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Décisions

CA Chambéry, ch. com., 2 mars 2010, n° 09-00674

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Saint Clair (SAS)

Défendeur :

Savot (SA), Faro (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Robert

Conseillers :

MM. Greiner, Morel

Avoués :

SCP Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon, SCP Dormeval-Puig

Avocats :

Me Debuchy, SCP Favre-Escoubes

T. com. Chambéry, du 9 janv. 2009

9 janvier 2009

Faits et procédure

La société Saint Clair, qui exploite à Detrier un commerce de distribution sous l'enseigne "Super U" a réalisé, du 1er au 12/10/2007 une opération promotionnelle en proposant à sa clientèle une remise de 20 % sur le ticket de caisse.

Les sociétés Savot et Faro, qui exploitent des commerces de même nature sous l'enseigne "Intermarché", respectivement à Saint-Pierre d'Albigny et à Laissaud, estimant que cette remise traduisait l'existence d'une revente à perte constitutive d'actes de concurrence déloyale à leur préjudice, ont, par acte du 30/11/2007, fait assigner la société Saint Clair devant le Tribunal de commerce de Chambéry aux fins qu'elle soit condamnée à leur payer, à chacune, la somme de 26 000 euro en réparation du détournement de chiffre d'affaires ainsi que la somme de 10 000 euro pour atteinte à l'image commerciale et détournement de clientèle, outre une indemnité procédurale.

Par jugement du 09/01/2009 le tribunal a:

- débouté la société Saint Clair de ses demandes,

- dit que la société Saint Clair avait commis des actes de concurrence déloyale au détriment des sociétés Savot et Faro,

- condamné la société Saint Clair à payer à chacune d'entre elles la somme de 4 000 euro en réparation de leur préjudice et la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le tribunal s'est fondé sur le rapport établi par la DGCCRF pour considérer que la preuve de la vente à perte était rapportée, ce qui constituait des actes de concurrence déloyale au préjudice des sociétés demanderesses.

Il a ensuite estimé que seule la perte de marge pouvait être indemnisée, les autres préjudices allégués n'étant pas démontrés.

Par déclaration reçue au greffe le 30/03/2009, la société Saint Clair a relevé appel de ce jugement.

La clôture de la mise en état a été fixée au 25/01/2010.

Prétentions et moyens des parties

La société Saint Clair demande à la cour:

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de débouter les sociétés Savot et Faro de leurs demandes,

- de les condamner, chacune, à lui payer une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi qu'une somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'aucune faute n'est établie à son encontre, la revente à perte n'étant démontrée ni par le constat d'huissier produit, ni par le procès-verbal établi par la DGCCRF.

Elle ajoute qu'à la supposer prouvée, la revente à perte n'entraîne pas ipso facto l'existence d'actes de concurrence déloyale.

Les sociétés Savot et Faro demandent à la cour:

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la revente à perte et des actes de concurrence déloyale à leur préjudice,

- de condamner la société Saint Clair à payer à titre de dommages et intérêts:

- à la société Savot, la somme de 5 253 euro pour son manque à gagner en raison de la diminution de son chiffres d'affaires et de sa marge brute, ainsi que la somme de 5 000 euro pour l'atteinte à son image de marque,

- à la société Faro, la somme de 4 550 euro pour son manque à gagner en raison de la diminution de son chiffre d'affaires et de sa marge brute, ainsi que la somme de 5 000 euro pour l'atteinte à son image de marque,

- de la condamner à leur payer à chacune la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de confirmer les autres dispositions du jugement,

- subsidiairement, de reporter la clôture et l'audience de plaidoirie à une date ultérieure en attente de la décision pénale.

Elles font valoir que la revente massive à perte pratiquée par la société Saint Clair est établie par le procès-verbal de la DDCCRF et qu'elle constitue un acte de concurrence déloyale justifiant leur action.

En ce qui concerne la perte de marge dont elles sollicitent l'indemnisation, elles se réfèrent aux attestations délivrées par leur expert comptable et elles soulignent qu'elles ont également subi une atteinte à leur image de marque.

Motifs

1. Sur la revente à perte

Attendu que, selon le procès-verbal qu'il a établi le 17/03/2008, l'inspecteur de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DDCCRF) est descendu sur les lieux le 02/10/2007, a procédé à un relevé de prix sur un échantillon de 36 produits proposés à la vente, s'est fait remettre les factures d'achats correspondantes, est retourné dans le magasin le 10/10/2007 pour vérifier que la réduction systématique de 20 % sur les tickets de caisse était encore pratiquée, s'est fait communiquer par la Centrale Régionale "Système U" les avantages financiers consentis aux supermarchés "Super U", et, par la Centrale Nationale "Système U", leurs modalités d'application ainsi que les factures d'achat des fournisseurs des produits concernés;

Qu'à l'issue de ces investigations, il a pu établir un tableau comparatif faisant apparaître, par produit relevé, le prix de vente TTC, le prix de vente TTC après remise de 20 %, le prix d'achat net hors taxes facturé par la Centrale Régionale 'Système U", intégrant la part des avantages financiers dans la limite autorisée par les dispositions réglementaires, le prix d'achat net effectif TTC après application de la TVA, ainsi que le prix d'achat net effectif TTC, communément appelé "seuil de revente à perte" (SRP), communiqué par la Centrale Nationale "Système U";

Qu'il en résulte incontestablement que les prix de revente au consommateur pratiqués par la société Saint Clair pendant la période du 1er au 12/10/2007, conformément aux annonces publicitaires parues dans les journaux gratuits ainsi que dans "Le Dauphiné Libéré", faisant état d'une remise de 20 % sur l'ensemble des achats en magasin, étaient inférieurs aux prix d'achat effectifs (seuil de revente à perte) pour 77,77 % des produits relevés.

2. Sur la concurrence déloyale

Attendu qu'en revendant massivement à perte ses produits, du 1er au 12/10/2007, la société Saint Clair a commis une faute de nature à fausser le jeu de la concurrence;

Que la société Faro, qui exploite un commerce de distribution similaire à Laissaud, situé à 10 kms, justifie par la production d'une attestation établie par son expert comptable, qu'elle a subi une perte de marge brute de 4 550 euro pendant la période du 3 au 10/10/2007 par rapport à la même période en 2006;

Que compte tenu de la large publicité par voie de presse à laquelle a procédé la société Saint Clair et de la faible distance séparant les deux magasins, il est établi que la revente à perte pratiquée par celle-ci, a détourné une partie de la clientèle de la société Faro et constitue un acte de concurrence déloyale ayant contribué à sa perte de marge, mais toutefois partiellement seulement, puisque l'ouverture concomitante d'un supermarché "Champion" à La Rochette, commune située à 2 kms de Laissaud, a également indéniablement joué un rôle important dans ce phénomène;

Que par conséquent, le préjudice lié à la perte de marge imputable à la société Saint Clair sera limité à la somme de 2 000 euro, au paiement de laquelle cette dernière doit être condamnée;

Que l'atteinte à son image de marque n'étant pas établie, il n'y a pas lieu de lui allouer des dommages et intérêts à ce titre;

Attendu, concernant la société Savot, que le lien de causalité entre la baisse de marge de 5 253 euro dont elle se prévaut et la revente à perte pratiquée par la société Saint Clair n'est pas démontré, compte tenu de la distance de 23 kms séparant les deux établissements et de l'ouverture du supermarché concurrent dont il a été fait précédemment état;

Qu'il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts formée par la société Savot;

Attendu, par conséquent, que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu que la société Saint Clair avait commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Faro, rejeté les demandes de dommages et intérêts au titre de l'atteinte à l'image, rejeté les demandes de la société Saint Clair et condamné cette dernière aux dépens, y compris les frais de constat d'huissier;

Qu'il sera réformé pour le surplus;

Que les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile formées par les sociétés Savot et Saint Clair seront rejetées et qu'il sera alloué à la société Faro, en dédommagement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, une somme de 1 000 euro;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que la société Saint Clair avait commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Faro, rejeté les demandes de dommages et intérêts au titre de l'atteinte à l'image, rejeté les demandes de la société Saint Clair et condamné cette dernière aux dépens, y compris les frais de constat d'huissier, Le réforme pour le surplus, Statuant à nouveau, Condamne la société Saint Clair à payer à la société Faro la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts, Condamne la société Saint Clair à payer à la société Faro la somme de 1 000 euro en dédommagement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, Rejette les autres demandes, Condamne la société Saint Clair aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP Dormeval Puig, avoués.