Cass. com., 17 novembre 1980, n° 79-13.011
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
British Leyland France (Sté)
Défendeur :
Société automobiles Jacques Veron (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vienne
Rapporteur :
M. Jonquères
Avocat général :
M. Toubas
Avocat :
SCP Lyon-Caen Fabiani Liard
LA COUR : - Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 février 1979), la société British Leyland France (BLF) a concédé depuis 1972 à la société automobiles Jacques Veron (société Veron) par contrats annuels successifs, non renouvelables par tacite reconduction, la commercialisation dans un secteur donné, des véhicules de marques qu'elle importe sans toutefois lui garantir que l'exclusivité accordée ne serait pas partagée au cours de la période contractuelle avec un autre concessionnaire coopérant sur le même territoire, que ces contrats stipulaient que le concessionnaire devait s'interdire la commercialisation de véhicules qui ne seraient pas livrés par la société BLF, que ces conventions n'imposaient le respect d'aucun préavis à la partie qui ne désirerait pas conclure un nouveau contrat pour l'année à venir, que, par lettre du 29 septembre 1975, la société BLF, faisant état de l'insuffisance des résultats obtenus par la société Veron l'a informée que la désignation d'un second concessionnaire pour le même secteur n'était pas à exclure, que toutefois le contrat signé le 16 décembre 1975 pour l'année 1976 a maintenu l'exclusivité à la société Veron, que par lettres des 23 février, 14 juin et 19 aout 1976 la société BLF a réitéré les mises en garde au sujet de la faiblesse du taux de pénétration dans le secteur donné des marques concédées, que le contrat pour l'année 1977, qui comportait la désignation d'un second concessionnaire coopérant, a été signé le 28 décembre 1976 par la société Veron, que le 7 janvier 1977 celle-ci a informé la société BLF de son intention de représenter également la marque japonaise "Toyota", que cette décision a été confirmée le 14 janvier 1977, qu'estimant que la société Veron avait méconnu ses engagements la société BLF a mis fin immédiatement à leurs relations commerciales et l'a assignée en résiliation à ses torts du contrat du 28 décembres 1976 et en dommages-intérêts ;
Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir fait droit à cette demande, alors que, selon le pourvoi, d'une part, il incombait à la société BLF de prouver qu'elle avait satisfait à l'obligation de prévenir la société Veron, trois mois avant l'expiration du contrat en cours, qu'elle entendait apporter la modification au nouveau contrat en privant cette dernière de son droit d'exclusivité, que la lettre du 29 septembre 1975 outre son ancienneté n'envisageait le recrutement d'un second vendeur que "sous l'agrément" de la société Veron, que par ailleurs, en admettant que la preuve du préavis aurait été établie à la faveur des motifs hypothétiques ("soit ... soit") la cour d'appel a privé son arrêt de base légale, alors que, d'autre part, la signature du contrat abruptement imposé à la société Veron ne peut, par elle-même, exclure le caractère fautif du comportement de la société BLF résultant précisément du fait qu'elle n'a fait connaitre ses nouvelles prétentions qu'à une date à laquelle la société Veron était privée du délai de réflexion dont elle aurait dû bénéficier d'après l'arrêt attaqué lui-même, et alors que, enfin, la renonciation à un droit ne se présume pas, que la signature du contrat litigieux par la société Veron ne peut par elle-même établir ni que cette dernière aurait renoncé à son droit au préavis ni davantage qu'elle aurait renoncé à tirer les conséquences que la faute commise par la société BLF en lui imposant brusquement une modification de ses conditions de travail à une époque où le refus pur et simple d'accepter le contrat litigieux l'aurait acculée immédiatement à la ruine ainsi qu'il a d'ailleurs été rappelé dans les conclusions de la société Veron laissées sans réponses ;
Mais attendu que l'arrêt a constaté que les parties ont été liées par des contrats annuels successifs réservant à la société BLF la faculté de partager entre deux ou plusieurs concessionnaires le droit de commercialiser ses produits dans le secteur considéré ; qu'interprétant le sens et la portée de la correspondance versée aux débats, notamment de la lettre du 29 septembre 1975 qui, contrairement aux allégations du moyen, ne subordonnait pas la désignation d'un second concessionnaire à l'agrément de la société Veron, la cour d'appel, alors que les contrats n'astreignaient pas la société BLF à observer un préavis pour prévenir la société Veron de ses intentions, a retenu que l'adjonction pour 1977 d'un concessionnaire coopérant ne pouvait constituer une surprise pour cette dernière à laquelle il ne pouvait échapper, en raison de l'insistance mise par le concédant dans ses lettres de 1976 précitées pour souligner la nécessité d'une rénovation des structures de vente, que des modifications substantielles lui seraient proposées à l'occasion du contrat de 1977 ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations d'où il ressort que la modification dans la situation juridique de la société Veron n'était pas intervenue brusquement, la cour d'appel, répondant aux conclusions invoquées, et retenant par motifs non hypothétiques, qu'en signant la convention pour 1977 la société Veron avait, dans tous les cas, accepté le changement qui lui était proposé dans l'organisation du réseau de distribution, a pu décider qu'en usant comme elle l'a fait, de la faculté de designer un second concessionnaire dans le secteur concédé à la société Veron, la société BLF n'avait commis aucun abus de droit ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen : - Attendu qu'il est encore fait grief à la cour d'appel d'avoir admis la validité du contrat de concession unissant les parties, alors que, selon le pourvoi, en vertu des règles d'ordre public relatives au refus de vente de contrat de concession exclusive n'est valable que s'il comporte à la charge des parties une limitation réciproque de leur liberté commerciale, qu'il s'ensuit que la zone d'activité du concessionnaire doit être déterminée d'une façon précise et ne peut être partagée avec d'autres concessionnaires désignés par le concédant, qu'ayant constaté qu'une telle zone d'activité n'avait pas été réservée au concessionnaire, la cour d'appel n'a pu admettre la validité du contrat litigieux sans entacher son arrêt d'une méconnaissance des articles 1134, 1135 du Code civil, de l'article 37 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et des dispositions de la circulaire du 30 mai 1970 ;
Mais attendu qu'en énonçant qu'il n'est pas interdit aux contractants de prévoir la représentation d'une marque sur un territoire déterminé par deux concessionnaires, nommément désignés qui y exerceront conjointement leurs activités, la cour d'appel n'a pas méconnu la règle d'ordre public invoquée par le moyen, dès lors, qu'en l'espèce, le partage par le nouveau contrat du monopole de représentation d'une marque dans un même secteur entre deux concessionnaires concurrents avait bien toujours pour contrepartie la limitation de la liberté du concédant qui était tenu de ne vendre qu'à eux dans le secteur déterminé qu'il leur concédait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 28 février 1979 par la Cour d'appel de Paris.