435 766 euro, elle sollicite enfin une mesure de publication de la décision à intervenir et une indemnité de 20 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la société Spit demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a constaté la résiliation à ses torts du contrat et de dire que la résiliation de ce contrat, intervenue le 13 décembre 2005, a été brutale et abusive, de condamner en conséquence la société Expandet à lui verser la somme de 1 220 007 euro en réparation du préjudice subi, d'infirmer encore le jugement en ce qu'il a retenu des actes de concurrence déloyale, de le confirmer en revanche en ce qu'il a rejeté la demande en contrefaçon, de débouter en tout état de cause la société Expandet de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et la condamner à payer une indemnité de 15 000 euro au titre des frais irrépétibles ;
Sur la résiliation du contrat du 1er décembre 2001,
Considérant que selon la société Expandet la résiliation du contrat sanctionne les manquements de la société Spit à ses obligations car il lui incombait, en sa qualité de distributeur exclusif de la gamme de chevilles Expandet Plax, d'assurer effectivement la commercialisation de ces produits, que selon la société Spit, outre qu'elle est irrégulière en la forme faute de mise en demeure, la résiliation est dénuée de fondement dès lors que le contrat ne lui impose pas de quota de commandes, que la baisse constatée sur le produit Plax a pour seule cause une pratique de prix peu compétitifs à laquelle la société Expandet n'a pas crû devoir remédier, qu'en toute hypothèse, cette baisse n'est pas de nature à justifier la rupture du contrat celui-ci concernant d'autres produits dont les conditions de distribution n'ont appelé aucune critique de la société Expandet;
Sur la forme de la résiliation,
Considérant que la société Spit fait grief à la société Expandet d'avoir résilié le contrat sans mise en demeure préalable ;
Considérant qu'il est énoncé à l'article 9 du contrat que chaque partie peut résilier ce contrat sans délai sur notification écrite à l'autre partie, si l'autre partie a commis un défaut d'exécution de l'une quelconque des stipulations de ce contrat et n'a pas remédié à ce défaut d'exécution dans les trente (30) jours suivant la notification de ce défaut d'exécution qui lui est donnée par la partie à l'origine de la résiliation;
Considérant qu'il appert des éléments de la cause que la société Expandet adressait en recommandé à la société Spit une lettre datée du 12 octobre 2005 dans les termes suivants :
"Nous vous demandions depuis 12 mois pourquoi vos achats d'Expandet Plax diminuaient de façon alarmante et à chaque fois nous avons été informés que nous recevrions prochainement de nouvelles commandes...
Nous avons à présent constaté que vous assurez la promotion d'une copie du produit de la marque Expandet Plax sous le nom de Red Head X-Tech et que vous êtes en train de remplacer Expandet Plax par ce produit...
Nous considérons que le fait que vous assuriez la promotion des produits Red Head X-Tech est une violation de notre contrat du 1er décembre 2001 impliquant les conséquences que les violations peuvent avoir";
Que la société Spit lui répondait dans les mêmes formes le 25 octobre 2005 : "En effet nos achats de votre ligne de produits Expandet Plax ont diminué sur l'année 2005. Cela est dû principalement à votre politique de prix qui ne nous a pas permis de continuer à offrir cette ligne aux prix compétitifs exigés par le marché français... Dans le but de ne pas perdre notre position sur le marché, nous avons été obligés de développer notre propre gamme..."
Que par lettre recommandée du 13 décembre 2005, la société Expandet, par son conseil, rappelait à la société Spit la teneur des correspondances précitées, et lui notifiait la résiliation de plein droit du contrat à ses torts exclusifs ;
Considérant qu'il résulte des stipulations précitées que chaque partie est en droit de résilier le contrat sans délai si l'autre partie a manqué à l'une quelconque de ses obligations et ne s'est pas exécutée dans les 30 jours suivant la notification de ce manquement;
Or considérant que la société Expandet a fait connaître sans équivoque à la société Spit, par la lettre recommandée du 12 octobre 2005, qu'elle regardait la baisse importante des commandes de produits Plax et le remplacement de ces produits par des copies, commercialisées sous la dénomination Red Head X-Tech, comme caractérisant une violation du contrat du 1er décembre 2001 ;
Que cette lettre vaut, suivant les termes du contrat, notification à la société Spit d'un manquement à ses obligations contractuelles de nature à justifier la résiliation du contrat à ses torts si elle n'y apportait pas remède, c'est-à-dire mise en demeure ;
Que la société Spit, par sa lettre en réponse du 25 octobre 2005, loin de faire des propositions propres à apaiser la crainte et le mécontentement de la société Expandet, a confirmé diminuer ses commandes de produits Plax en 2005, développer sa propre gamme de produits et donné pour justification que la politique de prix pratiquée par sa partenaire n'était pas adaptée au marché français ;
Qu'elle a montré ainsi qu'elle n'entendait donner aucune suite à la mise en demeure qui lui avait été précédemment délivrée ;
Que la société Expandet était ainsi en droit, au sens du contrat, de notifier par écrit à la société Spit, passé un délai de 30 jours à compter de la lettre recommandée du 12 octobre 2005, la résiliation du contrat ;
Que dans ces circonstances, la résiliation du contrat notifiée à la société Spit par lettre recommandée du 13 décembre 2005 n'est pas critiquable en la forme;
Qu'il convient dès lors de rechercher si le manquement invoqué est fondé;
Sur le fond,
Considérant qu'il est constant que le contrat en date du 1er décembre 2001 confère à la société Spit une licence exclusive de distribution en France portant notamment sur des modèles de chevilles murales référencés Expandet Plax, Expandet Zedex et Expandet Celu, fabriqués et fournis par la société Expandet;
Considérant qu'il a été dit précédemment que la société Expandet a reproché à la société Spit, aux termes de sa lettre recommandée du 12 octobre 2005, une baisse importante des commandes des produits Expandet Plax, signalée depuis un an, et le remplacement de ces produits par des copies, fabriquées par la société Spit et commercialisées sous la référence Red-Head-X-Tech;
Considérant qu'il ressort en effet des pièces du débat que la société Expandet s'étonnait dès le 22 octobre 2004, par courriel, de n'avoir reçu aucune commande de la société Spit pour septembre, octobre et novembre;
Que la société Spit lui répondait le 24 décembre 2004 : "nous n'aurons pas besoin de Plax avant février 2005, seulement de Celu et de Zedex en janvier ; nous aurons une meilleure vision de notre stock en janvier, nous vous tiendrons au courant à ce moment là";
Qu'elle a fini par reconnaître le 25 octobre 2005, qu'elle avait fortement réduit ses commandes de produits Plax en 2005 et qu'elle les avait remplacés sur le marché par des produits de sa propre fabrication ;
Qu'elle ne dément pas, du reste, la pièce comptable versée à la procédure par la société Expandet selon laquelle le chiffre de ses ventes et redevances en France a diminué de moitié de 2004 (1 143 015 couronnes danoises) à 2005 (542 804 couronnes danoises);
Considérant que la société Spit invoque pour sa défense diverses justifications;
Qu'elle fait valoir en fait que la politique de prix de la société Expandet n'est pas compétitive, que le format Expandet (de 5mm de diamètre) n'est pas adapté au marché français où est le plus demandé un diamètre de 4 mm, et en droit, que le contrat ne lui impose aucun quota de commandes, que par ailleurs il ne lui interdit pas de fabriquer et/ou commercialiser, sous sa propre marque ou les marques de tiers, des produits concurrents ;
Que le dossier ne laisse toutefois apparaître aucune doléance de la société Spit en matière de compétitivité des prix avant qu'elle ne soulève cette question le 25 octobre 2005 dans sa réponse à la mise en demeure délivrée par la société Expandet ; que la question du format des produits n'est quant à elle évoquée pour la première fois que devant la cour;
Or considérant qu'à supposer même que les motifs ici avancés ne soient pas dénués de tout fondement, il incombait à la société Spit d'en informer la société Expandet afin de lui permettre de prendre les dispositions nécessaires pour adapter ses produits au marché, une telle obligation procédant de l'exécution de bonne foi du contrat de distribution exclusive dès lors que le fabricant qui concède une exclusivité à un distributeur dépend entièrement de celui-ci pour assurer l'essor de ses produits sur le marché;
Et que force est de constater que la société Spit loin de veiller à préserver et à favoriser la place du produit Plax sur le marché l'en a évincé en le remplaçant par son propre produit commercialisé sous la dénomination Red-Head-X-Tech;
Qu'à cet égard, la société Spit n'est pas pertinente à se prévaloir de la faculté qui lui est donnée par le contrat de commercialiser des produits concurrents sous sa propre marque ou sous des marques de tiers ni davantage de l'absence de quota de commandes.
Que ces circonstances ne l'exonèrent pas en effet de l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de distribution exclusive qui implique que le distributeur, en contrepartie de l'exclusivité dont il bénéficie, assure effectivement la distribution de tous les produits visés au contrat;
Qu'il s'ensuit qu'en cessant de distribuer les produits Plax pour les remplacer par ses propres produits, la société Spit a manqué à ses obligations contractuelles;
Que ce manquement justifie, par confirmation du jugement entrepris, la résiliation à ses torts exclusifs du contrat du 1er décembre 2001, notifiée par la société Expandet le 13 décembre 2005 ;
Sur l'atteinte au droit d'auteur,
Considérant que la société Expandet revendique la protection par les dispositions du Livre I du Code de la propriété intellectuelle du modèle de cheville Plax qu'elle caractérise comme constitué d'un corps central composé de fentes disposées de manière parallèle et équidistante en spirales afin d'épouser le corps de la cheville, surplombé d'une rondelle en métal sur les modèles à vis et sur les modèles à crochet et piton, d'une collerette légèrement bombée recouvrant de manière esthétique le corps de la cheville afin de masquer la cheville et la perforation du mur. Par ailleurs la combinaison et le choix des couleurs sont originaux et arbitraires;
Considérant qu'il se déduit des dispositions invoquées le principe de la protection de l'œuvre sans formalités et du seul fait de la création d'une forme originale c'est-à-dire résultant de choix arbitraires qui ne soient pas commandés par des impératifs techniques ou des fonctions utilitaires ;
Considérant que la société Spit fait valoir que la forme des fentes procède de la recherche d'un résultat technique visé au brevet danois n° 125;145 couvrant la cheville Plax, tombé dans le domaine public;
Que la société Expandet n'apporte aucun élément de nature à la contredire force étant à cet égard de relever que le brevet énonce que les fentes hélicoïdales doivent avoir le même sens de torsion que le pas de vis de manière à créer une torsion du corps de cheville qui permet d'obtenir le dispositif compact souhaité;
Considérant que la société Expandet soutient elle-même que la collerette, dont la seule caractéristique esthétique est réduite aux termes de sa propre description à une forme légèrement bombée, est destinée à masquer la cheville et la perforation du mur;
Qu'il apparaît enfin au vu des catalogues produits aux débats que nombre de modèles de chevilles sont surplombés d'une rondelle en métal;
Qu'il s'ensuit que c'est à raison que les premiers juges ont refusé au modèle de cheville de Plax, faute de porter l'empreinte d'un effort personnel de création, l'accès à la protection par le droit d'auteur;
Sur la concurrence déloyale,
Considérant qu'il n'est pas démenti et qu'il résulte en toute hypothèse des constatations de la cour que les chevilles Red-Head-X-Tech commercialisées par la société Spit en lieu et place des chevilles Plax empruntent à ces dernières les mêmes codes couleurs ; qu'il résulte de l'examen comparatif auquel la cour s'est livrée que cette circonstance est de nature à créer dans l'esprit de la clientèle un risque de confusion sur l'origine des produits respectifs, attentatoire à un exercice paisible de la liberté du commerce;
Que le jugement entrepris mérite confirmation en ce qu'il retenu des actes de concurrence déloyale à la charge de la société Spit;
Sur les mesures réparatrices,
Considérant que la société Expandet forme des demandes de dommages-intérêts au fondement de la contrefaçon et au fondement de la concurrence déloyale;
Que la contrefaçon ayant été écartée la demande en dommages-intérêts formée de ce chef ne saurait prospérer;
Considérant en ce qui concerne le préjudice de concurrence déloyale que celui-ci a été exactement évalué par les premiers juges par des motifs pertinents auxquels la cour se réfère expressément à la somme de 122 850 euro;
Considérant qu'une mesure d'interdiction s'impose, dans les termes du dispositif ci-après, qui doit être proportionnée à la nécessité de faire cesser les faits de concurrence déloyale et de prévenir leur renouvellement;
Qu'il n'y a pas lieu, par contre, au regard de l'ancienneté des faits de faire droit à la demande de publication ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Fait interdiction à la société Spit de commercialiser des chevilles Red-Head-X-Tech reproduisant les mêmes codes couleurs que les chevilles Expandet Plax sous astreinte de 100 euro par infraction constatée passé le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt; Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Spit aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés par les avoués de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.