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Décisions

CA Aix-en-Provence, 4e ch. C, 30 avril 2009, n° 07-06309

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gnocca (SARL)

Défendeur :

Co2bar (SARL), Willy Sagnol Sports (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Braizat

Conseillers :

MM. Naget, Guery

Avoués :

SCP Blanc-Cherfils, SCP Latil-Penarroya-Latil-Alligier

Avocats :

Mes Chambonnaud, Blanchard

T. com. Nice, du 2 avr. 2007

2 avril 2007

Le 1er mars 2005, la SARL Gnocca a donné en location-gérance à la SARL Co2bar des locaux sis à Cap d'Ail, pour une durée de 22 mois, le terme étant fixé au 31 décembre 2006, pour exploiter un fonds de commerce de restaurant.

La SARL Willy Sagnol s'est portée caution solidaire de la SARL Co2bar.

Le 23 mars 2005, la SARL Co2bar a été informée de la non conformité aux normes de sécurité incendie du local loué, par la Mairie de Cap d'Ail qui se référait à un avis défavorable à la poursuite de cette exploitation en date du 12 juillet 2004.

Le 30 juin 2005, la Mairie de Cap d'Ail l'a mise en demeure de rendre l'établissement conforme aux normes de sécurité incendie, l'informant qu'à défaut il serait pris un arrêté de fermeture des locaux.

Le 18 juillet 2005, cette Mairie a pris un arrêté de fermeture administrative notifié le 19 juillet 2005, du restaurant Co2bar, "jusqu'à complète exécution par l'exploitant des mesures mettant l'établissement en conformité avec les règles de sécurité qui lui sont applicables".

Estimant que la SARL Gnocca avait failli à ses obligations envers elle, la SARL Co2bar a dénoncé le contrat de location-gérance le 23 septembre 2005.

Puis, après avoir vainement tenté d'obtenir de la SARL Gnocca la réparation du préjudice qu'elle prétendait avoir subi, la SARL Co2bar l'a assignée le 2 février 2006 devant le Tribunal de commerce de Nice.

La SARL Gnocca a assigné à son tour la SARL Willy Sagnol en demandant sa condamnation, solidairement avec la SARL Co2bar, en paiement de diverses sommes, notamment au titre des loyers.

Par jugement du 2 avril 2007, le tribunal a:

* débouté la SARL Gnocca de ses demandes;

* constaté le manquement volontaire de la part de la SARL Gnocca à son obligation d'information de la SARL Co2bar en occultant de lui faire part de l'existence de l'avis de la commission de sécurité du 12 juillet 2004;

* dit n'y avoir lieu de prononcer la nullité du contrat de location-gérance du 1er mars 2005;

* constaté le manquement de sa part de la SARL Gnocca à son obligation de délivrance conforme et de jouissance paisible;

* prononcé la résolution du contrat de location-gérance du 1er mars 2005;

* condamné la SARL Gnocca à payer à la SARL Co2bar:

- 220 000 euro au titre de ses investissements;

- 30 000 euro représentant les frais de procédure;

- 36 000 euro représentant le préjudice financier subi par la SARL Co2bar à la suite de la fermeture brutale de l'établissement;

* condamné la SARL Gnocca à payer à la SARL Co2bar et à la SARL Willy Sagnol Sports respectivement la somme de 3 000 euro et de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Gnocca a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées le 3 février 20099, elle demande à la cour de:

* A titre principal:

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Co2bar de sa demande d'annulation du contrat de location-gérance.

- Dire et juger que la société Co2bar ne démontre pas l'existence d'un dol consistant en l'absence d'information d'un procès-verbal de la commission communale de sécurité du 12 juillet 2004 alors qu'elle a déclaré dans le premier article du contrat de location-gérance " ... le connaître parfaitement et dispenser le bailleur d'en faire ici plus ample description ".

- Dire et juger que l'article 3-1 du contrat de location-gérance stipulant que "Le locataire gérant est tenu de prendre le fonds de commerce présentement loué et ses accessoires, le matériel et les ustensiles, dans l'état où il se trouve actuellement sans pouvoir à cet égard exercer aucun recours en indemnité ou diminution du loyer ou de la redevance contre le bailleur pour quelque cause que ce soit" constitue une fin de non recevoir de défaut de droit d'agir.

En conséquence,

Débouter la société Co2bar de sa demande de nullité du contrat de location-gérance et des dommages et intérêts afférents.

- Infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution du contrat.

Dire et juger que la société Gnocca n'a commis aucune faute dans la mesure où les travaux de mise aux normes du fonds sont à la charge de la société Co2bar aux termes des articles 3.1, 3.2, 3.10 et 3.12 du contrat.

Dire et juger qu'à supposer même que ces travaux soient à la charge de la société Gnocca, la société Co2bar a commis diverses fautes la privant de toute indemnisation en:

- ne s'assurant pas, avant la prise en location du fonds, de la conformité aux normes administratives,

- n'informant pas le bailleur de la lettre de mise en demeure du Maire du 28 mars 2005,

- ne réalisant pas, à titre conservatoire et en avance à qui de droit, les travaux de mise en conformité, laissant le fonds encourir une fermeture provisoire, contrairement à l'article 3.2 du contrat de location-gérance.

En conséquence,

Débouter la société Co2bar de ses demandes de dommages et intérêts.

* Subsidiairement:

A supposer que la cour retienne l'annulation ou la résolution du contrat de location-gérance,

Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Gnocca à payer les sommes de 220 000 euro à la société Co2bar au titre des investissements réalisés, 30 000 euro au titre des frais de procédure et 36 000 euro au titre du préjudice financier lié à la fermeture brutale du restaurant,

Alors que:

- la société Co2bar ne justifie pas de la perte d'une chance de réaliser des bénéfices, ce qui constituerait le seul préjudice indemnisable, alors au surplus qu'il semble que cette période ait été déficitaire,

- la société Co2bar ne produit aucun justificatif ni des prétendus investissements qu'elle aurait réalisés, ni ses comptes sur la période d'exploitation.

* Reconventionnellement:

Infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la société Gnocca de ses demandes reconventionnelles.

Condamner solidairement la société Co2bar et la société Willy Sagnol Sports en sa qualité de caution solidaire à payer à la société Gnocca les sommes de:

- 5 806 euro au titre du loyer du mois de juillet 2005 (du 1er au 18 juillet 2005)

- 9 198 euro au titre du stock cédé par Gnocca selon facture du (...)

- 4 360,75 euro au titre de participation au remboursement de l'assurance multirisque professionnelle

- 173 871 euro au titre de la perte de loyer sur la période du 18 juillet 2005 au 31 décembre 2006

- 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Limiter la condamnation de la société Willy Sagnol Sports au montant maximal de son engagement de caution, soit la somme de 130 000 euro.

Par leurs dernières conclusions notifiées le 1er décembre 2008, la SARL Co2bar et la SARL Willy Sagnol Sports demandent à la cour de:

- vu les articles 1134 et suivants et 1184 du Code civil,

- confirmer le jugement entrepris excepté en ce qu'il a limité le montant des condamnations de la SARL Gnocca;

- condamner la SARL Gnocca à payer à la SARL Co2bar:

* 322 800 euro au titre des investissements réalisés;

* 125 000 euro au titre des frais de procédure;

* 364 266 euro au titre du préjudice financier;

- condamner la SARL Gnocca au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au paiement de la somme de 5 000 euro à la SARL Co2bar et de celle de 2 000 euro à la SARL Willy Sagnol Sports.

Motifs de la décision:

Sur le dol et la nullité du contrat:

Attendu que la discussion de la SARL Gnocca relative au dol est sans objet dès lors qu'en appel la SARL Co2bar ne soutient plus ce moyen et ne sollicite plus que la résolution du contrat pour manquement de la SARL Gnocca à ses obligations;

Sur la résolution du contrat:

Attendu qu'il est constant que, le 12 juillet 2004, la commission communale de sécurité de la Mairie de Cap d'Ail a émis un avis défavorable à l'ouverture au public de l'établissement appartenant à la SARL Gnocca pour non respect de l'article R. 123-5 du Code de la construction et de l'habitation, les matériaux employés pour les revêtements des murs et du faux plafond ne présentant pas, en ce qui concerne leur comportement au feu, des qualités de réaction appropriées aux risques encourus;

Que la SARL Gnocca à qui cet avis a été notifié le 12 juillet 2004, ne s'est pas conformée aux prescriptions formulées par la commission de sécurité puisque le 30 juin 2005, la SARL Co2bar, devenue entre temps locataire gérant, a été informée par la commission de sécurité précitée que l'ensemble des justificatifs qu'elle avait réclamé par son procès-verbal du 12 juillet 2004 ne lui avait pas été adressé et qu'un arrêté de fermeture interviendrait à défaut de ces justifications;

Attendu que la SARL Gnocca a signé avec la SARL Co2bar un contrat de location-gérance sans l'avertir des difficultés relatives aux normes de sécurité qui faisaient obstacle à l'ouverture de l'établissement au public;

Attendu que l'argumentation de la SARL Gnocca selon laquelle la SARL Co2bar aurait été informée par le Maire de Cap d'Ail, avec qui elle avait des relations privilégiées, de l'existence de l'avis défavorable du 12 juillet 2004 avant la signature du contrat de location-gérance, est infondée et n'est corroborée par aucun élément probant;

Attendu que la SARL Co2bar après avoir été informée de la situation par le courrier précité de la commission de sécurité du 30 juin 2005, a écrit à sa bailleresse laquelle, par lettre en réponse du 6 juillet 2005, l'a assurée qu'elle avait pris toutes les dispositions nécessaires auprès de la Mairie pour régulariser la situation, et ce depuis juillet 2004;

Qu'il apparaît que la SARL Gnocca ne s'est pas conformée aux prescriptions de la commission de sécurité puisque l'établissement a finalement été fermé par un arrêté du 18 juillet 2005 ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que cette fermeture administrative du fonds, en raison de la non conformité des locaux aux normes de sécurité constitue un manquement du bailleur à son obligation de jouissance paisible des lieux loués dès lors que la SARL Gnocca avait connaissance, avant la signature du contrat de location-gérance, de cette non-conformité; qu'elle n'en a pas informé le preneur et qu'elle n'a pas effectué les travaux nécessaires à l'entrée en jouissance du locataire;

Qu'en outre, la SARL Gnocca, en donnant en location un local impropre à son usage, a manqué à son obligation de délivrance complète de la chose louée, la clause de non garantie qu'elle invoque ne l'exonérant pas de son obligation de délivrer des locaux en l'état de servir à l'usage auquel ils étaient contractuellement destinés;

Attendu en conséquence que c'est à bon droit que le tribunal a prononcé la résolution du contrat de location-gérance aux torts de la SARL Gnocca;

Sur la demande d'indemnisation de la SARL Co2bar:

Attendu, sur le préjudice allégué au titre des investissements réalisés, qu'il résulte des documents comptables produits, notamment une balance générale et un bilan de l'année 2005, que la SARL Co2bar, pour les besoins de son exploitation, a investi une somme de 322 800 euro;

Attendu que ces mêmes documents font apparaître pour l'année 2005 une perte d'exploitation supérieure à cet investissement, qui s'élève à 331 015,27 euro;

Que ce résultat, quelle que soit la qualité de la gestion du locataire gérant, a été nécessairement influencée par la cessation brutale de l'activité intervenue le 18 juillet 2005, ensuite de la fermeture administrative de l'établissement;

Que cette situation a fait perdre à la SARL Co2bar une partie des sommes investies dans les immobilisations (installations techniques, mobiliers...) ainsi que celles destinées à la poursuite de l'exploitation au-delà de la date de fermeture de l'établissement;

Que le préjudice ainsi subi peut être évalué à la somme de 220 000 euro justement retenue par le tribunal de commerce;

Que la décision sera confirmée de ce chef;

Attendu, concernant le préjudice financier subi du fait de la perte d'une que la somme de 364 266 euro réclamée par la SARL Co2bar à ce titre, est tirée d'un document prévisionnel intitulé " Business Plan " qui a d'autant moins de valeur probante que l'activité de la SARL Co2bar a été en réalité déficitaire pendant le bref temps de son exploitation;

Que, dans ces conditions, la somme de 36 000 euro allouée par le tribunal à ce titre apparaît suffisante et doit être confirmée;

Attendu enfin que la SARL Co2bar, ne donnant aucune précision sur les "frais de procédure" dont elle demande le remboursement, sera déboutée de sa demande à ce titre;

Que le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef;

Sur la demande reconventionnelle de la SARL Gnocca:

Attendu que la SARL Gnocca sollicite le paiement du loyer de juillet 2005 (du 1er au 18 juillet 2005);

Que cette demande est justifiée, la SARL Co2bar étant dans les lieux à cette époque et ne justifiant pas s'être acquittée de la somme réclamée, soit 5 806 euro;

Que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Qu'il sera en revanche confirmé en ce qu'il a débouté la SARL Gnocca de ses autres demandes;

Qu'en effet, il n'est produit aucune justification concernant le stock qu'aurait cédé la SARL Gnocca à la SARL Co2bar ni sur l'assurance multirisques professionnels;

Que, par ailleurs, la résolution du contrat étant prononcée aux torts de la SARL Gnocca, celle-ci ne peut réclamer le paiement du loyer jusqu'au terme initialement prévu de la location;

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Attendu que le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la SARL Gnocca et l'a condamnée au titre des frais irrépétibles;

Attendu que succombant sur l'essentiel de ses prétentions, la SARL Gnocca sera condamnée aux dépens d'appel;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au seul profit de la SARL Co2bar.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la SARL Gnocca à payer à la SARL Co2bar la somme de 30 000 euro représentant les frais de procédure et en ce qu'il a débouté la SARL Gnocca de sa demande en paiement de la somme de 5 806 euro. L'infirmant de ces chefs et statuant à nouveau : Déboute la SARL Co2bar de sa demande au titre des frais de procédure. Condamne la SARL Co2bar, solidairement avec la SARL Willi Sagnol Sports à payer à la SARL Gnocca la somme de 5 806 euro pour le loyer du 1er au 18 juillet 2005. Y ajoutant, Condamne la SARL Gnocca à payer à la SARL Co2bar 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes. Condamne la SARL Gnocca aux dépens d'appel qui sera recouvré conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.