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Décisions

Cass. com., 10 janvier 1995, n° 92-18.923

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Sofragel Touraine Amboise (Sté)

Défendeur :

Sofragel Normandie (Sté), Sofragel Maine Sarthe (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Gomez

Avocat général :

Mme Piniot

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Me Foussard

Rennes, du 15 mai 1992

15 mai 1992

LA COUR : - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Rennes, 15 mai 1992), rendu sur renvoi après cassation, que la société anonyme Sofragel Touraine Amboise (société STA), ayant son siège à Amboise et pour objet notamment la vente de tous produits alimentaires, a été constituée en 1974 sous la dénomination sociale Sofragel ; qu'en septembre 1976, le président de cette société a participé avec M. X à la création de la société Sofragel Normandie (société SN), ayant son siège à Arconnay dans la Sarthe, et, qu'en mars 1980, M. X a créé la société Sofragel Maine Sarthe (société SMS), ayant son siège en la même ville, l'objet de ces deux sociétés étant la commercialisation des produits surgelés ; que le 8 décembre 1976, la société SN a déposé la marque constituée de la dénomination Sofragel et d'un élément figuratif représentant un pingouin pour désigner des produits alimentaires des classes 29 et 30 et enregistrée sous le n° 1 017 812 ; que, par convention du 28 mars 1980, prenant effet le 1er mars 1980 pour une durée de quatre-vingt dix-neuf années, la société SN a cédé cette marque à la société STA pour le prix de 5 000 francs et que celle-ci a concédé gratuitement, à titre exclusif, à la société SN et à la société SMS, l'usage de la marque, dans leur secteur géographique respectif ; qu'estimant que la société STA avait violé ses engagements en utilisant la marque dans leur secteur géographique, les concessionnaires ont demandé sa condamnation ; que la Cour d'appel d'Angers, confirmant le jugement du tribunal de grande instance, a, le 6 juin 1988, interdit sous astreinte à la société Sofragel Touraine Amboise " d'utiliser la marque Sofragel et son emblème dans le secteur géographique " des sociétés SN et SMS, a autorisé ces sociétés à faire saisir les produits et prospectus " distribués ou vendus dans ces conditions " et a ordonné une expertise ;

Sur le premier moyen pris en ses six branches : - Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir interdit à la société STA d'utiliser la marque Sofragel dans les secteurs géographiques concédés aux sociétés SN et SMS pour son exploitation alors, selon le pourvoi, d'une part, que la licence exclusive conférant la seule autorisation d'exploiter la marque fait obstacle à la concession d'autres licences mais ne peut, en l'absence de stipulation explicite, faire obstacle au droit du concédant à utiliser la marque dont il est propriétaire ; qu'en refusant à la société STA le droit d'utiliser la marque Sofragel concédée à titre exclusif aux sociétés SN et SMS au motif qu'elle ne s'était pas formellement réservé un droit que ne lui retirait pas la concession de licence à titre exclusif, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil et 13 de la loi du 31 décembre 1964 ; alors, d'autre part, qu'il appartenait à la cour d'appel de rechercher si la cession pour une somme modique de la marque Sofragel à la société STA par SN qui l'avait déposée ne s'expliquait pas par le fait que la société STA l'avait créée et utilisée avant SN et si l'autorisation donnée à titre gratuit dans l'acte de cession aux sociétés SN et SMS de continuer à utiliser la marque dans leur secteur géographique d'activité, loin de s'analyser en une restriction aux droits de la société STA ne constituait pas une simple régularisation d'une situation créée au mépris de ses droits ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche essentielle à la détermination de l'intention des parties, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; alors, de troisième part, qu'il s'évince des énonciations des juges du fond que la concession exclusive consentie aux sociétés SN et SMS constituait une tolérance sans contrepartie et ne pouvait restreindre les droits préexistant de la société STA ; qu'ainsi l'arrêt n'a pas tiré de ses énonciations les conséquences légales qui s'en évinçaient au regard des articles 1132, 1133 et 1134 du Code civil ; alors, de quatrième part, que la concession exclusive de marque pour une période de quatre-vingt dix-neuf ans pour un secteur géographique déterminé, assortie d'une interdiction d'usage faite au propriétaire dans le même secteur, équivaut à une cession de marque limitée géographiquement, en violation de l'article 23 de la loi du 31 décembre 1964 ; alors, de cinquième part, qu'en ne répondant pas aux conclusions de la société STA faisant valoir que la concession exclusive de marque pour quatre-vingt dix-neuf ans équivalait à une cession de marque limitée géographiquement, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, enfin, que la notion de partage de marché n'étant aucunement exclusive d'un partage par marques de nature à entraver la concurrence, la cour d'appel a violé l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, en tant que de besoin, l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; que l'arrêt aurait dû rechercher, en fonction des circonstances de la cause, et notamment d'une concession exclusive de marque pour quatre-vingt-dix-neuf ans prohibant, selon lui, l'usage par le propriétaire, s'il n'y avait pas en l'espèce partage de marché au sens des textes susvisés ;

Mais attendu, en premier lieu, que la licence exclusive d'une marque oblige le titulaire de la marque à garantir au licencié une jouissance paisible ; qu'il en résulte que, sauf clause contraire figurant dans le contrat de concession exclusive de licence d'exploitation, le propriétaire de la marque s'interdit de l'utiliser pendant la durée d'exécution du contrat, quelle qu'en soit la durée et le montant de la redevance ; que la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise et qui a constaté que la société STA avait donné aux sociétés SN et SMS licence exclusive d'exploitation de la marque Sofragel et utilisait cette dernière sous forme de dépliants publicitaires dans les secteurs géographiques faisant l'objet du contrat de licence, a décidé, à bon droit, après avoir répondu, en les rejetant, aux conclusions prétendument délaissées, que la société STA avait ainsi manqué à ses obligations contractuelles ;

Attendu, en second lieu, qu'en retenant que la clause d'exclusivité n'interdisait pas dans les secteurs géographiques où elle s'appliquait la commercialisation de produits de même nature et par conséquent de la concurrence, a, sans avoir à procéder à la recherche prétendument omise légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen pris en ses six branches n'est pas fondé ;

Sur le second moyen pris en ses deux branches : - Attendu qu'il est encore fait le même grief à l'arrêt alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en ne recherchant pas si la société STA, par son intégration au groupe Frigedoc n'était pas en droit d'utiliser la marque Agrigel, déposée par celui-ci et accompagnée depuis toujours d'un pingouin, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 1er et suivants de la loi du 31 décembre 1964 ; alors, d'autre part, qu'en ne recherchant pas si l'élément significatif de la marque Sofragel, accompagnée d'un pingouin, n'était pas évincé par l'adjonction de la marque Agrigel accompagnée d'un pingouin ne correspondant pas au dessin accompagnant la marque Sofragel, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des mêmes textes ;

Mais attendu que l'arrêt relève que la société STA a reproduit la marque Sofragel comprenant ce terme et le dessin d'un pingouin et retient que cette reproduction des éléments nominatif et figuratif de la marque, même accompagnée de l'expression Agrigel, constitue l'usage de la marque litigieuse faisant ainsi apparaître que la caractéristique essentielle de la marque avait été ainsi reproduite ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen pris en ses deux branches n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.