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Décisions

ADLC, 9 juillet 2010, n° 10-DCC-77

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif de la société Afibel SAS par la société Damartex SA

ADLC n° 10-DCC-77

9 juillet 2010

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 21 mai 2010 et déclaré complet le 8 juin 2010, relatif à l'acquisition par la société Damartex SA de la société Afibel SAS, formalisée par un protocole d'accord, en date du 3 mai 2010 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. La société Damartex est principalement active, sous la marque Damart, dans la commercialisation d'articles de prêt à porter et de sous vêtements, à travers un réseau de 140 magasins en Europe ainsi qu'un réseau de vente à distance. Damartex est détenue à hauteur de [> 50 %] des actions et [> 50 %] des droits de vote par la société JPJ-D SCA, à hauteur de [< 10 %] des actions et [< 10 %] des droits de vote par la société FAAC Holding SAS, le reste du capital et des droits de vote étant détenus par la famille X et par d'autres porteurs non-identifiés nommément. La société JPJ-D est une société holding familiale détenue à hauteur de [...] par la famille X et à hauteur de [...] par la Compagnie financière industrielle SA. Aucun des actionnaires minoritaires ne détenant de droit excédant la protection de ses intérêts financiers, la famille X exerce un contrôle exclusif sur Damartex. Damartex a réalisé en 2009, dernier exercice clos, un chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes de 503,2 millions dont 321,4 en France.

2. La société Afibel a pour principale activité la vente par correspondance de produits non alimentaires et exploite un magasin de prêt à porter féminin à Lille. Elle détient [...] des titres et des droits de vote de la société Aubert Tissus, qui a pour activité la vente par correspondance de tous types de produits d'hygiène et de confort. Afibel est détenue à 100 % par la société Primondo Speciality Group GmbH. Afibel a réalisé en 2009, dernier exercice clos, un chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes de 149 millions dont 136 en France.

3. L'opération, formalisée par un protocole d'accord en date du 3 mai 2010, consiste en l'acquisition par la société Damartex de 100 % des actions et droits de vote d'Afibel et de sa filiale Aubert Tissus.

4. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif par la société Damartex de la société Afibel, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés par l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

5. Dans le secteur du commerce de détail, les autorités de concurrence retiennent deux catégories de marchés : (i) les marchés aval, qui mettent en présence les entreprises et le consommateur final et (ii) les marchés amont de l'approvisionnement.

6. Sur les marchés aval, une première distinction oppose le commerce de détail alimentaire au commerce de détail non alimentaire (1). En l'espèce, les parties sont uniquement présentes dans le secteur de la distribution au détail de produits non alimentaires.

A. LES MARCHES AVAL DE LA DISTRIBUTION AU DETAIL DE PRODUITS NON ALIMENTAIRES

1. LES MARCHES DE PRODUITS

7. S'agissant de la distribution de produits non alimentaires, les autorités de concurrence aussi bien nationales que communautaire distinguent différentes familles de produits et différents canaux de distribution.

8. Au cas d'espèce, les parties sont simultanément actives dans la commercialisation de vêtements pour femme, vêtements pour homme, sous-vêtements, chaussures, et produits dits " de confort " qui ont pour objet de faciliter la vie des personnes âgées (cannes, " pinces attrape tout ", " repose jambes ", rehausseurs de WC, etc...).

9. Les parties commercialisent aussi des articles de santé et beauté, des articles de bazar-décoration, du textile de maison, des ustensiles de cuisine, et des produits d'entretien, mais il n'y a pas lieu en l'espèce de procéder à une analyse détaillée de ces familles de produits, pour lesquelles l'opération ne pose aucun problème de concurrence quelle que soit la délimitation des marchés.

10. En ce qui concerne les canaux de distribution, la pratique décisionnelle opère une distinction entre les ventes en magasin et les ventes à distance, tous canaux de vente à distance confondus (2). Pour les ventes en magasin, une distinction supplémentaire peut être opérée, pour certaines familles de produits, en fonction du type de magasins, par exemple en distinguant les grandes surfaces des boutiques spécialisées.

11. Pour chacune des familles de produits citées au paragraphe 8, les parties sont simultanément actives dans la vente à distance. De plus, pour la seule famille des vêtements féminins, les parties sont simultanément actives dans la vente en magasin, plus précisément dans la vente en boutiques spécialisées.

12. En ce qui concerne plus spécifiquement la vente à distance de chaussures, les parties ont proposé, par analogie avec la pratique décisionnelle en matière de ventes en magasins (3), d'opérer une distinction entre les chaussures d'intérieur, comprenant les chaussons, pantoufles et mules, et les chaussures d'extérieur. Au cas d'espèce, dans la mesure où cette hypothèse est la plus défavorable aux parties, l'analyse concurrentielle retiendra cette distinction. La pratique décisionnelle a aussi envisagé de segmenter plus avant les marchés, en distinguant des marchés spécifiques pour les chaussures de sport ou les chaussures spécialisées telles que les chaussures de ski, et les chaussures de sécurité. Au cas d'espèce, compte-tenu du positionnement des parties, il n'y a pas lieu de s'interroger sur ces segmentations pour apprécier les effets de l'opération sur les marchés de la vente à distance de chaussures.

13. En ce qui concerne plus spécifiquement la vente à distance de sous-vêtements, les parties ont opéré une distinction entre la lingerie féminine et les sous-vêtements masculins. En ce qui concerne la vente en magasin, la pratique décisionnelle antérieure a en effet considéré que la lingerie féminine constituait un marché distinct (4), compte tenu notamment de l'existence de magasins spécialisés. Cette distinction n'a toutefois pas la même pertinence pour la vente à distance dans la mesure où les grands acteurs de ce secteur, tels que La Redoute ou 3 Suisses, proposent les deux familles de produits. En l'espèce, les résultats de l'analyse concurrentielle restent inchangés, que celle-ci soit effectuée sur un marché global ou sur chacun des deux segments. La question peut donc rester ouverte.

14. Les parties ont aussi proposé d'opérer une distinction supplémentaire pour la vente à distance de vêtements et sous-vêtements en isolant des segments de marché spécifique à la clientèle " senior " (50 ans et plus). Cependant, si cette catégorie de clientèle correspond au positionnement commercial spécifique des parties, la substituabilité, du point de vue des demandeurs, des différentes gammes de vêtements est très subjective. Par ailleurs, les principaux offreurs de la vente à distance proposent des gammes de produits larges pour tous les âges.

15. En ce qui concerne la vente en magasin de vêtements pour femmes, la pratique décisionnelle a aussi envisagé une segmentation supplémentaire en fonction de la gamme de produits (entrée de gamme, moyenne gamme, haut de gamme). En l'espèce, le chevauchement de l'activité des parties est limité au segment de la vente de vêtements féminins moyenne gamme en boutiques spécialisées.

16. L'analyse concurrentielle sur les marchés aval sera donc menée sur la vente à distance de vêtements féminins, de vêtements masculins, de lingerie féminine, de sous-vêtement masculin, de chaussures d'intérieur, de chaussures d'extérieur, et de produits de confort pour personnes âgées, ainsi que sur la vente physique en boutiques spécialisées de vêtements féminins, notamment sur le segment du milieu de gamme.

2. LES MARCHES GEOGRAPHIQUES

a) Le marché aval de la vente en magasins de vêtements pour femme en boutique spécialisée

17. La pratique décisionnelle (5) a, à plusieurs reprises, retenu une délimitation locale pour le marché de la vente en magasins de vêtements féminins, et procédé à une analyse sur des zones de chalandises de 20 minutes en voiture autour de chaque magasin.

18. En l'espèce, les activités des parties se chevauchent uniquement sur la ville de Lille.

b) Les marchés aval de la vente à distance de produits non alimentaires

19. S'agissant de la distribution à distance de produits non alimentaires, les autorités nationales et communautaire ont retenu, dans de précédentes décisions (6), une délimitation nationale, eu égard aux différences linguistiques, à l'hétérogénéité des habitudes des consommateurs, ainsi qu'aux coûts et délais de livraison.

20. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente décision.

B. LES MARCHES AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT

1. LES MARCHES DE PRODUITS

21. Aussi bien Damartex qu'Afibel achètent auprès de différents producteurs la majorité des articles qu'ils commercialisent ensuite à destination des particuliers.

22. Dans le secteur de la distribution, la pratique décisionnelle nationale considère que, dans la mesure où les producteurs ne peuvent se convertir facilement dans la fabrication d'autres produits que les leurs, il convient de distinguer autant de marchés qu'il existe de familles de produits. Au cas d'espèce, les différents articles commercialisés par les parties appartiennent aux familles identifiées ci-avant aux paragraphes 8 et 9.

2. LES MARCHES GEOGRAPHIQUES

Les marchés de l'approvisionnement en vêtements et chaussures ont été définis par les autorités françaises comme étant de dimension mondiale (7).

III. Analyse concurrentielle

A. MARCHE LILLOIS DE LA VENTE AU DETAIL DE VETEMENTS POUR FEMMES EN BOUTIQUES SPECIALISEES

23. Comme indiqué ci-dessus, les activités de ventes en magasin de vêtements féminins des parties se chevauchent sur la ville de Lille et son agglomération avec la présence de trois points de vente exploités par Damartex et d'un point de vente exploité par Afibel.

24. Sur le segment du milieu de gamme, la part de marché cumulée des parties sera inférieure à [< 10 %]. Sur l'ensemble des ventes de vêtements féminins, cette part de marché est plus faible encore. De plus, les parties font face à la présence de nombreux concurrents.

25. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur ce marché.

B. LES MARCHES AVAL DE LA VENTE A DISTANCE DE VETEMENTS, SOUS-VETEMENTS, CHAUSSURES ET PRODUTIS DE CONFORT

26. Les parties se sont basées, pour calculer la part de leur chiffre d'affaires dans chaque famille de produits, sur des chiffres établis par la FEVAD et par l'institut TNS - Sofres. Toutes les entreprises exerçant des activités de vente à distance n'étant pas membres de la FEVAD, une partie des distributeurs actifs sur ces marchés n'ont pas été pris en compte. Elles n'ont, en revanche, pas été en mesure d'évaluer les ventes totales sur ces marchés. Ainsi, les chiffrages fournis par les parties, et présentés dans le tableau ci-dessous, surévaluent significativement leurs parts de marché réelles :

27. En ce qui concerne les vêtements pour femmes, vêtements pour hommes, sous-vêtements pour femmes, sous-vêtements pour hommes, les parties font face à la concurrence des groupes Red Cats (avec notamment l'enseigne La Redoute) et 3 Suisses qui détiennent des positions supérieures à celles des parties, ainsi qu'à de nombreux autres distributeurs en ligne. Pour les produits de confort, les parties font face plus spécifiquement à la concurrence de Daxon (groupe Red Cats), La Blanche Porte (groupe 3 Suisses) et Temps L.

28. La position des parties est relativement forte sur le segment des chaussures d'intérieur. Leurs principaux concurrents sont, notamment, Desmazières ([20 - 30 %]) des ventes sur le périmètre d'analyse retenu par les parties), le groupe Red Cats ([10 - 20 %]), Sarenza ([10 - 20 %]) et Spartoo ([5-10 %]). Il convient cependant de tenir compte de la pression concurrentielle que les ventes de chaussures en magasin, principalement en hypermarché pour ce type de produits ainsi que l'a déjà relevé le ministre (8), sont susceptibles d'exercer sur la vente à distance. En effet, la vente à distance constitue un canal relativement marginal dans la vente de chaussures, environ [5 - 10 %] des ventes totales, d'après les estimations des parties. Enfin, il convient de rappeler que les chiffres indiqués dans le tableau ci-dessus surévaluent les parts de marché réelles des parties.

C. LES MARCHES AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT

29. Pour chacune des familles de produits identifiées, les parties représentent une part infime du total des approvisionnements sur le marché mondial.

30. Au niveau national, les parties représentent, pour chacune des familles, au plus [0 - 5 %] du total des approvisionnements en France.

31. Compte-tenu des éléments qui précèdent, l'opération projetée n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.

Décide

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 10-0072 est autorisée.

Notes :

1 Lettre du ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie en date du 24 décembre 2001 aux conseils des sociétés Galeries Lafayette et Marks & Spencer relative à une concentration dans le secteur de la distribution, décisions de la Commission européenne n° COMP/M.070 - Otto/Gratta du 21 mars 1991, n° COMP/M.080 - La Redoute/Empire du 25 avril 1991 et n° COMP/M.5721 - Otto/Primondo Asstes du 16 février 2010.

2 Voir notamment les décisions récentes Otto / Primondo Assets de la Commission européenne et la décision 10-DCC-42 de l'Autorité de la concurrence

3 Lettre du ministre n° 2007-43 du 15 mai 2007 aux conseils de la société Vivarte

4 Lettre du ministre de l'Economie n° C2005-128 du 22 juin 2006 4

5 Lettres du ministre de l'Economie n° C2008-04 du 7 mai 2008 et n° C2007-28 du 28 juin 2007

6 Voir les décisions n° 09-DCC-26, n° 10-DCC-42 du 25 mai 2010 et n°COMP/M.5721 précitées.

7 Voir notamment les lettres du ministre de l'Economie n° C2008-004 du 13 février 2008 et n° C2008-016 du 30 avril 2008.

8 Lettre du ministre n° 2007-43 du 15 mai 2007aux conseils de la société Vivarte précitée