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Décisions

CJCE, 15 janvier 1986, n° 52-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume de Belgique

CJCE n° 52-84

15 janvier 1986

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 février 1984, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître que le Royaume de Belgique, en n'étant pas conforme, dans le délai imparti, à la décision 83-130 de la Commission, du 16 février 1983, concernant une aide du Gouvernement belge en faveur d'une entreprise du secteur de la céramique sanitaire, a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu du traité.

2. Par la décision litigieuse, la Commission a constaté qu'une prise de participation de 475 millions de BFR par un holding public à vocation régionale dans le capital d'une entreprise du secteur de la céramique, située à la Louvière, constituait une aide incompatible avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité et devait, dès lors, être supprimée. En outre, la Commission demandait à être informée, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision, des mesures prises par la Belgique pour s'y conformer.

3. Le préambule de la décision contient, entre autres, le considérant suivant :

" Considérant qu'une telle aide destinée à permettre le maintien en activité de capacités de production est de nature à porter une atteinte particulièrement grave aux conditions de concurrence, car le libre jeu des forces du marché exigerait normalement la fermeture de l'entreprise en cause, ce qui, dans une situation où le secteur en cause doit affronter une surcapacité, permettrait aux concurrents plus compétitifs de se développer ".

4. La décision a été notifiée au Royaume de Belgique par lettre du 24 février 1983. Aucun recours en annulation n'a été introduit contre la décision.

5. Par lettre du 3 juin 1983, adressée au membre compétent de la Commission, le représentant permanent belge a contesté l'exactitude de la motivation de la décision et a souligné les conséquences sociales graves d'une fermeture de l'entreprise en cause. Il a, en outre, remarqué que le droit positif belge n'autorise pas le remboursement de capital social, sauf par prélèvement sur les bénéfices de la société, ce que la situation des résultats de l'entreprise ne permettait pas. Enfin, la lettre indique que les " autorités belges demandent à la Commission de bien vouloir leur préciser ce qu'elle entend par " suppression de l'aide " et à quelles conséquences elle estime devoir exposer sa définition ".

6. Par lettre du 22 juillet 1983, le membre compétent de la Commission a répondu, entre autres, qu'il importe en première instance de satisfaire aux obligations " qui découlent du droit communautaire ". Il a ajouté qu'il lui saurait dès lors gré de lui " faire savoir, dans un délai de quinze jours, les mesures décidées par (le Gouvernement belge) dans le but de se conformer à la décision de la Commission ".

7. Par lettre du 5 septembre 1983, le représentant permanent belge a de nouveau critiqué la motivation de la décision et a réitéré sa demande d'une précision. Estimant qu'aucune suite n'avait été donnée à la décision et alarmée par des informations parues dans la presse belge concernant de nouvelles aides à l'entreprise en cause, la Commission a introduit le présent recours sans répondre à ladite lettre.

8. Devant la Cour, la Commission a souligné qu'ayant constaté que l'aide en cause était incompatible avec le marché commun, elle était tenue, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, alinéa 1, du traité, de décider que l'Etat membre intéressé devait supprimer ou modifier l'aide dans un délai qu'il lui appartenait de déterminer. La Commission se demande si les moyens soulevés par le Gouvernement belge ne reviennent pas à remettre en cause la validité de la décision, ce qui, selon la jurisprudence de la Cour, serait exclu dès lors que cette décision n'a pas été attaquée dans le délai prévu à l'article 173, alinéa 3, du traité.

9. De toute manière, ces moyens seraient mal fondés. La décision aurait clairement identifié l'aide à supprimer, contrairement à ce qui était le cas dans l'arrêt de la Cour du 12 juillet 1973 (Commission/République fédérale d'Allemagne, 70-72, Rec. p. 813). La décision serait donc suffisamment précise pour être exécutée et, selon la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement belge ne pourrait pas exciper du droit positif belge pour justifier le non-respect des obligations résultant de décisions communautaires.

10. Le Gouvernement belge maintient que les autorités belges n'ont pas manqué aux obligations qui leur incombent en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité. En dépit de leurs demandes réitérées, la Commission serait restée en défaut de fournir les précisions nécessaires leur permettant de déterminer en quoi consistait l'obligation de supprimer la prétendue aide. Il ne saurait, dès lors, leur être reproché de ne pas avoir exécuté ladite obligation.

11. Le Gouvernement belge se réfère, en outre, aux deuxième et septième rapports sur la politique de concurrence, où la Commission aurait défini sa position vis-à-vis de prises de participation publiques. Dans ces rapports, la Commission aurait indiqué que l'action d'organismes créés et financés par l'Etat en vue de prendre des participations dans le capital de certaines entreprises ne peut être appréciée qu'a postèriori. Par cette politique, la Commission aurait elle-même empêché la suppression des prises de participation parce que, dans ces circonstances, imposer une obligation de remboursement lèserait gravement les droits de tiers innocents dans tous les cas où les bénéfices d'une entreprise sont insuffisants pour effectuer ce remboursement.

12. Dans le cas d'espèce, l'entreprise ne disposerait nullement de bénéfices permettant le remboursement et il aurait donc été matériellement impossible d'exécuter la décision à la lettre sans procéder à la liquidation de la société. Or, la décision n'exigerait que la suppression de l'aide, et pas celle de l'entreprise. De toute manière, le 25 janvier 1985, une assemblée générale aurait décidé de mettre la société en liquidation ; le Gouvernement belge ne comprend pas ce que la Commission veut de plus.

13. Il est de jurisprudence constante, confirmée en dernier lieu par l'arrêt de la Cour du 15 novembre 1983 (Commission/République Française, 52-83, Rec. p. 3707), qu'après l'expiration du délai prévu à l'article 173, alinéa 3, du traité, un Etat membre destinataire d'une décision prise en vertu de l'article 93, paragraphe 2, alinéa 1, du traité ne saurait remettre en cause la validité de celle-ci à l'occasion du recours visé à l'alinéa 2 de la même disposition. Il convient de constater que telle est bien la situation dans la présente affaire.

14. Dans ces circonstances, le seul moyen de défense que le Gouvernement belge peut encore faire valoir contre le recours en manquement serait celui d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision. A cet égard, il y a lieu de relever que la décision exige la suppression d'une prise de participation de 475 millions de BFR dans le capital de l'entreprise, décidée le 3 août 1981 par les autorités régionales et effectuée par un holding public à vocation régionale, et que cette exigence est suffisamment précise pour être exécutée. Le fait qu'en raison de la situation financière de l'entreprise, les autorités belges ne pouvaient pas récupérer la somme versée ne constitue pas une impossibilité d'exécution, dès lors que l'objectif poursuivi par la Commission était la suppression de l'aide, objectif qui, comme le Gouvernement belge l'admet, était susceptible d'être atteint par la liquidation de la société, que les autorités belges pouvaient provoquer en leur qualité d'actionnaires ou de créanciers.

15. Lorsque le Gouvernement belge fait valoir que la décision a effectivement été exécutée par la mise en liquidation de l'entreprise au début de l'année 1985, il convient de rappeler que le recours concerne l'omission, par le Royaume de Belgique, de se conformer à la décision dans le délai imparti et que la décision litigieuse, qui a été notifiée par lettre du 24 février 1983, enjoignait au Gouvernement belge d'informer la Commission, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision, des mesures prises par lui pour s'y conformer. Force est donc de constater que, de toute manière, la décision n'a pas été exécutée dans les délais.

16. Il y a lieu d'ajouter que le fait, pour l'Etat membre destinataire, de ne pouvoir soulever, contre un recours comme celui de l'espèce, d'autres moyens que l'existence d'une impossibilité d'exécution absolue, n'empêche pas qu'un Etat membre qui, lors de l'exécution d'une telle décision, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission, soumette ces problèmes à l'appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l'Etat membre doivent, en vertu de la règle imposant aux Etats membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l'article 5 du traité, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité et, notamment, de celles relatives aux aides. Or, dans le cas d'espèce, aucune des difficultés invoquées par le Gouvernement belge ne présente un tel caractère et le gouvernement n'a nullement proposé à la Commission d'adopter d'autres mesures appropriées, mais s'est borné, par l'intermédiaire du représentant permanent belge et après l'expiration du délai d'exécution imparti, à contester l'exactitude de la motivation de la décision, à invoquer l'impossibilité de supprimer la prise de participation à cause des dispositions du droit belge et à demander à la Commission de préciser ce qu'elle entend par " suppression de l'aide ". Une telle attitude ne saurait être considérée comme étant conforme au devoir de coopération indiqué ci-dessus.

17. Il découle de ce qui précède qu'il y a lieu de constater le manquement dans les termes résultant des conclusions de la Commission.

Sur les dépens

18. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombée en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) Le Royaume de Belgique, en ne s'étant pas conforme, dans le délai imparti, à la décision 83-130 de la Commission, du 16 février 1983, concernant une aide du Gouvernement belge en faveur d'une entreprise du secteur de la céramique sanitaire, a manqué à une obligation qui lui incombe en vertu du traité.

2) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.