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Décisions

Cass. com., 9 mars 1970, n° 67-14.500

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Waeffler (Sté)

Défendeur :

General Motors France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guillot

Rapporteur :

M. Lancien

Avocat général :

M. Lambert

Avocat :

Me Talamon

Paris, du 5 juill. 1967

5 juillet 1967

LA COUR : - Vu leur connexité, joint les pourvois n° 67-14.500 et 68-10.462; - Sur le moyen unique du pourvoi n° 67-14.500, pris en ses deux branches : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 5 juillet 1967), que la société Waeffler, qui exploite un garage à Strasbourg, était depuis plusieurs années concessionnaire de la société General Motors France (GMF) pour la vente des véhicules des marques de celle-ci dans une certaine zone de la région d'Alsace comprenant notamment le canton de Sainte-Marie-aux-Mines, en vertu de contrats annuels, lorsque celui qui avait pris fin le 31 décembre 1965 ne fut pas renouvelé par la société concédante; qu'ayant appris que cette société avait, à compter du 1er octobre 1965, consenti une concession de vente sur le canton précité à un garage de Colmar, la société Waeffler assigna, le 17 novembre 1965, la GMF en paiement de dommages-intérêts; que la cour d'appel, retenant que la GMF avait commis une faute en consentant cette concession à un autre garage, a ordonné une expertise pour rechercher si, à partir d'octobre 1965, la GMF avait refusé de livrer à la société Waeffler les vehicules que celle-ci avait commandés et pour apprécier les différents chefs de préjudice résultant de cette faute;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt déféré d'avoir décidé que la GMF n'encourait aucune responsabilité pour avoir refusé de renouveler, pour l'année 1966, le contrat expiré le 31 décembre 1965, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'arrêt attaqué en refusant, par une décision de principe, d'examiner le mobile qui avait dicté le refus de renouvellement, a méconnu les règles en matière d'abus de droit, ce dernier étant nécessairement constitué par un élément psychologique, à savoir la volonté de détourner l'exercice d'un droit de son véritable but, et, d'autre part, que la cour d'appel n'a pas répondu à tous les moyens pris par la société Waeffler dans ses conclusions d'appel pour caractériser l'abus de droit, et, notamment, à celui tiré de ce que le non-renouvellement du contrat pour l'année 1966 constituait une mesure de rétorsion à son égard, en raison de son refus de souscrire à l'amputation partielle de son secteur de concession en l'absence de griefs valables et malgré les promesses précédemment faites de maintenir intégralement ledit secteur;

Mais attendu qu'après avoir retenu que le contrat signé le 15 décembre 1964, pour prendre effet le 1er janvier 1965 jusqu'au 31 décembre 1965, étant à durée déterminée et non renouvelable par tacite reconduction, la GMF avait le droit de refuser de le renouveler, l'arrêt a pu estimer qu'étaient inopérantes à caractériser un abus de ce droit les circonstances dont se prévalait la société Waeffler, savoir, d'une part, qu'en novembre 1965, la GMF lui avait fait connaitre les allocations de voitures Opel qu'elle envisageait de lui fournir en janvier et février 1966, d'autre part, que la GMF lui avait offert de contracter pour 1966, à condition qu'elle retire sa demande en justice; que la cour d'appel a ainsi répondu aux conclusions prétendument délaissées; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 68-10.462 : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que la GMF avait commis une faute en consentant, en octobre 1965, au garage des Vosges à Colmar, une concession sur le canton de Sainte-Marie-aux-Mines, alors, selon le pourvoi, que l'arrêt attaqué n'a pas répondu aux conclusions de la société Waeffler en ce qu'il ne s'est pas prononcé expressément sur la qualification du contrat, que l'arrêt comporte une contradiction, qu'en effet, à condition de considérer comme acquis que les juges ont décidé, sinon expressément, du moins implicitement, que le contrat était une concession simple, les juges d'appel se contredisent lorsqu'ils condamnent le concédant pour faute, bien que ce dernier n'ait fait qu'appliquer les conventions, que, ce faisant, ils dénaturent également celles-ci, que de deux choses l'une, ou bien la cour d'appel a qualifié implicitement le contrat de "concession exclusive", dans ce cas l'arrêt contient une dénaturation des conventions, ou bien, au contraire, la cour d'appel a considéré le contrat comme une concession simple, dans ce cas, l'arrêt encourt la cassation pour contradiction entre les motifs et le dispositif en ce que la décision attaquée et la condamnation ne seraient envisageables qu'au cas de contrat de concession exclusive, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, qu'à ces divers titres l'arrêt comporte un défaut de motifs et manque de base légale;

Mais attendu que l'arrêt déféré énonce que l'article 8 des "termes et conditions" du contrat précise qu'à l'intérieur de la zone définie au paragraphe I, le concessionnaire réalisera un volume de ventes satisfaisant et assurera aux propriétaires de vehicules un service satisfaisant, qu'après un examen contradictoire des possibilités de ventes dans cette zone, le concédant et le concessionnaire sont d'accord pour considérer que les chiffres figurant à l'annexe A, partie intégrante du contrat, sont une estimation raisonnable de la quantité de vehicules neufs que le concessionnaire pourra vendre au détail "dans la zone de responsabilité de ventes pendant la durée du contrat "; que l'arrêt ajoute que l'annexe A fixe, sous forme de tableau, non seulement les quantités de vehicules dont s'agit, mais encore "le chiffre en publicité presse à réaliser "; qu'il en déduit que, sans avoir à suivre les parties dans leur controverse sur la nature juridique de la convention, la cour d'appel constate qu'il en résulte que l'évaluation contractuelle faite du volume des ventes, que le concessionnaire s'engageait à assurer dans l'année, était fonction de "la zone de responsabilité de ventes" concédée par la GMF et que, dès lors, celle-ci s'interdisait implicitement mais nécessairement de modifier unilatéralement ladite zone; qu'ayant ainsi analysé le contrat et les obligations des parties, la cour d'appel a pu, sans commettre de dénaturation ni se contredire, décider que la GMF avait méconnu ses obligations envers la société Waeffler et porté atteinte à l'économie du contrat en accordant à un tiers une concession sur une partie de la zone qu'elle avait déjà concédée à cette société par ledit contrat; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucun de ses griefs ;

Par ces motifs : Rejette les deux pourvois formés contre l'arrêt rendu, le 5 juillet 1967, par la Cour d'appel de Paris (1re chambre).