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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 septembre 2010, n° 07-11226

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AJ Partenaires (ès qual.), Espace Lyonnais (SAS)

Défendeur :

Subaru France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Mouillard, M. Roche

Avoués :

SCP Grappotte Benetreau Jumel, SCP Calarn-Delaunay

Avocats :

Mes Bertin, Claude

CA Paris n° 07-11226

2 septembre 2010

Le 29 avril 1998, la société Subaru France (ci-après Subaru) a conclu avec la société l'Espace Lyonnais un " contrat de distributeur agréé ", à durée indéterminée, qui prévoyait (article 8) que " chaque partie pourra(it) y mettre fin en respectant un préavis de six mois, sans avoir à motiver les raisons de sa résiliation, ni à verser une quelconque indemnité pour quelque raison que ce soit, cette clause étant réputée par les parties essentielle à leur accord. "

Par lettre recommandée du 10 mars 2003, Subaru a résilié le contrat en respectant le préavis de six mois.

Le 2 novembre 2005, l'Espace Lyonnais a assigné Subaru en paiement de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat et détournement de clientèle.

Par jugement du 8 juin 2007, le Tribunal de grande instance de Paris a débouté l'Espace Lyonnais de ses demandes et l'a condamnée à payer à Subaru 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

LA COUR :

Vu l'appel de ce jugement interjeté par l'Espace Lyonnais le 27 juin 2007;

Vu les conclusions signifiées le 3 février 2010 par lesquelles l'appelante poursuit l'infirmation du jugement et demande à la cour de juger que les parties étaient liées par un contrat de distribution sélective ne permettant pas à Subaru de l'évincer de son réseau sans motif grave, qu'il s'agisse d'une faute ou du non-respect des critères d'agrément, à titre principal de juger nulle et non avenue la clause de résiliation litigieuse, subsidiairement de juger que cette clause n'était pas de nature à permettre à Subaru de l'exclure définitivement de son réseau de distribution sélective, en tout état de cause et en conséquence, de juger que Subaru a engagé sa responsabilité en l'évinçant de façon irrégulière et abusive de son réseau, qu'en outre la rupture du contrat est intervenue de façon brutale dans un délai de préavis incompatible, que Subaru a encore engagé sa responsabilité en faisant échec à son agrément en qualité de distributeur et en qualité de réparateur en s'abstenant de traiter sa candidature dans un délai raisonnable et d'y faire suite, en conséquence, de condamner Subaru à lui payer 426 302 euro et 213 151 euro et, à titre de dommages et intérêts complémentaires, de la condamner à reprendre l'intégralité de son stock de pièces de rechange à sa valeur d'achat hors taxes, enfin de condamner Subaru à lui payer 20 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions signifiées le 19 avril 2010 par lesquelles Subaru poursuit la confirmation du jugement, au visa des articles 4 de la déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789, du règlement d'exemption CE 1400-2002, des articles 1134 et 1146 du Code civil et de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, tel qu'issu de la loi dite " nouvelles régulations économiques " du 15 mai 2001, et réclame à l'Espace Lyonnais une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions d'intervention volontaire et de constitution, signifiées le 17 juin 2010 avant l'audience, de la société AJ Partenaires agissant en qualité d'administrateur de l'Espace Lyonnais, en redressement judiciaire ;

Sur ce :

Considérant que l'Espace Lyonnais a été mis en redressement judiciaire par un jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 6 avril 2010 ; que l'administrateur désigné pour l'assister dans sa gestion étant intervenu à l'instance, la procédure est régulière ;

Considérant que l'Espace Lyonnais soutient:

1°) qu'il était lié à Subaru par un contrat de distribution sélective, qui ne pouvait être résilié tant qu'il remplissait les critères qualitatifs de sélection requis à cette date et qu'il n'avait pas commis de faute grave;

2°) que la clause de résiliation contractuelle se heurte aux dispositions d'ordre public des articles L. 420-1 et L. 442-6 du Code de commerce, de sorte que, si Subaru pouvait peut-être mettre fin au contrat, elle ne pouvait l'évincer et il lui appartenait de proposer un nouveau contrat conforme au règlement CE 1400-2002 du 31 juillet 2002, en lui laissant la possibilité de s'y conformer dans un délai raisonnable, qu'au surplus, Subaru a immédiatement désigné un successeur ce qui suppose qu'elle a procédé de façon discriminatoire en communiquant à ce nouveau partenaire l'ensemble des éléments lui permettant d'être agréé en qualité de successeur sans transmettre concomitamment à l'Espace Lyonnais les mêmes informations pour lui permettre de se maintenir dans le réseau, que, de toute façon, le délai de préavis était quatre fois inférieur au délai usuellement pratiqué dans la distribution automobile en Europe;

3°) que Subaru a fait preuve de discrimination à l'occasion de sa candidature en qualité de réparateur agréé, qu'en effet, Subaru a revendiqué le bénéfice du règlement CE 1400-2002, a mis en place des réseaux de distribution sélectifs qualitatifs reposant exclusivement sur une sélection (non limitée quantitativement) des réparateurs et des distributeurs, qu'elle devait donc agréer tous les candidats se conformant aux critères de sélectivité requis sans exception, sauf à démontrer que la candidature aurait été formulée de mauvaise foi par le candidat, notamment du fait d'agissements antérieurs préjudiciables au réseau ; qu'elle ajoute que la non-communication en temps utile de l'ensemble des critères de sélection est une circonstance aggravante de la responsabilité de Subaru, caractérisant encore un comportement discriminatoire contrevenant aux dispositions de L. 420-1 et L. 442-6.1 du Code de commerce;

4°) que Subaru s'est approprié son fichier de clientèle pour détourner sa clientèle vers son successeur, et que, de toute façon, ses agissements ont eu pour effet de l'empêcher de céder sa clientèle à ce successeur, la société Symbol Car;

Qu'il évalue en définitive son préjudice, au titre de la rupture irrégulière et brutale du contrat de distributeur agréé, à la somme de 426 302 euro correspondant à deux ans de marge brute, et au titre de la spoliation de clientèle, à 213 151 euro correspondant à une année de marge brute ; qu'il réclame encore, à titre de dommages et intérêts complémentaires, la condamnation de Subaru à lui reprendre l'intégralité de son stock de pièces de rechange à sa valeur d'achat hors taxes ;

Considérant, d'abord, que l'Espace Lyonnais ne forme aucune demande précise de réparation d'un préjudice qui serait résulté de la discrimination reprochée à Subaru à l'occasion de sa candidature en qualité de réparateur agréé ; qu'au demeurant, après qu'il eût manifesté sa volonté de se porter candidat pour " la partie après-vente et technique ", le 20 mai 2003, Subaru lui a répondu aussitôt que ses critères étaient en cours d'élaboration, puis les lui a communiqués le 27 octobre suivant ; que le fait de ne pas les avoir envoyés spontanément plus tôt, comme elle s'y était engagée, ne suffit pas à caractériser une faute, le délai finalement apporté n'étant pas excessif et un agrément demeurant possible, en l'absence de limitation du nombre de réparateurs agréés ; qu'au demeurant, l'Espace Lyonnais ne justifie pas avoir réitéré utilement sa candidature, le courrier du 3 novembre 2003 par lequel il déclarait "accepter" les critères ne permettant pas à Subaru de s'estimer saisie d'une candidature sérieuse ; que la cour ne peut donc qu'écarter la demande visée au 3° ;

Considérant, ensuite, qu'il convient de souligner, à titre préliminaire, que l'Espace Lyonnais ne revendique pas l'application de la réglementation communautaire, Subaru ayant d'ailleurs objecté, sans être contestée, que sa part sur le marché de la vente de véhicules automobiles était insuffisante pour affecter sensiblement la concurrence, au sens de la communication de la Commission européenne sur les accords d'importance mineure du 22 décembre 2001, ou le commerce entre Etats membres ;

Considérant que la seule invocation de l'article L. 420-1 du Code de commerce, sans autre précision, ne permet pas à la cour d'apprécier à quel titre la clause de résiliation prévue au contrat du 29 avril 1998, serait-il un contrat de distribution sélective, violerait ce texte et devrait être considérée comme non écrite, Subaru rappelant à juste titre que "la liberté qui découle de l'article 4 de la déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen justifie qu'un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l'un ou l'autre des contractants" (Conseil constitutionnel décision n° 99-419 du 9 novembre 1999);

Que, si l'Espace Lyonnais invoque une discrimination au sens de l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce, ce texte, dans sa rédaction applicable aux faits de la cause, était ainsi rédigé:

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ", de sorte que le seul fait de résilier un contrat à durée indéterminée ne constitue pas l'un des agissements ainsi condamnés ; que, pas davantage, ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de contraindre un constructeur, après une résiliation, à proposer spontanément un nouveau contrat de distribution au distributeur évincé qui n'en fait pas la demande ;

Considérant que l'Espace Lyonnais soutient que le délai de préavis de six mois - qu'il n'a pas contesté en son temps - était insuffisant au regard des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5°, selon lesquelles " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ";

Qu'il appartient donc au juge, en l'absence d'accords interprofessionnels, de vérifier si le préavis de six mois était suffisant compte tenu de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce, notamment de l'éventuelle dépendance économique du distributeur ; qu'à cet égard, l'Espace Lyonnais se borne à invoquer l'usage résultant des contrats de distribution prévoyant, en conformité aux règlements communautaires relatifs à la distribution automobile, un délai de 24 mois, sans invoquer de circonstances propres à démontrer concrètement que, dans son cas particulier, le préavis contractuel était trop court ; que c'est avec pertinence que le tribunal a relevé que l'Espace Lyonnais n'était en relation avec Subaru que depuis 5 ans et qu'étant distributeur multimarques, un délai de six mois était suffisant pour lui permettre de se réorganiser ; qu'au demeurant, tel a été effectivement le cas, l'Espace Lyonnais, qui distribuait déjà au moins la marque Suzuki, ayant commencé à commercialiser des véhicules Mazda avant même l'expiration du préavis (du 12 septembre 2003), soit dès le 1er juin 2003 et ayant, au terme de cet exercice, réalisé une augmentation de chiffre d'affaires de plus de 500 euro soit de 3,84 % par rapport à l'année précédente, motivée notamment par " le remplacement d'une marque " (rapport d'activité pour 2003);

Considérant, sur l'utilisation du fichier de clientèle alléguée, qu'il convient de souligner que, dans un contrat de distribution sélective, fabricant et détaillant ont une clientèle commune, pour partie attachée à la marque et pour partie attachée à la personne du distributeur, de sorte que chacun d'eux est fondé à assurer la protection de ses droits à cet égard, sous réserve de ne pas agir de mauvaise foi ou en fraude des droits du cocontractant; qu'en l'espèce, d'une part, les agissements reprochés à Subaru, étant du 16 octobre 2003, sont postérieurs à la cessation des relations contractuelles, de sorte qu'il était légitime pour le fabricant d'informer sa clientèle de l'existence d'un nouveau distributeur; que, d'autre part, l'Espace Lyonnais ne prétend pas avoir, à un moment quelconque suivant la notification de la résiliation, envisagé une cession de sa clientèle à un successeur, ni a fortiori informé Subaru d'un tel projet ; qu'enfin, Subaru justifie avoir acquis, par voie d'abonnement mensuel tout au long de l'année 2003, la liste nominative des clients de la marque, établissant ainsi que la communication incriminée ne saurait résulter de l'utilisation du fichier de clients de l'Espace Lyonnais;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les demandes de l'Espace Lyonnais ne sont pas fondées et que le jugement, qui a statué en ce sens, doit être confirmé ;

Et considérant que Subaru a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a donc lieu de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, dans la mesure qui sera précisée au dispositif, et de rejeter la demande présentée par l'Espace Lyonnais à ce titre;

Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Condamne la société l'Espace Lyonnais à payer à la société Subaru France la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette sa demande formée à ce titre, Condamne la société l'Espace Lyonnais aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.