ADLC, 19 juillet 2010, n° 10-DCC-73
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la création d'une entreprise commune par la société Guillar Sarl et la société Ed SAS (groupe Carrefour)
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 27 avril 2010 et déclaré complet le 14 juin 2010, relatif à la création d'une société commune dénommée Gaufred par les sociétés Guillar Sarl et ED SAS, filiale du groupe Carrefour, formalisée par un protocole d'accord en date du 29 octobre 2009 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
A. LES ENTREPRISES CONCERNÉES
1. Le groupe Carrefour est actif dans la distribution à dominante alimentaire. En France, il exploite des hypermarchés sous enseignes Carrefour et Champion et des supermarchés sous enseignes Champion et Carrefour Market. Il exploite aussi des magasins de proximité sous enseignes Shopi, 8 à huit, Marché plus, Sherpa, Proxi, ainsi que des magasins discompteurs sous enseignes Ed et Dia. La société Ed SAS (ci-après " Ed ") est une filiale du groupe Carrefour. En 2008, le groupe Carrefour a réalisé un chiffre d'affaires total mondial hors taxes d'environ 87 milliards d'euro, dont environ 38 milliards d'euro en France.
2. La société Guillar Sarl (ci-après " Guillar ") est une société à responsabilité limitée intégralement détenue par les époux Gaubert. La société Guillar exploite via ses filiales plusieurs fonds de commerce à dominante alimentaire sous enseignes Ed et Carrefour Market situés à l'Ille-Sur-Tët (66), Le Soler (66) et Villeneuve-Les-Beziers (34). En 2008, les époux Gaubert ont réalisé un chiffre d'affaires total hors taxes de 53,1 millions d'euro, exclusivement en France.
3. Les sociétés Guillar et Ed se sont engagées, selon le protocole d'accord signé le 29 octobre 2009, à créer une entreprise commune de type holding, dénommée Gaufred, à laquelle elles transféreront leurs participations respectives au sein des sociétés Solerdis et Narbodis, soit l'intégralité du capital de ces deux sociétés. La société Gaufred aura pour activité la gestion des titres qu'elle détient au capital des deux sociétés précitées et de toute nouvelle société dont l'objet sera d'exploiter des magasins sous enseignes " Ed " ou " Dia " en qualité de franchisé. La société Gaufred, constituée en société par actions simplifiée, sera détenue à hauteur de 74 % par Guillar et de 26 % par Ed. Le projet de statut prévoit que la société sera administrée par un président nommé par les associés à la majorité des 4/5e et révocable dans les mêmes conditions. Le budget annuel ainsi que l'essentiel des décisions importantes afférentes à la gestion de la société ou à ses filiales devront recueillir l'approbation des associés statuant à la majorité des 4/5e hormis celles pour lesquelles la loi prévoit l'unanimité. Il ressort de ce qui précède que la société commune Gaufred sera contrôlée conjointement par les sociétés Guillar et Ed.
4. Avant l'opération, seule la société Solerdis exerce une activité économique consistant en l'exploitation d'un fonds de commerce à dominante alimentaire de 800 m2 sous enseigne " Ed " à Le Soler (66). Elle a réalisé à ce titre un chiffre d'affaires de 4,3 millions d'euro en 2008. Son capital est détenu par Guillar et ED, respectivement à hauteur de 74 % et 26 %, et elle est contrôlée conjointement par ces derniers, le gérant de Solerdis étant nommé à la majorité des associés détenant plus des trois quarts des parts sociales et ses pouvoirs étant limités dans les mêmes conditions. Par conséquent, l'opération ne modifie pas la répartition du capital de Solerdis entre les sociétés Guillar et Ed via la société Gaufred d'une part, ni la nature du contrôle exercé sur la société Solerdis d'autre part.
5. En revanche, Guillar apporte aussi 95 % des parts sociales qu'elle détient au capital de la société Narbodis laquelle exploite depuis le 25 novembre 2009 un magasin maxi-discompteur sous enseigne " Dia " situé en périphérie de Narbonne (11) qu'elle contrôle exclusivement avant l'opération.
6. La création de l'entreprise commune Gaufred constitue bien une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle relatifs au commerce de détail mentionnés au point II de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
7. Selon la pratique constante des autorités nationale et communautaire de la concurrence (1), deux catégories de marchés peuvent être délimitées (2) dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire. Il s'agit, d'une part, des marchés " aval ", de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d'autre part, des marchés " amont " de l'approvisionnement des entreprises de commerce de détail en biens de consommation courante, de dimension nationale.
A. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION
1. LES MARCHÉS DE SERVICES
8. En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, les autorités de concurrence, tant communautaire que nationales (3), ont distingué six catégories de commerce en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l'ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés, (ii) les supermarchés, (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail, (v) les maxi discompteurs, (vi) la vente par correspondance.
9. Les hypermarchés sont usuellement définis comme des magasins à dominante alimentaire d'une surface de vente égale ou supérieure à 2 500 m2. Quant aux supermarchés, ils sont usuellement définis comme ayant une surface de vente inférieure à 2 500 m2 et supérieure à 400 m2. Il convient cependant de rappeler que ces seuils doivent être utilisés avec précaution, et peuvent être adaptés au cas d'espèce, compte-tenu que des magasins dont la surface est située à proximité d'un seuil, soit en-dessous, soit au-dessus, peuvent se trouver en concurrence directe dans les faits (4).
10. En l'espèce, le point de vente exploité par Narbodis sous enseigne " Dia " est un maxi-discompteur d'une surface de 935 m2.
2. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE
11. Dans ses décisions récentes (5) relatives à des opérations concernant des hypermarchés ou des supermarchés, l'Autorité de la concurrence a rappelé qu'en fonction de la taille des magasins concernés, les conditions de la concurrence devaient s'apprécier sur deux zones différentes :
- une première zone où se rencontrent la demande des consommateurs d'une zone et l'offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux,
- une seconde zone où se rencontrent la demande de consommateurs et l'offre des supermarchés et autres formes de commerce équivalentes, situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés et les magasins discompteurs.
12. D'autres critères peuvent néanmoins être pris en compte pour évaluer l'impact d'une concentration sur la situation de la concurrence sur les marchés de la distribution de détail, ce qui peut conduire à affiner, au cas d'espèce, les délimitations usuelles présentées ci-dessus.
13. Au cas d'espèce, l'analyse concurrentielle portera uniquement sur le second marché incluant l'ensemble des hypermarchés, supermarchés et maxi-discompteurs localisés sur une zone de chalandise de 15 minutes autour de Narbonne.
B. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
14. En ce qui concerne les marchés de l'approvisionnement, la Commission européenne (6) a retenu l'existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales (7).
15. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente opération.
III. Analyse concurrentielle
1. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION A DOMINANTE ALIMENTAIRE
16. Sur le marché aval de la distribution alimentaire comprenant les hypermarchés, les supermarchés, et les maxi-discompteurs sur une zone de chalandise de 15 minutes en voiture autour de Narbonne, les principaux groupes de distribution sont présents. Le groupe Carrefour détient sur la zone deux hypermarchés, un supermarché, plusieurs supérettes sous enseigne " Proxi " et un maxi-discompteur sous enseigne " Ed " auquel vient s'ajouter le point de vente " Dia ", objet de l'opération. Les magasins sous enseignes du groupe Carrefour représenteront 28 % de parts de marché après l'opération. Ils resteront confrontés à la concurrence de nombreux points de vente exploités sous les enseignes du groupe Casino (26 %), du groupe ITM Entreprises (19 %) et, dans une moindre mesure, par ceux sous enseignes Lidl (8 %), Aldi (4%), Système U(4 %) et Leclerc (4 %).
17. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché considéré.
2. MARCHÉS AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
18. En ce qui concerne les marchés amont de l'approvisionnement, l'opération, limitée à un magasin, n'est pas susceptible de renforcer significativement la puissance d'achat du groupe Carrefour, tous produits confondus ou par grands groupes de produits.
Décide
Article unique : l'opération notifiée sous le numéro 10-0053 est autorisée.
Notes :
1 Voir notamment les décisions de la commission M.946 Intermarché/Spar du 30 juin 1997, M.991 Promodès/Casino du 30 octobre 1997 et M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000. Voir également l'arrêté ministériel du 5 juillet 2000 dans l'opération Carrefour/Promodès et les avis du Conseil de la concurrence n° 97-A-14 du 1er juillet 1997, dans l'affaire Carrefour/Cora, n° 98-A-06 du 5 mai 1998, dans l'affaire Casino Franprix/Leader Price, et n° 00-A-06 du 3 mai 2000, dans l'affaire Carrefour/Promodès.
2 Décisions de la Commission dans les affaires M.1221 Rewe/Meinl du 3 février 1999, M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000 et M.2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000. Voir également la décision C 2005-98 Carrefour/Penny Market du 10 novembre 2005.
3 Décisions C 2008-32 Amidis SAGC du 9 juillet 2008, C 2007-172 Carrefour Plane Plamidis, du 13 février 2008, C 2007-154 Système U Vergali du 3 décembre 2007, C 2007-05 Carrefour Sofodis du 26 mars 2007, C 2006-15 Amidis Hamon du 14 avril 2006, C 2005-98 Carrefour Penny Market du 10 novembre 2005.
4 Voir notamment l'avis n° 00-A-06 du Conseil du 3 mai 2000 relatif à l'acquisition par la société Carrefour de la société Promodès.
5 Décisions 09-DCC-24 du 23 juillet 2009 Floritine/CSF ; 09-DCC- du 28 mai 2009 Frandis/Financière Perdis ; 09-DCC-06 du 20 mai 2009 Evolis/ITM ; 09-DCC-04 du 29 avril 2009 Carrefour/Nouka.
6 Voir les décisions de la Commission M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000 et M. 2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000.
7 Voir notamment les décisions du ministre dans le secteur, C2005-98, Carrefour/Penny Market du 10 novembre 2005, C2006-15 Carrefour/Groupe Hamon du 14 avril 2006, C2007-172 relatif à la création de l'entreprise commune Plamidis du 13 février 2008 et C2008-32 Carrefour/SAGC du 9 juillet 2008.