Livv
Décisions

ADLC, 20 septembre 2010, n° 10-D-28

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de MM. Maximin Sanson, Cédric Nouël de Buzonnière, l'intervention de Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale, par M. Bruno Lasserre, président, président de séance, Mmes Françoise Aubert, Anne Perrot, M. Patrick Spilliaert, vice-présidents, Mmes Carol Xueref, Laurence Idot, MM. Jean-Bertrand Drummen, Thierry Tuot, membres.

ADLC n° 10-D-28

20 septembre 2010

L'Autorité de la concurrence (section I A),

Vu la décision n° 03-SO-01 du 29 avril 2003 (enregistrée sous le numéro 03/0037 F) par laquelle le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de la situation de la concurrence concernant les tarifs et les conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement ; Vu l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne, devenu article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ; Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, et notamment son article 5 ; Vu les décisions de secret des affaires n° 08-DSA-39 du 10 mars 2008, n° 08-DSA-192 à 08-DSA-200 du 3 décembre 2008, n° 09-DSA-147 et 09-DSA-149 en date du 4 août 2009, n° 09-DSADEC-32 et 09-DSADEC-33 en date du 7 août 2009, n° 09-DSADEC-34 et 09-DSADEC-35 en date du 10 août 2009, et les décisions n° 08-DEC-12 du 2 octobre 2008, n° 09-DEC-01 du 17 février 2009, n° 09-DEC-22 en date du 20 octobre 2009 autorisant l'accès, dans des conditions déterminées, à certaines pièces classées en annexe confidentielle ; Vu les décisions du 16 décembre 2008 et du 17 février 2009 par lesquelles le rapporteur général a désigné un expert, sur le fondement des dispositions des articles L. 463-8 et R. 463-16 du Code de commerce ; Vu la décision n° 09-S-04 du 11 décembre 2009, par laquelle l'Autorité de la concurrence a renvoyé le dossier à l'instruction afin de permettre aux parties, d'une part, d'accéder à l'intégralité des données couvertes par les décisions n° 08-DEC-12, 09-DEC-01 et 09-DEC-22 et, d'autre part, de produire d'ultimes observations écrites ; Vu les observations présentées par la Banque de France, les Banques Populaires Participations (anciennement Banque Fédérale des Banques Populaires), La Banque Postale, BNP-Paribas, la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne, la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, Crédit Agricole SA, Crédit du Nord, Crédit Industriel et Commercial (CIC), LCL, HSBC, la Société générale et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, la rapporteure générale, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Banque de France, des Banques Populaires Participations (anciennement Banque Fédérale des Banques Populaires), de La Banque Postale, de BNP- Paribas, de la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne, de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, du Crédit Agricole SA, du Crédit du Nord, du Crédit Industriel et Commercial (CIC), de LCL, de HSBC et de la Société générale, entendus lors des séances du 24 novembre 2009 et du 13 avril 2010, et les représentants de la Commission européenne, de Carrefour et d'EDF entendus lors de la séance du 24 novembre 2009 sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 alinéa 2 du Code de commerce ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA PROCÉDURE

1. Par une décision n° 03-SO-01 du 29 avril 2003, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de la situation de la concurrence concernant les tarifs et les conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement.

2. Par lettre en date du 26 novembre 2004, le rapporteur général du Conseil a saisi pour enquête la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui a remis son rapport le 7 octobre 2005.

3. Le rapporteur, désigné le 1er février 2006 par le rapporteur général pour instruire l'affaire, a adressé à sept cents entreprises un questionnaire portant sur leurs conditions bancaires en matière de remise de chèques tant en volumes qu'en montants, sur une période couvrant les années 2000 à 2006, en vue d'établir une statistique générale (ci-après le " sondage de prix "). Les données issues de ce sondage ont fait l'objet de la décision n° 08-DSA-39 du 10 mars 2008, par laquelle le président du Conseil de la concurrence a classé en annexe confidentielle les réponses des entreprises sondées.

4. Une notification des griefs a été adressée aux banques et établissements financiers mis en cause le 14 mars 2008. La saisine et la notification des griefs ont été communiquées à la Commission bancaire, qui a transmis son avis le 22 mai 2008.

5. Un deuxième rapporteur a été désigné pour instruire en commun l'affaire, par décision du rapporteur général en date du 11 juin 2008.

6. A la suite de la réception des observations des parties, un rapport leur a été adressé le 14 août 2008.

7. En septembre 2008, les parties ont formulé des demandes d'accès aux données du sondage de prix sur le fondement de l'article R. 463-15 du Code de commerce. Certaines d'entre elles ont sollicité un accès total à ces données, alors que d'autres ont sollicité uniquement la communication des données les concernant.

8. L'accès de chaque établissement financier aux données le concernant a été accordé par décision n° 08-DEC-12 du 2 octobre 2008. Par décisions n° 08-DSA-192 à 08-DSA-200 du 3 décembre 2008, le président du Conseil a fait droit aux demandes de protection du secret des affaires présentées par les parties s'agissant des données ainsi communiquées.

9. Par ailleurs, l'accès des parties aux données du sondage de prix concernant les banques et établissements financiers concurrents a été aménagé selon des modalités spécifiques visant à préserver la protection du secret des affaires et le respect des droits de la défense.

10. Pour tenir compte du fait que chaque partie, bien qu'ayant accès à l'intégralité des données de ses propres clients, n'avait pas connaissance des données intéressant les autres parties et se trouvait ainsi dans l'incapacité de contrôler l'agrégation des données rassemblées par le rapporteur, le rapporteur général a, par décisions du 16 décembre 2008 et du 17 février 2009, désigné un expert sur le fondement des dispositions des articles L. 463-8 et R. 463-16 du Code de commerce, chargé, après avoir accédé à l'ensemble des réponses reçues, d'établir un tableau recensant les données du sondage jugées exploitables, en intégrant au besoin les corrections qui pourraient être apportées par chaque partie à la suite de la vérification de ses données propres. L'expert a rendu un pré-rapport le 20 février 2009 et un rapport définitif le 11 août 2009. Le tableau a été versé au dossier sous une forme préservant l'anonymat des entreprises interrogées.

11. La Banque Fédérale des Banques Populaires a de nouveau sollicité le déclassement intégral des données du sondage de prix par courrier en date du 12 janvier 2009. De même, la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne a sollicité un déclassement complet, à l'exception des noms des entreprises concernées. Par courriers des 20, 21 et 22 janvier 2009, BNP Paribas, le Crédit Lyonnais, le Crédit industriel et commercial (CIC), la Confédération nationale du Crédit mutuel, le Crédit du nord, HSBC, la Banque de France, la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne et la Société Générale ont fait connaître leur opposition à un déclassement intégral des données.

12. Afin d'apporter une réponse à ces demandes inconciliables, le président du Conseil de la concurrence a, par décision n° 09-DEC-01 du 17 février 2009, autorisé les conseils représentant les parties à consulter dans les locaux du Conseil l'intégralité des données mentionnées ci-dessus, sous leur forme confidentielle, selon des modalités excluant d'en prendre copie, et sous réserve d'un engagement comportant interdiction de révéler, y compris à leurs clients, les noms des clients des banques dont ils pourraient prendre connaissance (1). Ces consultations se sont tenues à deux reprises, du 2 au 24 avril 2009 et du 13 au 20 juillet 2009.

13. Un rapport prenant en compte les résultats de l'expertise a été adressé aux parties le 19 août 2009, afin de compléter le rapport du 14 août 2008 s'agissant de l'évaluation de l'incidence sur l'économie des pratiques reprochées.

14. L'accès aux données relatives aux volumes et aux montants de chèques émis et remis par chacune des banques a été accordé par décision n° 09-DEC-22 en date du 20 octobre 2009, selon des modalités similaires à celles qui avaient été arrêtées par la décision n° 09-DEC-01 s'agissant des résultats du sondage de prix.

15. La Commission bancaire a émis deux avis complémentaires en date du 4 novembre 2008 et du 23 octobre 2009.

16. Une séance devant l'Autorité de la concurrence s'est tenue le 24 novembre 2009, au cours de laquelle le conseil des Banques Populaires, s'exprimant au nom de l'ensemble des parties, a réclamé un accès sans restriction aux données couvertes par les décisions n° 08-DEC-12, 09-DEC-01 et 09-DEC-22.

17. Par décision n° 09-S-04 du 11 décembre 2009, l'Autorité de la concurrence a renvoyé le dossier à l'instruction afin de permettre aux parties, d'une part, d'accéder à l'intégralité des données en cause et, d'autre part, de produire d'ultimes observations écrites.

18. Cette décision expose que :

" 25. Il résulte des termes mêmes des dispositions [des articles L. 463-2 et L. 463-4 du Code de commerce] que le droit des entreprises et associations d'entreprises à l'accès au dossier doit être mis en balance avec la protection de leurs secrets d'affaires, et que cette mise en balance nécessite une appréciation au cas par cas.

26. L'article L. 463-4 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, opère cette conciliation en prévoyant qu'à la demande d'une partie, la protection de secrets d'affaires d'une autre partie peut être levée si la communication ou la consultation des documents visés lui est nécessaire pour l'exercice de ses droits de la défense. En vertu de l'alinéa 2 de l'article R. 463-15 du Code de commerce, le président du Conseil de la concurrence procède, en cas d'opposition de la partie qui a demandé le classement des documents concernés, à un arbitrage entre ces intérêts opposés, compte tenu de la situation concrète des parties, de la nature des informations concernées et de la nécessité pour la partie requérante d'y avoir accès pour se défendre, elle-même liée à la nature du grief notifié et au contexte du marché examiné. C'est ainsi qu'en présence de données particulièrement sensibles, dont on peut comprendre qu'une entreprise ne veuille pas qu'elles soient connues de ses concurrents, l'accès des parties doit être limité aux seules données strictement nécessaires à l'exercice de leurs droits de la défense, ce qui implique que les parties à la procédure consentent à limiter leur demande d'accès à ces seules données.

27. Le questionnaire mentionné au paragraphe 5 [le sondage de prix] a été envoyé à la fin de l'année 2007 à sept cents entreprises choisies en raison de leur importance sur le marché. Leurs réponses permettaient de connaître leurs conditions bancaires pour le traitement de leurs remises de chèques, tant en volumes qu'en montants, sur une large période de temps (couvrant les années 2001 à 2006). Leur divulgation à l'ensemble des banques, concurrentes entre elles sur ce marché du traitement des chèques, ne pouvait être envisagée sans précaution.

28. Les décisions n° 08-DEC-12, 09-DEC-01 et 09-DEC-22, en ordonnant, d'une part, que chaque partie aurait accès aux données la concernant et que l'accès intégral aux données intéressant les autres parties se ferait par l'intermédiaire des seuls avocats et économistes des parties, au sein des locaux du Conseil de la concurrence, selon des modalités garantissant l'impossibilité de prendre copie des données occultées, et en prévoyant, d'autre part, qu'un tiers certificateur accèderait à la totalité des pièces avant de dresser un tableau anonymisé recensant les données du sondage et consultable par les parties, ont tenté de concilier l'accès le plus large possible aux pièces du dossier avec la protection légitime des secrets d'affaires.

29. L'assentiment de la grande majorité des parties, exprimé dans leurs écritures, était un élément important de l'équilibre ainsi dégagé.

30. Lors de la séance du 24 novembre 2009 au cours de laquelle les banques mises en cause, comme cela avait été convenu avec le président de séance, se sont partagé les interventions orales, le conseil des Banques Populaires Participations (anciennement Banque Fédérale des Banques Populaires) a soutenu que les décisions n° 08-DEC-12, 09-DEC-01 et 09-DEC-22 n'étaient pas conformes à la lettre des dispositions des articles L. 463-4 et R. 463-13 à R-463-15 du Code de commerce. Il a souligné en particulier que ces dispositions n'autorisaient pas un aménagement du droit d'accès au dossier, qui ne distingue pas entre la consultation et la communication et ne permet pas de traiter différemment les parties de leurs conseils. Il en a déduit que cette méconnaissance des textes et, par voie de conséquence, du caractère contradictoire de la procédure entachait cette dernière d'irrégularité.

31. A la question du président de séance l'interrogeant sur le point de savoir si ce moyen était présenté au nom des seules Banques Populaires Participations, dont la position au cours de l'instruction a été retracée plus haut, ou au nom de l'ensemble des banques en cause, dont la quasi-totalité s'était opposée au déclassement et donc à l'accès des concurrents aux données les concernant, le conseil des Banques Populaires Participations a déclaré qu'il intervenait " au nom de l'ensemble des banques en cause ". Il n'a pas été démenti par les représentants des autres banques ou établissements financiers présents à la séance.

32. Il faut en déduire que l'ensemble des parties considèrent désormais que, contrairement aux positions antérieurement exprimées, seul un déclassement total des pièces couvertes par les décisions n° 08-DEC-12, 09-DEC-01 et 09-DEC-22 serait de nature à assurer le respect du principe du contradictoire et l'exercice effectif de leurs droits de la défense.

33. Cette position nouvelle impose de reconsidérer l'équilibre recherché dans les trois décisions précitées.

34. En conséquence, l'Autorité, conformément aux dispositions de l'article R. 463-7 du Code de commerce, renvoie le dossier à l'instruction afin qu'il soit permis aux parties, d'une part, d'accéder, dans les conditions qu'il appartiendra à la rapporteure générale de déterminer, à l'intégralité des données couvertes par les décisions n° 08-DEC-12, 09-DEC-01 et 09-DEC-22 et, d'autre part, de produire d'ultimes observations écrites dans le délai qui sera également fixé par la rapporteure générale ".

19. Il a été décidé que :

" Article unique : Le dossier enregistré sous le numéro 03/0037 F est renvoyé à l'instruction afin de permettre aux parties d'une part d'accéder, dans les conditions à déterminer par la rapporteure générale, à l'intégralité des données couvertes par les décisions n° 08-DEC-12, 09-DEC-01 et 09-DEC-22 et d'autre part à produire, dans un délai qui sera également fixé par la rapporteure générale, d'ultimes observations écrites ".

20. Par courrier en date du 5 janvier 2010, la rapporteure générale a transmis aux parties les données relatives au sondage de prix et aux volumes et montants des chèques émis, couvertes par les décisions n° 08-DEC-12, 09-DEC-01 et 09-DEC-22. Les parties ont déposé leurs observations, dans le délai de deux mois suivant cette transmission.

21. Une nouvelle séance devant l'Autorité de la concurrence s'est tenue le 13 avril 2010.

B. LE SECTEUR CONCERNÉ

1. LE CHÈQUE

a) L'utilisation du chèque en France

22. Le livre Ier du Code monétaire et financier, consacré à la monnaie, distingue entre la monnaie fiduciaire - composée de la monnaie métallique et des billets de banque - et la monnaie scripturale, dont les principaux instruments sont le chèque, la carte de paiement, le virement, la lettre de change et le billet à ordre.

23. Le chèque est un moyen de paiement très utilisé en France : en 2007, plus de 3,6 milliards de chèques ont été échangés, ce qui représente, en volume, 23,6 % des paiements scripturaux réalisés en France. A ce titre, la France constitue une exception européenne et représentait à elle seule 78 % du total des chèques échangés en 2006 dans la zone euro (2).

<emplacement tableau>

24. L'usage du chèque ne cesse de reculer en France, principalement au profit de la carte bancaire : alors qu'il représentait 70 % des paiements en 1984, ce chiffre n'était plus que de 50 % en 1996, 37 % en 2000 et 26 % en 2006. Sa disparition à moyen terme n'est toutefois pas acquise, puisque les utilisateurs continuent de le préférer à la carte pour les paiements de montant élevé : selon les données de la Banque de France, le montant moyen du chèque était de 555 euro en 2005, plus de dix fois supérieur au montant moyen des achats par carte bancaire qui était de 50 euro.

b) L'émission et la remise de chèques en France

25. Les moyens de paiements scripturaux tels que le chèque permettent le transfert de fonds tenus dans des comptes par des établissements de crédit ou des institutions assimilées à la suite de la remise d'un ordre de paiement.

26. Le système quadripartite propre au chèque met en rapport quatre acteurs selon le schéma suivant :

<emplacement tableau>

27. En France, la mise à disposition et la gestion des moyens de paiement relèvent du monopole bancaire et sont en principe réservées aux établissements de crédit, en vertu des dispositions des articles L. 311-1 et L. 511-5 du Code monétaire et financier. Le statut d'établissement de crédit est subordonné à l'obtention d'un agrément accordé par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (CECEI) - fusionné au sein de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) le 9 mars 2010 - et impose le respect d'une réglementation contraignante, sous le contrôle de la Commission bancaire.

28. Il existait 775 établissements de crédit agréés en France au 31 décembre 2007 (3). Ces établissements de crédit ne sont cependant pas tous actifs sur le marché des moyens de paiement, qui est principalement occupé par les grandes enseignes bancaires dotées de réseaux d'agences.

29. L'émission du chèque est réglementée afin notamment de protéger les consommateurs face aux établissements de crédit. L'article L. 131-71 du Code monétaire et financier impose ainsi aux banques de mettre " les formules de chèques (...) gratuitement à la disposition du titulaire du compte ". Dans le cadre du droit au compte, les établissements de crédit ont l'obligation de fournir à leurs clients deux chèques de banque par mois (article D. 312-5 du Code monétaire et financier). Enfin, les frais bancaires sont encadrés en cas d'incidents de paiement.

30. Au contraire, la remise de chèques n'est pas, en dehors de la contrainte du monopole bancaire, soumise à des contraintes réglementaires spécifiques. Les banques opèrent une distinction au sein de la catégorie des remettants, selon que ceux-ci remettent des chèques régulièrement et en grand nombre ou sur une base épisodique et en faibles quantités. En effet, si les consommateurs ne sont pas facturés directement, les " grands remettants " le sont, soit sur la base d'un prix global (cas des petits et moyens commerçants) soit à l'acte (cas des très grands remettants comme les entreprises de la grande distribution qui manipulent, au niveau national, des volumes de chèques allant de quelques millions à près de 100 millions de chèques par an).

c) Les modalités de rémunération des services relatifs à l'utilisation et à la remise de chèques

31. De manière générale, les banques recherchent la rentabilité globale des services qu'elles proposent au niveau de chaque client et non pas service par service. Dans le cadre de cette relation globale, tous les flux de paiement (cartes bancaires, chèques, espèces etc.), les crédits, les placements ou encore la gestion du compte peuvent être pris en compte par la banque afin de déterminer le prix des services bancaires qui seront effectivement facturés à un client donné. Un service peut dès lors être proposé à un prix impliquant une perte si un autre poste permet de couvrir cette perte.

32. Par ailleurs, les modes de rémunération des services liés à l'utilisation des moyens de paiement tels que le chèque sont variés et peuvent être combinés entre eux :

- la tarification directe du service de la remise de chèques, par exemple par le moyen de commissions à la transaction facturées aux clients ou de forfaits ;

- le float, qui correspond au produit du placement par la banque et pour son propre compte des sommes disponibles au crédit des comptes courants lesquels ne sont normalement pas rémunérés, le système des dates de valeur venant le cas échéant accroître cette rémunération (4) ;

- les commissions de mouvement, appliquées à une clientèle professionnelle, qui correspondent à un prélèvement sur chaque opération au débit réalisée par l'entreprise ou les commissions de recette, plus rares, qui consistent en un prélèvement sur chaque opération au crédit.

33. La rapidité d'un système de paiement influe sur le niveau de la rémunération des banques par le float : un système lent, caractérisé par un délai important entre l'émission de l'ordre de paiement et le débit du compte du client, avantage la banque du payeur, qui bénéficie plus longtemps des sommes disponibles au crédit du compte de son client afin de les placer à son profit. A l'inverse, un système de paiement rapide avantage la banque du bénéficiaire du paiement.

d) Le système de compensation des chèques interbancaires

34. La banque de l'émetteur d'un chèque (le " tireur ") n'étant pas nécessairement la même que la banque du bénéficiaire (le " remettant ") (5), un système de règlement interbancaire permet la compensation quotidienne des créances respectives des banques nées de ces paiements.

35. Cette procédure est régie par l'article L. 330-1 du Code monétaire et financier, qui dispose que : " Un système de règlements interbancaires (...) s'entend d'une procédure nationale ou internationale organisant les relations entre deux parties au moins, permettant l'exécution à titre habituel, par compensation ou non, de paiements (...) / Le système doit soit avoir été institué par une autorité publique, soit être régi par une convention-cadre respectant les principes généraux d'une convention-cadre de place ou par une convention type ". Dans le cas des chèques, le règlement n° 2001-04 du 29 octobre 2001 du Comité de la réglementation bancaire et financière (CRBF) relatif à la compensation des chèques énonce que " tout établissement assujetti tiré de chèques est tenu de participer, directement ou par l'intermédiaire d'un mandataire, aux opérations de compensation de chèques dans le cadre d'un système de règlement interbancaire au sens de l'article L. 330- 1 du Code monétaire et financier ".

36. Il existe en France trois systèmes interbancaires de paiement : deux systèmes réservés aux montants élevés, TBF et PNS, et un système spécifique aux paiements de détail, le Système Interbancaire de Télécompensation (SIT). En 2007, le SIT a échangé et compensé 12 439 milliards d'opérations interbancaires, dont 24 % de paiements par chèques, pour un montant de 5 206,95 milliards d'euro (6).

37. Interrogé par les services d'instruction, l'administrateur du G-SIT, le groupement d'intérêt économique constitué par les banques pour exploiter le SIT, a estimé à 18 % du nombre total de chèques en France la part des chèques ne transitant pas par le SIT (soit 720 millions de chèques sur les 4,1 milliards de chèques émis en 2004), à savoir essentiellement les chèques intrabancaires (voir aussi site internet de la Banque de France).

e) La sous-traitance de la remise de chèques

38. La sous-traitance des procédures de présentation au paiement des chèques, en principe exclue par le principe du monopole bancaire, est cependant autorisée par une convention professionnelle signée le 9 juillet 2003 en application des dispositions de l'article 7 du règlement 2001-04 du CRBF. La convention prévoit que les sous-traitants doivent être agréés par les banques et agissent sous la responsabilité pleine et entière de ces établissements.

39. Dans son avis n° 03-A-15 en date du 25 juillet 2003 relatif à l'acquisition de la société Atos Investissement par la société Experian Holding France, le Conseil de la concurrence estimait que la sous-traitance représentait en 2002 un volume de 3,3 milliards de chèques sur les 4,5 milliards de chèques émis. Sur ce marché, d'une valeur évaluée à 221 millions d'euro, les cinq premières entreprises détenaient 85 % des parts de marché, les deux premières ayant décidé de fusionner (ce qui a donné lieu à l'avis du Conseil). Le marché de la sous-traitance en matière de chèques est soumis à deux influences contraires que sont le recul de l'utilisation du chèque et l'externalisation croissante par les banques des activités de traitement des chèques.

2. LES PARTIES MISES EN CAUSE

a) Présentation des parties

BNP-Paribas

40. Le groupe BNP-Paribas est né de la fusion entre BNP et Paribas en mai 2000. En mai 2009, il a fait l'acquisition des activités de Fortis en Belgique et au Luxembourg, devenant ainsi un acteur de premier plan des services bancaires et financiers en Europe. Il s'agit par ailleurs la première banque française en termes de produit net bancaire. Elle a tiré 45 % de ses revenus dans l'activité de banque de détail en 2009.

La Société Générale

41. Fondée en 1864, la Société Générale figure au troisième rang des grandes banques françaises en termes de produit net bancaire. Le groupe s'appuie en France sur deux réseaux de distribution complémentaires, les agences de la Société Générale et celles du Crédit du Nord, dont il détient l'intégralité du capital depuis 2009. Si la Société Générale est présente sur les principaux métiers bancaires, la banque de détail constitue sa première activité et représente environ 50 % de son produit net bancaire.

Le Crédit du Nord

42. Le groupe Crédit du Nord est une fédération réunissant sept banques régionales, une société de gestion d'actifs et une société de bourse. La Société Générale détient l'intégralité de son capital depuis le 11 décembre 2009.

Le Crédit Agricole

43. Le Crédit Agricole SA est une société anonyme assurant les fonctions d'organe central du réseau du Crédit Agricole. Elle est contrôlée majoritairement par les Caisses régionales du Crédit Agricole.

44. Le groupe est actif dans les secteurs de la banque de détail, en France et à l'international, des services financiers spécialisés (gestion d'actifs, assurances, banque privée, crédit à la consommation, crédit-bail, affacturage) ainsi que de la banque de financement et d'investissement.

45. Le Crédit Agricole SA a acquis le Crédit Lyonnais le 19 juin 2003.

LCL - Le Crédit Lyonnais

46. Le 4 août 2003, le Crédit Lyonnais (devenu LCL en 2005) est devenu une filiale à plus de 99 % de Crédit Agricole SA. Opérant sous son enseigne propre, LCL est une banque de proximité en France pour les particuliers, les professionnels et les entreprises, à forte implantation urbaine. Son offre bancaire englobe toute la gamme de produits et services bancaires, les produits de gestion d'actifs et d'assurance et la gestion du patrimoine.

Les Banques Populaires

47. La Banque Fédérale des Banques Populaires (ci-après " BFBP ") est une société anonyme ayant la qualité d'établissement de crédit agréé en qualité de banque et assurant les fonctions d'organe central du réseau des Banques Populaires.

48. Elle est détenue par les différents établissements qui lui sont affiliés, à savoir 18 Banques Populaires régionales, la CASDEN Banque Populaire et, depuis l'acquisition en 2002 du groupe Crédit Coopératif, le Crédit Coopératif Banque Populaire. Ces établissements ont le statut légal de sociétés anonymes coopératives de banque populaire à capital variable.

49. La BFBP, en tant qu'organe central, exerce au sein du GBP les missions de définition de la stratégie, de coordination et d'animation de l'ensemble des entités sur lesquelles elle exerce un contrôle administratif, technique et financier. Elle met en œuvre la solidarité financière du groupe, définit la politique et les orientations stratégiques, négocie et conclut, pour le compte de son réseau, des accords nationaux et internationaux.

50. Le 31 juillet 2009, la BFBP a fusionné avec la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne pour former BPCE (voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-016 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d'Epargne et Banque Populaire). A cette occasion, la société a changé de dénomination pour devenir Banques Populaires Participations (" BP Participations ").

51. Le groupe est essentiellement actif dans les secteurs bancaires, immobiliers et de l'assurance.

Les Caisses d'Epargne

52. La Caisse Nationale des Caisses d'Épargne (ci-après " CNCE "), société anonyme, est un établissement de crédit agréé en qualité de banque, réunissant les fonctions d'organe central des établissements qui lui sont affiliés et de tête de réseau.

53. Le Groupe Caisse d'Épargne est constitué de 17 Caisses d'Épargne et de Prévoyance régionales (regroupant 287 sociétés locales d'épargne et 3,7 millions de sociétaires), lesquelles détiennent le capital de la CNCE. L'instance de concertation et de représentation de la CNCE est la Fédération Nationale des Caisses d'Épargne.

54. Le 31 juillet 2009, la CNCE a fusionné avec la Banque Fédérale des Banques populaires pour former BPCE. A cette occasion, la société a changé de dénomination pour devenir les Caisses d'Epargne Participations (" CE Participations ").

55. Le groupe est actif dans les secteurs de la banque de détail et de la banque commerciale via les Caisses d'Épargne, le Crédit Foncier, la Banque Palatine, dans le secteur des services immobiliers via un ensemble de sociétés et dans le secteur de l'assurance.

HSBC (Hong Kong Shanghai Banking Corp.)

56. HSBC, société de droit anglais dont le siège social est situé à Londres, est l'un des plus importants groupes de services bancaires et financiers au monde. Son réseau international se compose d'environ 8 000 agences réparties dans 88 pays.

57. HSBC France regroupe depuis 2000 l'ensemble des banques de l'ancien groupe Crédit Commercial de France (CCF) : UBP, Banque Hervet, Banque de Picardie, Banque de Baecque-Beau. Son activité s'exerce dans les métiers de banque de réseau, de grande clientèle, de gestion d'actifs et d'assurance ainsi que de banque privée.

La Banque Postale

58. La Banque Postale est une filiale bancaire du groupe La Poste, qui détient l'intégralité de son capital. Sa création est intervenue en application d'un accord conclu entre La Poste et l'Etat le 13 janvier 2004, par changement de dénomination de la société Efiposte, filiale de La Poste qui avait pour activité la réception, transmission et exécution d'ordres financiers, et par extension de son objet social aux opérations de banque. A partir du 1er mars 2010, La Banque Postale est devenue une société anonyme.

59. Le groupe La Poste est actif dans les secteurs du courrier, colis et express et des services financiers.

Le Crédit Mutuel

60. Le Crédit Mutuel est une banque mutualiste française. La Confédération nationale du Crédit Mutuel, association régie par la loi du 1er juillet 1901, constitue l'organe central du réseau.

61. Le Groupe Crédit Mutuel est constitué de 18 groupes régionaux (regroupant 287 caisses régionales et 1890 caisses locales), lesquels détiennent le capital de la Confédération nationale du Crédit Mutuel.

62. Avec sa filiale, le Crédit Industriel et Commercial, le groupe Crédit Mutuel constitue la deuxième banque de détail en France et est actif dans le secteur de la banque et de l'assurance.

Le Crédit Industriel et Commercial (CIC)

63. Le Crédit Industriel et Commercial (ci-après CIC), créé en 1859, est un groupement de sept banques régionales. Le Crédit Mutuel, qui avait acquis 67 % du capital du CIC en 1998 en est devenu l'unique actionnaire en 2001.

La Banque de France

64. La Banque de France a été créée en 1800. Son capital appartient à l'Etat en vertu de l'article L. 142-1 du Code monétaire et financier. Membre depuis 1999 de l'Eurosystème, elle contribue à la préparation et à la mise en œuvre de la politique monétaire unique de la zone euro. En tant que banque centrale, elle assure la bonne circulation de la monnaie, le suivi des marchés, la surveillance des moyens et systèmes de paiement et plus généralement la stabilité financière.

65. La Banque de France exerce également une activité bancaire de nature commerciale. Si elle n'a plus de clients particuliers à l'exception de son personnel, elle reste la banque du Trésor public et de quelques opérateurs historiques tels que la SNCF et France Télécom.

b) Volumes de chèques interbancaires émis et remis par les parties

66. Le tableau suivant indique le nombre de chèques interbancaires tirés (correspondant à la colonne de droite " volumes en réception ") et de chèques interbancaires émis (correspondant à la colonne de gauche " volumes en émission ") des principaux réseaux bancaires actifs en France au cours de l'année 2002, première année de mise en œuvre de la dématérialisation de la compensation des chèques interbancaires :

<emplacement tableau>

Source : G-SIT, cote 4076

C. LES PRATIQUES RELEVÉES

1. LE SYSTÈME D'ÉCHANGE DES CHÈQUES INTERBANCAIRES AVANT 2002

67. Jusqu'en 2002, la compensation quotidienne des créances respectives des banques nées des paiements par chèques était effectuée de manière manuelle, dans l'une des 104 chambres de compensation mises à disposition par la Banque de France dans ses succursales. Les banques dépendant du ressort de chaque chambre de compensation y convoyaient physiquement les vignettes de chèque qu'elles avaient reçues de leurs clients remettants afin de procéder à leur échange.

68. Jugé archaïque par l'ensemble des banques interrogées au cours de l'instruction, le système de compensation manuel entraînait pour elles d'importants coûts administratifs. C'est ce qui explique le projet de dématérialiser l'échange des créances nées des paiements par chèque, qui pouvait être réalisé au moyen de la création d'une " image " du chèque, soit par le commerçant bénéficiaire du paiement, soit par la banque remettante au moment de sa remise. La dématérialisation avait déjà été mise en œuvre s'agissant du virement automatisé, de la lettre de change relevé, des paiements par carte et des télépaiements. A la fin des années 1990, le chèque demeurait le seul instrument de paiement français à ne pas être intégré au SIT du fait de son absence de dématérialisation au niveau national.

69. Un premier essai de dématérialisation du chèque a été réalisé avec la création de neuf Centres Régionaux d'Echange d'Images Chèques (CREIC) mais la dimension régionale du projet, ainsi que le nombre réduit de chèques traités (moins de 10 % des chèques émis en France selon la Banque de France) ne pouvaient répondre à la demande d'une dématérialisation des milliards de chèques échangés chaque année au plan national. Cette réforme d'ampleur a été envisagée à deux reprises, en 1988 et en 1991, mais s'est heurtée à plusieurs obstacles, d'ordre technique, social (la suppression des emplois liés à la compensation manuelle des chèques) et financier (l'accélération des échanges modifiant les équilibres de trésorerie entre les banques).

2. LE PASSAGE AU SYSTÈME DE L'ECHANGE IMAGE CHÈQUES (EIC)

a) Les conditions favorables au passage à l'EIC en 1999

70. En 1999, une troisième occasion de réaliser la dématérialisation du chèque s'est présentée dans un contexte plus favorable. L'arrivée de l'euro au 1er janvier 2002 a été perçue à la fois comme une opportunité et comme l'une des dernières chances de moderniser le système français. La coexistence temporaire entre les deux monnaies nécessitait la création d'un circuit de compensation spécifique pour les chèques en euro aux côtés du circuit de compensation des chèques en francs. Il pouvait alors être envisagé soit de maintenir un système de compensation physique, ce qui aurait entraîné des coûts administratifs supplémentaires, soit de créer un circuit de compensation dématérialisé, laissant l'échange papier disparaître en même temps que disparaissaient les chèques en francs.

71. Par ailleurs, la Banque de France souhaitait réduire ses coûts en supprimant la mise à disposition de son réseau de succursales pour le fonctionnement des 104 chambres de compensation (7). Elle indique également dans ses observations que les obstacles sociaux étaient devenus surmontables à cette date (observations du 27 mai 2008, cote 6756 et s ., § 40).

72. Enfin, le système de compensation des créances non matérielles SIT avait été conçu dès l'origine pour pouvoir accueillir à terme les flux de chèques. L'administrateur du G-SIT a indiqué lors de son audition du 9 mars 2007 : " pour le G-SIT, la mise en place de l'EIC a été totalement absorbée sans surcoût, les coûts fixes n'étant pas fonction de la volumétrie et le réseau SIT ayant été conçu dès l'origine pour supporter une dématérialisation de 100 % des moyens de paiement interbancaires ". L'intégration des flux de chèques dans les circuits de paiement dématérialisés avait en outre pour effet de consolider l'avance du SIT par rapport à ses concurrents européens, ce qui pouvait conférer aux banques françaises un avantage dans le cadre de la mise en place de l'espace unique de paiements européen.

73. Un document interne du Crédit Mutuel indique qu'en 1999, les banques évaluaient les gains administratifs liés au passage à un système de compensation dématérialisé à 600 millions de francs (91 millions d'euro) par an pour l'ensemble de la profession (cote 1901). Cela est confirmé par le rapport du groupe de travail " évolution des échanges de chèques ", composé des neuf établissements bancaires traitant les plus gros volumes de chèques, en date du 6 mai 1999 : " comparée à la solution d'échange physique dans les compensations, cette solution EIC représenterait globalement une économie pour la profession en matière de coût administratif de traitement " (cote 895).

b) Les réunions de la Commission Inter-Réseaux

74. Les négociations qui ont conduit à l'adoption du système de compensation de l'Echange Image Chèque (EIC) ont été menées au sein de deux commissions réunissant les principaux établissements bancaires.

75. Les modalités techniques de la réforme, consensuelles, ont été définies au sein du comité français d'organisation et de normalisation bancaire (CFONB). Il a été décidé d'éliminer la circulation physique de 98% des chèques, l'échange physique étant maintenu pour les chèques de montant élevé (supérieurs à 5 000 euro), les chèques hors norme et des chèques sélectionnés de manière aléatoire à des fins de contrôle (voir la synthèse du rapport du 6 mai 1999 précité, et le rapport au CFNOB du 22 octobre 1999 sur l'actualisation des normes relatives à l'échange d'Images Chèques, cote 1403 et s.). En conséquence, la quasi- totalité des chèques sont désormais bloqués au niveau de la banque remettante, qui en assure le traitement administratif.

76. Les enjeux liés à la définition des conditions interbancaires du nouveau système ont fait l'objet de négociations au sein de la Commission Inter-Réseaux (ci-après " CIR "), qui regroupait le Crédit Mutuel, le Crédit Agricole, la Banque de France, BNP-Paribas, la Société Générale, les Banques Populaires, La Poste, les Caisses d'Epargne, le Crédit Lyonnais, le Crédit Commercial de France, le CIC et le Crédit du Nord. Ont par ailleurs suivi l'avancée des négociations le G-SIT, l'Office de coordination bancaire et financière (OCBF) et l'Association française des banques (AFB). Ces négociations ont porté sur quatre points :

- l'heure d'échange des chèques (HAJE, ou heure d'arrêté de la journée d'échange) ; - l'écart entre la date d'échange des chèques et la date de règlement interbancaire (8) ;

- le sens, le montant et les modalités de calcul d'une commission interbancaire,

- et les conditions applicables aux opérations connexes.

77. Un groupe de travail restreint a été mis en place (9), chargé d'établir un rapport pour " présenter des solutions en matière de conditions entre banques susceptibles de recueillir un accord au sein de la profession ".

78. Le groupe de travail a remis le 22 juin 1999 un rapport sur les trois premières questions identifiées ci-dessus (cotes 914 et s.). Il a émis diverses propositions à l'attention de la CIR concernant les deux principaux enjeux de l'EIC identifiés par les banques : la modification des équilibres de trésorerie entre banques du fait de l'accélération de la compensation des chèques, et la question de la cohérence des moyens de paiement.

La modification des équilibres de trésorerie entre les banques

Le choix de la date de règlement interbancaire et l'accélération des échanges de chèques

79. La dématérialisation des échanges permettait la réduction du temps de traitement des opérations de compensation interbancaire, puisque ce système prévoyait une compensation informatisée en lieu et place d'un traitement manuel nécessitant un transport vers la chambre de compensation.

80. Selon le rapport du 22 juin 1999 (cote 917), le délai moyen entre la date d'achat (DA) et la date de règlement interbancaire (DRI) dans l'ancien système de compensation manuelle des chèques était estimé à 3,4 jours, décomposé comme suit :

<emplacement tableau>

81. Le délai entre date d'échange (DE) et date de règlement interbancaire (DRI) était connu : il était de un jour (J+1) pour les chèques tirés sur une banque dépendant de la même chambre de compensation que la banque remettante (chèques " sur place ", correspondant à 88 % des capitaux selon le rapport), et de trois jours (J+3) pour les chèques tirés sur une banque dépendant d'une chambre de compensation différente de celle de la banque remettante (chèques " hors place ", soit 12 % des capitaux selon le rapport), soit 1,2 jour en moyenne.

82. Le délai entre date d'achat (DA) et d'échange (DE) n'était pas connu et son estimation repose sur des hypothèses émises par le groupe de travail. Le rapport prend pour hypothèses un délai moyen entre date d'achat (DA) et date de remise (DR) de un jour, ainsi qu'un délai entre date de remise (DR) et date d'échange (DE) de un jour pour 82 % des capitaux et de deux jours pour 18 % des capitaux (chèques " hors place repaysés " (10)), soit 1,2 jour en moyenne.

83. Le rapport du 22 juin 1999 propose une évaluation de l'accélération des échanges de chèques permise par le futur système EIC.

84. Il tient compte de trois facteurs d'accélération :

- la possibilité pour les clients de remettre des images-chèques à leur banque (réduction de l'écart entre DA et DR) ;

- le fait qu'une créance immatérielle s'échange plus vite qu'une créance papier (réduction de l'écart entre DR et DE) ;

- la disparition des chambres de compensation physiques et donc de la distinction entre chèques " hors place " et " sur place " (réduction de l'écart entre DE et DRI).

85. Par ailleurs, le rapport indique que l'accélération des échanges repose sur deux facteurs qui doivent faire l'objet d'une décision de la CIR :

- le choix de l'Heure d'Arrêté de la Journée d'Echange (ci-après HAJE), c'est- à-dire de l'heure limite d'échange des images-chèque présentées au cours d'une journée, qui influe sur le délai entre la date d'achat (DA) et d'échange (DE) ;

- la définition du délai entre date d'échange (DE) et date de règlement interbancaire (DRI), désormais identique pour tous les chèques.

86. Le rapport envisage ainsi l'accélération attendue des échanges selon diverses hypothèses (HAJE à 9 h ou 18 h ; délai DE-DRI de zéro à deux jours ouvrés). Aux termes du rapport : " c'est avec un écart entre échange et règlement de deux jours ouvrés que l'on s'éloigne le moins de la Date de Règlement Interbancaire moyenne actuelle de 3,4 jours. (...) Mais on peut, à juste titre, considérer que ce n'est pas une bonne solution de substituer à des délais qui trouvaient leur origine dans l'acheminement et le traitement de papiers, des délais conventionnels entre échange et règlement appliqués à des enregistrements magnétiques. Dans ce cas, il serait légitime d'étudier des solutions où le délai entre échange et règlement serait de un jour, voire de zéro jour dans le cas de l'HAJE à 9h pour laquelle cela serait techniquement possible. Et, comme de telles solutions modifient les Dates de Règlement Interbancaire, il faut se poser la question d'une commission entre banques pour maintenir les équilibres entre les banques d'une part, entre les moyens de paiement d'autre part " (cote 922).

87. Pour le choix d'une HAJE à 18 h, et d'un écart entre DE et DRI de 1 jour ouvré, qui correspond au choix finalement adopté par la CIR, le groupe de travail estime que le délai entre DA et DRI sera compris entre 1,8 et 2,3 jours ouvrés dans le nouveau système EIC (cote 922). Ceci correspond donc, par rapport à l'ancien système, à une accélération des échanges comprise entre 1,1 et 1,6 jour ouvré.

88. Le rapport analyse ainsi les conséquences de l'accélération des échanges pour le secteur bancaire dans son ensemble, et pour chaque établissement en particulier : " En terme de bilan, si l'on se place du seul point de vue des échanges interbancaires, toute modification de la date de règlement interbancaire aboutit à un jeu à somme nulle pour la profession. Chaque établissement gagne ou perd en fonction du solde moyen en capitaux de ses échanges et de sa capacité à profiter, mieux ou moins bien que les autres, des possibilités d'encaissement rapides offertes par le nouveau système (...) [S]i l'on se place du point de vue de chaque établissement, chacun doit ajouter aux éléments ci-dessus le concernant :

- les économies et surcoûts administratifs de traitement des opérations en tant que banquier remettant et en tant que banquier tiré,

- les conséquences que pourraient avoir les nouvelles règles interbancaires sur les transferts potentiels de flux de clientèle. (...)

Ces calculs, dont on sait la part d'incertitude qu'ils comportent, sont à faire en régime de croisière en intégrant l'amortissement des surcoûts liés au passage d'un système à l'autre " (cote 915).

L'instauration d'une commission interbancaire

89. L'accélération du temps de traitement des chèques a pour conséquence la modification des équilibres de trésorerie entre les banques, dès lors que les banques majoritairement tirées de chèques perdent plus rapidement la disposition des soldes oisifs des émetteurs de chèques, et donc la possibilité d'obtenir une rémunération par le float en plaçant les sommes correspondantes à leur profit, les banques majoritairement remettantes bénéficiant au contraire de la possibilité de placer plus rapidement les sommes correspondantes encaissées par les bénéficiaires des chèques.

90. Pour compenser cette modification, le rapport du 22 juin 1999 propose à la CIR l'application d'une commission à la transaction versée par la banque du remettant à la banque du tiré.

91. Le rapport propose de retenir le principe d'une commission d'un montant fixe par chèque tiré. Il précise que " si cette commission était proportionnelle au montant des chèques, elle n'apporterait rien d'autre par rapport à des écarts entre échange et règlement que l'inconvénient d'être soumise à la TVA dont une part importante n'est pas récupérable par les banques. Si cette commission était d'un montant fixe par chèque, elle s'intégrerait dans la logique de rémunération des services rendus par des commissions fixes entre banques pour les moyens de paiement automatisés mis en recouvrement par le créancier. En effet, pour les autres moyens de paiement de ce type, Avis de Prélèvement, TIP, LCR et paiements par cartes, le banquier du créancier verse déjà au banquier du débiteur une commission " (cote 922).

92. Le rapport calcule la commission qui serait de nature à compenser en moyenne le " décalage de trésorerie interbancaire ", sous diverses hypothèses de choix HAJE / DE- DRI. Ce montant est calculé par le produit du montant moyen du chèque (3 000 francs), de l'accélération du délai de règlement interbancaire prévue (1,1 à 1,6 jour ouvré), et du taux d'intérêt auquel la banque peut placer les sommes dont elle a la disposition (3 %).

<emplacement tableau>

cote 924

La " cohérence entre les différents moyens de paiement "

93. La préoccupation de ne pas rendre le chèque plus attractif que d'autres moyens de paiement automatisés moins coûteux est également avancée par le groupe de travail restreint de la CIR au soutien du principe de création d'une commission interbancaire.

94. Aux termes du rapport du 22 juin 1999 : " Au-delà du bilan propre au passage à l'EIC il ne faut pas perdre de vue le fait que le chèque restera un moyen de paiement dont la partie essentielle du traitement restera sous forme papier. Son coût global pour la collectivité restera donc plus élevé que celui des moyens de paiement automatisés. Il ne faudrait pas que certains acteurs soient amenés à préférer le chèque avec EIC à des moyens de paiement automatisés du seul fait que les conditions entre banques qui seraient retenues le rendent plus attractif que ceux-ci soit pour le couple créancier-banque du créancier, soit pour le couple débiteur-banque du débiteur " (cote 916).

95. Le rapport compare les conditions interbancaires relatives au chèque avec celles des autres moyens de paiement, tous caractérisés par le paiement de commissions interbancaires (cotes 925 et 926) (11) :

<emplacement tableau>

96. Aux termes du même rapport : " Le chèque avec EIC sera aussi performant que les moyens de paiement avec lesquels il est en concurrence en ce qui concerne le délai jusqu'à l'échange interbancaire. Pour que les créanciers et leurs banques ne le préfèrent pas aux autres moyens de paiement il faut que l'ensemble, commission versée par le banquier du remettant, écart entre échange et règlement, ne soit pas plus favorable au banquier du remettant pour le chèque avec EIC. Les principaux concurrents du chèque sont le TIP pour le paiement à distance qui est réglé à J+1 avec 0,50 F de commission et la carte pour le paiement de proximité qui est réglée à J avec une commission fixe de 0,70 F plus commission proportionnelle correspondant à la garantie " (cote 912).

97. La conclusion du rapport du 22 juin 1999 résume les questions soumises à la décision des participants : " les analyses faites par le groupe de travail l'amènent à poser aux instances de décision les questions suivantes :

- est-il souhaitable que la solution retenue maintienne les équilibres entre banques ?

- est-il possible et souhaitable de créer pour l'EIC une commission fixe entre banques dans la lignée de ce qui se fait pour les autres moyens de paiement présentés au recouvrement ?

- est-il préférable de maintenir pour le chèque une rémunération entre banques par des délais. Et dans ce cas, faut-il le faire en maintenant les échanges papier actuels. Ou peut-on le faire avec de l'EIC et un écart entre échange et règlement de deux jours ?

- faut-il faire de l'EIC dans des conditions qui font bénéficier les remettants d'une amélioration des délais d'encaissement ? "

Les positions respectives des banques sur ces points

98. Il résulte du rapport du 22 juin 1999 et du compte rendu de la réunion de la CIR du 1er juillet 1999 que les banques ont initialement défendu des positions divergentes au cours des négociations :

Au sein du groupe de travail un nombre significatif d'établissements font l'analyse suivante:

• le maintien global des équilibres interbancaires actuels est justifié pour éviter que l'EIC ne soit une réforme ne profitant qu'aux remettants au détriment de l'ensemble de la profession.

• le règlement à J+ 2 qui permettrait de maintenir ces équilibres, ne tiendrait pas devant les pressions basées sur l'argument que le passage des échanges papier à la télétransmission ne doit pas avoir pour effet un allongement du délai entre échange et règlement.

• la combinaison d'une commission fixe versée par la banque du remettant et d'un raccourcissement des délais permet de maintenir les équilibres globaux mais modifie l'équilibre individuel de chaque établissement C'est toutefois une solution qui va dans la logique de la rémunération des services par des commissions fixes et non par des floats, logique appliquée aux moyens de paiement concurrents.

Ces établissements sont d'accord sur la solution HAJE à 18h, règlement à J+1, commission de l'ordre de 0,50 F versée par la banque du remettant à la banque du tiré.

Les autres établissements ont en commun de considérer qu'une commission fixe versée par la banque remettant à la banque tirée est une solution qui n'est ni souhaitable dans les principes ni applicable à l'occasion de la réforme EIC. Ils considèrent notamment que le risque de voir le chèque avec EIC mordre sur le TIP et le paiement par carte pour lesquels il y a une commission entre banques est faible.

En ce qui concerne l'HAJE et l'écart entre échange et règlement, ces établissements se partagent entre :

• HAJE à 18h et règlement à J+2, solution qui maintient les équilibres interbancaires de chacun,

• HAJE à 9h et règlement à J+1,

• HAJE à 18h et règlement à J+1,

• HAJE à 9h et règlement à J.

Les partisans de ces trois dernières solutions considèrent que le maintien des équilibres interbancaires n'est pas un objectif en soi et que l'anticipation du règlement interbancaire qui bénéficie à la banque du remettant est à mettre en balance avec les charges nouvelles que lui apporte l'EIC et des allégements qu'il apporte à la banque tirée.

(Synthèse du rapport sur les conditions entre banques de l'EIC, cote 913)

99. Les représentants des différents établissements bancaires expriment leur point de vue lors de la réunion de la CIR du 1er juillet 1999.

100. Le compte rendu de cette réunion (cotes 930 et s.) montre que certaines banques critiquent la proposition d'une commission fixe interbancaire, soit pour des raisons de principe, soit pour des raisons tenant aux modalités envisagées par le groupe de travail :

- le représentant de la Société Générale " se pose la question de savoir s'il est opportun de lier la mise en place de l'EIC et (...) la mise en place d'une commission fixe par chèque " et " se demande si cette commission ne devrait pas être versée par le banquier tiré au banquier remettant " ;

- le représentant du Crédit du Nord " insiste sur le fait que les équivalences entre commission fixe versée et gain en délai d'encaissement, même si elles sont vraies au niveau global, ne le sont plus pour chaque établissement en fonction des montants moyens des chèques qu'il présente et reçoit " ;

- le représentant de Paribas indique qu'il " n'est pas favorable à une commission fixe dont il ne voit pas bien la justification économique ",

- le représentant du Crédit Lyonnais " trouve séduisants les arguments en faveur de la cohérence des moyens de paiement mais n'est pas sûr que ce soit le moment de modifier profondément les conditions entre banques du chèque " et " s'interroge sur la justification économique d'une telle commission " ;

- le représentant des Banques Populaires indique qu'il " ne sait pas s'il est opportun que les conditions entre banques de l'EIC permettent de maintenir les équilibres interbancaires qui existent actuellement avec les échanges papier " et qu'il " considère que l'approche commission fixe ne permet pas un tel maintien à cause des montants moyens différents des chèques des différents établissements " ;

- le représentant du CIC indique qu'il est " contre les commissions fixes versées par le banquier remettant au banquier tiré ".

101. La Banque de France est également opposée à la création d'une commission interbancaire, mais cependant disposée à accepter un compromis afin qu'un accord soit trouvé sur le projet de l'EIC. Son représentant indique ainsi au cours de la réunion du 1er juillet 1999 que la Banque de France " considère que la commission fixe n'est pas souhaitable mais qu'une voie de compromis serait soit de réduire le montant de 0,50 F envisagé, soit de réduire la durée de vie de cette commission ". Par ailleurs, il indique qu'un " délai de J+2 entre échange et règlement interbancaire serait à son avis difficilement acceptable ".

102. D'autres banques soutiennent le principe de la création d'une commission interbancaire telle qu'envisagée par le groupe de travail :

- le représentant des Caisses d'Epargne indique que celles-ci " sont favorables à la première solution présentée par le groupe de travail basée sur une HAJE à 18 h, un règlement à J+1, et une commission fixe de 0,50 F versée par la banque remettante à la banque tirée ",

- le représentant du Crédit Agricole indique également être favorable à cette première solution,

- le représentant de La Poste se prononce également en faveur de cette solution et indique qu'à défaut " le maintien des équilibres par conservation du délai d'encaissement moyen actuel pourrait être envisagé ",

- le représentant du Crédit Mutuel " est favorable au règlement à J+1 et serait ouvert à la suggestion de la Banque de France de modération du montant de la commission ",

- le représentant de la BNP indique être " résolument pour l'EIC et la commission fixe versée par la banque remettante, bien qu'elle soit elle-même beaucoup plus remettante que tirée " et que la banque " met en majeur dans son analyse la cohérence des moyens de paiement dans leur ensemble ".

103. Enfin, le représentant du CCF estime que la dématérialisation entraînera de profondes évolutions du secteur du chèque, qu'il convient d' " attendre avant de se reposer la question d'une réduction des délais d'encaissement et d'une éventuelle commission fixe ".

Le traitement des opérations connexes

104. Les opérations connexes recouvrent l'acheminement des vignettes circulantes, les rejets, l'établissement des avis de rejet ou attestation de non-paiement, les demandes et la fourniture des renseignements, les demandes et la fourniture de reproduction des vignettes, les annulations d'opérations compensées à tort (AOCT) (12) avec leurs éventuels rejets, l'archivage des vignettes ou de leur reproduction.

105. Aux termes du rapport du 22 juin 1999 : " Chaque fois que le nombre d'opérations d'une catégorie relève du choix d'un établissement et que la charge de traitement incombe à un autre, il faut prévoir une commission couvrant au minimum le coût de revient de l'opération demandée pour inciter à la limitation au strict nécessaire des opérations représentant une charge administrative. Par ailleurs, l'EIC a pour conséquence que des fonctions qui étaient précédemment assurées par un banquier vont être assurées par un autre. C'est le cas de l'archivage et de l'établissement des avis de rejet ou attestation de non-paiement ".

106. Le rapport envisage deux solutions : " considérer que ceci fait partie pour chaque établissement du bilan qu'il doit faire des avantages et inconvénients que lui apporte l'EIC, considérer que ces transferts de charge identifiés doivent donner lieu à une rémunération spécifique ".

107. La création de huit commissions interbancaires est proposée par le groupe de travail restreint de la CIR dans le cadre du rapport relatif aux opérations connexes de l'échange d'Images Chèques du 28 décembre 1999 (cote 1429 et s.). Les montants proposés correspondent à ceux qui seront finalement retenus par la CIR lors de sa réunion du 3 février 2000.

c) Le bilan prévisionnel du passage à l'EIC réalisé par le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel et le CIC

108. Des évaluations prévisionnelles du passage à l'EIC ont été effectuées en interne par le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel et le CIC au moment des négociations qui ont pris place au sein de la CIR.

Le Crédit Agricole

109. L'évaluation interne du Crédit Agricole ressort d'un document du comité de direction du CEDICAM du 8 décembre 1999 et porte à la fois sur les conséquences liées aux conditions interbancaires (transferts de trésorerie et gains administratifs) et sur les conséquences éventuelles que l'EIC pourrait avoir sur la clientèle de la banque (cotes 1519 et s).

110. La banque prévoit une perte nette de trésorerie liée à l'accélération du règlement interbancaire de 50 millions de francs dans le cas d'une HAJE située en fin de journée, et des gains administratifs de 155 millions de francs, c'est-à-dire un gain net de 105 millions de francs. Le document conclut ainsi : " les conséquences de l'organisation des images chèques dans les conditions interbancaires restent mesurées et sont couvertes par les gains que l'on peut attendre sur les traitements " (cote 1523).

111. Le document prévoit par ailleurs une incidence négative de l'EIC sur les conditions proposées à la clientèle, en prenant pour hypothèse la disparition totale de la pratique des dates de valeur. La banque estime qu'une telle disparition se traduirait par une perte de 150 millions de francs côté remettant et de 250 millions de francs côté tiré dans le cas d'une HAJE fixée en fin de journée.

112. S'agissant de la commission interbancaire envisagée en réponse à la modification des équilibres de trésorerie, il est précisé que " cette pratique suppose (...) la possibilité de répercuter au remettant tout ou partie de cette commission et donc de lui facturer ses remises en fonction du nombre de chèques remis " (cote 1524).

Le Crédit Mutuel

113. Le Crédit Mutuel a réalisé le 27 septembre 1999 une estimation des conséquences du passage à l'EIC en prenant pour hypothèse une accélération du délai des échanges de chèques (écart entre DA et DRI) de 1,6 jour ouvré (cotes 2520 et 2521).

114. Le Crédit Mutuel estime que le passage à l'EIC entraînera, hors mécanisme de compensation, une perte nette de trésorerie de 23,8 millions de francs et des gains administratifs de 42,1 millions de francs, soit un gain net de 18,3 millions de francs (2,8 millions d'euro). Le Crédit Mutuel estime qu'une commission interbancaire de 0,34 franc lui permettrait de conserver les équilibres de trésorerie antérieurs au passage à l'EIC, compte non tenu des gains administratifs attendus du système.

Le CIC

115. Une évaluation des conséquences du passage à l'EIC a été réalisée par le Crédit Mutuel pour le compte de sa filiale le CIC (cote 1867).

116. Ce document évalue à 27 millions de francs le montant annuel des gains administratifs retirés du nouveau système. Le bilan du passage à l'EIC avec création d'une commission interbancaire est effectué sous diverses hypothèses :

- une commission de 0,025 euro, soit 0,1639 franc, se traduirait par un gain net global de 4,87 millions de francs ;

- une commission de 0,030 euro, soit 0,1967 franc, se traduirait par un gain net global de 4,5 millions de francs ;

- une commission de 0,035 euro, soit 0,2295 franc, se traduirait par une perte nette globale de 3,98 millions de francs ;

- une commission de 0,040 euro, soit 0,2632 franc, se traduirait par une perte nette globale de 8,53 millions de francs.

d) L'accord sur les conditions interbancaires de la mise en place de l'EIC

117. Un accord sur les conditions interbancaires du passage à l'EIC est acté lors de la réunion de la CIR en date du 3 février 2000 (voir le compte rendu de cette réunion, cote 941 et s.).

Les conditions interbancaires retenues

118. Les modalités interbancaires suivantes sont fixées :

- écart entre date d'échange (DE) et date de règlement interbancaire (DRI) de 1 jour pour tous les chèques ;

- HAJE à 18 h ;

- création de la commission d'échange image-chèque (CEIC), commission interbancaire versée par la banque du remettant à la banque du tireur d'un montant maximum de 4,3 centimes d'euro ;

- création de huit commissions interbancaires versées à l'occasion d'opérations connexes (commissions pour services connexes - CSC).

<emplacement tableau>

Cote 947 (13)

Durée d'application

119. Il résulte du compte rendu de la réunion de la CIR du 3 février 2000 que les conditions interbancaires du passage à l'EIC sont fixées pour une durée de trois ans :

" M. S. [président de la CIR] précise que les conditions proposées à la Commission seront applicables à partir du 1er janvier 2002, valables pour 3 ans, c'est-à-dire jusqu'au 31/12/2004 et propose un rendez-vous à l'automne 2004 pour fixer les conditions qui seront applicables à partir du 1/1/2005 sur la base d'un bilan des 3 ans écoulés et de l'évolution constatée des équilibres par rapport aux équilibres actuels.

A M. S [représentant de La Poste] qui s'étonne de la nécessité d'un réexamen des conditions en 2004, M. S. répond qu'il est habituel de revoir les conditions au bout de 3 ans : c'est une règle générale de l'interbancaire ; ces conditions ne peuvent être fixées pour l'éternité. Par ailleurs, cette révision fait partie des conditions nécessaires à l'obtention du consensus ".

120. Par ailleurs, le représentant du Crédit Lyonnais souligne que les commissions sur chèque circulant et les commissions pour demandes de télécopie lui paraissent sous-estimées. A l'issue des débats, la CIR accepte " de fixer, pour 3 ans à dater du 1/1/2002, les conditions d'échange de l'EIC " telles que proposées par le groupe de travail, " étant précisé que les commissions relatives aux demandes de télécopies seront à réétudier sur la base des statistiques de la première année, dès que celles-ci seront connues. Elles seraient revues si elles s'écartaient des hypothèses de travail retenues à ce stade " (cote 943).

121. Il est établi que les parties à l'accord ne se sont pas réunies pour réévaluer, comme elles l'avaient prévu, le principe et le niveau des commissions interbancaires avant 2007.

e) Le règlement n° 2001-04 du CRBF et la convention professionnelle sur l'Echange d'Images-Chèques

122. Le règlement du Comité de la règlementation bancaire et financière (CRBF) n° 2001-04 du 29 octobre 2001 relatif à la compensation des chèques, homologué par arrêté du 17 décembre 2001 (JO 20 décembre 2001) encadre les modalités de l'échange dématérialisé dans le cadre du nouveau système de l'EIC.

123. Il prévoit la signature d'une convention professionnelle pour définir, notamment, les modalités de réalisation des opérations de compensation des chèques sous forme dématérialisée (article 2). Cette convention a été conclue le 9 juillet 2003 entre l'Association Française des Etablissements de Crédit et des Entreprises d'Investissement (AFECEI), la Banque de France, la Caisse des Dépôts et Consignations, le ministre en charge des finances publiques, l'Institut d'Emission des Départements d'Outre-mer et La Poste (cotes 948 et s.).

124. Aux termes de l'article 4.5 de cette convention : " L'établissement remettant qui a constitué l'image-chèque est tenu d'assurer l'archivage des vignettes définies comme non circulantes. Cette fonction est exercée pour le compte de l'établissement tiré sans possibilité de substitution ".

125. Aux termes de son article 4.6 : " (...) l'établissement tiré est en droit de réclamer et d'obtenir auprès de l'établissement remettant l'original ou la copie du chèque, soit pour son propre compte, aux fins de contrôle, soit pour répondre à la demande d'un client ou d'un tiers autorisé. (...) Que l'on se trouve ou non dans un contexte interbancaire, la transmission de la vignette ou de sa copie peut donner lieu à défraiement par l'établissement tiré de la charge administrative exposée à cette occasion par l'établissement remettant, à l'exclusion de tout autre paiement. Le montant maximum de ce défraiement est fixé dans les conditions suivantes :

- dans le cadre de ses missions, telles que décrites à l'article L. 511-29 du Code monétaire et financier, l'AFECEI organise, au moins tous les 3 ans, une concertation relative à ce sujet, (...) ; pour la première fois cette concertation sera engagée dans le trimestre suivant l'adoption de la présente convention ;

- l'évaluation du défraiement est effectuée sur la base des coûts estimés par un échantillon d'établissements contractants considéré comme représentatif par les signataires

La circulation a priori d'une partie des vignettes présentées au paiement sous forme d'images-chèques s'effectue dans des conditions de délai et de défraiement répondant aux mêmes exigences que celles qui sont décrites ci-dessus pour la communication a posteriori ".

3. LE MONTANT DES COMMISSIONS INTERBANCAIRES COLLECTÉES

<emplacement tableau>

Cote 6014

4. LA RÉVISION DES CONDITIONS INTERBANCAIRES DE L'EIC EN 2007

126. La révision des conditions interbancaires de l'EIC a été effectuée au cours de l'année 2007, alors que l'instruction de la présente affaire devant les services du Conseil de la concurrence était en cours.

127. Le 20 juillet 2007, le gouverneur de la Banque de France adresse une lettre au président de la Fédération Bancaire Française au sujet des commissions temporaires tarifant les échanges d'images-chèques, signalant qu'il " considère que ces commissions ne sont plus justifiées et qu'il doit donc être mis fin dans les plus brefs délais à leur facturation " (cote 3698).

128. La CEIC est supprimée avec effet rétroactif au 1er juillet 2007 par une décision du 4 octobre 2007, signée par la Banque de France, la Banque Fédérale des Banques Populaires, BNP - Paribas, la Caisse Nationale des Caisses d'Épargne, la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, le Crédit Agricole SA, HSBC France, La Banque Postale et la Société Générale, aux termes de laquelle : " En réponse à la lettre de la Banque de France en date du 20 juillet 2007 reçue par le GSIT et communiquée aux membres participants, les représentants dûment habilités des établissements ci-dessous qui participaient à la Commission Inter Réseaux du 3 février 2000 et qui opèrent dans l'échange d'images- chèques, conviennent que la [CEIC] est supprimée à compter du 1er juillet 2007 " (cote 4098).

129. Par ailleurs, les établissements qui participaient à la CIR créent le même jour un groupe de travail pour assurer, selon les modalités prévues par la convention professionnelle EIC du 9 juillet 2003, l'examen des CSC instituées à l'occasion du passage à l'EIC, à l'exception des commissions pour annulation d'opérations compensées à tort (AOCT). A cet effet, un relevé de coûts est réalisé auprès des principaux établissements bancaires, dont le traitement est confié au cabinet de conseil Latham & Watkins afin de respecter la confidentialité des données transmises (cote 4109).

130. Lors de la réunion du comité plénier du groupe de travail en date du 27 novembre 2007, les participants décident la révision des CSC selon les modalités suivantes :

- le montant de la commission sur image-chèque circulante est ramené de 0,15 à 0,12 euro ;

- le montant de la commission sur rejet d'image-chèque est maintenu à 3 euro ;

- les commissions sur demande de télécopie recto de 2,7 euro et recto/verso de 3 euro sont réunies en une seule commission de 1 euro et le montant de la commission sur demande de télécopie avec original est ramené de 7 à 4,12 euro (voir le relevé de conclusions de la réunion, cote 4102).

131. Les participants conviennent d'une révision périodique des CSC selon les modalités suivantes (cote 4102) :

4. AUTRES ORIENTATIONS PRISES PAR LE COMITE PLENIER

* le niveau des commissions fera l'objet d'une révision périodique, tous les trois ans, comme stipulé dans la Convention professionnelle EIC et pour la prochaine fois à l'automne 2010.

* concernant les exercices d'évaluation ultérieurs, la base des coûts estimés fera l'objet d'un réexamen, début 2010, sur la base d'un cahier des charges ad'hoc, pour tenir compte des évolutions qui seront intervenues tant chez les Etablissements, que dans les infrastructures (STET) et les pratiques de place concernant l'image chèque.

D. LES GRIEFS NOTIFIÉS

132. Sur la base des constatations qui précèdent, par courrier du 14 mars 2008, le rapporteur général a notifié à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, à Crédit Agricole SA, à la Banque de France, à BNP-Paribas, à la Société Générale, à la Banque Fédérale des Banques Populaires, à La Banque Postale, à la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne, à LCL (Le Crédit Lyonnais), à HSBC, au Crédit Industriel et Commercial - CIC et au Crédit du Nord les griefs suivants :

" Un premier grief pour s'être entendus dans le cadre de la Commission Inter-Réseaux pour créer une commission d'échange image-chèque et en fixer en commun le montant à 0,043 euro par chèque non-circulant " ;

" Un second grief pour s'être entendus dans le cadre de la Commission Inter-Réseaux pour créer des commissions interbancaires représentatives de services rendus et en fixer en commun le montant, dans les conditions suivantes :

- une commission de 0,15 euro pour chèque circulant ;

- une commission de 3 euro pour rejet d'image chèque ;

- une commission de 0,61 euro pour annulation d'image chèque ;

- une commission de 0,61 euro pour annulation de rejet d'image chèque ;

- une commission de 2,7 euro pour demande de télécopie (recto) ;

- une commission de 3 euro pour demande de télécopie (recto/verso) ;

- une commission de 7 euro pour demande de télécopie (recto + original) ;

- une commission pour archivage venue en déduction de la commission pour chèque non-circulant (montant inconnu en l'état mais qui devrait être de 0,003 euro) ".

II. Discussion

A. SUR LA PROCÉDURE

1. SUR LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

a) Arguments des parties

133. La Société Générale, le Crédit Mutuel, CIC, CE Participations, la Banque de France, les Banques Populaires, BNP et Paribas se plaignent de la durée excessive de la procédure.

134. Les parties font valoir que la procédure dans son ensemble a duré six ans, depuis la saisine d'office jusqu'à la séance devant l'Autorité de la concurrence du 24 novembre 2009. Par ailleurs, six années se seraient écoulées entre la date des faits reprochés, qui remontent à l'année 1999, et la date à laquelle les banques concernées ont su qu'elles auraient à répondre de ces faits en 2005. En comparaison, les parties estiment qu'elles ont bénéficié de délais très courts pour répondre aux demandes de renseignements, à la notification de griefs et aux deux rapports établis par les services d'instruction.

135. Ces délais, qui seraient exclusivement imputables aux services d'enquête et d'instruction, auraient privé les parties de la possibilité de se défendre utilement, compte tenu des changements de personnel et de la difficulté à collecter des documents anciens archivés. Les difficultés invoquées concernent essentiellement la recherche d'éléments à décharge en réponse au sondage de prix effectué par les rapporteurs, dont les parties n'auraient eu connaissance qu'au moment de la notification des griefs en 2008, sans que ces données, initialement classées en annexe confidentielle, leur soient communiquées avant 2009.

b) Le droit applicable

136. Aux termes d'une jurisprudence constante, le délai raisonnable prescrit par l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après la " CEDH ") doit s'apprécier au regard de l'ampleur et de la complexité de la procédure, cette circonstance devant être appréciée concrètement (voir par exemple les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 29 janvier 2008, Le Goff Confort SAS, du 8 avril 2008, GlaxoSmithKline, du 6 mai 2008, Lafarge Ciments, du 24 novembre 2009, Chevron Products, et du 24 juin 2008, France Travaux).

137. La jurisprudence communautaire est également en ce sens, la Cour de justice des Communautés européennes considérant que " le caractère raisonnable du délai est apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l'enjeu du litige pour l'intéressé, de la complexité de l'affaire ainsi que du comportement du requérant et de celui des autorités compétentes " (arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185-95 P, Rec. p. I-8417, point 29). La Cour de justice a précisé que " la liste de ces critères n'est pas exhaustive et l'appréciation du caractère raisonnable du délai n'exige pas un examen systématique des circonstances de la cause au regard de chacun d'eux lorsque la durée de la procédure apparaît justifiée au regard d'un seul. (...) Ainsi, la complexité de l'affaire peut être retenu[e] pour justifier un délai de prime abord trop long. (...) Le cas échéant, la durée d'une étape procédurale peut être d'emblée qualifiée de raisonnable lorsqu'elle apparaît conforme au délai moyen de traitement d'une affaire du type de celle en cause. " (Arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238-99 P, C-244-99 P, C-245-99 P, C-247-99 P, C-250-99 P à C-252-99 P et C-254-99 P, Rec. p. I-8375, points 187 et 188). Enfin, la Cour de justice a indiqué que " le caractère raisonnable d'un délai ne saurait être examiné par référence à une limite maximale précise, déterminée de manière abstraite, mais doit être apprécié dans chaque espèce en fonction des circonstances de la cause. " (même arrêt, point 192).

138. Par ailleurs, la sanction qui s'attache à la violation par les autorités de concurrence de leur obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi (voir les arrêts de la Cour de cassation du 28 janvier 2003, Domoservices, et du 6 mars 2007, Demathieu et Bard) sous réserve, toutefois, que la conduite de la procédure n'ait pas irrémédiablement privé les entreprises mises en cause des moyens de se défendre (voir notamment l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, Le Goff Confort SAS, précité, et l'arrêt de la CJCE du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Verninging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied (NFVG), C-105-04, Rec. p. I-8725, point 42).

139. A cet égard, la Cour d'appel de Paris précise que " le respect des droits de la défense revêtant une importance capitale dans les procédures [suivies devant l'Autorité de la concurrence], il importe d'éviter que ces droits puissent être irrémédiablement compromis, notamment en raison d'une durée excessive de la phase d'enquête et que cette durée soit susceptible de faire obstacle à l'établissement de preuves visant à réfuter l'existence de comportements de nature à engager la responsabilité des entreprises concernées ; que pour cette raison, l'examen de l'éventuelle entrave à l'exercice des droits de la défense ne doit pas être limité à la phase même dans laquelle ces droits produisent leur plein effet, à savoir la seconde phase de la procédure administrative; que l'appréciation de la source de l'éventuel affaiblissement de l'efficacité des droits de la défense doit s'étendre à l'ensemble de cette procédure en se référant à la durée totale de celle-ci, enquête comprise " (voir les arrêts du 10 novembre 2009, Beauté Prestige International SA, et du 23 mars 2010, Gaz et électricité de Grenoble, reproduisant les motifs des arrêts de la CJCE du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 7, et NFVG, précité, point 50).

140. Les juridictions nationales et communautaires ont jugé qu'il incombe aux entreprises concernées d'établir que, à la date de la communication des griefs, leurs possibilités de réfuter ceux-ci étaient limitées à cause de la durée excessive de la procédure antérieure d'enquête (cf. Cour d'appel de Paris, arrêts cités au point 140 et CJCE, NFVG, point 56).

141. Pour apprécier si le principe de délai raisonnable a été respecté en l'espèce, il convient donc d'examiner dans un premier temps si la durée de la procédure était excessive compte tenu des circonstances de l'espèce, et, dans l'affirmative, d'examiner dans un second temps si la durée excessive de la procédure a privé les banques de la possibilité de se défendre utilement contre les griefs qui leur étaient reprochés.

c) Appréciation en l'espèce

En ce qui concerne la durée de la procédure

142. L'affaire concerne l'ensemble des commissions interbancaires perçues à raison des paiements effectués par chèques sur le territoire national. Les griefs ont été notifiés à douze établissements de crédit, et le dossier comporte plus de 40 000 pièces. La DGCCRF, saisie pour enquête par le rapporteur général du Conseil de la concurrence en 2004, a mené de multiples investigations auprès des établissements bancaires et auprès de sociétés clientes remettantes de chèques. A la suite de la remise du rapport d'enquête en 2005, les services d'instruction du Conseil ont, ainsi que le rapport du 14 août 2008 le rappelle (§ 225), mené plus de quarante auditions et ont procédé à un sondage d'une ampleur sans précédent auprès de sept cents entreprises pour relever les conditions bancaires applicables à leurs opérations de remise de chèques pour la période couvrant les années 2000 à 2006 (prix direct, forfait, sous-traitance, dates de valeur, commission de mouvement, etc.). Par ailleurs, l'appréciation des pratiques a nécessité des études économiques poussées, pour l'évaluation notamment du caractère exemptable des pratiques en cause.

143. Les parties ont pu bénéficier des délais prévus par l'article L. 463-2 du Code de commerce pour faire valoir leurs observations. Par ailleurs, les actes d'instruction qui ont eu pour effet d'allonger la phase contradictoire de la procédure (désignation d'un expert, envoi d'un rapport complémentaire) ont été diligentés afin de respecter au mieux les droits des parties tant pour l'établissement des faits que pour la mise en œuvre du principe de contradiction. Il en est de même de la décision n° 09-S-04 du 11 décembre 2009, qui a permis aux parties d'accéder à l'intégralité des données du sondage de prix et de produire d'ultimes observations écrites.

144. A titre de comparaison, la durée de la présente procédure est inférieure au délai moyen observé pour le traitement d'affaires de même type par la Commission européenne. Ainsi, les procédures d'enquête et d'instruction engagées par la Commission afin d'apprécier la conformité des commissions multilatérales d'interchange appliquées aux paiements par carte transfrontaliers dans l'Espace économique européen ont duré plus de dix ans dans l'affaire Visa (décision du 24 juillet 2002, COMP 29.373, rendue sur saisine du 30 mars 1992) et plus de quinze ans dans l'affaire MasterCard (décision du 19 décembre 2007, COMP 34.579, rendue sur saisine du 30 mars 1992).

145. La durée de la présente procédure, enquête comprise, n'est donc pas excessive eu égard à la nature, à l'ampleur et à la complexité de l'affaire.

En ce qui concerne la possibilité des parties de se défendre contre les griefs notifiés

146. En tout état de cause, la possibilité pour les entreprises mises en cause de se défendre contre les faits qui leur étaient reprochés n'a pas été affectée par la durée de la procédure.

147. En effet, la prudence commandait aux banques de conserver toute preuve de nature à établir la licéité de leurs pratiques jusqu'à la fin de la prescription fixée par l'article L. 462-7 du Code de commerce, dont le délai a été porté de trois ans à cinq ans par l'ordonnance du 4 novembre 2004, et ce d'autant plus qu'elles ont eu connaissance de l'enquête dont elles faisaient l'objet alors que les pratiques en cause n'avaient pas encore cessé.

148. En premier lieu, il convient de relever que la majorité des banques mises en cause ont eu connaissance qu'elles auraient à répondre des pratiques en cause au plus tard en juillet 2005 lors de leur audition formelle par les enquêteurs (14). A cette date, la CEIC et les CSC étaient encore appliquées à l'ensemble des transactions interbancaires par chèque, au niveau qui avait été fixé au sein de la CIR en 2000. La notification des griefs, en date du 14 mars 2008, est intervenue quelques mois à peine après la suppression de la CEIC, décidée le 4 octobre 2007 avec effet rétroactif au 1er juillet 2007, et la révision du montant des CSC, intervenue au cours de l'automne 2007.

149. Les circonstances de la présente affaire se distinguent ainsi nettement de celles de l'affaire " parfumerie de luxe ", qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 10 novembre 2009 précité, invoqué par les parties. Dans cette dernière affaire, les pratiques sanctionnées avaient cessé depuis cinq ans à la date des premières auditions formelles des services d'instruction du Conseil de la concurrence en 2005.

150. En deuxième lieu, la Cour de cassation considère que les entreprises incriminées par l'Autorité de la concurrence " sont responsables de la déperdition éventuelle des preuves qu'elles entendaient faire valoir tant que la prescription (...) n'était pas acquise " (Com., 12 janvier 1999, Bull. IV n° 9). A cet égard, les motifs d'ordre interne à l'entreprise incriminée sont indifférents. La Cour de cassation a précisé qu'aucune violation des droits de la défense n'était démontrée lorsque " les difficultés alléguées [relatives à la conservation des preuves] dues à des causes internes aux deux sociétés tenant aux changements intervenus dans leurs directions respectives par suite de leur fusion, sont sans lien avec le déroulement de l'instruction et de la procédure suivie devant le Conseil " (Com., 28 janvier 2003, Bull. IV n° 12).

151. Il résulte de ce qui précède que les banques ne peuvent utilement invoquer la circonstance que les représentants qui ont siégé en leur nom au sein de la CIR n'étaient plus présents dans l'entreprise à la date à laquelle les griefs leur ont été communiqués, rendant ainsi plus difficile la possibilité de recueillir leur témoignage.

152. En dernier lieu, la prescription de l'action commerciale était à l'époque des faits en cause de dix ans, en vertu des dispositions de l'article L. 110-4 du Code de commerce. Les banques visées par les griefs devaient donc, en vertu du devoir général de prudence, conserver leurs documents commerciaux de manière à pouvoir présenter leur défense dans le cadre d'une éventuelle action devant le tribunal de commerce (voir, à cet égard, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 janvier 2008, Le Goff Confort SAS précité). De même, elles étaient soumises à l'obligation générale de conservation des documents comptables et pièces justificatives pendant dix ans imposée par l'article L. 123-22 du Code de commerce.

153. Au cas d'espèce, les parties ne contestent pas l'existence d'un accord au sein de la CIR aux fins de créer des commissions interbancaires et d'en fixer le montant, mais le caractère anticoncurrentiel de cet accord et son incidence sur l'économie. Les éventuelles preuves à décharge sont donc essentiellement, ainsi que le soutiennent les parties elles-mêmes, des éléments qui seraient de nature à remettre en cause l'évaluation quantitative du dommage à l'économie effectuée par les services d'instruction pour les années 2000 à 2006.

154. A cet égard, les rapporteurs ont utilisé les données utilisées issues du sondage de prix, qui résultent de l'application des contrats conclus par les banques avec les entreprises clientes, d'une part, et les conditions tarifaires standard applicables à la clientèle qui ont été communiquées par les banques à la demande des rapporteurs, d'autre part. Ces données correspondent à des documents contractuels ou commerciaux, dont la conservation s'impose aux banques en vertu des dispositions mentionnées ci-dessus du Code de commerce.

155. Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de la violation du principe de délai raisonnable doit être écarté.

2. SUR LE RESPECT DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE

a) Sur la précision des griefs notifiés

156. La Banque Postale soutient que la notification des griefs aurait dû indiquer précisément si l'entente était reprochée en raison de son objet anticoncurrentiel, de ses effets, potentiels ou réels, ou de ces deux éléments. Elle fait valoir que les services d'instruction n'ont clairement précisé que l'entente n'était poursuivie qu'à seule raison de son objet qu'au stade du rapport complémentaire du 19 août 2009. De cette qualification dépendraient les orientations de la défense au regard de la démonstration de l'existence d'une pratique, d'une éventuelle exemption et de l'évaluation de la gravité du dommage à l'économie.

157. Un grief est un ensemble de faits, qualifiés juridiquement et imputés à une ou plusieurs entreprises. Dans un arrêt du 23 février 2010, Expedia Inc., la Cour d'appel de Paris a rappelé que la notification des griefs doit " contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, fussent-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés (...) ; le principe de la contradiction et les droits de la défense sont respectés lorsque la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans les notifications de griefs et ne retient que des faits sur lesquels ils ont eu l'occasion de s'expliquer ". La vérification de la précision d'une notification de griefs doit se faire " au regard non seulement de la formule finale d'accusation, mais aussi du corps même de la notification de griefs " (arrêt du 24 juin 2008, France Travaux).

158. Au cas d'espèce, la notification des griefs vise expressément dans ses motifs tant l'objet que l'effet anticoncurrentiel des pratiques d'entente reprochées. S'agissant des CSC, si, à la suite d'un développement tendu vers la démonstration d'un objet anticoncurrentiel (§§ 136 à 138), la notification des griefs rappelle la règle générale suivant laquelle il n'est pas nécessaire d'examiner l'effet d'une pratique lorsque son objet anticoncurrentiel ne fait pas de doute, elle précise immédiatement après que " les premiers relevés de prix indiquent que les commissions pour services connexes servent de base à la tarification de ces mêmes services aux consommateurs (...), ce qui pourrait avoir comme effet anticoncurrentiel la fixation d'un prix minimum aux commerçants " (§ 139). S'agissant de la CEIC, la notification consacre un développement destiné à mettre en évidence l'objet anticoncurrentiel de la pratique (§§ 153 et 154), suivi d'une analyse spécifique consacrée aux effets des pratiques, qualifiés de " nombreux et certains " (§§ 155 à 160).

159. La notification des griefs s'appuyait donc, pour qualifier les pratiques en cause, à la fois sur leur objet et sur leurs effets.

160. Si les services d'instruction ont ensuite concentré leur argumentation sur l'objet anticoncurrentiel des pratiques, au stade du rapport du 14 août 2008, cette circonstance n'a pas eu pour effet de porter atteinte aux droits de la défense des parties mises en cause. Il résulte en effet du caractère contradictoire de la procédure que l'analyse faite dans le rapport peut évoluer par rapport à celle développée dans la notification des griefs (voir, à cet égard, la décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-23 du 12 juillet 2007, point 52). Par analogie, la Cour d'appel de Paris admet que soit utilisé tout élément de preuve qui a fait l'objet d'un débat contradictoire, y compris lorsqu'il est présenté après la notification des griefs (arrêt du 13 septembre 2005, société OGF). Elle a également jugé qu'une entreprise pouvait être sanctionnée à raison d'un grief dont le rapporteur a proposé l'abandon partiel au stade du rapport, sans que les droits de la défense soient méconnus (voir l'arrêt du 19 juin 2007, Philips France). Les parties ont pu, dans le détail, contester la matérialité des faits relevés par les services d'instruction, la qualification qui leur a été attribuée et l'imputation qui en a été faite. 161. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'imprécision des griefs notifiés manque en fait et doit être écarté.

b) Sur l'accès au dossier

En ce qui concerne la communication du sondage de prix

Arguments des parties

162. Les Banques Populaires, la Société Générale, BNP-Paribas, la Banque de France, le Crédit Mutuel, CIC, CE Participations, LCL et le Crédit Agricole estiment que les pièces du sondage de prix et les " 104 conditions " sur lesquelles le rapporteur s'est fondé pour établir des griefs auraient dû être communiquées lors de la notification de ces derniers.

163. Les parties font valoir que cette situation les a privées de la possibilité de bénéficier des deux tours de contradictoire prévus par la loi s'agissant de la qualification des pratiques reprochées. Le sondage de prix aurait en effet été conçu pour apprécier les effets de la CEIC, ou la possibilité d'exempter les pratiques, qui sont, selon elles, un élément de qualification juridique au regard des règles de concurrence. En toute hypothèse, la jurisprudence imposerait un accès à l'intégralité du dossier lors de la notification des griefs.

164. Le Crédit Mutuel, le CIC, la Société Générale, la Banque de France, BNP-Paribas, LCL et le Crédit Agricole soutiennent en outre que la communication tardive du sondage de prix les a empêchées d'explorer pleinement la voie de la non-contestation des griefs qu'ils étaient tentés de suivre.

Le droit applicable

165. Aux termes de l'article L. 463-2 du Code de commerce : " [...] le rapporteur général [...] notifie les griefs aux intéressés ainsi qu'au commissaire du Gouvernement, qui peuvent consulter le dossier sous réserve des dispositions de l'article L. 463-4 et présenter leurs observations dans un délai de deux mois ". Selon une jurisprudence constante, le principe du contradictoire est respecté lorsque les parties ont disposé, à compter de la notification des griefs, de la faculté de consulter l'ensemble des pièces ayant servi à établir les griefs notifiés (voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 janvier 2006, Ordre des avocats au barreau de Marseille).

166. Cette jurisprudence s'inspire de celle de la Cour européenne des Droits de l'Homme, qui juge que le principe de l'égalité des armes, qui consiste dans la possibilité raisonnable pour chaque partie de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire, implique que les parties disposent des mêmes moyens pour faire valoir leurs arguments (voir l'arrêt Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas du 27 octobre 1993).

167. Pour vérifier le respect de ces principes, la Cour de cassation effectue une appréciation in concreto des conséquences du défaut de communication de pièces sur la validité d'une procédure (voir les arrêts du 2 février 2010, affaire relative à la distribution de produits pharmaceutiques, et du 4 novembre 2008, GIE les Indépendants). Si les affaires en cause devant la Cour de cassation concernaient des procédures d'engagements, l'exigence d'une appréciation concrète des conséquences d'une restriction du droit d'accès des parties au dossier sur l'exercice des droits de la défense doit a fortiori également s'appliquer aux procédures de sanction suivies devant l'Autorité de la concurrence.

168. La jurisprudence nationale rejoint la jurisprudence communautaire qui précise, s'agissant du droit d'accès au dossier dans les affaires de concurrence : " une argumentation de nature générale n'est pas de nature à établir la réalité d'une violation des droits de la défense, laquelle doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d'espèce " (voir notamment l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 septembre 2003, Atlantic Container Lines, T-191-98, Rec. 2003, p. II- 3275, point 354). Le juge communautaire n'a pas défini de délai impératif en matière d'accès au dossier, pourvu que les mis en cause soient mis en mesure au cours de la procédure de " prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu'ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles elle est parvenue, dans sa communication des griefs, sur la base de ces éléments " (voir, à cet égard, l'arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité, point 89).

169. La Cour européenne des Droits de l'Homme s'est spécifiquement prononcée sur le cas d'un accès tardif du prévenu aux pièces du dossier d'accusation dans le cadre d'un procès pénal. Elle a ainsi jugé que " les modalités d'application de l'article 6 §§ 1 et 3 c) durant l'instruction dépendent des particularités de la procédure et des circonstances de la cause ", et qu'aucune atteinte au principe de l'égalité des armes ne peut être relevée lorsque les éléments de preuve ont été soumis à l'accusé avant les débats devant la formation de jugement et qu'il a disposé du temps nécessaire pour formuler des observations à leur sujet, notamment par l'intermédiaire de son avocat (voir, en ce sens, l'arrêt du 21 septembre 1993, Kremzow c. Autriche, §§ 45 et s., et, a contrario, l'arrêt du 12 mai 2005, Öcalan c.Turquie, §§ 138 et s.). L'exigence d'une appréciation concrète de l'existence d'une atteinte aux droits de la défense, développée dans le domaine du droit pénal classique, s'applique a fortiori pour l'examen des procédures de sanctions infligées par des autorités administratives.

Appréciation en l'espèce

170. Au cas d'espèce, il est indéniable que la notification des griefs a analysé les résultats du sondage de prix effectué par les services d'instruction (§§181 et 209 à 217 de la notification de griefs), alors même que les données de cette enquête étaient classées en annexe confidentielle et que les parties n'y ont donc pas eu immédiatement accès. Cette analyse est effectuée au soutien du développement consacré au caractère éventuellement exemptable de la CEIC (§§ 161 et s. de la notification de griefs).

171. Cependant, cette circonstance ne saurait avoir pour effet de vicier la procédure suivie dès lors qu'elle n'a pas, en pratique, porté atteinte aux droits de la défense, les données en cause ayant fait l'objet de déclassements à des stades ultérieurs de la procédure, et ayant ainsi été proposées à la consultation et soumises à la contradiction des parties poursuivies.

172. Tout d'abord, il convient de rappeler que les données du sondage sont les prix facturés par les banques à leurs entreprises clientes pendant la période des années 2000 à 2006. La liste des " 104 conditions " représente, quant à elle, un échantillon de réponses au sondage de prix, jugé exploitable par le rapporteur au début de l'instruction, pour observer l'évolution tarifaire sur le marché de la remise de chèques. Cette liste a par la suite évolué afin de tenir compte des informations transmises par les parties dans le cadre du débat contradictoire et des résultats de l'expertise.

173. Les banques avaient donc nécessairement connaissance des données les concernant figurant dans le sondage, s'agissant de prix et conditions tarifaires qu'elles avaient elles-mêmes négociés. Elles en avaient d'autant plus connaissance que, dès la notification des griefs, le rapporteur leur avait transmis la liste des entreprises interrogées ainsi qu'un exemplaire du questionnaire adressé à ces dernières. Les banques ont ainsi pu identifier leurs clients dans cette liste et, partant, déterminer quelles étaient les données en cause. En outre, par une décision n° 08-DEC-12 du 2 octobre 2008, le président du Conseil de la concurrence a décidé d'adresser à chaque établissement bancaire copie des réponses au questionnaire le concernant, permettant ainsi aux parties de vérifier l'exactitude des données y figurant et de présenter leurs observations à ce sujet.

174. S'agissant des données des établissements concurrents, dont l'accès était réclamé par plusieurs parties sous une forme permettant d'éviter l'identification des clients et des banques concernées, le rapporteur général a désigné, par décision en date du 16 décembre 2008, un expert, bénéficiant d'un accès à la totalité des pièces, et chargé de dresser des tableaux anonymes recensant les données du sondage, consultables par les parties, dans le but de concilier l'accès aux pièces du dossier avec la protection des secrets d'affaires. Par ailleurs, la liste des " 104 conditions " a été communiquée aux parties le 15 juillet 2009 (15).

175. L'accès intégral aux données concernant les banques concurrentes a ensuite été accordé selon des modalités aménagées par une décision du président du Conseil de la concurrence n° 09-DEC-01 du 17 février 2009. Aux termes du dispositif de cette décision : " Article 1. - Les données chiffrées du sondage de prix comprises entre 2001 et 2006 sont rendues accessibles aux parties au moyen d'un tableau confectionné par l'expert désigné dans la présente affaire. Le nom des entreprises ayant répondu au sondage n'est pas mentionné dans ce tableau. Article 2. - Les conseils représentant les parties pourront venir consulter dans les locaux du Conseil de la concurrence l'intégralité des données intéressant directement le sondage de prix, selon les modalités définies au paragraphe 8 de la présente décision ". Cette consultation aménagée a été effectuée à deux reprises, en avril et en juillet 2009.

176. Afin de permettre aux parties de prendre connaissance des pièces nécessaires à l'exercice de leurs droits de la défense, le délai de deux mois dont elles disposaient pour déposer leurs observations au rapport du 14 août 2008 a été successivement repoussé à deux mois à compter de la réception des documents déclassés en application de la décision n° 08-DEC-12 précitée, puis à deux mois à compter de la date de versement au dossier du rapport de l'expert (voir le courrier du rapporteur général en date du 15 octobre 2008, cotes 18 357 à 18 382).

177. Les conseils des parties concernées, avocats et économistes, ont donc accédé aux données du sondage de prix avant l'établissement du rapport complémentaire du 19 août 2009, ce qui leur a permis de présenter les moyens utiles à leur défense dans leurs observations en réponse à ce rapport.

178. Enfin, par une décision n° 09-S-04 du 11 décembre 2009, l'Autorité de la concurrence a renvoyé le dossier à l'instruction afin de permettre aux parties, d'une part, d'accéder à l'intégralité des données couvertes par les décisions n° 08-DSA-39 et 09-DEC-01 et, d'autre part, de produire d'ultimes observations écrites.

179. Il résulte de ce qui précède que les banques ont pu accéder aux données du sondage de prix, la première fois par l'intermédiaire de leurs conseils, et la seconde sans aucune restriction, et ont ainsi bénéficié à deux reprises du délai de deux mois prévu par l'article L. 463-2 du Code de commerce pour faire valoir leurs observations.

180. Par ailleurs, les parties n'établissent pas en quoi la communication tardive des données du sondage de prix les auraient privées de la possibilité de demander le bénéfice de la procédure de non-contestation de griefs, alors qu'elles avaient connaissance des données de ce sondage les concernant personnellement et alors qu'elles disposaient de tous les éléments d'appréciation utiles relatifs à la nature des pratiques qui leur étaient reprochées, leur qualification juridique et les conditions d'imputation dès le stade de la notification des griefs. Dans le cadre de cette procédure, le rapporteur général propose un pourcentage de réduction de la sanction encourue, sans préjudice du débat, ouvert aux parties, portant sur l'importance du dommage à l'économie. Les services d'instruction n'étaient pas tenus d'effectuer au stade de la notification de griefs une évaluation quantifiée du dommage à l'économie à seule fin de permettre aux parties d'apprécier le montant de la sanction encourue, et, partant, l'opportunité de demander le bénéfice de la procédure de non-contestation des griefs.

181. En tout état de cause, il résulte des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce que l'engagement de la procédure de non-contestation des griefs relève du pouvoir d'appréciation du rapporteur général, sous réserve du contrôle de l'erreur manifeste par l'Autorité (voir, à cet égard, la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-09 du 11 avril 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication des portes). Les parties ne disposaient donc d'aucun droit à la mise en œuvre de cette procédure.

182. Il résulte de tout ce qui précède que, dans les circonstances précises et rappelées ci-dessus, le moyen tiré d'une atteinte au principe du contradictoire et au principe de l'égalité des armes manque en fait et ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'accès aux autres pièces du dossier

183. En premier lieu, les Banques Populaires et la Société Générale font valoir que les parties n'ont pas eu accès à l'intégralité du dossier lors de la notification des griefs. La consultation aménagée d'avril 2009 aurait permis de montrer l'existence d'actes d'instruction qui n'auraient pas été versés au dossier.

184. L'absence de certaines pièces au dossier n'est cependant nullement établie, les allégations des Banques Populaires reposant sur la seule mention, dans un courrier électronique, qu'une entreprise répond " aux questions toujours pendantes ". En tout état de cause, il n'est nullement démontré que les pièces invoquées ainsi que les courriers électroniques versés au dossier en avril 2009 auraient servi à fonder les griefs notifiés.

185. En deuxième lieu, la Banque de France allègue que certains courriels entre le Trésor public, son principal client, et les rapporteurs seraient toujours manquants à ce jour au dossier. Elle n'apporte toutefois aucun élément permettant d'étayer ces allégations et ne démontre pas, en tout état de cause, que ces pièces auraient servi de fondement au rapporteur pour établir les griefs.

186. En troisième lieu, la Banque de France, LCL, le Crédit Agricole et CE Participations soutiennent que certains documents visés en annexe au rapport complémentaire du 19 août 2009 ne figuraient pas dans le CD-Rom regroupant lesdites annexes. CE Participations ajoute que le rapport du 14 août 2008 a omis, dans certains cas, d'indiquer les cotes des documents sur lesquels les rapporteurs s'étaient fondés.

187. A cet égard, il ressort d'une lettre de la rapporteure générale en date du 28 septembre 2009 (cotes 33637 et s.) que la majorité des pièces concernées avait déjà été soumise à la consultation des parties, soit par la communication individuelle des données relatives à chacune des banques, soit par la possibilité pour les conseils des banques de venir consulter l'intégralité du dossier à l'Autorité. Le défaut de communication dénoncé ne concernait donc qu'une annexe (cotes 29172 à 29180), manquante en raison d'une erreur matérielle, et communiquée aux parties à l'appui du courrier du 28 septembre 2009. Ce dernier précise en outre les cotes des documents cités dans le rapport du 14 août 2008, conformément à la demande des parties.

188. CE Participations, LCL, le Crédit Agricole et le Crédit du Nord estiment que le délai de deux mois prévu à l'article L. 463-2 du Code de commerce pour présenter des observations n'aurait dû commencer à courir qu'à compter de la communication de tous les documents sur lesquels les rapporteurs s'étaient fondés dans le rapport complémentaire du 19 août 2009. En outre, LCL, le Crédit Agricole et CE Participations considèrent que, en raison de circonstances exceptionnelles tenant notamment au défaut de communication de certaines pièces lors de la notification du rapport, un délai supplémentaire d'un mois aurait dû leur être accordé, sur le fondement de l'article L. 462-2, alinéa 4, du Code de commerce afin qu'elles puissent présenter leurs observations. Or, la communication tardive du document en cause, à savoir une annexe de neuf pages dont le contenu se borne à confirmer la position des rapporteurs décrite dans la notification des griefs, ne justifiait pas un report du point de départ du délai de réponse ni ne caractérisait l'existence de " circonstances exceptionnelles " au sens des dispositions de l'article L. 463-2, alinéa 4, du Code de commerce, propres à justifier qu'un délai supplémentaire leur soit accordé pour déposer leurs observations (16). En tout état de cause, les parties ont bénéficié d'un nouveau délai de deux mois pour présenter leurs moyens en défense à la suite de la décision n° 09-S-04 précitée par laquelle l'Autorité a renvoyé le dossier à l'instruction afin de permettre aux parties d'accéder aux données du sondage des prix et de déposer d'ultimes observations écrites.

189. En quatrième lieu, CE Participations fait valoir qu'elle n'a pas eu accès aux données relatives aux volumes et aux montants des chèques émis et remis, qui ont été utilisées par les rapporteurs dans le rapport complémentaire du 19 août 2009 pour l'évaluation de l'incidence des pratiques sur l'économie à partir de l'analyse des conditions tarifaires standard des banques.

190. A cet égard, l'accès aux données en cause a été accordé aux parties par une décision du président du Conseil de la concurrence n° 09-DEC-22 du 20 octobre 2009 qui prévoit une consultation aménagée, selon des modalités identiques à celles qui avaient été prévues par la décision n° 09-DEC-01 précitée s'agissant des données relatives au sondage de prix. Les conseils des parties concernées, avocats et économistes, ont donc accédé aux données en cause, leur permettant de présenter les moyens utiles à leur défense en réponse au rapport complémentaire. A cet effet, un délai supplémentaire de trois jours a été accordé aux banques par la décision n° 09-DEC-22 pour présenter leurs observations écrites.

191. Par ailleurs, par la décision n° 09-S-04 précitée, l'Autorité de la concurrence a renvoyé le dossier à l'instruction afin notamment de permettre aux parties d'accéder à l'intégralité des données couvertes par la décision n° 09-DEC-22. Celles-ci ont alors bénéficié d'un nouveau délai de deux mois pour faire valoir leurs observations, conformément aux dispositions de l'article L. 463-2 du Code de commerce.

192. En dernier lieu, CE Participations fait valoir que certaines pièces ont été déclassées tardivement, une ou deux semaines avant l'expiration du délai imparti pour formuler des observations. A cet égard, il convient de relever qu'aucune des parties n'a demandé de prolongation du délai de réponse à raison d'un déclassement tardif de certaines pièces. En tout état de cause, les parties ont bénéficié d'un nouveau délai de deux mois pour déposer leurs observations à la suite de la décision n° 09-S-04 précitée.

c) Sur la conduite de l'instruction

En ce qui concerne la collecte des informations

193. La Banque de France, le Crédit Mutuel, le CIC, la Société Générale, LCL et le Crédit Agricole reprochent aux rapporteurs d'avoir collecté des informations au moyen de conversations téléphoniques, dont le contenu a été reporté, sans transcrire les questions posées, dans un message électronique à destination des déclarants, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 463-6 du Code de commerce, qui prévoient que les " auditions auxquelles procède le rapporteur donnent lieu à un procès-verbal, signé par les personnes entendues ".

194. Si les articles L. 450-2 et R. 463-6 du Code de commerce prévoient que les informations recueillies dans le cadre d'une enquête donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux, ils n'imposent pas de formalisme particulier pour leur présentation, dès lors que la régularité de la communication aux services d'instruction des informations en cause peut être établie et que celles-ci sont soumises au débat contradictoire.

195. Dans ce sens, la Cour de cassation a jugé que : " en l'absence d'établissement, par le fonctionnaire habilité, d'un procès-verbal constatant l'infraction dans les conditions prévues à l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 [devenu l'article L. 450-2 du Code de commerce], les juges peuvent fonder leur décision sur les éléments du dossier soumis au débat contradictoire, tels que les courriers échangés entre l'Administration et le prévenu (...) " (Crim. 19 janvier 2000, pourvoi n° 99-83045).

196. L'Autorité a récemment précisé que " le régime en matière de preuve devant l'Autorité de la concurrence n'implique pas de formalisme " (décision n° 09-D-28 du 31 juillet 2009 relative à des pratiques de Janssen-Cilag France dans le secteur pharmaceutique, § 65). Elle a ainsi considéré que l'indication des noms, adresses et téléphones des entreprises interrogées permettaient de vérifier l'exactitude de leurs témoignages.

197. En l'espèce, les informations recueillies par les rapporteurs du Conseil de la concurrence ont été transcrites et transmises aux entreprises interrogées sous forme de courriers électroniques. Ces messages permettent d'établir la date de l'entretien, ainsi que l'identité des entreprises concernées. L'exactitude des informations transmises a été confirmée par retour de courriel, à de nombreuses reprises le jour même de la communication des déclarations (voir, par exemple, cotes 27832, 27833, 27861, et 32854). Dans ces conditions, le support électronique utilisé par les rapporteurs pour procéder au recueil des informations en cause et à leur confirmation par les personnes entendues permet effectivement d'établir l'origine, l'exactitude et la régularité des communications en litige.

198. Par ailleurs, l'absence de reproduction des questions posées dans les courriers électroniques envoyés aux entreprises est sans incidence sur la validité de ces documents, alors qu'aucun texte n'impose la transcription des questions posées à l'occasion des auditions réalisées dans le cadre des investigations de l'Autorité de la concurrence (voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 19 juin 2007, Phillips France).

En ce qui concerne l'impartialité de l'instruction

199. BNP, Paribas, la Banque de France, le Crédit Mutuel, le CIC, la Société Générale, LCL et le Crédit Agricole estiment que les rapporteurs ont présenté certaines pièces de manière biaisée, à l'image de l'étude économique communiquée par les parties, par une présentation détournée des faits, en utilisant des pièces non déclassifiées, des citations tronquées de la décision de la Commission européenne du 24 juillet 2002 Visa International, des déclarations d'entreprises non identifiables ou en orientant les réponses des entreprises interrogées. Les éléments du dossier à décharge, tendant à montrer que la CEIC n'a pas été répercutée ou estimant à la baisse la moyenne des tarifs de la remise des chèques, auraient été systématiquement écartés, alors qu'à l'inverse les éléments à charge ont été privilégiés. A cet égard, le Crédit Mutuel, le CIC, le Crédit Agricole, LCL et la Société Générale font valoir que les rapporteurs n'ont pas tenu compte des avis rendus par la Commission bancaire, selon lesquels l'EIC était une réforme d'intérêt général et la CEIC nécessaire au passage à l'EIC.

200. Il résulte d'une jurisprudence constante que l'impartialité de l'instruction ne peut être mise en cause lorsque les règles de procédure garantissant le principe du contradictoire ont été respectées. La Cour d'appel de Paris a ainsi jugé, dans un arrêt du 24 novembre 2009, Chevron Products Company, que " la requérante n'est pas fondée à se plaindre de manquements à l'impartialité des services instructeurs, dès lors qu'à partir de la notification des griefs, il a disposé de la faculté de consulter le dossier, de demander l'audition de témoins, de présenter ses observations puis, après le rapporteur, de s'exprimer oralement devant le Conseil " (voir, dans le même sens, les arrêts du 12 avril 2005, France Telecom, et du 2 octobre 2007, ETF, ainsi que l'arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1999, Lilly France).

201. Au cas d'espèce, les parties concernées ont eu la possibilité de consulter le dossier, de demander l'audition de témoins à l'Autorité et de présenter des observations, y compris en séance, pour contester les interprétations des rapporteurs et fournir des explications alternatives. Il appartient ensuite à l'Autorité, dans le cadre de la présente décision, de déterminer parmi ces différentes interprétations celle qui lui paraît devoir être retenue.

202. En outre, il convient de relever qu'afin d'éliminer l'éventuel biais résultant de l'exploitation privilégiée des conditions bancaires accordées aux enseignes de grande distribution, le rapporteur a complété les résultats du rapport administratif d'enquête de la DGCCRF par la réalisation d'un sondage de prix auprès de 700 entreprises, puis par l'utilisation de méthodes alternatives d'évaluation du dommage à l'économie (voir la notification des griefs, § 209, et le rapport du 19 août 2009).

203. S'agissant des citations de documents non intégralement déclassifiés, les paragraphes des documents auxquels il est fait référence montrent que seules des données accessibles à l'ensemble des parties ont été utilisées (§§ 190-191 de la notification des griefs et § 314 du rapport du 14 août 2008). L'occultation du nom des destinataires des courriers utilisés est sans incidence à cet égard, dès lors que seule la teneur des lettres adressées par les banques à des grands remettants leur était opposée.

204. Enfin, les rapporteurs n'étaient pas tenus de répondre aux arguments développés par la Commission bancaire dans ses avis consultatifs. Si l'article L. 511-4 du Code monétaire et financier prévoit que " la notification de griefs prévue à l'article L. 463-2 du même Code est communiquée à l'Autorité de contrôle prudentiel [anciennement, la Commission bancaire] qui rend son avis dans un délai de deux mois " et que " [d]ans l'hypothèse où l'Autorité de la concurrence prononce une sanction à l'issue de la procédure prévue aux articles L. 463-2, L. 463-3 et L. 463-5 du Code de commerce, elle indique, le cas échéant, les raisons pour lesquelles elle s'écarte de l'avis de l'Autorité de contrôle prudentiel ", l'obligation de motivation qui résulte de ces dispositions s'impose à l'Autorité et non aux services d'instruction.

En ce qui concerne la charge de la preuve

205. La Société Générale et la Banque de France font valoir que les rapporteurs ont régulièrement procédé à de simples affirmations, ce qui a eu pour effet de renverser la charge de la preuve sur les parties mises en cause. Elles contestent en particulier la valeur probante des déclarations des entreprises sondées par rapport à celle des preuves apportées par les parties (conventions, factures ou avis de débit), et estiment que la demande des services d'instruction d'apporter les éventuels éléments de nature à rectifier les données fournies par les entreprises sondées a fait reposer la preuve sur les parties mises en cause.

206. Toutefois, les éléments retenus par les services d'enquête et d'instruction ne constituent pas de simples présomptions. Lorsqu'elles sont recueillies par les services d'enquête ou d'instruction dans des procès-verbaux, les déclarations " font foi jusqu'à preuve contraire ", conformément aux dispositions de l'article L. 450-2 du Code de commerce. En l'espèce, les éléments contenus dans les déclarations des entreprises interrogées par les rapporteurs pouvaient aisément être vérifiées par les parties, puisqu'il s'agit des prix accordés par les banques à leurs entreprises clientes en application des contrats conclus avec celles-ci. De surcroît, la copie de nombreuses factures des remettants, ainsi que des propositions et conventions tarifaires entre les banques et leurs clients, sont produites en annexe au rapport administratif d'enquête (cotes 315 et s.). La notification des griefs se fonde quant à elle sur les comptes rendus des réunions organisées par la commission inter- réseaux (§91 et s. de la notification de griefs).

207. En conséquence, la demande des rapporteurs et de l'expert tendant à ce que les parties formulent leurs observations sur les données en cause n'a pas eu pour effet de renverser la charge de la preuve du caractère anticoncurrentiel des pratiques, qui incombe à l'Autorité de la concurrence, mais a seulement eu pour objet de soumettre les documents détenus par les services d'instruction à la contradiction, afin que les parties mises en cause puissent utilement critiquer les modes de preuve retenus contre elles.

En ce qui concerne l'évolution de l'analyse des rapporteurs au cours de la procédure

208. BNP, Paribas, la Société Générale et les Banques Populaires estiment que l'instruction a été menée de façon évolutive et contradictoire, notamment à l'égard de la question des gains de trésorerie de la partie remettante. La méthode des rapporteurs aurait été modifiée en fonction des arguments des parties. CE Participations fait valoir que les rapporteurs ont procédé pour la première fois au stade du rapport complémentaire du 19 août 2009 à une analyse chiffrée visant à établir l'existence d'une hausse des prix de la remise de chèques, en utilisant deux méthodes nouvelles, fondées sur l'étude des conditions tarifaires standard des banques, d'une part, et sur les principes adoptés par la Commission européenne dans sa décision du 19 décembre 2007, Mastercard, d'autre part, privant ainsi les parties d'un double tour de contradictoire sur ce point.

209. Ainsi qu'il a été rappelé au point 160 ci-dessus, il résulte du caractère contradictoire de la procédure que l'analyse faite dans le rapport peut évoluer par rapport à celle développée dans la notification des griefs (voir, à cet égard, la décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-23 du 12 juillet 2007, point 52 ; voir également les arrêts de la Cour d'appel de Paris cités au point 160 ci-dessus). Le Conseil a ainsi précisé que les dispositions de l'article R. 463-11 du Code de commerce " ne font nullement obstacle au débat contradictoire qui s'ouvre dès la communication des griefs aux parties et qui se poursuit tout au long de la procédure, non seulement sur la matérialité des faits, mais aussi sur leur analyse par les services d'instruction " (décision n° 08-D-12 du 21 mai 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production du contreplaqué, point 118, confirmée sur ce point par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 septembre 2009, Ets. A. Mathé). Partant, le fait que la méthode utilisée par les rapporteurs ait pu évoluer au cours de la procédure afin de tenir compte des arguments avancés par les parties mises en cause ne saurait avoir eu pour effet de porter atteinte aux droits de la défense de ces dernières. De même, la mise en œuvre de méthodes d'évaluation quantitative du dommage à l'économie au stade du rapport complémentaire, qui avait pour objet de vérifier les résultats issus de l'exploitation du sondage des prix, évoqués dans la notification des griefs (§§ 209 et s.), n'a pas porté atteinte au principe du contradictoire, dès lors qu'aucun grief nouveau n'a été notifié aux parties, et que celles-ci ont bénéficié du délai de deux mois prévu par l'article L. 463-2 du Code de commerce pour présenter leurs observations sur les analyses des services d'instruction.

En ce qui concerne l'envoi d'un rapport complémentaire

210. Selon la Société Générale, les services d'instruction ont agi en dehors du cadre de leur compétence en décidant la " réouverture de l'instruction " (ainsi qu'un courrier électronique du rapporteur l'indique), alors que seule l'Autorité peut décider de renvoyer l'affaire à l'instruction, conformément à l'article R. 463-7 du Code de commerce.

211. Le courrier électronique des rapporteurs en date du 29 octobre 2008, qui mentionne une " réouverture de l'instruction ", utilise un terme impropre, dès lors que l'instruction n'était pas close à la date à laquelle le rapport complémentaire a été notifié aux parties. Au contraire, le 16 décembre 2008, un expert a été désigné par le rapporteur général, sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-8 du Code de commerce, afin de vérifier la validité des calculs effectués à partir des données confidentielles fournies par les clients des banques lors du sondage de prix. A la suite du report, décidé par le rapporteur général afin de permettre aux parties de prendre connaissance des documents déclassés et du rapport de l'expert (voir le courrier du rapporteur général en date du 15 octobre 2008, cotes 18357 à 18382), le délai de deux mois prévu à l'article L. 463-2 du Code de commerce dont bénéficiaient les parties pour présenter leurs observations n'a commencé à courir qu'à compter de la notification du rapport complémentaire du 19 août 2009. Le moyen manque donc en fait et doit être écarté.

d) Sur les séances du 24 novembre 2009 et du 13 avril 2010

212. Les parties soutiennent que les rapporteurs se sont fondés, dans leur rapport oral devant l'Autorité lors de la séance du 24 novembre 2009, sur des hypothèses chiffrées et des calculs relatifs au bilan du passage à l'EIC qui ne leur avaient pas été préalablement communiqués, en méconnaissance des droits de la défense. Elles produisent à l'appui de leurs allégations une étude économique des cabinets de conseil LECG et MAPP du 9 mars 2010. Elles ont également fait valoir lors de la séance du 13 avril 2010 que les rapporteurs ont utilisé dans leur présentation orale de nouvelles hypothèses chiffrées, différentes de celles qui avaient été présentées lors de la séance du 24 novembre 2009.

213. Les calculs auxquels il est fait référence concernent l'évaluation des gains et des pertes de trésorerie des banques consécutifs au passage à l'EIC. Ils ont été présentés en réponse aux observations et à l'étude économique du 30 octobre 2009 produites par les parties en réponse au rapport du 19 août 2009, et ont notamment retenu les hypothèses de calcul proposées par les banques. Une atteinte aux droits de la défense ne pourrait être caractérisée que dans le cas où l'Autorité de la concurrence reprendrait à son compte une analyse nouvelle présentée par les rapporteurs lors de la séance.

214. En tout état de cause, il était loisible aux parties de présenter des observations orales en réponse à la présentation des rapporteurs lors de la séance. Elles ne sont donc pas fondées à se plaindre d'une méconnaissance de leurs droits de la défense sur ce point.

215. En deuxième lieu, les Banques Populaires ne peuvent utilement faire valoir que les supports de présentation des rapporteurs n'ont pas été annexés au procès-verbal de la séance du 24 novembre 2009 en méconnaissance de l'article 50 du règlement intérieur de l'Autorité, dès lors que les supports ont été directement communiqués par les rapporteurs aux parties lors de la séance.

216. En troisième lieu, la Société Générale, le Crédit du Nord, le Crédit Agricole et LCL soutiennent que la séance du 24 novembre 2009 n'a pas été menée de façon contradictoire dès lors qu'ils n'ont pu faire valoir leur opposition au renvoi à l'instruction. Le Crédit Agricole et LCL ajoutent que cette décision les a privés de la possibilité de s'exprimer sur le fond de l'affaire à la suite de l'intervention des rapporteurs, en méconnaissance du principe de l'égalité des armes.

217. L'article R. 463-7 du Code de commerce ne fixe toutefois aucune condition pour décider du renvoi à l'instruction (voir l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 avril 2008, GlaxoSmithKline). L'Autorité, dont la décision, qui n'est pas susceptible de recours, constitue une mesure d'ordre interne non susceptible de faire grief aux parties (voir l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 6 avril 2010, France Télécom), n'est pas tenue de recueillir les observations orales des parties sur le principe d'un renvoi à l'instruction.

218. Par ailleurs, le principe de l'égalité des armes n'a pas été méconnu dès lors que la décision de renvoi, qui avait pour objet de sauvegarder les droits de la défense, a permis aux parties

de produire de nouvelles observations écrites, portant notamment sur l'intervention orale des rapporteurs au cours de la séance du 24 novembre 2009, et que les parties ont eu la possibilité de présenter des observations orales sur le fond du dossier lors de la séance du 13 avril 2010.

219. En dernier lieu, la Société Générale fait valoir que l'Autorité n'est pas compétente, dans le cadre d'une décision de renvoi à l'instruction, pour limiter l'objet de celle-ci. Dans sa décision n° 09-SO-04 précitée, l'Autorité n'a toutefois pas méconnu l'étendue de ses compétences en indiquant que le renvoi devait permettre aux parties d'accéder à l'intégralité des données du sondage de prix et de produire d'ultimes observations écrites.

3. SUR LE SECRET DES AFFAIRES

220. Les Banques Populaires, LCL et le Crédit Agricole reprochent au président de l'Autorité d'avoir, par sa décision n° 08-DSA-39, classé en annexe confidentielle les données du sondage de prix effectué par les services d'instruction, sans avoir répondu à une demande formelle des entreprises concernées. L'ensemble des parties reprochent à l'Autorité d'avoir ensuite ordonné sans leur accord le déclassement intégral de ces données par sa décision précitée n° 09-SO-04. Elles soutiennent avoir réclamé le seul accès aux données chiffrées du sondage dans une version garantissant l'anonymat des entreprises sondées.

221. La sanction qui s'attache à la violation du secret des affaires n'est pas la nullité de la procédure, mais le versement éventuel d'une indemnité réparatrice, dans l'hypothèse où la divulgation de telles informations serait de nature à créer un préjudice direct et certain aux entreprises concernées (voir notamment les décisions du Conseil de la concurrence n° 07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de jouets, § 470 ; et n° 09-D-36 relative à des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, § 157).

222. Au cas d'espèce, les parties n'exposent nullement en quoi la violation alléguée de leur droit à la protection du secret des affaires aurait porté atteinte à leurs droits de la défense en les empêchant de répondre utilement aux griefs qui leur avaient été notifiés. Au contraire, la décision n° 09-SO-04 a précisément eu pour objet d'assurer l'exercice effectif des droits de la défense en donnant aux parties un plein accès aux données utilisées par les services d'instruction pour l'évaluation de l'incidence des pratiques dénoncées sur l'économie.

223. Par ailleurs, les Banques Populaires, la Société Générale, la Banque de France et le Crédit du Nord soutiennent que la procédure suivie a méconnu les règles de l'article R. 463-15 du Code de commerce. Toutefois, ce moyen est inopérant dès lors, ainsi qu'il a été exposé ci- dessus, que ces décisions n'ont pas eu pour effet de priver les parties d'un exercice normal de leurs droits de la défense, et que leur irrégularité, à la supposer avérée, n'est par suite pas de nature à entraîner l'annulation de la procédure.

224. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du non-respect allégué du secret des affaires doit être écarté.

4. SUR LA RÉGULARITÉ DE L'EXPERTISE

225. Selon CE Participations, le Crédit du Nord, le Crédit Mutuel, CIC, les Banques Populaires Participation, LCL, le Crédit Agricole, BNP-Paribas, la Banque de France et la Société Générale, la procédure d'expertise a été instrumentalisée, en méconnaissance des dispositions l'article L. 463-8 du Code de commerce.

a) Sur la définition de la mission de l'expert et son accomplissement

226. Selon les parties, la mission de l'expert a été redéfinie au cours de la procédure à leur insu, trois jours avant l'établissement du pré-rapport d'expertise, dans le seul but de modifier les conclusions de l'expertise.

227. L'article L. 463-8 du Code de commerce dispose que : " Le rapporteur général peut décider de faire appel à des experts en cas de demande formulée à tout moment de l'instruction par le rapporteur ou une partie. La mission et le délai imparti à l'expert sont précisés dans la décision qui le désigne ". L'article R. 463-16 du même Code ajoute que la décision du rapporteur général " définit l'objet de l'expertise ". Ces dispositions ne prévoient pas la consultation des parties quant à la définition de la mission de l'expert. En effet, aux termes de l'article L. 463-8, seul le " déroulement des opérations d'expertise " se fait de façon contradictoire. Au cas d'espèce, la modification de la définition de l'objet de l'expertise sans consultation préalable des parties est ainsi sans incidence sur sa régularité.

228. Par ailleurs, il convient de relever que la procédure suivie au cas d'espèce a offert aux parties des garanties excédant les exigences du Code du commerce, en leur permettant de présenter des observations sur l'objet de l'expertise. Par courrier du 15 octobre 2008 (cotes 18358 à 18382), le rapporteur général a annoncé la nomination d'un expert afin de certifier la sincérité de l'agrégation de données confidentielles par les services d'instruction, et invité les parties à formuler des observations sur le contenu de la mission confiée à l'expert. Par une décision du 16 décembre 2008, il a nommé un expert et fixé le cadre général de sa mission en tenant compte des premières observations reçues (cotes 22164 et 22165). Enfin, à l'issue de deux tours de contradictoire, le rapporteur général a fixé la méthodologie définitive de l'expertise par une décision du 17 février 2009. Les parties ne sont donc pas fondées à soutenir que la procédure suivie, qui leur est particulièrement favorable, aurait porté atteinte à leurs droits de la défense.

229. Enfin, si les parties soutiennent que l'expert n'a pas accompli la totalité de sa mission, cette circonstance n'est pas de nature à annuler le rapport d'expertise. La Cour d'appel de Paris a en effet jugé que " le grief qui est fait à [l'expert] de n'avoir pas entièrement rempli sa mission n'est pas de nature à entraîner la nullité du rapport qu'il a déposé, les parties, comme le rapporteur, conservant la possibilité de solliciter du rapporteur général une nouvelle expertise en application de l'article L. 463-8 du Code de commerce " (arrêt du 28 juin 2005, Société Vedettes Inter-Iles Vendéennes, non cassé sur ce point).

b) Sur les relations entre l'expert et les rapporteurs

230. Les parties se plaignent des contacts entre l'expert et les rapporteurs qui se seraient traduits par une vérification et des modifications des résultats de l'expertise, alors que la mission de l'expert consistait au contraire à vérifier le travail des rapporteurs.

231. L'article R. 463-16 du Code de commerce prévoit que " le ou les experts informent le rapporteur chargé de l'instruction de l'affaire de l'avancement des travaux d'expertise ". Les relations entre le rapporteur et l'expert ont été précisées par l'arrêt précité de la cour d'appel du 28 juin 2005, aux termes duquel " le rapporteur n'est pas (...) dessaisi pendant le cours de l'expertise ; (...) s'il rencontre des difficultés dans l'accomplissement de sa mission, l'expert a la faculté de s'en ouvrir à celui-ci qui est autorisé à lui donner un avis sur l'orientation de ses travaux ; (...) toutefois cet avis ne saurait lier l'expert ". Dans l'affaire en cause, la cour a confirmé la validité de l'expertise en relevant que l'avis donné par le rapporteur " n'était pas de nature à modifier la mission qui avait été donnée [à l'expert] par le rapporteur général telle que ce dernier l'avait définie " et qu'il avait été " porté à la connaissance des parties qui ont pu, en temps utile, en débattre contradictoirement devant l'expert ".

232. Au cas d'espèce, les rapporteurs ont fourni à l'expert l'intégralité des données qui résultaient du sondage de prix effectué auprès des 700 entreprises, conformément au souhait exprimé par les parties dans leurs observations du 12 janvier 2009 (cotes 33316 et 33318). Ils ont également soumis des documents récapitulatifs réalisant une retranscription organisée de ces données, afin d'en faciliter l'exploitation. La transmission de ces tableaux, qui se bornent à reproduire les données nécessaires au travail de l'expert sans lui donner un avis quant à l'orientation de ses travaux, n'a donc pas altéré l'accomplissement de sa mission.

233. Par ailleurs, dans le cadre du débat contradictoire, les rapporteurs ont répondu au pré- rapport d'expertise en formulant plusieurs remarques, qui ont été adressées à l'expert et à l'intégralité des parties concernées (courrier électronique du 13 juillet 2009, cote 29059). Enfin, les rapporteurs ont répondu à certaines questions de l'expert sur les données transmises. Les réponses des rapporteurs ont été clairement identifiées dans les documents transmis par l'expert aux parties le 14 juillet (cotes 29079 à 29129). Ces dernières ont ainsi eu la possibilité d'en débattre, notamment par leurs dires complémentaires adressés à l'expert le 4 août 2009.

234. Dans ces conditions, les relations entre l'expert et les rapporteurs ne sont pas de nature à remettre en cause la validité de l'expertise.

c) Sur les moyens mis à la disposition des parties pour répondre au travail d'expertise

235. Les parties font valoir qu'elles n'ont pas disposé d'un temps suffisant pour répondre aux rapports de l'expert, compte tenu notamment de la communication tardive de certaines pièces, dont la liste des 104 conditions bancaires. Elles soutiennent qu'elles auraient dû être convoquées par l'expert préalablement à la communication de son pré-rapport, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation rendue en application de l'article 160 du Code de procédure civile et des règles du contradictoire applicables en la matière (Cass.civ.2e, 20 décembre 2001).

236. L'expertise ordonnée dans le cadre d'une instruction menée par les services de l'Autorité de la concurrence est toutefois régie par les dispositions spéciales des articles L. 463-8 et R. 463-16 du Code de commerce. La Cour d'appel de Paris a jugé que " les dispositions du Code de procédure civile, qui ont essentiellement pour objet de définir les conditions dans lesquelles une partie peut obtenir du juge une décision sur le bien fondé d'une prétention dirigée contre une autre partie et reposant sur la reconnaissance d'un droit subjectif, ne s'appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence qui, dans le cadre de sa mission de protection de l'ordre public économique, exerce des poursuites à des fins répressives le conduisant à prononcer des sanctions punitives " (arrêt du 29 avril 2009, Philips France). C'est donc inutilement que les parties se prévalent d'une méconnaissance des dispositions de l'article 160 du Code de procédure civile.

237. L'article R. 463-16 du Code de commerce prévoit que " le ou les experts doivent prendre en considération les observations des parties, qui peuvent être adressées par écrit ou être recueillies oralement, et doivent les joindre à leur rapport si elles sont écrites et si la partie concernée le demande. Ils doivent faire mention, dans leur rapport, de la suite qu'ils leur ont donnée ". Il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce qui est soutenu, la convocation des parties dans la présente affaire n'était pas obligatoire. En tout état de cause, les parties ont été convoquées par l'expert afin de pouvoir présenter leurs observations oralement.

238. Par ailleurs, les parties ont été en mesure de répondre aux premiers écrits de l'expert formalisés dans un " pré-rapport " qui leur a été transmis le 20 février 2009, soit plus de cinq mois avant l'envoi du rapport définitif. Les parties ont pu ainsi remettre des dires en mai 2009, auxquels l'expert a répondu en juillet, des dires récapitulatifs en juillet, et des dires complémentaires faisant suite à la convocation de l'expert en août. Le moyen tiré du défaut de temps laissé aux parties pour présenter leurs observations manque donc en fait et doit être écarté.

239. Enfin, le document intitulé " les 104 conditions " ne fait pas partie des documents relevant du travail d'expertise, ainsi qu'il est expliqué par l'expert aux parties dans un message du 9 juillet 2009 (cote 36429). Celles-ci ne peuvent donc utilement se plaindre de leur communication tardive alléguée dans le cadre de l'expertise.

240. Il résulte de tout ce qui précède que les parties ne sont pas fondées à remettre en cause la validité de l'expertise. En tout état de cause, il convient de relever que les parties ont eu accès à l'intégralité des données concernées par la procédure d'expertise, à la suite du renvoi de l'affaire à l'instruction ordonné par la décision n° 09-S-04 précitée.

5. SUR LA COMMUNICATION DE LA SAISINE À LA COMMISSION BANCAIRE

241. BNP-Paribas, LCL et le Crédit Agricole reprochent aux services d'instruction d'avoir informé tardivement la Commission bancaire du contentieux en cours et de lui avoir communiqué la notification des griefs, et non, ainsi que l'article R. 463-9 du Code de commerce le prévoit, la saisine elle-même. Dès lors, les parties estiment qu'elles n'ont pas pu faire référence à l'avis de la Commission bancaire dans leurs observations, ce qui constituerait une violation du contradictoire.

242. En premier lieu, l'acte de saisine d'office a été communiqué à la Commission bancaire, conformément aux dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce. Ce document figure en effet en première annexe de la notification des griefs, communiquée à la Commission bancaire le 18 mars 2008 (cote 4462).

243. En deuxième lieu, s'agissant du caractère tardif de l'information de la Commission bancaire, la Cour de cassation a jugé, dans l'affaire ayant donné lieu à la décision n° 00-D-28 relative à la situation concurrentielle dans le secteur du crédit immobilier, que " l'article 16 du décret du 29 décembre 1986 [devenu l'article R. 463-9 du Code de commerce] ne précise pas le moment auquel la saisine doit être communiquée à l'autorité administrative concernée, n'impose pas que l'avis de cette dernière soit sollicité dès le stade de la saisine du Conseil et qu'il suffit que cette disposition soit mise en œuvre dans des conditions compatibles avec le respect du caractère contradictoire de la procédure devant le Conseil, la cour d'appel, qui observe que le Conseil a estimé, en l'espèce, qu'il convenait de transmettre outre l'acte de la saisine dont il avait pris l'initiative, la notification des griefs, document propre à favoriser l'émission d'un avis éclairé par cette autorité, et qu'il n'a pas été porté atteinte aux droits de la défense en procédant à cette formalité le 27 novembre 1998 dès lors que celle-ci a été accomplie avant la notification du rapport, a statué à bon droit " (Cass.com., 23 juin 2004, pourvoi n° 01-17896 02- 10066). En l'espèce, s'agissant d'une saisine d'office, la communication de la notification de griefs a permis à la Commission bancaire de disposer des informations de nature à lui permettre d'émettre un avis éclairé. En outre, l'avis de la Commission bancaire a été soumis au contradictoire et les parties ont pu en tenir compte pour produire leurs observations écrites dans le délai légal de deux mois.

244. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce manque en fait et doit être écarté.

6. SUR LE RESPECT DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ET DU SECRET DE L'INSTRUCTION

245. En premier lieu, le Crédit Mutuel, le CIC, LCL, le Crédit Agricole, BNP-Paribas et la Société Générale reprochent à l'Autorité d'avoir fait allusion à la présente affaire dans son avis n° 09-A-35 du 26 juin 2009 portant sur le projet d'ordonnance relatif aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement, alors que ce dossier était toujours en cours d'instruction à la date de publication de l'avis.

246. Certains passages de l'avis relevés par les parties ne font cependant pas référence à la présente affaire, mais résument la position de la Commission européenne sur les affaires relatives à des ententes sur les commissions d'interchange qu'elle a eu à connaître (§ 15 de l'avis) ou exposent des éléments d'analyse économique des commissions interbancaires, sans qualifier les comportements en cause au regard des règles du droit de la concurrence (§ 106 de l'avis). Si l'avis mentionne que " l'Autorité de la concurrence se prononcera à la fin de l'année 2009 sur la licéité des commissions interbancaires relatives au chèque bancaire " (§ 22), cette référence, qui ne comporte aucune indication sur l'issue du litige, la qualification des faits ou l'identité des parties mises en cause, ne constitue pas une violation du secret de l'instruction et ne peut s'apparenter à un pré-jugement qui violerait les droits des parties découlant du principe de la présomption d'innocence.

247. En second lieu, le Crédit Mutuel et le CIC estiment qu'il a été porté atteinte aux droits de la défense par l'évocation, dans les rapports notifiés par les services d'instruction, des discussions préliminaires menées avec les entreprises parties à la procédure afin d'envisager la non-contestation des griefs, cette évocation risquant d'être perçue par le collège de l'Autorité comme un aveu de culpabilité fragilisant toute défense au fond.

248. A cet égard, il convient de rappeler que la non-contestation des griefs, qui fait partie intégrante de la procédure suivie devant l'Autorité, ne constitue, en soi, ni un aveu ni une reconnaissance de responsabilité (voir, notamment, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 janvier 2008, Le Goff Confort SAS, précité). De plus, le rapport du 14 août 2008 (§ 230) et le rapport complémentaire du 19 août 2009 (§82 et s.) ont évoqué les discussions préliminaires avec les parties, à seule fin d'expliquer la raison pour laquelle la notification des griefs comprenait des éléments destinés à évaluer la gravité des pratiques et la façon dont les parties ont tenté d'utiliser à leur avantage ces discussions dans le cadre de la procédure. Dans ces conditions, le moyen mentionné ci-dessus manque en fait et doit être écarté.

B. SUR LE DROIT APPLICABLE

1. SUR L'APPLICABILITÉ DU DROIT DE LA CONCURRENCE

249. Les parties soutiennent que le droit de la concurrence n'est pas applicable en l'espèce. Elles estiment, en effet, que les neuf commissions interbancaires en cause ne peuvent être anticoncurrentielles et font valoir à cet égard l'absence de marché interbancaire. Elles précisent que, compte tenu de l'universalité des moyens de paiement, toute banque doit accepter les ordres de paiement donnés par les clients de toute autre banque et n'a donc pas le choix de son partenaire. La mise en rapport des banques tirées avec les banques remettantes étant contrainte par une volonté tierce, il n'y aurait pas d'offre ni de demande et, partant, pas de marché. Selon certaines parties, il en résulte que seule une commission interbancaire qui viserait les conditions tarifaires appliquées aux clients finaux pourrait faire l'objet d'un examen au regard des règles de concurrence.

250. La Banque Postale considère quant à elle que l'Autorité de la concurrence n'est pas compétente pour apprécier " le principe et le montant des commissions interbancaires " ni pour se substituer ainsi au régulateur sectoriel qu'est la Banque de France.

251. Il convient tout d'abord de rappeler que, dans l'arrêt Züchner du 14 juillet 1981, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que les activités bancaires n'échappaient pas à l'application du droit de la concurrence (172/80, Rec. 1981, p. 2021, point 8). La Cour de justice a précisé que les transferts de fonds effectués par les établissements bancaires au profit de leurs clients, s'ils relevaient de la mission propre des banques, ne constituaient pas des " services d'intérêt économique général " au sens du traité (point 7 de l'arrêt).

252. La même règle est énoncée en droit interne par l'article L. 511-4 du Code monétaire et financier, qui dispose que : " Les articles L. 420-1 à L. 420-4 du Code de commerce s'appliquent aux établissements de crédit pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l'article L. 311-2 ainsi qu'aux établissements de paiement pour leurs services de paiement et leurs services connexes définis à l'article L. 522-2 ".

253. Si les parties font valoir qu'il n'existe pas de " marché interbancaire " du chèque, le système de compensation interbancaire des chèques s'insère dans le système global de paiement par chèque, de nature quadripartite. Ce système met en rapport, pour chaque opération liée à un paiement par chèque (le paiement lui-même ou des opérations connexes telles que le rejet d'un paiement), deux clients finaux - le payeur (ou tiré) et le bénéficiaire (ou remettant) - et deux intermédiaires - la banque tirée et la banque remettante. La banque tirée et la banque remettante peuvent être la même personne (le chèque est alors dit intrabancaire) ou deux personnes distinctes (le chèque est dit interbancaire).

254. Dans cette dernière hypothèse, les rapports entre les intermédiaires relèvent de la sphère interbancaire et les rapports entre chaque client final et son intermédiaire s'inscrivent dans la relation banque-client. On distingue ainsi deux faces du marché, s'agissant des services liés au paiement par chèques : un marché de l'émission de formules de chèques qui met en rapport les banques tirées et les payeurs et un marché de la remise de chèques qui met en rapport les bénéficiaires et les banques remettantes.

255. Lorsqu'une opération donnée réalisée entre les clients finaux de deux banques ne comporte pas d'aspects interbancaires autres que des accords techniques assurant l'interopérabilité du système, chacune des deux banques détermine avec son client l'équilibre propre à la relation banque-client. En revanche, lorsque les banques décident qu'une opération de paiement réalisée entre deux de leurs clients finaux générera des effets interbancaires, comme le versement d'une commission par la banque remettante à la banque tirée, un tel accord est susceptible d'influencer leurs coûts et, partant, la politique de tarification des services qu'elles rendent à leur clientèle.

256. La sphère interbancaire et la sphère banque-client sont donc deux sphères distinctes mais interdépendantes, puisque des accords interbancaires sont susceptibles de produire des effets en dehors de la sphère interbancaire et d'influer sur la formation des prix dans la relation banque-client.

257. La Commission a ainsi eu l'occasion d'examiner la légalité de plusieurs types de commissions interbancaires au regard des règles du droit de la concurrence (voir, par exemple, les décisions du 30 mars 2002, Visa, et du 19 décembre 2007, Mastercard, précitées, ou les décisions du 17 octobre 2007, Groupement des Cartes Bancaires " CB ", affaire COMP/D1/38606 et du 8 septembre 1999, GSA, affaire IV/34.010).

258. De même, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a eu à connaître de tarifs interbancaires dans le cadre de l'affaire dite du " Club Lombard ", sans que l'application du droit de la concurrence soit remise en cause (arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T-259-02 à T-264-02 et T-271-02, Rec. p. II-5169, point 176).

259. En droit interne, le Conseil de la concurrence a examiné, dans sa décision n° 88-D-37 du 11 octobre 1988 relative au Groupement des cartes bancaires "CB", la conformité au droit de la concurrence de commissions interbancaires, dites commissions d'interchange, appliquées par les banques de commerçants aux banques de porteurs de cartes.

260. En conséquence, contrairement à ce que soutiennent les parties, les neuf commissions interbancaires en cause relèvent bien du champ d'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 CE (devenu l'article 101 TFUE). Elles entrent donc dans le champ de compétence de l'Autorité de la concurrence, tel que défini au I de l'article L. 462-5 du même Code.

2. SUR L'APPLICABILITÉ DU DROIT COMMUNAUTAIRE

261. La Banque de France, LCL et le Crédit Agricole soutiennent qu'il ne peut être fait application, dans la présente espèce, de l'article 81 CE. Selon CE Participations, seule la CEIC serait exclue du champ d'application de cet article, à la différence des CSC.

262. Les articles 81 CE et 82 CE (devenus 101 et 102 TFUE), dans leur version en vigueur au cours de la période de commission des pratiques, s'appliquent aux accords horizontaux et verticaux et aux pratiques abusives d'entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres. Se fondant sur le traité et les lignes directrices de la Commission relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JO 2004 C 101, p. 81), l'Autorité de la concurrence considère que trois éléments doivent être démontrés pour établir que des pratiques sont susceptibles d'avoir sensiblement affecté le commerce entre Etats membres : l'existence d'échanges entre Etats membres portant sur les produits ou les services faisant l'objet de la pratique, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation (voir décision du Conseil de la concurrence n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 novembre 2009).

a) Sur l'existence d'échanges entre les Etats membres

263. La Banque de France fait valoir que le chèque n'est pas un moyen de paiement transfrontalier.

264. Les lignes directrices de la Commission précisent cependant que " la notion de " commerce " n'est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l'établissement " (point 19). Ainsi, " le commerce entre Etats membres peut également être affecté dans des cas où le marché en cause est national ou subnational " (point 22).

265. A cet égard, la présente affaire doit être appréciée en tenant compte de la libéralisation des services bancaires, assurée notamment par la deuxième directive 89-646-CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice (JO L 386, p. 1), qui pose le principe de l'agrément communautaire unique. Accordé par un Etat membre à un établissement de crédit, cet agrément lui permet d'exercer dans toute la Communauté l'ensemble des activités bancaires de base, soit en créant des établissements secondaires, soit en fournissant ses services directement à partir du pays où il est établi. L'Etat membre d'origine assure le contrôle global de l'établissement bancaire, l'Etat d'accueil surveille les succursales établies sur son territoire.

266. Un récent rapport du Sénat relève que : " s'agissant des implantations bancaires d'origine étrangère, la France figure au nombre des pays européens les plus ouverts à la présence sur son territoire d'établissements sous contrôle étranger " (rapport de décembre 2009, " La régulation bancaire à l'épreuve de la crise financière "). Par ailleurs, il résulte des constatations énoncées ci-dessus (point 24) que le chèque représentait 37 % des paiements effectués en France en 2000 et 26 % en 2006. Il est ainsi indispensable pour une banque étrangère souhaitant pénétrer l'ensemble du marché français, au-delà d'une clientèle de niche, de proposer à ses clients la mise à disposition de formules de chèques ainsi qu'un service de remise de chèques.

267. Les conditions, notamment de coût, auxquelles est subordonnée la remise de chèques sur l'ensemble du territoire national sont donc susceptibles d'influer sur la mise en œuvre concrète de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services bancaires, permettant donc de caractériser l'existence d'échanges entre Etats membres.

b) Sur l'existence de pratiques susceptibles d'affecter les échanges entre les Etats membres de manière sensible

268. Les parties font valoir, d'une part, que le coût de revient du chèque pour les banques remettantes, susceptible d'être influencé par les commissions interbancaires en litige, ne constitue pas une barrière à l'entrée sur le marché national. La seule barrière à l'entrée du marché de la banque de détail serait la constitution d'un réseau d'agences locales nécessaire aux relations de proximité avec les clients. Elles font valoir, d'autre part, que la hausse du coût de revient du chèque a une incidence sur le marché de la remise de chèques, et non sur le marché de l'émission.

269. Il résulte de la jurisprudence communautaire qu'un accord entre entreprises, pour être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, " doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États " (voir l'arrêt du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. p. 2545, point 22). A cet égard, la Cour de justice a jugé qu'" une entente s'étendant à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité " (voir, par exemple, l'arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, Rec. p. I-1577, point 95). Le Tribunal de première instance des communautés européennes, dans l'arrêt Raiffeisen Zentralbank Österreich/Commission, précité, a déduit qu'il résultait de cette jurisprudence " qu'il existe, à tout le moins, une forte présomption qu'une pratique restrictive de la concurrence appliquée à l'ensemble du territoire d'un État membre soit susceptible de contribuer au cloisonnement des marchés et à affecter les échanges intracommunautaires. Cette présomption ne peut être écartée que si l'analyse des caractéristiques de l'accord et du contexte économique dans lequel il s'insère démontre le contraire " (point 181). Cette analyse a été confirmée par la Cour de justice dans son arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank/Commission (C-125-07 P, C-133-07 P, C-135-07 P et C-137-07 P, non encore publié au Recueil, point 39).

270. Cette circonstance ne suffit cependant pas à elle seule pour conclure au caractère sensible de l'affectation du commerce intracommunautaire. Celui-ci dépend en effet des circonstances de chaque espèce, et notamment de la nature de l'accord ou de la pratique, de la nature des produits ou services concernés, ainsi que de la position de marché des entreprises en cause. (point 45 des lignes directrices).

271. Au cas présent, les pratiques en cause visent un accord horizontal couvrant l'ensemble du territoire français. Si, ainsi que le relèvent les parties, la difficulté pour les banques étrangères de pénétrer le marché national des services bancaires aux particuliers tient principalement à l'absence de réseaux d'agences locales, cette barrière à l'entrée ne revêt pas la même importance pour l'accès au marché des services bancaires aux entreprises, qui constituent la clientèle potentielle principale des banques étrangères. Les pratiques en cause sont donc bien susceptibles d'affecter le libre établissement des banques étrangères, dès lors que l'application de commissions interbancaires a pour effet d'élever le coût de traitement des chèques remis aux banques par leur clientèle d'entreprises. La réalité d'une telle affectation est illustrée par le cas d'HSBC, qui indique avoir été contraint d'augmenter les tarifs facturés à l'entreprise Carrefour en juillet 2003, du fait de la forte augmentation des coûts unitaires de traitement des chèques, même s'il précise que cette hausse n'est ni nécessairement, ni exclusivement liée à la mise en place de la CEIC (cote 5507). Ainsi, l'accord en litige peut avoir contribué au renforcement des barrières à l'entrée sur le marché des services bancaires en France.

272. L'espèce se distingue des circonstances de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de justice du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C-215-96 et C-216-96, Rec. 1999, p. I-135), invoqué par les parties. Saisie à titre préjudiciel de la compatibilité avec le droit communautaire de conditions bancaires uniformes relatives au cautionnement général devant garantir l'ouverture d'un crédit en compte courant et dérogeant au droit commun du cautionnement en Italie, la Cour de justice avait relevé, pour conclure à l'absence d'affectation du commerce intra-communautaire, que la participation de filiales ou succursales d'établissements financiers non italiens au service bancaire concerné était limitée, et que " la possible utilisation des [contrats en cause] de la part de la clientèle principale des banques étrangères, c'est-à-dire les grandes entreprises et les opérateurs étrangers, n'a pas une grande importance et, en tout cas, pas une importance décisive dans le choix fait par les banques étrangères de s'établir ou non en Italie, dans la mesure où les contrats tels que ceux en cause au principal ne sont que rarement utilisés par ce type de clientèle " (points 51 et 52 de l'arrêt). C'est un raisonnement similaire, fondé sur l'intérêt limité du produit en cause pour les banques étrangères, qui avait poussé la Commission à conclure à l'absence d'affectation sensible du commerce entre Etats par la commission interbancaire imposée sur les virements à communication structurée aux Pays-Bas dans sa décision du 8 septembre 1999, GSA, précitée.

273. Dans l'affaire du " Club Lombard ", le Tribunal de première instance des communautés européennes a précisé que : " il résulte de l'arrêt Bagnasco e.a., (...), qu'il peut exister des accords couvrant l'ensemble du territoire d'un État membre qui ne produisent pas d'effet sensible sur le commerce entre États membres. Par ailleurs, la Commission a retenu une approche analogue dans la décision Banques néerlandaises II (...). L'infraction complexe dont il s'agit en l'espèce se distingue cependant des accords visés par l'arrêt et la décision cités au point précédent (...). En effet, les concertations au sein du " réseau Lombard " impliquaient non seulement presque tous les établissements de crédit en Autriche, mais également une très large gamme de produits et de services bancaires, notamment les dépôts et les crédits et, de ce fait, elles étaient susceptibles de modifier les conditions de la concurrence dans l'ensemble de cet État membre. " (points 182 et 183 de l'arrêt Raiffeisen Zentralbank Österreich/Commission, précité, confirmé par l'arrêt de la Cour de justice, Erste Group Bank/Commission, précité, point 40).

274. Au cas d'espèce, les concertations au sein de la CIR impliquaient les douze principaux établissements de crédit établis en France. Du fait de l'utilisation massive du chèque comme moyen de paiement en France au cours de la période en cause, les conditions tarifaires régissant la remise de chèques, en particulier par les entreprises, clientèle potentielle des banques étrangères, étaient susceptibles de revêtir une réelle importance dans le choix de ces banques de s'établir ou non en France. Dès lors que l'offre d'un service de chèques à la clientèle impose la participation au système de compensation de chèques interbancaires, les établissements bancaires étrangers souhaitant s'établir en France étaient nécessairement affectés par la pratique dénoncée, à savoir l'établissement de commissions pour le traitement des chèques interbancaires. Dans ces conditions, le caractère sensible de l'affectation du commerce intracommunautaire est établi.

275. Il résulte de tout ce qui précède que les pratiques mises en œuvre peuvent être qualifiées au regard de l'article 81 CE.

C. SUR LES PRATIQUES

276. A titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsque les pratiques qui ont fait l'objet de la notification des griefs sont recherchées au titre de la prohibition des ententes, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision, comme en matière d'abus de position dominante, dès lors que le secteur et les marchés ont été suffisamment identifiés pour permettre de qualifier les pratiques observées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre (décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, point 28 ; voir, dans le même sens, l'arrêt du Tribunal de première instance du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke AG, T-44-00, p. II-2223, point 132). En l'espèce, le secteur et les marchés concernés, à savoir les marchés de l'émission et de la remise des chèques, ayant été suffisamment identifiés, il n'est pas besoin de se prononcer sur l'argument présenté par le Crédit du Nord selon lequel les grands remettants constituent une demande spécifique au sein des bénéficiaires de chèques du fait de la relation globale entre les banques et ces entreprises.

1. SUR L'EXISTENCE D'UNE ENTENTE

a) Sur le concours de volontés

277. Pour qu'il y ait accord au sens de l'article 81 CE et de l'article L. 420-1 du Code de commerce, il suffit que deux entreprises au moins aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir notamment les arrêts de la Cour de justice du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, point 112, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 130, et l'arrêt du Tribunal de première instance du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission, T-168-01, Rec. p. II-2969, point 76 ; voir également le rapport annuel pour 1980 de la Commission de la concurrence, p. 223).

278. En l'espèce, les douze banques mises en cause ne contestent pas avoir participé aux réunions de la CIR au cours desquelles elles se sont entendues pour instaurer la CEIC et les CSC et en fixer le montant. Il est également constant qu'elles ont ensuite mis en œuvre l'accord litigieux, tel qu'il ressort du compte rendu de la réunion de la CIR du 3 février 2000.

b) Sur la participation individuelle des entreprises mises en cause à l'entente

Sur la participation à l'entente de la Banque de France

279. La Banque de France allègue qu'elle a participé aux réunions de la CIR en qualité de Banque centrale chargée de veiller au bon fonctionnement et à la sécurité des systèmes de paiement. Elle considère dès lors qu'elle ne peut être qualifiée d'entreprise au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce s'agissant de sa participation à ces réunions.

280. La Banque de France est à la fois une institution dont le capital appartient à l'Etat, chargée de missions de service public et dotée de prérogatives de puissance publique, notamment dans le secteur des moyens de paiement - elle ne dispose toutefois pas, ainsi qu'elle le reconnaît elle-même, de pouvoir réglementaire en matière d'organisation des systèmes de paiement - et une banque exerçant une activité bancaire de nature commerciale relevant à

ce titre de l'article L. 410-1 du Code de commerce.

281. En l'espèce, il convient de relever que la Banque de France a participé aux réunions de la CIR au cours desquelles les conséquences financières du passage à l'EIC pour les banques, y compris elle-même en tant que banque remettante notamment du Trésor public, ont été examinées. Par ailleurs, à l'instar des onze autres banques, la Banque de France a acquitté jusqu'en 2007 la CEIC de 4,3 centimes d'euro par chèque remis.

282. Par conséquent, la Banque de France doit être qualifiée d'entreprise au sens du droit de la concurrence en ce qui concerne sa participation aux réunions de la CIR.

Sur la participation à l'entente du Crédit du Nord

283. Le Crédit du Nord estime que, dans la mesure où il n'a été présent qu'à une seule réunion de la CIR, dont il ne pouvait connaître l'objet anticoncurrentiel, sa participation à l'entente ne peut être établie.

284. A cet égard, il convient tout d'abord de rappeler la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence s'agissant du standard de preuve de la participation d'une entreprise à une entente horizontale. Le Conseil a distingué les situations dans lesquelles la concertation anticoncurrentielle se déroule au cours de réunions tenues dans le cadre statutaire d'une organisation professionnelle et celles dans lesquelles l'entente est mise au point au cours de réunions informelles, de nature le plus souvent occulte ou secrète, auxquelles participent de leur propre initiative les entreprises concurrentes (décision n° 07-D-48 du 18 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du déménagement national et international, point 178 et s., confirmée par les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 25 février 2009, société Transeuro Desbordes Worldwide Relocations SAS, et de la Cour de cassation du 7 avril 2010).

285. Dans le premier cas, auquel correspond la présente espèce, il est considéré que le seul fait d'avoir participé à une réunion tenue dans le cadre statutaire d'une organisation professionnelle dont l'ordre du jour aurait dans les faits évolué vers un objet anticoncurrentiel ne suffit pas à caractériser l'adhésion des entreprises à l'entente, puisque l'entreprise régulièrement convoquée n'est pas en mesure de connaître l'objet anticoncurrentiel de cette réunion. La preuve de l'adhésion à l'entente nécessite alors une preuve additionnelle, comme la diffusion de consignes arrêtées lors de la réunion, l'application de mesures concrètes décidées lors de celle-ci ou la participation à une réunion ultérieure ayant le même objet anticoncurrentiel (même décision, point 179).

286. En l'espèce, contrairement à ce que soutient le Crédit du Nord, sa participation aux pratiques en cause ne résulte pas seulement de sa présence à l'une des réunions de la CIR. En effet, il apparaît notamment que le Crédit du Nord a été destinataire des documents concernant les réunions auxquelles il n'a pas participé, qu'il ne s'est pas opposé à la décision des autres membres de la CIR d'instaurer les neuf commissions interbancaires en cause et qu'il a mis en œuvre l'accord litigieux pendant près de six années.

287. Il résulte de ce qui précède que la participation du Crédit du Nord à l'entente est établie.

Sur la participation à l'entente des entreprises non mises en cause

288. LCL, le Crédit Agricole et La Banque Postale reprochent aux services d'instruction de ne pas avoir mis en cause certaines entreprises qui ont participé directement aux décisions de la CIR ou indirectement par l'intermédiaire d'un mandataire membre de la CIR. Plusieurs centaines d'établissements de crédit auraient ainsi été représentés au sein de la CIR et auraient ensuite appliqué l'accord litigieux, alors que la notification des griefs n'aurait été adressée qu'à douze d'entre eux.

289. La Banque Postale ajoute que le choix des rapporteurs de restreindre le nombre d'établissements de crédit mis en cause constitue une rupture d'égalité, la sanction encourue par chacun d'entre eux étant proportionnée au dommage global à l'économie et non au dommage dont ils sont individuellement responsables.

290. A cet égard, il convient de rappeler que la Cour de cassation a reconnu que le rapporteur dispose d'un pouvoir d'appréciation quant à la conduite de ses investigations (arrêt du 15 juin 1999, Lilly France). Il peut notamment attraire à la procédure les seules entreprises ayant pris une part active à l'organisation et à la mise en œuvre de l'entente (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 17 octobre 1991, Salomon).

291. En l'espèce, les griefs ont été notifiés aux entreprises qui étaient membres de la CIR et qui ont ensuite appliqué l'accord litigieux. Or, les entreprises mentionnées par les parties ne remplissent par cette double condition. En effet, il s'agit soit d'associations professionnelles qui n'ont pas été appelées à appliquer personnellement l'accord, soit d'entreprises ayant effectivement appliqué l'accord mais qui n'étaient pas membres de la CIR.

292. Au surplus, la Cour d'appel de Paris a jugé qu'" une société sanctionnée n'est pas recevable à critiquer la décision en ce qu'elle ne sanctionne pas d'autres entreprises, cette circonstance ne lui faisant pas grief " (arrêt du 28 janvier 2009, Epsé Joué Club, arrêt définitif).

293. Enfin, contrairement à ce que soutient La Banque Postale, la sanction infligée n'est pas destinée à réparer le seul dommage dont l'entreprise serait responsable. Si l'évaluation du dommage à l'économie procède d'une appréciation globale des pratiques, cette appréciation " ne constitue qu'une référence à laquelle doit être rapportée chaque sanction individualisée en tenant compte de la situation propre à chaque entreprise " (même arrêt).

c) Sur l'absence de contrainte

294. Les parties font valoir, en substance, qu'elles auraient agi en cédant à la pression des pouvoirs publics et de la Banque de France, ce qui les exonérerait de toute responsabilité à l'égard des pratiques en cause.

295. Les pouvoirs publics, en déléguant de façon implicite leur pouvoir régulateur aux banques, les auraient fortement incitées, voire contraintes à se concerter sur le principe et la tarification de commissions interbancaires pour le traitement du chèque.

296. Quant à la Banque de France, elle aurait exercé un pouvoir d'influence réel dans le cadre des négociations de la CIR : elle aurait été à l'origine du compromis ayant conduit à la création des neuf commissions interbancaires en février 2000 et aurait joué un rôle décisif s'agissant de la suppression de la CEIC et de la réduction des CSC en octobre 2007.

297. En droit communautaire comme en droit national, les comportements anticoncurrentiels ne sont répréhensibles que s'ils ont été adoptés par les entreprises disposant d'une autonomie de volonté (voir, notamment, l'arrêt de la Cour de justice du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C-359-95 P et C-379-95 P, Rec. p. I-6265, point 33). Le juge communautaire a précisé que, en l'absence de disposition légale contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel et ne laissant aucune place aux entreprises pour des comportements indépendants, il ne peut être conclu à une absence d'autonomie des entreprises " que s'il apparaît sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l'exercice de pressions irrésistibles telles que, par exemple, la menace de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes " (arrêt du Tribunal de première instance du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T-387-94, Rec. p. II-961, point 65).

298. Dans l'arrêt du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission (T-217-03 et T-245-03, Rec. p. II-4987, point 92) rendu dans l'affaire dite de la " Viande bovine ", le Tribunal de première instance a rappelé, s'agissant du rôle joué par le ministre de l'Agriculture français dans la conclusion de l'accord litigieux, que, selon une jurisprudence constante, la circonstance que le comportement des entreprises a été connu, autorisé ou même encouragé par des autorités nationales était sans influence sur l'applicabilité de l'article 81 CE.

299. Conformément à la jurisprudence communautaire, l'Autorité de la concurrence considère que le fait que des pratiques anticoncurrentielles aient été approuvées ou encouragées par les pouvoirs publics n'est pas suffisant pour dégager les entreprises mises en cause de leur responsabilité. L'intervention publique ne peut constituer une telle cause d'exonération que si le cadre juridique qu'elle fixe est contraignant (voir, en ce sens, la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-10 du 15 mars 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du chou-fleur de Bretagne).

300. Ainsi que la Commission bancaire l'a relevé dans son avis du 22 mai 2008, la mise en œuvre de l'EIC constituait " un enjeu politique majeur, soutenu activement par l'ensemble des pouvoirs publics dans le cadre du passage à l'euro ". Si, en l'espèce, l'incitation des pouvoirs publics a été réelle, cette circonstance ne permet toutefois pas d'établir que la fixation des neuf commissions interbancaires a été imposée par les pouvoirs publics à l'occasion du passage à l'EIC.

301. De même, il ne ressort pas des comptes rendus des réunions de la CIR que la Banque de France ait exercé une quelconque pression sur les autres banques s'agissant de l'instauration desdites commissions, notamment de la CEIC. Au contraire, la Banque de France était clairement opposée à la création d'une telle commission, ainsi qu'elle l'a exprimé lors de la réunion du 1er juillet 1999 : " la commission fixe n'est pas souhaitable " (voir points 101 ci-dessus - partie constatations). Si la Banque de France a effectivement exercé un rôle d'intermédiation dans le cadre des négociations de la CIR, en proposant de réduire le niveau de la CEIC ou de la limiter dans le temps, il s'agissait uniquement pour elle de trouver un compromis afin de permettre le passage à l'EIC.

302. Enfin, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, la Banque de France ne dispose pas de pouvoir réglementaire en matière d'organisation des systèmes de paiement.

303. En tout état de cause, à supposer même que les banques aient subi une pression de la part des pouvoirs publics ou de la Banque de France, il ne saurait être considéré qu'une telle pression puisse être qualifiée d'irrésistible au sens de la jurisprudence rappelée ci-dessus. Tout au plus cette circonstance pourrait-elle être examinée au titre des circonstances atténuantes dans le cadre de l'appréciation de la sanction appliquée aux entreprises.

304. Partant, le moyen doit donc être écarté.

2. SUR LA QUESTION DES RESTRICTIONS ACCESSOIRES

305. Les parties font valoir que la CEIC et les CSC constituent des restrictions accessoires au passage à l'EIC. Elles estiment que la dématérialisation des échanges de chèques, projet d'intérêt général, ne comporte en soi aucune restriction de concurrence et que les commissions interbancaires lui sont directement liées dès lors qu'elles ont été créées afin de compenser les charges financières supportées par les banques du fait du passage à ce système.

306. S'agissant de la CEIC, elles soutiennent que celle-ci était objectivement nécessaire au passage à l'EIC, dès lors qu'aucun accord n'aurait été conclu en l'absence de cette commission. A cet égard, les Banques Populaires indiquent que la CEIC n'a pas été créée dans le but d'assurer une meilleure rentabilité du passage à l'EIC pour les banques, mais à seule fin d'obtenir l'accord de l'ensemble des parties à la négociation. L'établissement précise qu'à défaut d'instauration de la CEIC, la seule alternative ouverte aux banques était le maintien des délais de règlement interbancaires qui avaient cours avant le passage à l'EIC. La banque fait valoir que le rôle joué par la Banque de France, autorité de régulation du secteur bancaire, dans l'adoption de ce compromis, en démontrerait le caractère indispensable. Par ailleurs, la Banque de France souligne que la suppression de la CEIC en 2007 n'est pas de nature à en démontrer l'absence de nécessité objective, dès lors qu'une restriction accessoire doit être proportionnée, et, partant, limitée dans sa durée. En outre, le Crédit Mutuel et le CIC estiment que la proportionnalité de la CEIC est établie dès lors que son niveau est inférieur à celui qui aurait été nécessaire pour compenser les pertes des banques majoritairement tirées, comme le Crédit Agricole.

307. S'agissant des CSC, les parties font valoir qu'elles étaient objectivement nécessaires pour permettre la conclusion de l'accord relatif au passage à l'EIC dès lors que celui-ci entraînait un découplage entre la banque sur laquelle repose la responsabilité d'un service et celle qui en supporte effectivement le coût.

a) Le droit applicable

308. Dans son arrêt M6 e.a./Commission du 18 septembre 2001, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a précisé la portée de la notion de restriction accessoire en droit de la concurrence qui " couvre toute restriction qui est directement liée et nécessaire à la réalisation d'une opération principale " (T-112/99, Rec. II-2459, points 104 et s.). Les restrictions accessoires ne font pas l'objet d'un examen distinct de celui de l'opération principale au regard du droit de la concurrence. Ainsi, si l'opération principale ne restreint pas la concurrence, les restrictions accessoires à cet accord sont compatibles avec l'article 81, paragraphe 1, CE.

309. S'agissant de la condition relative au lien direct avec l'opération principale, le Tribunal indique qu'elle correspond à " toute restriction qui est subordonnée en importance par rapport à la réalisation de cette opération et qui comporte un lien évident avec celle-ci " (même arrêt, point 105). S'agissant de la condition relative au caractère nécessaire d'une restriction, le juge communautaire indique qu'il convient " de rechercher, d'une part, si la restriction est objectivement nécessaire à la réalisation de l'opération principale et, d'autre part, si elle est proportionnée par rapport à celle-ci " (point 106). A cet égard, le Tribunal précise que " l'examen du caractère objectivement nécessaire d'une restriction par rapport à l'opération principale ne peut être que relativement abstrait. Il s'agit non pas d'analyser si, au vu de la situation concurrentielle sur le marché en cause, la restriction est indispensable pour le succès commercial de l'opération principale, mais bien de déterminer si, dans le cadre particulier de l'opération principale, la restriction est nécessaire à la réalisation de cette opération. Si, en l'absence de la restriction, l'opération principale s'avère difficilement réalisable voire irréalisable, la restriction peut être considérée comme objectivement nécessaire à sa réalisation " (point 109).

310. Enfin, le Tribunal considère que " [d]ès lors qu'une restriction est objectivement nécessaire à la réalisation d'une opération principale, il convient encore de vérifier si sa durée et son champ d'application matériel et géographique n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour la réalisation de ladite opération. Si la durée ou le champ d'application de la restriction excèdent ce qui est nécessaire pour la réalisation de l'opération, elle doit faire l'objet d'une analyse séparée dans le cadre de l'article 85, paragraphe 3, du traité " (même arrêt, point 113 ; voir aussi sur ce point l'arrêt de la Cour du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. p. 2545, point 20, et l'arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61-89, Rec. p. II-1931, point 78).

311. Par ailleurs, le juge communautaire a précisé que ce n'est que dans le cadre précis de l'article 81, paragraphe 3, CE, qui prévoit la possibilité d'exempter des accords restrictifs

de concurrence lorsque ceux-ci satisfont à un certain nombre de conditions, qu'une mise en balance des aspects pro-concurrentiels et anticoncurrentiels d'une restriction peut avoir lieu et relève que l'article 81, paragraphe 3, CE " perdrait en grande partie son effet utile si un tel examen devait déjà être effectué dans le cadre de l'article 85, paragraphe 1 [devenu l'article 81, paragraphe 1], du traité " (arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods, T-65-98, Rec. p. II-2641, point 107).

312. Au stade de l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, il incombe aux entreprises mises en cause de démontrer qu'une restriction est directement liée et objectivement nécessaire à la réalisation d'une opération principale (arrêt M6 e.a./Commission, précité, point 122).

b) Appréciation en l'espèce

313. S'il est indéniable que la CEIC était directement liée à la mise en place de l'EIC, système dématérialisé d'échange des chèques, elle-même neutre au regard du droit de la concurrence, les parties ne démontrent pas que cette commission était objectivement nécessaire pour l'adoption du nouveau système, au sens de la jurisprudence communautaire précitée.

314. En effet, l'opération principale qu'il convient d'apprécier en l'espèce pour examiner le caractère accessoire de la CEIC est la dématérialisation de la compensation interbancaire des chèques. Or, l'EIC pouvait être mis en place sans accélération des échanges interbancaires, et, partant, sans modification des équilibres de trésorerie, dès lors que la fixation de la date de règlement interbancaire relevait d'une libre décision des banques. L'écart entre la date d'échange des chèques et la date de règlement interbancaire a été fixé en commun par les banques dans le cadre de l'accord du 3 février 2000, en fonction du choix de l'Heure d'arrêté de la journée d'échange (HAJE). La solution qui a été adoptée d'une HAJE à 18 h et d'un délai de règlement interbancaire à J+1 n'était pas imposée techniquement par la dématérialisation des échanges.

315. Le rapport du groupe de travail restreint de la CIR précise ainsi que la CEIC a été proposée avec l'objectif de " compenser les modifications de trésorerie interbancaire qui pourraient résulter du choix de l'HAJE et de l'écart entre échange et règlement " (synthèse du rapport du 8 juin 1999, cote 1374). Il résulte des différents documents de travail de la CIR que, comme le relèvent les Banques Populaires, les banques ont envisagé un délai de règlement interbancaire allongé comme solution alternative à l'instauration de la CEIC (voir point 86).

316. Si les parties soutiennent qu'un délai de règlement interbancaire à J+2 était difficilement acceptable, vis-à-vis notamment de leurs clients, dans la mesure où, à la différence de la solution retenue prévoyant la création de la CEIC, il aurait privé les utilisateurs du système du chèque de l'accélération techniquement permise par la dématérialisation des échanges, un tel argument doit être examiné au regard des dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE. En effet, conformément à la jurisprudence communautaire précitée, c'est dans le cadre de ces dispositions que doit être effectuée la mise en balance des gains d'efficacité, tels que, en l'espèce, l'accélération des échanges interbancaires, et des effets restrictifs d'une pratique pour déterminer si cette dernière peut bénéficier d'une exemption.

317. Dans ces conditions, la CEIC n'était pas objectivement nécessaire à la réalisation de l'opération principale que constituait la dématérialisation de la compensation interbancaire des chèques. Dès lors, elle ne peut être considérée comme une restriction accessoire à cette opération et doit faire l'objet d'une analyse séparée dans le cadre de l'article 81, paragraphe 3, CE.

318. De même, en ce qui concerne les CSC, les parties ne démontrent pas que ces commissions étaient objectivement nécessaires pour l'adoption du nouveau système, au sens de la jurisprudence communautaire précitée.

319. Dans sa décision GSA du 21 octobre 1999 précitée, la Commission européenne a étudié la conformité de commissions multilatérales d'interchange destinées à rémunérer les prestations effectuées par la banque débitrice pour la banque créditrice dans le cadre du système néerlandais de virements à communication structurée au regard des dispositions de l'article 81, paragraphe 1, CE : " d'un point de vue pratique, il est nécessaire que les banques intervenant dans l'opération soient d'accord sur la répartition éventuelle des frais, c'est-à-dire retenir ou non le principe d'une compensation et, dans l'affirmative, en fixer le niveau. Compte tenu des caractéristiques inhérentes à un système de paiement tel que celui du virement à communication structurée, les négociations à ce sujet doivent de toute évidence être menées préalablement, c'est-à-dire avant que le système de paiement soit effectivement utilisé par les banques pour le traitement des opérations de paiement réalisées par leurs clients. (...) Si les banques décident d'instaurer une commission interbancaire, l'accord sur le niveau de la commission peut en principe être bilatéral ou multilatéral. En l'espèce, les banques ont décidé d'instaurer une commission multilatérale uniforme, bien que celle-ci soit devenue un plafond en 1992. On peut aussi envisager qu'un certain nombre de banques prennent l'initiative en se mettant d'accord sur des commissions bilatérales et que les autres banques cherchent à se joindre à l'une d'elles, de sorte que cette série de commissions bilatérales s'appliquent aussi à elles. Les banques pourraient également passer des accords multilatéraux sur une formule de calcul de la commission interbancaire en fonction de paramètres variant d'une banque à l'autre. (...) La pratique montre que les négociations bilatérales sur les commissions interbancaires pour le traitement électronique des virements à communication structurée sont techniquement possibles. Ainsi, avant l'entrée en vigueur de l'accord GSA, il existait entre plusieurs grandes banques des accords bilatéraux sur la compensation de ces frais " (considérants 47 à 49).

320. Une analyse similaire peut être suivie au cas d'espèce s'agissant des CSC adoptées par les banques. La rémunération des prestations rendues par les banques remettantes aux banques tirées dans le cadre d'un système de compensation dématérialisé, comportant le " blocage " physique des chèques au niveau de la banque remettante suivi de l'échange d'images-chèques, pouvait, en principe, faire l'objet de négociations bilatérales. En effet, rien n'indique que des négociations bilatérales sur des commissions interbancaires pour le traitement des opérations connexes à l'EIC seraient techniquement impossibles. Par ailleurs, si les parties font valoir que le principe de négociations bilatérales se heurtait au nombre élevé d'acteurs en jeu, et que celles-ci se seraient donc traduites par d'importants coûts de transaction, un tel argument doit être examiné au regard des dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE. En effet, c'est dans le cadre de ces dispositions que doit être effectuée la mise en balance des effets proconcurrentiels, tels que l'économie de coûts de transaction, et anticoncurrentiels d'une pratique restrictive pour déterminer si cette dernière peut bénéficier d'une exemption.

321. Les banques pouvaient également se mettre d'accord sur les modalités de calcul de chaque commission en fonction de paramètres variant d'une banque à l'autre. Si les parties font valoir qu'un tel accord était impossible sans qu'il soit procédé à l'échange d'informations sensibles entre banques, en méconnaissance des règles du droit de la concurrence, cet argument doit être écarté dès lors que la mise au point d'une formule de calcul théorique ne nécessitait pas l'échange de données individuelles entre les banques.

322. Dans ces conditions, les CSC n'étaient pas objectivement nécessaires à la réalisation de l'opération principale que constituait la dématérialisation de la compensation interbancaire des chèques. Dès lors, elles ne peuvent être considérées comme une restriction accessoire à cette opération et doivent faire l'objet d'une analyse séparée dans le cadre de l'article 81, paragraphe 3, CE.

3. SUR L'OBJET DES PRATIQUES

a) Les arguments des parties

S'agissant de la CEIC

323. Tout d'abord, les parties rappellent qu'il ressort de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence nationale et communautaire que les commissions multilatérales interbancaires ne sont pas nécessairement et automatiquement qualifiées de restrictions de concurrence par objet. Les Banques Populaires, la Société Générale, le Crédit Agricole et LCL considèrent ainsi que la CEIC n'a pas par nature un objet anticoncurrentiel, dès lors qu'elle ne constitue pas un accord sur les prix, le simple fait qu'elle puisse avoir pour effet de modifier la situation concurrentielle des banques ne pouvant suffire à caractériser sa nature anticoncurrentielle. Le Crédit du Nord souligne que l'objet anticoncurrentiel d'une commission interbancaire n'a jamais été formellement reconnu par les autorités communautaires.

324. La Banque de France considère que, en l'état de la pratique décisionnelle, il n'est pas possible de considérer que la CEIC a un objet anticoncurrentiel par nature, sauf à démontrer qu'elle présente une dangerosité particulière.

325. Les parties font ensuite valoir que la CEIC est une commission purement interbancaire n'ayant pas vocation à être répercutée sur les prix facturés aux clients remettants. Les Banques Populaires et le Crédit du Nord soulignent à cet égard que la création de la CEIC n'a emporté aucun effet automatique sur la fixation des prix facturés aux clients remettants, chaque banque continuant de déterminer de façon autonome le niveau global de rentabilité souhaité dans sa relation avec les clients.

326. Les parties soutiennent ainsi qu'elles n'ont poursuivi aucun objectif anticoncurrentiel et précisent à cet égard que la CEIC a eu pour objet non de rémunérer un service rendu par les banques tirées aux banques remettantes, mais de compenser la perte soudaine de la principale ressource des banques majoritairement tirées de chèques couvrant les coûts de la mise à disposition des chèques, alors que l'EIC avait pour conséquence le transfert du float au profit des banques majoritairement remettantes. La Banque Postale considère ainsi que la situation concurrentielle des banques n'a pas été modifiée par la CEIC, puisque l'instauration de cette commission a compensé un transfert de revenus des banques majoritairement tirées au profit des banques majoritairement remettantes. Le Crédit Agricole et LCL soulignent que cette compensation devait être partielle et temporaire.

327. Certaines parties, et notamment La Banque Postale, reprochent plus spécifiquement aux rapporteurs de ne pas avoir tenu compte de la gratuité du chèque, en ce qu'elle représente une charge financière particulièrement importante pour les banques de clients modestes, et de la compensation partielle que ces banques retiraient légitimement de la disposition des sommes figurant sur les comptes de dépôts à vue. La CEIC permettait donc d'assurer que le passage à l'EIC n'aurait pas pour effet d'accroître le poids de la charge de la gratuité du chèque qui pèse sur les banques de clients modestes.

328. Les parties font en outre valoir que l'objet d'un accord doit être analysé au regard du contexte économique et juridique dans lequel il s'inscrit. Elles estiment que, en l'espèce, le contexte particulier du secteur bancaire et les contraintes qui pèsent sur ses membres lorsqu'ils doivent mettre en place et gérer des systèmes de paiement auraient dû être pris en compte. La Banque de France souligne à cet égard que toute modification du système de compensation des chèques requérait l'accord de l'ensemble des banques, accord qui devait nécessairement s'inscrire dans un cadre multilatéral, l'instauration de relations bilatérales entre les centaines de banques actives en France étant matériellement ingérable et difficilement compatible avec la notion même de système de paiement.

329. Enfin, les parties soutiennent que l'objectif également poursuivi par la mise en place de la CEIC n'était pas de réguler l'utilisation des différents moyens de paiement, mais seulement d'éviter que le nouveau système de traitement des chèques ne favorise un moyen de paiement considéré comme plus onéreux et moins sécurisé par rapport aux autres moyens de paiement plus modernes tels que le titre interbancaire de paiement (TIP), le virement ou la carte bancaire. Elles considèrent dès lors qu'un tel objectif ne peut être qualifié d'anticoncurrentiel.

S'agissant des CSC

330. Les parties font valoir que les CSC ont été créées dans le seul but de rémunérer les services rendus par les banques remettantes aux banques tirées du fait de la mise en place de l'EIC. Elles estiment que les CSC n'ont pas par nature un objet anticoncurrentiel, dès lors qu'aucun élément ne permet d'établir qu'elles avaient vocation à être répercutées sur les clients.

331. Par ailleurs, les parties soutiennent que seule la conclusion d'un accord multilatéral était envisageable, l'instauration de relations bilatérales entre les centaines de banques actives en France étant en pratique ingérable.

b) Le droit applicable

332. Aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les ententes expresses sont interdites, notamment lorsqu'elles tendent à " faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ". En vertu de l'article 81, paragraphe 1, CE, les accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun sont incompatibles avec le marché commun et interdits, notamment ceux qui consistent à " fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ".

Les pratiques anticoncurrentielles par objet

333. Il résulte des termes mêmes de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 CE que l'objet et l'effet anticoncurrentiel d'une pratique sont des conditions alternatives pour apprécier si celle-ci peut être sanctionnée en application de ces dispositions. Il n'est ainsi pas nécessaire d'examiner les effets d'un accord dès lors que l'objet anticoncurrentiel de ce dernier est établi (voir les arrêts de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8-08, points 28 et 30, et du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services/Commission, C-501-06 P, C-513-06 P, C-515-06 P et C-519-06 P, non encore publié au Recueil, ci-après l'" arrêt GlaxoSmithKline ", point 55 ; voir également l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 juin 2010, Veolia Transports).

334. Par ailleurs, aux termes d'une jurisprudence communautaire constante, pour apprécier le caractère anticoncurrentiel d'un accord, il convient de s'attacher notamment à la teneur de ses stipulations, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère (voir, par exemple, l'arrêt GlaxoSmithKline, précité, point 58, et l'arrêt de la Cour du 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society et Barry Brothers, C-209-07, ci-après l'" arrêt BIDS ", points 16 et 21). Les intentions subjectives des parties peuvent être prise en compte à titre complémentaire, mais elles ne sauraient être déterminantes (voir les arrêts de la Cour IAZ International Belgium e.a./Commission, 96-82 à 102-82, 104-82, 105-82, 108-82 et 110-82, Rec. p. 3369, point 23 à 25, General Motors/Commission, C-551-03 P, Rec. P. I-3173, points 77 et 78, et T-Mobile précité, point 27).

La pratique décisionnelle en matière de commissions interbancaires

335. Dans sa communication relative à l'application des règles de concurrence de la Communauté européenne aux systèmes de virement transfrontalier (JOCE 1995, C 251, p. 3), la Commission aborde la question de la concurrence tarifaire et plus spécifiquement celle des commissions interbancaires. Elle considère ainsi " qu'un accord de commission interbancaire bilatéral ne relève normalement pas de l'article 85 paragraphe 1 [devenu l'article 81, paragraphe 1, CE] ". En revanche, elle estime que " tout accord sur une commission interbancaire multilatérale est une restriction de la concurrence relevant de l'article 85 paragraphe 1, car il limite de manière importante la liberté des banques d'établir individuellement leur politique de tarification ". La Commission souligne par ailleurs que cette restriction risque en outre de fausser le comportement des banques à l'égard de leurs clients (point 40).

336. C'est au regard de ce critère de la limitation de la liberté tarifaire des banques que des commissions interbancaires multilatérales de différente nature ont été qualifiées de restrictions de la concurrence par la Commission européenne et le Conseil de la concurrence dans le cadre de leur pratique décisionnelle.

337. Il s'agit, tout d'abord, des commissions interbancaires visant à répartir les coûts communs de fonctionnement d'un système de paiement.

338. Dans sa décision n° 88-D-37 du 15 octobre 1988, GIE CB, le Conseil de la concurrence a ainsi analysé la commission interbancaire, fixée par le Groupement d'intérêt économique des cartes bancaires " CB " constitué en 1984 entre les établissements français émettant des cartes bancaires, versée par les banques de commerçants aux banques de porteurs de cartes à l'occasion de chaque règlement effectué par carte bancaire. Cette commission était destinée à rémunérer le risque afférent à la garantie de paiement assurée par la banque du porteur de la carte et à couvrir le coût des mesures collectives de sécurité ainsi que les charges inhérentes au traitement de la transaction.

339. Le Conseil a estimé que " la détermination, par le groupement, de la commission d'interchange, supposée couvrir notamment le coût de la garantie de paiement supportée par les banques de porteurs limite la capacité de négociation des membres du groupement vis-à-vis de leur clientèle de commerçants ; qu'en effet, les banques de commerçants sont incitées à pratiquer vis-à-vis de leur clientèle des taux de commission établis en fonction des montants qu'elles devront verser aux banques de porteurs, montants déterminés par le groupement et applicables uniformément à toutes ces banques quelle que soit la situation particulière de chacune d'elles ".

340. Cette commission d'interchange a donc été considérée comme étant de nature à fausser le libre jeu de la concurrence. Si la décision ne le précise pas, le raisonnement suivi indique que la pratique a été qualifiée d'anticoncurrentielle à raison de son objet, dès lors que les effets de la commission interbancaire n'ont pas été analysés.

341. Dans sa décision du 8 septembre 1999, GSA, précitée, la Commission européenne a examiné une commission versée par la banque du bénéficiaire (banque créditrice) à la banque du client (banque débitrice), afin de couvrir partiellement les frais liés au traitement des formules de virement par la banque débitrice.

342. La Commission a fait application des principes dégagés dans sa communication de 1995 en considérant que la commission interbancaire multilatérale en cause avait pour objet de restreindre la concurrence au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE, car elle limitait la liberté des banques parties à l'accord de fixer le niveau d'une commission éventuelle pour le traitement des virements à communication structurée dans le cadre de négociations bilatérales. La Commission a souligné que la pratique montrait que les négociations bilatérales sur les commissions interbancaires pour le traitement électronique des virements à communication structurée étaient techniquement possibles et avaient été mises en œuvre par le passé. Par ailleurs, elle a considéré que la commission interbancaire avait un effet restrictif de la concurrence dès lors qu'elle servait en fait de " plancher " pour l'établissement des tarifs applicables aux clients.

343. Il s'agit, ensuite, des commissions interbancaires multilatérales visant à optimiser le fonctionnement de différents systèmes de cartes de paiement.

344. Dans sa décision du 24 juillet 2002, Visa, précitée, la Commission a ainsi examiné une commission versée en l'absence d'accord bilatéral par la banque acquéreuse à la banque émettrice pour chaque transaction par carte de paiement Visa, dont l'objectif était d'optimiser le fonctionnement du système de cartes de paiement Visa en corrigeant le déséquilibre entre les coûts liés à l'émission et à l'acquisition et les revenus procurés respectivement par les titulaires de cartes et par les commerçants.

345. La Commission a considéré que l'accord sur la commission multilatérale d'interchange n'avait pas " pour objet de restreindre la concurrence étant donné que, dans le cadre d'un système de paiement quadripartite tel que celui de Visa, un accord de ce type a pour objectif d'accroître la stabilité et l'efficacité de fonctionnement dudit système (...) et, indirectement, de renforcer la concurrence entre systèmes de paiement en permettant ainsi aux systèmes quadripartites de concurrencer plus efficacement les systèmes tripartites " (considérant 69). La Commission a en revanche retenu l'existence de deux types de restriction par effet : une restriction de la concurrence entre les systèmes de paiement (Visa, Mastercard...) et une restriction de la concurrence qui s'exerçait parmi les banques émettrices et acquéreuses.

346. Dans sa décision du 19 décembre 2007, Mastercard, précitée, la Commission n'a pas tranché la question de savoir si les commissions multilatérales d'interchange en cause étaient restrictives de la concurrence par objet, dès lors qu'il était clairement établi qu'elles avaient des effets anticoncurrentiels. La Commission n'a cependant pas exclu l'existence d'une restriction par objet, dès lors que les CMI avaient pour conséquence la fixation des prix : " Le fait que les CMI déterminent généralement un niveau plancher pour les prix que les commerçants doivent acquitter pour l'acceptation des cartes de paiement est (...) une indication que les CMI de Mastercard ont probablement, par leur nature, le potentiel de fixer les prix " (considérant 405). L'existence d'un prix plancher n'était pas contesté en l'espèce par MasterCard qui avait déclaré que les CMI " constituaient un moyen de " corriger " les prix qui, dans le cas contraire, seraient fixés de part et d'autre de son système par des " relations de concurrence indépendantes entre les émetteurs et entre les acquéreurs " (considérant 406).

347. Enfin, dans la perspective de la mise en place d'un système unifié de paiements en Europe (SEPA), la Commission a analysé les commissions multilatérales d'interchange sur les marchés de prélèvement. Elle a relevé que celles-ci étaient similaires aux commissions prélevées sur les marchés des cartes de paiement telles que les CMI ayant donné lieu à la décision Mastercard. Sans préjudice d'une future évaluation au cas par cas des CMI appliquées dans le cadre du prélèvement SEPA, la Commission a indiqué : " Comme les CMI fixent typiquement un niveau plancher en dessous des tarifs que les banques font payer aux entreprises, elles constituent une restriction de la concurrence par objet car, de par leur nature même, elles sont susceptibles de restreindre la concurrence. Elles peuvent aussi constituer une restriction par effet " (point 12). Elle a également souligné que : " [d]u point de vue de l'évaluation dans le cadre du droit de la concurrence, la question pertinente est de savoir si une commission multilatérale d'interchange déterminée peut faire l'objet d'une exemption en vertu de l'article 81, paragraphe 3, du traité CE " (point 14).

348. Il ressort de ce qui précède, d'une part, que les autorités de concurrence nationales et communautaires ne se sont encore jamais prononcées sur une commission interbancaire multilatérale dont il aurait été allégué qu'elle serait d'une nature " compensatoire " (ainsi que le soutiennent les parties s'agissant de la CEIC) ni sur des commissions destinées à rémunérer un service rendu par une catégorie de banques à une autre, même si de telles commissions peuvent, quant à certaines de leurs caractéristiques, être assimilées aux commissions visant à répartir les coûts de fonctionnement des systèmes de paiement, et, d'autre part, que, si la Commission ne s'est pas fondée spécifiquement sur l'objet anticoncurrentiel d'une commission interbancaire multilatérale pour la déclarer contraire aux stipulations du traité CE, le raisonnement qu'elle a suivi dans certaines des affaires précitées n'est en aucun cas exclusif d'une telle qualification.

c) Le contexte économique et juridique

349. S'agissant de la nécessité de prendre en compte le contexte économique et juridique dans lequel s'inscrivent les accords, l'avocat général Mme Trstenjak a précisé, dans ses conclusions sous l'arrêt BIDS précité : " Cette règle doit être prise au sérieux, mais il serait erroné de la comprendre comme une porte ouverte à tous les éléments susceptibles de jouer en faveur de la compatibilité d'un accord avec le marché commun. En réalité, il ressort de la structure de l'article 81 CE que les éléments de contexte juridique et économique qui entrent en ligne de compte au titre de l'article 81, paragraphe 1, CE sont uniquement ceux qui sont de nature à faire douter de l'existence d'une restriction de la concurrence " (point 48). La Cour de justice examine ainsi si le contexte juridique ou économique est de nature à exclure toute possibilité de concurrence efficace (voir, en ce sens, les arrêts du 8 juillet 1999, Montecatini/Commission, C-235-92 P, point 127, Van Landewyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, point 153, et Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission, 240-82 à 242-82, 261-82, 262-82, 268-82 et 269-82, Rec. p. 3831, points 24 à 29)

La nécessaire coordination des banques pour l'organisation des systèmes de paiement

350. Un système de paiement nécessite une certaine forme de coordination entre ses membres. En effet, les créanciers et les débiteurs doivent pouvoir utiliser un système de paiement quelle que soit la banque auprès de laquelle ils sont titulaires d'un compte, ce qui implique que toute banque doit accepter les ordres de paiement donnés par les clients de toute autre banque. Ainsi, la conclusion de certains accords par l'ensemble des banques peut s'avérer indispensable à l'établissement et au fonctionnement d'un système de paiement. Il s'agit notamment des accords techniques visant à assurer l'interopérabilité du système par la définition d'opérations standardisées communes à toutes les banques participantes ainsi que ceux concernant les aspects procéduraux du traitement des opérations.

351. De tels accords sont le plus souvent conclus dans un cadre multilatéral, ainsi que l'a rappelé la Commission européenne dans sa décision GSA précitée : " D'un point de vue technique, un système uniforme de virements à communication structurée, c'est-à-dire un système de paiement que les créanciers et les débiteurs peuvent utiliser quelle que soit la banque où ils sont titulaires d'un compte, ne peut exister que s'il se fonde sur une base multilatérale bien établie. Ainsi la conclusion d'accords collectifs concernant les spécifications techniques et les aspects procéduraux du traitement des opérations est nécessaire au bon fonctionnement du système " (considérant 46).

352. S'ils limitent la liberté de chacun des acteurs pris individuellement, ces accords ne relèvent en principe pas de l'article 81, paragraphe 1, CE ni de l'article L. 420-1 du Code de commerce (voir, à cet égard, le point 32 de la communication de la Commission de 1995 sur les systèmes de virement transfrontaliers précitée). Tel n'est pas le cas, en revanche, des accords portant sur des commissions interbancaires multilatérales, ainsi que l'a rappelé à plusieurs reprises la Commission (voir, notamment, le point 40 de la communication de 1995 et le considérant 48 de la décision GSA, précitées). En effet, l'universalité d'un moyen de paiement n'implique pas que l'ensemble des banques concluent des accords de nature tarifaire : chaque banque peut en effet rester libre de définir individuellement sa politique de tarification sur la face du marché sur laquelle elle est active. S'agissant du secteur du chèque, il fonctionnait d'ailleurs jusqu'en 2002 selon un pur schéma d'interopérabilité, sans relations tarifaires directes entre les banques.

La gratuité de la délivrance des formules de chèques

353. L'article L. 131-71 du Code monétaire et financier dispose que " [l]orsqu'il en est délivré, les formules de chèques sont mises gratuitement à la disposition du titulaire du compte ". Cette gratuité pour les émetteurs représente un coût pour les banques tirées notamment en termes d'impression, de contrôle avant délivrance, de délivrance des formules de chèques et de contrôle avant paiement. Toutefois, l'article L. 312-2 du Code monétaire et financier autorisant les banques à disposer des dépôts à vue effectués par leurs clients, lesquels ne pouvaient être rémunérés jusqu'en 2004, le placement de ces sommes leur permet de compenser, au moins partiellement, les coûts résultant de la gratuité de la délivrance des formules de chèques.

354. En outre, il n'est pas exclu que l'émission de chèques soit également financée, de façon indirecte, grâce à la rémunération versée lors de la remise des chèques (facturation à l'unité ou selon la valeur des chèques remis, float et/ou commission de mouvement payée par les entreprises). Dès lors, via la mutualisation des coûts du chèque et, plus largement, via l'offre bancaire globale dont le financement repose en partie sur un mécanisme de subventions croisées, il peut être considéré qu'en pratique les clients paient les formules de chèques qui leur sont délivrées ainsi que leur utilisation, même s'il ne s'agit pas d'un paiement unitaire.

355. Par ailleurs, il convient de relever que le passage à l'EIC a également permis d'alléger certaines charges administratives pesant sur les banques tirées, avec la suppression, pour la majorité des chèques échangés, des coûts de transport des chèques tirés sur elles depuis la chambre de compensation, et la simplification du traitement retour des chèques (fin de la relecture du chèque par la banque tirée, par exemple). Ces économies administratives compensent donc au moins en partie les pertes de trésorerie subies par les banques tirées résultant de l'accélération des échanges des chèques interbancaires.

356. Enfin, il y a lieu de relever que la gratuité de la délivrance des chèques et la charge financière qui en découle pour les banques tirées (en particulier les banques de clients modestes) n'ont pas été évoquées en tant que telles dans les comptes rendus de la CIR pour justifier l'instauration de la CEIC. Il ressort en effet de ces documents que les discussions des membres de la CIR se sont concentrées sur le coût du traitement des chèques mais pas sur la gratuité de leur mise à disposition des titulaires de comptes courants.

357. En conclusion, les banques n'étaient nullement contraintes, du fait de la gratuité de la délivrance des chèques, de mettre en place des commissions interbancaires afin de rémunérer les services liés à l'émission des chèques.

d) La commission d'échange image-chèque (CEIC)

358. Il s'agit d'une commission interbancaire multilatérale d'un montant de 4,3 centimes d'euro versée par la banque remettante à la banque tirée à chaque remise de chèque interbancaire.

359. Bien que le compte rendu de la réunion de la CIR du 3 février 2000 ait indiqué que le montant de la CEIC était un montant maximal et que des montants inférieurs pouvaient être facturés (17), il ne ressort toutefois pas des éléments figurant au dossier que les banques aient utilisé cette possibilité de facturer la CEIC à un montant moins élevé (18). Le montant maximal déterminé par la CIR ayant été ainsi systématiquement appliqué, la CEIC doit être considérée comme une commission interbancaire fixe (ou uniforme) (19).

360. La CEIC a été créée, selon les parties à l'accord, afin de compenser les pertes alléguées de trésorerie subies par les banques majoritairement tirées du fait de l'accélération du règlement interbancaire des chèques résultant du passage à l'EIC. Ainsi que les parties le soulignent elles-mêmes, la CEIC ne constitue donc pas une rémunération que les banques remettantes versent aux banques tirées en contrepartie d'un service rendu, mais un transfert de revenus d'une banque à une autre afin de partager les conséquences financières de l'accélération de l'échange des chèques permise par la dématérialisation du système.

361. S'agissant, tout d'abord, de l'argument des parties selon lequel elles n'ont poursuivi aucun objectif anticoncurrentiel, il convient de relever que, à supposer même qu'il soit établi que les parties aient agi sans intention de restreindre la concurrence, mais dans le but de remédier aux effets du passage à l'EIC sur la trésorerie des banques majoritairement tirées, de telles considérations ne sont pas pertinentes aux fins de l'application de l'article 81 CE

et de l'article L. 420-1 du Code de commerce. En effet, la notion d'accord anticoncurrentiel par objet s'applique indépendamment de la circonstance éventuelle que les parties à l'accord n'ont pas eu l'intention, voire seulement la conscience, de violer les règles de concurrence. En effet, la preuve de l'intention de restreindre la concurrence n'est pas un élément nécessaire pour déterminer si un accord a pour objet une telle restriction (arrêt de la Cour du 1er février 1978, Miller International Schallplatten/Commission, 19-77, Rec. p. 131, point 18 ; arrêt du Tribunal de première instance du 9 juillet 2009, Peugeot et Peugeot Nederland/Commission, T-450-05, Rec. p. II-2533, point 55 et jurisprudence citée ci-dessus, point 334).

362. Il y a lieu, en outre, de rappeler qu'un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s'il n'a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence, mais poursuit également d'autres objectifs légitimes (arrêt BIDS, précité, point 21, et arrêt de la Cour du 6 avril 2006, General Motors/Commission précité, point 64). Dans l'arrêt BIDS, la Cour a ainsi jugé que les objectifs de rationalisation de la filière bovine et de remède aux effets de la crise sectorielle poursuivis par un accord portant sur la réduction des capacités des entreprises de transformation de la viande n'étaient pas pertinents pour apprécier la conformité de cet accord aux dispositions de l'article 81, paragraphe 1, CE. La Cour a précisé que de tels objectifs ne pouvaient, le cas échéant, être pris en considération qu'aux fins d'obtenir une exemption en application des dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE.

363. Partant, dès lors que l'accord en cause comportait un objet restrictif de la concurrence ainsi qu'il est démontré ci-dessous, les arguments tendant à démontrer qu'il poursuivait un objectif pro-concurrentiel ne seront pas examinés au regard de l'article 81, paragraphe 1, CE et de l'article L. 420-1 du Code de commerce, mais à la lumière de l'article 81, paragraphe 3, CE et de l'article L. 420-4 du Code de commerce.

364. S'agissant, ensuite, de l'argument avancé par la Banque de France selon lequel il ne saurait être considéré que la CEIC a un objet anticoncurrentiel par nature, sauf à démontrer qu'elle présente une dangerosité particulière, il convient de rappeler que l'examen du caractère anticoncurrentiel d'un accord est effectué de façon concrète, en tenant compte du contexte économique et juridique dans lequel il s'insère (voir point 334 ci-dessus). Pour constituer une infraction par objet, la pratique en cause doit permettre, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'elle puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur la concurrence (voir la décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-10 du 27 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent, point 172). Ainsi, pour être qualifié de restriction de la concurrence par objet, il suffit qu'un accord soit susceptible de produire des effets négatifs sur le jeu de la concurrence. Tel est le cas d'un accord qui a pour conséquence évidente la fixation des prix (décision MasterCard, précitée, considérant 403). La question de savoir si et dans quelle mesure de tels effets se produisent réellement ne peut être prise en compte que lors de la fixation du montant de l'amende (voir, par analogie, l'arrêt T-Mobile Netherlands e.a., précité, point 31, et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-D-31 du 30 septembre 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la gestion et de la commercialisation des droits sportifs de la Fédération française de football, point 335).

365. Ces rappels effectués, il convient de déterminer si la CEIC comporte un objet anticoncurrentiel. A cette fin, l'analyse concurrentielle portera tout d'abord sur le marché de la remise de chèques, puis sur celui de l'émission de chèques. Enfin, l'objectif de régulation de l'utilisation des différents moyens de paiement tel qu'il apparaît dans les discussions préalables à l'accord sera examiné.

Les restrictions de la concurrence sur le marché de la remise de chèques

La hausse artificielle du coût de revient du traitement des remises de chèques pour les banques remettantes

366. Sur le marché de la remise de chèques, la création de la CEIC a introduit un élément de coût uniforme pour les banques remettantes, qui n'existait pas dans l'ancien système de compensation des chèques interbancaires. Les banques remettantes ont ainsi subi une hausse artificielle de leurs charges d'exploitation affectant le bilan de chaque opération de remise.

367. Or, les banques, comme toute entreprise, devant nécessairement couvrir leurs coûts, il y a lieu de présumer qu'une telle hausse était susceptible de produire deux types d'effets : la limitation de l'offre de remise de chèques, d'une part, et l'augmentation des prix finaux, d'autre part.

La limitation potentielle de l'offre sur le marché de la remise de chèques

368. Dans l'hypothèse d'une absence de répercussion totale ou partielle de la CEIC sur les prix facturés par les banques remettantes à leurs clients, la hausse du coût unitaire du traitement des chèques qui en a résulté pour ces dernières et, partant, la rentabilité moindre, voire un déficit de l'activité de remise des chèques sont susceptibles d'avoir entraîné une réduction de l'offre sur le marché de la remise de chèques. En effet, il est tout à fait envisageable qu'une banque préfère renoncer à fournir une prestation si, à tout le moins, le prix consenti aux clients ne couvre pas le montant de la commission interbancaire affectant cette prestation et que celle-ci devient déficitaire.

L'influence potentielle sur les prix finaux

369. A titre liminaire, il y a lieu de relever que le libellé de l'article 81, paragraphe 1, CE ne permet pas de considérer que seuls seraient interdits les accords ayant un effet direct sur les prix finaux. Au contraire, il ressort dudit article 81, paragraphe 1, sous a), CE qu'un accord peut avoir un objet anticoncurrentiel s'il consiste à " fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ". Ainsi que la Cour de justice l'a rappelé, l'article 81 CE vise à protéger non pas uniquement les intérêts directs des concurrents ou des consommateurs, mais également la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle. Dès lors, la constatation de l'objet anticoncurrentiel d'un accord ne saurait être subordonnée à la preuve que l'accord comporte des inconvénients pour les consommateurs finals (arrêt GlaxoSmithKline, précité, points 63 et 64 ; voir aussi, par analogie, l'arrêt T-Mobile Netherlands e.a., précité, points 37 à 39).

370. A la différence de l'affaire MasterCard, dans laquelle MasterCard n'a pas contesté le fait que les CMI fixaient généralement un niveau plancher pour les frais imputés aux commerçants (voir point 346 ci-dessus), les parties mises en cause en l'espèce contestent le caractère vraisemblable de la répercussion de la CEIC sur les prix finaux sur le marché de la remise de chèques. Certes, il ne ressort pas des comptes rendus de la CIR que les banques remettantes étaient convenues de répercuter la CEIC sur leurs clients. Cependant, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, les accords interbancaires tels que des commissions interbancaires peuvent produire des effets en dehors de la sphère interbancaire, notamment sur la formation des prix finaux. Ainsi, dans la décision GSA de 1999, la Commission a relevé que " rien ne permet d'affirmer que les banques sont convenues de répercuter systématiquement la commission interbancaire. L'accord GSA les laisse expressément libres de décider de manière autonome de répercuter ou non la commission. Toutefois, lorsque les banques décident individuellement de le faire, il faut y voir une conséquence directe de l'existence de l'accord GSA, étant donné que ce dernier impose à la banque créditrice un coût économique qu'elle ne supportait pas auparavant. En l'absence de commission interbancaire, il n'y aurait rien à répercuter (...) " (considérant 53).

371. En l'espèce, dans la mesure où la CEIC augmente le coût de fourniture du service de remise de chèques, elle est susceptible d'avoir un impact sur la relation banque-client et d'entraîner une augmentation des prix facturés par les banques remettantes à leurs clients. L'ampleur de cette possible répercussion dépend de nombreux facteurs, dont la politique commerciale de chaque banque remettante, le pouvoir de négociation des clients et l'intensité de la concurrence. La CEIC est donc susceptible d'être répercutée partiellement, voire totalement, sur les prix finaux.

372. Plusieurs pièces versées au dossier attestent par ailleurs que certaines des banques considéraient que la CEIC avait bien vocation à être répercutée sur les clients remettants. Il s'agit tout d'abord d'une note sur " les images chèques Arguments et questions réponses " remise aux membres du groupe de travail restreint de la CIR à la suite de la réunion du 10 mai 2000 indiquant à propos des coûts supplémentaires résultant pour le secteur bancaire de la mise en place de la CEIC : " report sur le client remettant... " (cote 4264) ainsi que du compte rendu d'une réunion interne au Crédit Mutuel en date du 10 janvier 2001 dans lequel il est précisé que " [b]ien qu'ayant vocation à être répercutée sur le remettant elle pèse sur le compte d'exploitation du banquier remettant " (cote 4263). Enfin, lors de son audition par les enquêteurs le 12 juillet 2005, le Crédit Agricole a déclaré : " La position du CA par rapport à la répercussion de la [CEIC] consiste à dire qu'à partir du moment où les clients bénéficient de délais meilleurs et que le CA supporte une charge supplémentaire, il est normal que cette charge soit répercutée, mais c'est aux caisses régionales de décider de répercuter ou non la commission interbancaire " (cote 4264).

373. Par ailleurs, il convient de rappeler que la banque remettante peut facturer les chèques remis à l'unité ou selon leur valeur. Mais elle peut également ne pas les facturer directement et rémunérer son service de remise de chèques dans le cadre de son offre globale de services bancaires via un système de subventions croisées. Compte tenu de cette mutualisation des coûts de l'ensemble des services bancaires, la répercussion, partielle ou totale, de la CEIC sur les prix finaux apparaît comme une conséquence potentielle de la création d'une charge nouvelle qui n'était pas supportée auparavant par les banques.

374. Partant, il doit être considéré que, en raison de son influence potentielle sur le niveau des prix finaux, la CEIC a, par nature, la capacité de restreindre la concurrence tarifaire, et ce même en l'absence d'un prix plancher sur le marché de la remise de chèques.

Les restrictions de concurrence sur le marché de l'émission de chèques

375. Sur le marché de l'émission de chèques, la CEIC a généré une hausse de revenu artificielle pour les banques tirées, puisqu'elles ont perçu un revenu qui ne leur était pas attribué par le marché, mais par un accord interbancaire, et ce afin de compenser les pertes de trésorerie qu'elles estimaient subir du fait de l'accélération du règlement interbancaire des chèques.

376. A cet égard, les parties soutiennent que la CEIC est susceptible d'avoir été répercutée par les banques tirées sous la forme d'une baisse des prix des services bancaires autres que celui de l'émission de chèques. Une telle affirmation est cependant en contradiction avec l'objectif poursuivi par les membres de la CIR tel qu'invoqué par les parties au point précédent. En tout état de cause, cet effet potentiel de la CEIC démontre l'influence de cette dernière sur la formation des prix finaux, en violation du principe de libre formation des prix par le jeu du marché.

377. La capacité de la CEIC à influer sur les conditions de la concurrence sur les deux faces du marché et notamment sur les prix finaux est d'ailleurs confirmée par l'analyse présentée par les conseils des parties elles-mêmes : " une telle commission modifie le coût marginal de l'activité d'émission et de remise de chèques : toutes choses égales par ailleurs, une commission payée par les banques remettantes aux banques tirées augmente le coût de fourniture du service de remise de chèques et diminue le coût de fourniture du service d'émission. Une commission interbancaire, dans la mesure où elle augmente les coûts d'un côté et les diminue de l'autre côté, est donc susceptible d'entraîner tout à la fois une augmentation des prix sur un côté du marché et une baisse des prix sur l'autre côté du marché " (étude des cabinets LECG et MAPP du 26 mai 2008, produite par les parties en réponse à la notification des griefs, § 2.7., cote 5988).

378. Quant à l'argument des parties selon lequel la CEIC n'a pas eu pour objet de modifier, mais précisément de préserver les équilibres de trésorerie existants, et, partant, de leur situation concurrentielle prévalant avant 2002, il convient de considérer qu'un tel objectif contribue en réalité à " figer " le marché du chèque. Du côté de l'émission de chèques, un tel objectif vise à pérenniser par le biais d'une commission uniforme, créée artificiellement hors des mécanismes du libre jeu du marché, une partie des flux de recettes que les banques tiraient auparavant du float, c'est-à-dire à garantir aux banques tirées un niveau de rémunération minimal par chèque tiré. Symétriquement, du côté de la remise de chèques, cet objectif a pour conséquence la neutralisation des bénéfices attendus de l'accélération des échanges pour les banques remettantes. Un tel objectif est par conséquent restrictif de concurrence. Cet argument peut toutefois être examiné au titre de l'exemption éventuelle des pratiques, puisqu'il a trait aux incitations qu'avaient les banques à accepter la migration d'un système à un autre.

379. Il résulte de ce qui précède que la création de la CEIC a pour objet de restreindre la liberté de chaque banque de définir individuellement sa politique tarifaire et fait obstacle à la libre fixation des prix sur le marché du chèque, en favorisant artificiellement leur hausse du côté de la remise et leur baisse du côté de l'émission. Or, l'objectif essentiel du droit de la concurrence consiste à ce que tout opérateur économique détermine de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché (arrêts de la Cour du 14 juillet 1981, Züchner, 172-80, Rec. p. 2021, point 13, et du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7-95P, Rec. p. I- 3111, point 86). La CEIC doit donc être qualifiée de restriction de la concurrence par objet au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81, paragraphe 1, CE.

La régulation de l'utilisation des différents moyens de paiement

380. Il ressort des comptes rendus de la CIR ainsi que des documents de travail du groupe de travail restreint de la CIR que l'objectif de régulation de l'utilisation des différents moyens de paiement a été évoqué à de nombreuses reprises dans le cadre des discussions ayant conduit à la création de la CEIC.

381. Ainsi, dans le document de travail du 22 juin 1999, il est indiqué : " Il ne faudrait pas que certains acteurs soient amenés à préférer le chèque avec EIC à des moyens de paiement automatisés du seul fait que les conditions entre banques qui seraient retenues le rendent plus attractif que ceux-ci soit pour le couple créancier-banque du créancier, soit pour le couple débiteur-banque du débiteur ". La synthèse de ce document est également particulièrement explicite : " Enfin, les commissions entre banques sont à étudier avec un triple objectif " dont l'un est d'" assurer une cohérence du chèque avec EIC et des autres moyens de paiement ". " Pour que les créanciers et leurs banques ne le préfèrent pas aux autres moyens de paiement il faut que l'ensemble, commission versée par le banquier du remettant, écart entre échange et règlement, ne soit pas plus favorable au banquier du remettant pour le chèque avec EIC " (voir ci-dessus points 93 et s.).

382. Il est donc manifeste que les membres de la CIR ont entendu éviter que le passage à l'EIC ne favorise l'utilisation du chèque au détriment d'autres moyens de paiement moins chers en termes de coût de traitement pour le secteur bancaire et plus sécurisés, et ce en introduisant un élément de coût artificiel pour chaque opération de remise de chèque.

383. Si l'objectif d'optimisation de l'utilisation des différents moyens de paiement, c'est-à-dire de création des incitations nécessaires pour que les acteurs économiques utilisent les moyens de paiement les plus efficients (comme la carte bancaire ou le TIP) apparaît légitime, les banques ne pouvaient toutefois pas, à cette fin, se réunir dans un cadre multilatéral pour instaurer une commission interbancaire uniforme sans restreindre la concurrence. Le principe d'une régulation commune reposant sur la conclusion d'un accord multilatéral de nature tarifaire comporte en effet une restriction dont l'objet présente un caractère anticoncurrentiel (voir, à cet égard, le point 379 ci-dessus). En revanche, chaque banque était libre de choisir des instruments pour réguler de façon individuelle l'utilisation par ses clients des différents moyens de paiement via une tarification reflétant les coûts réels d'utilisation du service de chèques.

384. Il résulte de tout ce qui précède que l'objet anticoncurrentiel de la CEIC est établi.

e) Les commissions pour services connexes (CSC)

385. Il s'agit de huit commissions multilatérales créées afin de rémunérer les services nouvellement rendus par une catégorie de banques à une autre et de compenser les transferts de charges résultant de la dématérialisation du système d'échange des chèques.

386. Le montant de chacune de ces commissions a été fixé d'un commun accord à un niveau unique (20), identique d'une banque à l'autre, donc sans tenir compte des coûts propres de chaque banque, sauf à considérer que toutes les banques avaient le même profil de coûts, ce qui n'est pas établi ni même soutenu par les parties. Il ressort en effet de l'étude de coûts commandée au cabinet Latham et Watkins que, selon les services connexes, des écarts de coûts très importants existaient entre les banques en 2007. Il peut être présumé que de tels écarts existaient également en 1999-2000 lors des négociations au sein de la CIR, ainsi que cela ressort notamment du compte rendu de la réunion du 3 février 2000 dans lequel il est indiqué que le représentant du Crédit Lyonnais considère que les montants finalement retenus pour deux CSC (la commission sur chèque circulant et celle concernant les demandes de télécopie) lui apparaissent sous-estimés.

387. Ainsi, la création des huit CSC a substitué à des profils de coûts diversifiés une charge financière uniforme, commune à toutes les banques, pour chaque service connexe. L'accord multilatéral en cause a donc limité la liberté des banques de déterminer de manière indépendante et individuelle le niveau des CSC en fonction de leurs coûts et, indirectement, les prix et autres conditions des services fournis à leurs clients.

388. Dans sa décision GSA, précitée, la Commission avait considéré que la commission multilatérale uniforme en cause avait pour objet de restreindre la concurrence au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE en ce qu'" elle limite la liberté des banques qui sont parties à l'accord de fixer le niveau d'une commission éventuelle pour le traitement des virements à communication structurée dans le cadre de négociations bilatérales " (considérant 48). De même, dans sa décision du 19 juillet 1989, Banques néerlandaises, la Commission avait estimé que l'accord instaurant une commission interbancaire uniforme, payable par la banque de l'encaissement à la banque débitrice pour certains types de virements réalisés par l'emploi d'un formulaire spécifique était restrictif de concurrence, dès lors qu'il " limite les possibilités pour les banques concernées de convenir bilatéralement des remboursements de frais d'une manière plus favorable et donc également d'utiliser de manière optimale tous les moyens, dont elles auraient pu disposer en l'absence de cet accord, pour obtenir dans leurs relations bilatérales avec d'autres banques des conditions aussi favorables que possible et en faire bénéficier leurs clients. Pour les services se rapportant aux virements en question, ceci restreint indirectement la concurrence entre les banques concernées pour s'attirer la faveur des clients " (considérant 56).

389. Il ressort de ce qui précède que l'accord ayant consisté à fixer les CSC à un niveau uniforme comporte un objet restrictif de la concurrence. Ce n'est qu'au stade de l'exemption éventuelle de cet accord que pourra être pris en compte l'argument selon lequel un cadre multilatéral était nécessaire pour prévenir les difficultés à conduire des négociations bilatérales sur chaque commission.

4. SUR L'EXEMPTION DES PRATIQUES

390. Aux termes de l'article L. 420-4 du Code de commerce : " Ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : (...) 2° Dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, (...) et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. "

391. Aux termes du paragraphe 3 de l'article 81 CE : " les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables:

- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,

- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et

- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées

qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans:

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence ".

392. Pour apprécier si elle peut être exemptée sur le fondement de ces dispositions, les autorités de concurrence procèdent à une mise en balance des effets pro- et anticoncurrentiels d'une restriction de concurrence.

393. Il résulte de la jurisprudence communautaire que la personne qui se prévaut des dispositions de l'article 81, paragraphe 3, CE doit démontrer, au moyen d'arguments et d'éléments de preuve convaincants, que les conditions requises pour bénéficier d'une exemption sont réunies (voir l'arrêt GlaxoSmithKline, précité, point 82, et l'arrêt du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42-84, Rec. P. 2545, point 45). La Cour de justice a précisé que les éléments factuels invoqués par l'entreprise " peuvent être de nature à obliger l'autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la charge de la preuve a été satisfaite " (arrêt GlaxoSmithKline, précité, point 83 ; arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 279).

394. Il incombe donc aux parties d'établir que la CEIC et les CSC remplissaient les conditions posées par les dispositions internes et communautaires pour pouvoir bénéficier d'une exemption.

395. Bien que la CEIC et les CSC aient été instituées par l'accord commun du 3 février 2000 relatif aux conditions interbancaires du passage à l'EIC, il convient d'analyser séparément la possibilité de les exempter, compte tenu de leur différence de nature, commission à fins d'indemnisation s'agissant de la CEIC, et commissions pour services rendus s'agissant des CSC.

a) En ce qui concerne la CEIC

396. Le caractère exemptable de la CEIC sera examiné ci-après au regard des deux premières conditions prévues par les articles L. 420-4 du Code du commerce et 81 CE : si l'accord des banques ayant permis le passage à l'EIC a contribué à la réalisation d'un progrès économique, à savoir la mise en place d'un système dématérialisé d'échange des chèques, les parties ne démontrent cependant pas que l'instauration d'une commission telle que la CEIC était nécessaire pour obtenir la réalisation de ces gains d'efficacité.

Sur le progrès économique

397. Il résulte de la jurisprudence communautaire que, " pour être exempté au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE, un accord doit contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique. Cette contribution s'identifie non pas à tous les avantages que les entreprises participant à cet accord retirent quant à leur activité, mais à des avantages sensibles, de nature à compenser les inconvénients qui en résultent pour la concurrence " (arrêt GlaxoSmithKline, précité, point 92 ; arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commision, 56-64 et 58-64, Rec. p.429, points 502 et 503).

398. La Commission a précisé, au point 51 de ses lignes directrices du 27 avril 2004 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité (JO 2004, C 101, p. 97) :

" Tous les gains d'efficacité allégués doivent donc être justifiés, afin que les points suivants puissent être vérifiés :

a) nature des gains d'efficacité allégués;

b) lien entre l'accord et les gains d'efficacité;

c) probabilité et importance de chaque gain d'efficacité allégué ; et

d) modalités et date de réalisation de chaque gain d'efficacité allégué. "

399. Au cas d'espèce, il est indéniable que le passage à l'EIC a constitué un progrès technique et économique, ainsi que le soutiennent les parties et la Commission bancaire.

400. L'adoption d'un système de compensation dématérialisé s'est en effet traduite par une amélioration de l'efficacité des circuits de recouvrement et une accélération des délais d'encaissement des chèques. La Commission bancaire souligne ainsi que cette accélération " recherchée et obtenue par la mise en place de l'EIC, s'accompagne d'une meilleure efficacité globale de la fonction d'encaissement et d'une réduction de ses coûts due à la réduction des manipulations nécessaires, dont bénéficie l'ensemble des clients du système bancaire, et l'apurement plus rapide des comptes de passage. Cela est une source d'importantes économies pour l'ensemble des acteurs économiques et permet une gestion plus active de la trésorerie des entreprises " (avis du 22 mai 2008, cotes 13239 et s.).

401. L'accélération des délais d'encaissement des chèques résulte, d'une part, de la mise en place d'une chambre de compensation dématérialisée unique et donc de la disparition de la catégorie des chèques " hors place ", dont le délai de règlement interbancaire était de trois jours ouvrés après la date d'échange, soit deux jours de plus que celui des chèques " sur place ", et, d'autre part, du choix des banques de fixer l'heure d'arrêté de la journée d'échange (HAJE) à 18 h avec une date de règlement interbancaire à J+1, ce qui a permis de réduire l'écart entre la date de remise des chèques à la banque et la date de leur échange. Lors des négociations de la CIR, les banques ont considéré que l'accélération du délai de règlement interbancaire serait comprise entre 1,1 et 1,6 jour ouvré, et retenu une estimation moyenne de 1,4 jour ouvré (cf. point 92). L'étude économique du 30 octobre 2009, produite par les banques en réponse au rapport complémentaire du 19 août 2009, retient une accélération de 1,2 jour ouvré, dont 85 à 100 % aurait été répercutée sur les clients (point 41 de l'étude, cote 34944).

402. L'EIC a permis aux banques de réduire le coût de traitement des chèques du fait de la suppression pour 98 % des chèques traités du transport des vignettes de la banque du remettant à la chambre de compensation et de la chambre de compensation à la banque du tiré, du passage d'une compensation manuelle à une compensation automatisée dans le cadre du SIT, et de la disparition du traitement " retour " effectué par la banque tirée (opérations de tri et saisie). Si ces éléments n'ont pas fait l'objet d'une évaluation individuelle, les gains administratifs pour l'ensemble du secteur avaient été évalués à 600 millions de francs par an, soit 91 millions d'euro (cf. point 73). L'EIC s'est par ailleurs traduit par des économies pour la Banque de France avec la fin de la mise à disposition à titre gracieux des 104 chambres de compensation physique des chèques dans ses succursales. Les clients remettants ont également pu bénéficier d'une économie de coûts du fait de la simplification de l'opération de remise de chèques.

403. Le passage à l'EIC s'est accompagné d'une amélioration des services pour les clients. La dématérialisation a en effet entraîné l'émergence de nouveaux services, tels que la représentation automatique des chèques impayés pour défaut de provision, permettant d'en accélérer le recouvrement, ou l'archivage numérique, rendant possible la consultation des images chèques en ligne et une information accélérée des clients sur le montant des chèques remis à l'encaissement. La dématérialisation des échanges permet en outre d'accélérer l'information donnée aux commerçants en cas de fraude ou d'impayé.

404. Par ailleurs, ainsi que le souligne la Commission bancaire dans son avis précité, le développement de l'EIC a permis d'assurer une plus grande sécurité pour les établissements de crédit et leur clientèle, la fin de la circulation des chèques supprimant une grande partie des risques de perte ou de vol, ainsi qu'une plus grande efficacité de la lutte anti-blanchiment, leur numérisation ayant facilité le contrôle a posteriori des chèques.

405. Il résulte de ce qui précède que l'accord des banques ayant permis le passage à l'EIC a incontestablement contribué à la réalisation d'un progrès économique. Ces progrès ont été enregistrés dès le déploiement du nouveau système EIC, le 1er janvier 2002.

406. L'accord portant sur les conditions interbancaires du passage à l'EIC, conclu au sein de la CIR le 3 février 2000, est un composant de l'accord global relatif au passage à l'EIC, celui-ci comprenant par ailleurs un accord portant sur les modalités techniques de la réforme, négocié au sein du CFNOB (voir point 75).

407. La question se pose donc de savoir si la CEIC a contribué spécifiquement à l'obtention de l'ensemble des gains d'efficacité enregistrés avec le passage à l'EIC. Elle sera examinée dans le cadre de l'étude du caractère indispensable de cette restriction, effectuée ci-après.

Sur la nécessité

408. La restriction de concurrence résultant de l'instauration de la CEIC ne pourrait être exemptée que dans la mesure où les parties démontreraient qu'elle était nécessaire et proportionnée à la réalisation des gains d'efficacité évoqués ci-dessus.

Les arguments des parties

409. L'ensemble des parties fait valoir que l'accélération des mécanismes de compensation interbancaire résultant de la mise en place de l'EIC entraînait une modification des équilibres de trésorerie entre les banques remettantes et les banques tirées, au détriment de ces dernières. L'instauration d'une commission interbancaire venant compenser les pertes de trésorerie générées par l'accélération du traitement des chèques était selon elles nécessaire pour obtenir l'accord des banques majoritairement tirées, qui étaient perdantes du fait de l'accélération des échanges interbancaires, dès lors que l'unanimité des banques concernées était requise pour la mise en place de l'EIC.

410. BNP-Paribas et les Caisses d'Epargne soulignent l'importance des divergences entre les banques qui ont été constatées au cours des négociations de la CIR, et soutiennent que la modernisation du système d'échange des chèques risquait d'être bloquée en l'absence de commission compensant les transferts de trésorerie, comme elle l'avait été à deux reprises par le passé. BNP-Paribas et les Banques Populaires estiment qu'une banque majoritairement remettante, telle qu'elles-mêmes, n'aurait eu aucune raison d'accepter de payer la CEIC si ce compromis n'avait pas été nécessaire pour mettre en œuvre le projet d'intérêt général que représentait l'EIC.

411. La Banque Postale fait également valoir que la CEIC permettait de donner aux banques sur lesquelles pesait le plus lourdement la charge de la gratuité de l'émission du chèque, du fait d'une clientèle modeste, l'assurance de ne pas voir disparaître la compensation de cette charge.

412. Les parties soutiennent que la CEIC ne présentait pas le caractère d'une solution définitive, mais qu'elle a été envisagée comme un système de transition, nécessaire pour surmonter les réticences des banques tirées, et permettant d'absorber progressivement le déséquilibre de trésorerie induit par l'EIC. Le fait que la CEIC ne soit plus aujourd'hui indispensable au fonctionnement de l'EIC ne permettrait pas de démontrer qu'elle n'était pas nécessaire pour obtenir la conclusion de l'accord ayant permis la modernisation de l'échange des chèques.

413. Deux études économiques ont été produites par les parties, en réponse à la notification de griefs (étude du 26 mai 2008, cotes 5996 et s.), et en réponse au rapport complémentaire du 19 août 2009 (étude du 30 octobre 2009, cotes 34925 et s.). Ces études réalisent une estimation chiffrée de la perte moyenne subie par les banques du fait de l'accélération des échanges interbancaires, hors mécanisme de compensation, aboutissant, sous diverses hypothèses, à une perte de 5 centimes par chèque tiré, hors prise en compte des gains administratifs, et de 2,3 centimes par chèque tiré en tenant compte de ces derniers. Le bilan net du passage à l'EIC pour le secteur bancaire dans son ensemble représenterait un préjudice de 76 millions d'euro par an (points 33 et s. de l'étude du 30 octobre 2009). Par ailleurs, l'étude du 30 octobre 2009 effectue une évaluation du bilan individuel du passage à l'EIC sur les Caisses d'Epargne et le Crédit Agricole, concluant à l'existence d'une perte nette pour chacune de ces banques sans mécanisme de compensation (points 45 et s.).

414. Les Banques Populaires font valoir que l'analyse des critères d'exemption ne doit pas être limitée aux seuls éléments dont les parties disposaient à l'époque de la conclusion de l'accord, tels que les notes internes du Crédit Agricole et du Crédit Mutuel, mais doit s'appuyer sur les éléments chiffrés produits au cours de la procédure, et notamment les deux études économiques produites par les parties, qui montreraient que les pertes encourues du fait du passage à l'EIC étaient réelles. La Banque de France fait en outre valoir que ces chiffrages internes étaient inconnus des autres banques lors des négociations de la CIR.

415. La Société Générale, les Caisses d'Epargne, le Crédit Mutuel, le CIC, le Crédit Agricole et LCL font valoir que l'objet de la CEIC était exclusivement d'indemniser les banques tirées du transfert de float consécutif au passage à l'EIC. Les incidences de la réforme au niveau interne de chaque banque, telles que les gains de productivité permis par le système, ne relevaient pas de la mission de la CIR, et ne pouvaient être pris en compte sans procéder à l'échange d'informations sensibles entre concurrents. Le Crédit Agricole et LCL estiment que, s'il y avait lieu de prendre en compte les incidences internes du passage à l'EIC pour chaque banque, il faudrait alors tenir compte de la disparition anticipée des dates de valeur pour la clientèle.

416. Les parties soulignent par ailleurs que le passage à l'EIC a nécessité des investissements importants, liés à la mise en place de systèmes informatiques et des équipements nécessaires à la création et au traitement des images-chèques ainsi qu'à la reconversion du personnel auparavant affecté au traitement manuel des chèques. Ces investissements auraient dû être pris en compte par les rapporteurs au titre des charges supportées par les banques dans le cadre de la détermination du bilan économique du passage à l'EIC hors compensation. Les parties soutiennent que la CEIC était nécessaire dans la phase de lancement de la CEIC, les gains administratifs n'ayant bénéficié réellement aux banques qu'après l'amortissement des investissements réalisés.

417. Par ailleurs, les parties soutiennent que le niveau de la CEIC, fixé à 4,3 centimes d'euro, n'était pas disproportionné par rapport aux pertes financières subies par certaines banques majoritairement tirées. L'étude économique du 30 octobre 2009 estime à 4,8 centimes d'euro le niveau de commission minimum nécessaire pour compenser les pertes subies par le Crédit Agricole. Par ailleurs, les parties soulignent que la nature indemnitaire de la CEIC et son caractère temporaire expliquent le montant forfaitaire de cette commission, fruit d'un compromis et non résultat d'un calcul arithmétique.

418. Enfin, la Banque de France, la Société Générale, le Crédit Agricole et LCL soutiennent qu'aucune alternative moins restrictive de concurrence n'était envisageable, dès lors que la fixation d'une compensation sur une base bilatérale se heurtait à l'impossibilité pratique de négocier une multitude d'accords bilatéraux. Par ailleurs, il n'était pas possible de limiter l'accord aux modalités de calcul de la commission sans effectuer un échange d'informations sensibles entre les parties. Enfin, la CEIC permettait de préserver l'accélération des échanges au bénéfice des clients remettants, élément du progrès économique permis par l'EIC, ce qu'un allongement conventionnel des délais de règlement interbancaire n'aurait pas permis.

Appréciation en l'espèce

419. Dans ses lignes directrices concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité, précitées, la Commission précise que l'analyse du caractère indispensable des restrictions de concurrence doit être faite suivant un double critère : " d'une part, l'accord restrictif proprement dit doit être raisonnablement nécessaire pour réaliser les gains d'efficacité ; d'autre part, chacune des restrictions de concurrence qui découlent de l'accord doit être raisonnablement nécessaire à la réalisation des gains d'efficacité " (point 73). Elle indique que : " L'appréciation de la nature indispensable d'une restriction se fait dans le cadre réel dans lequel l'accord fonctionne et elle doit notamment tenir compte de la structure du marché, des risques économiques liés à l'accord et des incitations qu'ont les parties. (...) les restrictions peuvent se révéler indispensables pour faire converger les incitations des parties et assurer que celles-ci vont axer leurs efforts sur la mise en œuvre de l'accord " (point 80).

420. L'examen d'un accord dans le cadre d'une demande d'exemption au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE peut nécessiter de prendre en compte les caractères et les éventuelles spécificités du secteur concerné par l'accord, si ces caractères et ces spécificités sont décisifs pour le résultat de l'examen (voir, en ce sens, l'arrêt GlaxoSmithKline, précité, point 103).

421. L'analyse des arguments avancés par les parties pour démontrer la nécessité de la CEIC sera menée en cinq étapes. En premier lieu, le contexte de l'accord sera examiné, indiquant que les incitations individuelles des parties à accepter le passage à l'EIC, avec ou sans mécanisme de compensation, doivent être prises en compte pour apprécier la nécessité de la commission. En deuxième lieu, l'absence de démonstration des parties que, à la date des négociations de la CIR, l'une au moins d'entre elles prévoyait une perte nette du fait du passage à l'EIC sera exposée. En troisième lieu, il sera établi que l'instauration d'une commission fixe à la transaction n'était en tout état de cause pas de nature à compenser les pertes de trésorerie invoquées. En quatrième lieu, un bilan économique du passage à l'EIC sera présenté pour chacune des banques, confirmant l'analyse précédemment développée. En cinquième lieu, il sera rappelé que la CEIC n'a pas fait l'objet d'une révision à l'issue du délai de trois ans prévu par l'accord du 3 février 2000.

Le cadre de l'accord

. Le contexte du passage à l'euro

422. A titre liminaire, il convient de rappeler le contexte dans lequel le système EIC a été lancé. Ainsi qu'il a été exposé au point 68 ci-dessus, deux tentatives de dématérialisation de la compensation des chèques interbancaires avaient déjà échoué, la première en 1988 et la seconde en 1991. S'il n'est pas contesté que la résistance de certaines banques à la perspective d'une perte de recettes de trésorerie ait contribué à l'échec de ces projets, leur manque de réussite s'explique également par des obstacles d'ordre technique et social. Le coût de la mise en place d'un système dématérialisé des échanges était ainsi probablement plus élevé au début des années 1990 qu'au début des années 2000.

423. En 1999, la perspective du passage du franc à l'euro, impliquant la création d'un circuit de compensation des chèques en euro, coexistant temporairement avec l'ancien circuit de compensation des chèques en francs, constituait une opportunité de dépasser les obstacles et désaccords subsistants et de moderniser le système d'échange des chèques. Les représentants de la Banque de France indiquent, dans leur audition du 1er juillet 2008, qu'en l'absence de dématérialisation du système de compensation, il aurait fallu " dupliquer le système d'échange papier pour le besoin des chèques en euro, ce qui aurait été à la fois onéreux et complexe " (cotes 8998 et s.).

424. La Commission bancaire, dans son avis du 22 mai 2008, évoque l'opportunité que représentait le passage à l'euro : " La Commission bancaire souhaite tout d'abord rappeler le contexte qui a présidé à la mise en œuvre de l'Echange d'Images Chèques. Il s'agissait d'un enjeu politique majeur, soutenu activement par l'ensemble des pouvoirs publics dans le cadre du passage à l'euro. Comme le souligne la notification de griefs (point 60), plusieurs tentatives de dématérialisation de l'échange des formules de chèques avaient déjà échoué par le passé. Le passage à l'euro constituait ainsi une opportunité de faire réussir ce projet en même temps qu'il le rendait plus nécessaire encore " (cote 13240).

. Le consensus requis pour la mise en place d'un nouveau système de règlement interbancaire

425. Un nouveau système d'échange interbancaire de chèques comme l'EIC ne pouvait, comme tout système de règlement interbancaire, qu'être " institué par une autorité publique ou (...) être régi par une convention-cadre respectant les principes généraux d'une convention-cadre de place ou par une convention type " conformément aux dispositions de l'article L. 330-1 du Code monétaire et financier (voir point 35). La Banque de France indique dans ses observations que l'ensemble des systèmes de paiement français a un fondement conventionnel et qu'elle ne dispose pas de pouvoir réglementaire dans ce domaine (cote 37319). Or, le passage à l'EIC dans le cadre d'une convention-cadre interbancaire ne pouvait être décidé qu'à l'unanimité des banques participant au circuit dématérialisé de traitement des chèques. La Commission bancaire relève ainsi, dans son avis du 22 mai 2008 : " [u]n tel projet, nécessairement interbancaire, devait recueillir l'accord de l'ensemble de la place pour être mené à bien ".

426. Si un système de compensation dématérialisé n'impliquant qu'une partie des établissements bancaires était théoriquement envisageable, la coexistence d'un tel système avec l'ancien système de compensation manuel aurait probablement généré des coûts de fonctionnement très élevés, rendant peu probable la conclusion d'un accord pour mettre en œuvre cette solution.

427. Il résulte de ce qui précède qu'à la date des négociations de la CIR, les banques étaient fortement incitées à s'accorder sur les conditions de la mise en place du système dématérialisé de compensation interbancaire des chèques.

428. Il convient de souligner que la possibilité d'instituer l'EIC par la voie d'un texte réglementaire d'origine gouvernementale, en cas de blocage des négociations, n'était pas exclue par le Code monétaire et financier. Aucun élément au dossier ne permet toutefois de conclure que cette option ait été envisagée. Les pouvoirs publics n'avaient d'ailleurs pas choisi de la mettre en œuvre à l'occasion des échecs des deux précédentes tentatives de dématérialisation du système de compensation des chèques.

. La prise en compte des incitations individuelles des banques à accepter la dématérialisation des échanges de chèques

429. Si le contexte économique et juridique de l'accord permet d'expliquer que les banques aient activement recherché un compromis pour permettre le passage à l'EIC, fût-il imparfait, il ne permet toutefois pas de justifier automatiquement les conditions de l'accord auquel les banques sont parvenues, et notamment l'instauration d'une nouvelle commission interbancaire pour la compensation des chèques.

430. Dans son avis précité du 22 mai 2008, la Commission bancaire expose que : " la mise en place des différentes commissions interbancaires, dont, pour une période transitoire, la commission d'échange image chèque, a été déterminante dans la réussite de ce projet d'intérêt national. A cet égard, la Commission estime qu'on n'était pas en présence d'un simple ressenti subjectif insusceptible de fonder une exemption (...) mais que les témoignages concordants, y compris des pouvoirs publics qui ont accompagné cette évolution, peuvent être pris en compte pour établir objectivement le caractère effectif de cette nécessité " (cote 13240).

431. Toutefois, les antagonismes qui se sont exprimés au sein de la CIR, tels qu'ils ressortent du rapport du groupe de travail restreint et des comptes rendus des réunions de la CIR, et le rôle de la Banque de France pour parvenir à un compromis, ne peuvent, à eux seuls, établir la nécessité de la CEIC. Seule l'étude des incitations individuelles des parties, et non celle de leurs positions de négociation, est de nature à démontrer la nécessité d'un mécanisme de compensation, s'il était établi, d'une part, que certaines d'entre elles pouvaient rationnellement s'opposer à la réforme en raison des pertes prévisibles encourues, et, d'autre part, que la CEIC était, compte tenu de ses caractéristiques, de nature à compenser ces pertes, et donc à supprimer la cause des réticences de ces banques.

432. En effet, ainsi que le soulignent les parties, il était rationnel pour chacune des banques participant aux négociations de la CIR de n'accepter le passage à l'EIC qu'à la condition qu'elle ne subisse pas de pertes du fait du changement. A défaut, la mise en place d'un mécanisme permettant d'indemniser ces pertes pourrait être admise, à titre transitoire, afin de donner aux établissements perdants une incitation à accepter la transition vers le nouveau système de compensation des chèques, et donc de permettre la réalisation des gains d'efficacité qui en étaient attendus.

433. C'est un raisonnement similaire qui a été suivi par les autorités communautaires lors de l'adoption du règlement (CE) n° 924-2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant les paiements transfrontaliers dans la Communauté et abrogeant le règlement (CE) n° 2560-2001 (JO L 266, p. 11). Dans le cadre de l'examen de l'applicabilité de l'article 81 CE aux paiements interbancaires multilatéraux liés au prélèvement dans l'espace unique de paiements en euro (SEPA), il a été considéré que le maintien ou la création de commissions multilatérales d'interchange (CMI) par transaction fournissaient aux différentes banques les incitations nécessaires pour migrer des anciens systèmes nationaux vers le mécanisme paneuropéen unifié de prélèvement SEPA (21). Il convient toutefois de relever que le maintien à titre provisoire des commissions interbancaires en cause a été autorisé par un règlement communautaire, et non dans le cadre d'un accord entre entreprises qui aurait fait l'objet d'une décision d'exemption de la Commission prise sur le fondement de l'article 81, paragraphe 3, CE.

434. Par ailleurs, l'appréciation portant sur les incitations individuelles de chaque établissement, il importe d'analyser les conséquences attendues du passage de l'EIC au niveau de chacune des banques, et non au niveau de l'ensemble du secteur bancaire.

435. Compte tenu de la nécessité, soulignée par l'ensemble des parties, d'obtenir un consensus des banques pour permettre la réalisation du progrès économique que constituait l'EIC, il pourra être considéré que le fait qu'au moins une banque ait estimé, de manière suffisamment réaliste, à la période à laquelle les négociations de la CIR ont pris place, qu'elle subirait des pertes du fait de l'accélération des échanges était suffisant pour justifier la création d'un mécanisme compensateur.

436. Le rapport du groupe de travail restreint de la CIR du 22 juin 1999 relevait de la même façon que : " Pour qu'un consensus puisse se dégager sur la décision de passer à l'EIC et sur une proposition correspondante de conditions entre banques, il faut qu'il n'y ait pas une masse critique d'établissements qui considèrent qu'ils auraient intérêt au maintien du statu quo plutôt que de se rallier à cette proposition " (cote 916).

437. Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirment les Banques Populaires, les incitations des parties à accepter le passage à l'EIC doivent être étudiées en tenant compte non pas des données de l'ensemble de la période allant de 2002 à 2006 mais des données dont les banques disposaient à la date à laquelle elles ont pris part aux réunions de la CIR, tout événement ultérieur n'ayant, par définition, pas pu être pris en compte pour arrêter leurs positions respectives au cours de la négociation de l'accord, conclu le 3 février 2000.

. Conclusion sur le cadre de l'accord

438. Il résulte de ce qui précède qu'il appartient aux parties d'apporter la preuve que l'instauration de la CEIC, c'est-à-dire une commission interbancaire de montant fixe, payée par la banque remettante à la banque tirée, était bien de nature à compenser les éventuelles pertes attendues, et, partant, était de nature à créer les incitations nécessaires pour que toutes les banques acceptent de passer à l'EIC selon des modalités permettant de réaliser l'accélération des échanges interbancaires.

Les parties ne démontrent pas qu'à la date des négociations de la CIR, l'une des banques prévoyait une perte nette liée au passage à l'EIC

. Les analyses effectuées au sein de la CIR

439. Au cours des réunions de la CIR, les banques se sont livrées à une analyse du bilan économique du passage à l'EIC.

440. Le rapport du groupe de travail restreint de la CIR a défini les éléments qu'il convenait de prendre en compte pour réaliser ce bilan, au niveau du secteur bancaire dans son ensemble, comme au niveau de chaque établissement : " En terme de bilan, si l'on se place du seul point de vue des échanges interbancaires, toute modification de la date de règlement interbancaire aboutit à un jeu à somme nulle pour la profession. Chaque établissement gagne ou perd en fonction du solde moyen en capitaux de ses échanges et de sa capacité à profiter, mieux ou moins bien que les autres, des possibilités d'encaissement rapides offertes par le nouveau système. (...) Si l'on se place du point de vue de chaque établissement, chacun doit ajouter aux éléments ci-dessus le concernant :

- les économies et surcoûts administratifs de traitement des opérations en tant que banquier remettant et en tant que banquier tiré,

- les conséquences que pourraient avoir les nouvelles règles interbancaires sur les transferts potentiels de flux de clientèle (...).

Ces calculs, dont on sait la part d'incertitude qu'ils comportent, sont à faire en régime de croisière en intégrant l'amortissement des surcoûts liés au passage d'un système à l'autre " (point 88).

441. Néanmoins, le groupe de travail n'a pas appliqué la méthode ainsi préconisée pour évaluer le montant de la commission interbancaire qui aurait permis de compenser les pertes éventuelles subies par certains établissements bancaires du fait du passage à l'EIC. Le groupe de travail calcule ce montant par le produit du montant moyen du chèque (3 000 francs, soit 457 euro), de l'accélération du délai de règlement interbancaire prévue (1,1 à 1,6 jour ouvré) et du taux d'intérêt auquel la banque peut placer les sommes dont elle a la disposition (3%). Ce calcul prend en compte les seules pertes de trésorerie de la part tirée des banques, non corrigées par les gains de trésorerie enregistrés sur la part remettante des banques ni par les gains administratifs retirés de la dématérialisation des échanges. Sont ainsi avancés les montants de 8,8 centimes d'euro (0,58 franc) pour une accélération de 1,6 jour ouvré et de 6 centimes d'euro (0,40 franc) pour une accélération de 1,1 jour ouvré (cote 924).

442. La méthode suivie par le groupe de travail restreint de la CIR, qui se limite à étudier la perte de trésorerie subie pour chaque chèque tiré, sans la mettre en regard des gains de trésorerie enregistrés pour chaque chèque remis et des gains d'efficacité retirés par les banques du passage à l'EIC, ne permet pas d'apprécier de façon pertinente les incitations des acteurs à accepter la mise en place de ce nouveau système. En effet, si la perte subie est entièrement compensée par les gains enregistrés, il existe pour l'établissement concerné une incitation rationnelle à accepter le changement.

443. Pour apprécier les incitations des banques à accepter le passage à l'EIC, il convient donc de prendre en compte tous les gains et pertes individuels qui découlaient de la mise en place du nouveau système, y compris les gains ou éventuels surcoûts administratifs qui en étaient attendus. En revanche, il n'y a pas lieu de tenir compte de changements qui ne sont pas une conséquence directe de l'accord sur l'EIC. Ainsi, il n'y a pas lieu de prendre en compte les pertes éventuelles liées à la disparition des dates de valeur comme le demandent le Crédit Agricole et le CIC, cette pratique, qui relève du libre choix commercial des banques étant sans lien avec la vitesse des échanges interbancaires. A la différence des gains administratifs, directement permis par la dématérialisation de la compensation des chèques, la disparition des dates de valeur ne constituait pas une conséquence de l'accord pour le passage à l'EIC. L'hypothèse d'une disparition des dates de valeur n'a d'ailleurs pas été envisagée par la CIR et ne s'est aucunement réalisée à la suite de la mise en place de l'EIC.

444. Si le groupe de travail restreint de la CIR a proposé aux banques une grille d'analyse afin d'effectuer un bilan individuel du passage à l'EIC, il ne ressort pas des documents préparatoires à l'accord que la réalité de pertes nettes subies par certains établissements majoritairement tirées de chèques du fait du passage à l'EIC ait été débattue au cours des négociations relatives à l'instauration de la CEIC, alors que la CIR s'est contentée, pour justifier l'instauration d'une commission interbancaire, de tenir compte de la perte brute de trésorerie sur la part tirée des banques.

. Les bilans du passage à l'EIC effectués en interne par les banques

445. Les bilans économiques du passage à l'EIC en l'absence de mécanisme de compensation interbancaire, réalisés en interne par trois banques au moment des négociations de la CIR, sont révélateurs, puisqu'aucun de ces trois établissements ne prévoyait de perte liée au passage à l'EIC (voir points 109 et s.). Conformément à la méthode préconisée par la CIR, ces bilans prennent en compte, outre les pertes de trésorerie par chèque tiré, les gains de trésorerie par chèque remis ainsi que les gains administratifs retirés du nouveau système. 446. Le Crédit Agricole, banque majoritairement tirée, estime que le passage à l'EIC sans mécanisme de compensation lui procurerait un gain annuel de 15,7 millions d'euro (103 millions de francs). Le bilan prévisionnel du passage à l'EIC réalisé par le Crédit Mutuel, banque majoritairement tirée, était également positif, avec un gain annuel estimé à 2,77 millions d'euro (18,2 millions de francs). Enfin, le bilan effectué par le CIC, banque majoritairement remettante, montre que celle-ci prévoyait des gains nets du passage à l'EIC sans CEIC, le bilan devenant négatif à hauteur de 1,3 million d'euro (8,53 millions de francs) dans le cas d'une CEIC de 4 centimes d'euro.

447. Les autres banques n'ont pas produit au cours de la procédure devant l'Autorité de la concurrence de documents internes faisant état d'un bilan de l'ensemble des conséquences attendues du passage à l'EIC en 1999-2000. Il n'est donc pas établi que l'une d'entre elles ait prévu, au moment où les négociations de la CIR se sont tenues, que le passage à l'EIC entraînerait pour elle une perte nette, dont la compensation exigeait l'instauration d'une commission par transaction payée par les banques remettantes aux banques tirées.

448. A cet égard, il convient de relever que le Crédit Agricole était, au cours de la période en cause, le deuxième établissement majoritairement tiré en volume (différence entre nombre de chèques émis et nombre de chèques remis positive), derrière La Poste (point 66). Or, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, le Crédit Agricole prévoyait un gain net tiré de l'EIC de 15,7 millions d'euro, hors mécanisme de compensation.

L'instauration d'une commission fixe à la transaction n'était en tout état de cause pas de nature à compenser les pertes de trésorerie attendues

. Le gain ou la perte de trésorerie dépendait de la seule valeur globale des chèques émis et remis par chaque établissement et non de leur nombre

449. Toutes les parties soulignent qu'aucun acteur économique rationnel n'accepterait la mise en place d'un système entraînant pour lui un coût, et un gain équivalent pour ses concurrents directs, sans obtenir que ce coût additionnel soit compensé. Or, en l'espèce, l'instauration d'une commission fixe telle que la CEIC n'était pas de nature à compenser le coût du transfert de float des banques majoritairement tirées au profit des banques majoritairement remettantes dès lors que ce coût dépendait uniquement de la valeur globale des chèques émis et remis par chaque établissement et non du nombre des transactions par chèques auxquelles il participe.

450. Ce point a d'ailleurs été relevé par le rapport du groupe de travail restreint du 22 juin 1999, qui relève que la perte de trésorerie de chaque banque est liée au " solde moyen en capitaux des échanges " (extrait précité, point 88). Il a par ailleurs été souligné, au cours de la réunion du 1er juillet 1999 de la CIR par les représentants du Crédit du Nord et des Banques Populaires, qu'une commission fixe ne permettait pas de compenser les déséquilibres de trésorerie subis du fait de montants moyens de chèques différents selon les établissements. Les représentants de Paribas et du Crédit Lyonnais mettaient en cause, plus généralement, la justification économique d'une commission fixe (voir point 100).

451. Un établissement majoritairement tiré en volume (différence entre le nombre de chèques tirés et le nombre de chèques remis positive) ne subit pas de perte de trésorerie du fait du passage à l'EIC s'il est majoritairement remettant en valeur (différence entre le montant global des chèques remis et le montant global des chèques tirés positive). Dans ce cas, il est rationnel pour l'établissement d'accepter le passage à l'EIC sans mécanisme de compensation. L'instauration d'une commission fixe par chèque traité au profit de la banque tirée est extrêmement favorable à l'établissement, puisqu'il vient accroître un gain net de trésorerie du fait du passage à l'EIC.

452. A l'inverse, un établissement majoritairement remettant en volume (différence entre le nombre de chèques tirés et le nombre de chèques remis négative) subit une perte nette de trésorerie du fait du passage à l'EIC s'il est majoritairement tiré en valeur (différence entre le montant global des chèques remis et le montant global des chèques tirés négative). Dans ce cas, il n'est pas rationnel pour l'établissement d'accepter le passage à l'EIC sans mécanisme de compensation en sa faveur, sauf si cette perte est compensée par d'autres types de gains retirés de la réforme. Or, l'instauration d'une commission par chèque remis contribue à dégrader encore plus le bilan du passage à l'EIC de ce type d'établissement.

453. Cette hypothèse n'est pas théorique, ainsi que le montre le cas de HSBC, banque majoritairement remettante en volume, qui soutient dans son mémoire du 2 novembre 2009 que les pertes de trésorerie issues de son activité de banque tirée, soit 18,4 à 22 millions d'euro entre 2002 et 2007, ne sont pas entièrement compensées par les gains issus de son activité de banque remettante, soit 8,5 à 9,6 millions d'euro pour la même période (cotes 38198 et s.). Cela s'explique par le montant moyen très élevé de chèques émis par les clients de HSBC. Il ressort ainsi de l'étude de Mircoéconomix produite par HSBC à l'appui de ses observations que la banque était majoritairement remettante en volume et majoritairement tirée en valeur en 2005 et en 2006 (cotes 5562 et 5563).

454. Cette situation peut également expliquer que le représentant de la Société Générale, banque majoritairement remettante en volume, se soit interrogé au cours des négociations de la CIR sur le point de savoir si la commission " ne devrait pas être versée par le banquier tiré au banquier remettant " (point 100).

455. Il résulte de ce qui précède que l'établissement d'une commission fixe telle la CEIC n'était pas de nature à remédier au défaut d'incitation de certaines banques à accepter la mise en place de l'EIC du fait de l'existence de pertes nettes de trésorerie liées à l'accélération des échanges interbancaires.

. L'instauration d'une commission proportionnelle a été écartée par les banques lors des négociations de la CIR

456. A cet égard, si les banques font valoir que la CEIC est le fruit d'un compromis entre les banques, et que son montant n'est pas le résultat d'un calcul arithmétique, il n'en demeure pas moins qu'une commission fixe ne pouvait avoir d'effet compensateur que dans l'hypothèse d'une correspondance entre volumes et montants des chèques, à l'émission comme à la remise, pour chacun des établissements concernés, ce qui, ainsi que l'ont souligné de nombreuses banques lors des négociations de la CIR, ne correspondait pas à la réalité pour la majorité des banques.

457. Les banques ont exclu l'instauration d'une commission proportionnelle au montant des chèques émis, alors que celle-ci aurait permis, à la différence d'une commission fixe, de compenser effectivement les pertes réelles de trésorerie des établissements majoritairement tirés en valeur. Le motif avancé par le rapport du groupe de travail restreint de la CIR en est qu'une commission proportionnelle " n'apporterait rien d'autre par rapport à des écarts entre échange et règlement [c'est-à-dire le maintien par la voie conventionnelle de délais de règlement interbancaires plus lents que ne le permettait l'accélération technique du traitement des chèques du fait de leur dématérialisation] que l'inconvénient d'être soumise à la TVA dont une part importante n'est pas récupérable par les banques " (voir point 91). Cependant, le maintien de délais de règlement artificiellement lents empêchant les clients remettants de bénéficier, sous la forme d'une réduction du délai d'encaissement des chèques, de l'accélération des échanges permise par l'EIC, était difficilement acceptable vis-à-vis de ces clients, ainsi que le soulignait par exemple la Banque de France au cours des négociations de la CIR (point 101). Par ailleurs, la question de l'assujettissement à la TVA est indépendante de la nature de la commission prélevée, proportionnelle ou fixe.

. Les incitations des établissements majoritairement remettants en volume

458. Dans ce contexte, les établissements majoritairement remettants en volume étaient d'autant plus défavorisés par l'instauration de la CEIC, et donc d'autant moins incités à en accepter le principe, que la valeur globale des chèques émis par leurs clients était importante. Il est donc difficilement explicable que ce type d'établissements aient accepté l'instauration de la CEIC, qui avait pour effet de dégrader leur bilan, sauf à supposer que les gains administratifs réalisés du fait du passage à l'EIC compensaient au moins le coût subi, ou qu'ils prévoyaient de répercuter tout ou partie de la commission sur leur clientèle, directement, ou indirectement dans le cadre de la relation globale entretenue avec chaque client, de manière à compenser la perte subie.

459. Il ressort des négociations de la CIR que certaines banques majoritairement remettantes en volume, comme la BNP et LCL, justifiaient le principe d'une commission interbancaire non comme un mécanisme de compensation d'une perte subie par les établissements majoritairement tirés, mais comme un procédé permettant d'assurer la cohérence des moyens de paiement dans leur ensemble (points 93 et s.).

460. En effet, il convient de rappeler, même si les banques n'invoquent pas cet argument en défense pour justifier le caractère exemptable de la CEIC, que l'instauration de cette commission avait également été motivée, au moment des négociations de la CIR, par la volonté d'éviter de faire du chèque un moyen plus attractif que les moyens de paiement automatisés (tels que paiements par carte bancaire ou virements), alors que son coût de traitement est plus élevé (voir point 94).

461. A cet égard, à supposer même que les banques puissent établir que la " cohérence des moyens de paiement ", au sens où l'entendait la CIR, constitue une source d'efficience, il serait impossible de considérer que l'instauration de la CEIC était nécessaire et proportionnée pour atteindre cet objectif, dès lors notamment que son montant a été fixé sans aucun rapport avec le coût réel du service de l'émission ou de la remise de chèques, qu'il s'agisse du coût individuel de chaque banque comme du coût moyen observé pour l'ensemble du secteur. Le montant de la CEIC a été en effet fixé par référence aux seules pertes de trésorerie brutes subies par chèque moyen tiré, le montant initialement envisagé étant ensuite réduit forfaitairement par voie de compromis.

Le bilan économique du passage à l'EIC pour chacune des banques concernées confirme cette analyse

462. Le bilan économique du passage à l'EIC produit par les parties sera examiné ci-dessous. Bien que la charge de la preuve repose sur les parties s'agissant de l'exemption de pratiques restrictives de la concurrence, l'Autorité exposera ensuite la méthodologie qu'il convient de retenir pour l'analyse du passage à l'EIC, les simulations effectuées sous diverses hypothèses confirmant qu'une commission fixe par transaction telle que la CEIC n'était pas de nature à créer les incitations nécessaires au passage à l'EIC.

. Les analyses présentées par les parties

463. Les services d'instruction ont proposé, au stade de la notification de griefs du 14 mars 2008 et du rapport du 14 août 2008, d'effectuer un bilan économique plus précis des conséquences prévisibles du passage à l'EIC pour chacune des banques mises en cause. Ils ont proposé de prendre en compte divers éléments, dont certains n'avaient pas été examinés par la CIR.

464. Dans leurs mémoires en réponse et dans leurs observations en séance, les parties se sont fondées sur la méthode proposée par les services d'instruction pour tenter d'établir la nécessité de la CEIC aux fins de compenser les pertes de trésorerie subies par certaines banques, tout en contestant la pertinence de certaines des hypothèses retenues par les services d'instruction. Elles n'ont pas proposé de méthode alternative pour évaluer le bilan, pour chaque banque, du passage à l'EIC avec ou sans mécanisme de compensation, excepté celle qui a été retenue par la CIR, et dont il vient d'être démontré qu'elle ne permettait pas d'établir la nécessité de la CEIC.

. Les arguments relatifs au bilan global de l'impact de l'EIC

465. En premier lieu, l'étude économique du 30 octobre 2009 produite par les parties à l'appui de leurs observations en réponse au rapport effectue un bilan global de l'impact de l'EIC sans mécanisme compensateur pour l'ensemble du secteur bancaire (points 33 et s.). Elle conclut que les banques auraient subi, du fait de l'accélération des échanges interbancaires, une perte moyenne de 5 centimes d'euro par chèque tiré, hors prise en compte des gains administratifs, et de 2,3 centimes en tenant compte de ces derniers. Le bilan net du passage à l'EIC pour le secteur bancaire dans son ensemble représenterait un préjudice de 76 millions d'euro par an, et de 417 millions d'euro pour la période du 1er janvier 2002 au 1er juillet 2007 pendant laquelle la CEIC était en vigueur. L'étude ajoute que, dans l'hypothèse selon laquelle les banques auraient répercuté 85 % du bénéfice de l'accélération du règlement interbancaire sur leurs clients, elles auraient enregistré un gain de trésorerie de 1,1 centime par chèque remis. Dans une telle hypothèse, le bilan net du passage à l'EIC aurait été une perte nette de 1,2 centime par chèque interbancaire, soit une perte annuelle de 39,6 millions d'euro, et de 218 millions d'euro pour la période du 1er janvier 2002 au 1er juillet 2007 (point 42).

466. Toutefois, ces estimations, à l'image de celle qu'avait réalisée le groupe de travail restreint de la CIR au cours des négociations, sont effectuées sur le fondement de données (ou d'hypothèses) moyennes, communes à l'ensemble du secteur bancaire, et notamment sur le montant moyen du chèque émis en France en 2002. Dès lors que le montant moyen du chèque varie fortement, à l'émission et à la remise, selon les banques concernées, une telle méthode ne permet pas d'étudier les incitations individuelles des banques pour accepter le passage à l'EIC, seules pertinentes pour apprécier la nécessité de la CEIC, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, et comme le souligne d'ailleurs l'étude économique du 26 mai 2008 produite par les parties à l'appui de leurs observations en réponse à la notification de griefs (§ 2.30 et s.).

467. En outre, l'analyse développée par l'étude du 30 octobre 2009 repose sur le postulat erroné que les banques n'auraient tiré de bénéfice de l'accélération des échanges interbancaires sur leur part remettante que sur la part de l'accélération non rendue aux clients (point 27 et s. de l'étude).

468. Or, dès lors que le bénéficiaire du chèque ne place pas immédiatement les sommes encaissées pour son propre compte, c'est-à-dire, dès lors que le client n'optimise pas la gestion de sa trésorerie, la banque remettante peut placer ces sommes à son profit et en obtenir une rémunération aussi longtemps qu'elles sont disponibles au crédit du compte courant du client. L'accélération du règlement interbancaire permet donc à la banque remettante de placer les sommes encaissées plus tôt, et, partant, d'accroître son gain de trésorerie.

469. L'importance de la répercussion de l'accélération du règlement interbancaire, par le biais d'une accélération des encaissements de chèques, influe sur le montant du gain de trésorerie de la banque remettante pour la seule partie des sommes encaissées par les clients qui optimisent la gestion de leur trésorerie. Si l'accélération du règlement interbancaire est équivalente à l'accélération du délai d'encaissement, la banque ne bénéficie d'aucun transfert de float du fait du passage à l'EIC lorsque son client débite immédiatement la somme encaissée. Pour ce type de clients, la banque ne bénéficie d'un gain de trésorerie que si elle ne répercute pas ou qu'elle répercute partiellement l'accélération permise par l'EIC au profit de son client. Une répercussion nulle ou partielle de l'accélération peut être obtenue par la banque par exemple en jouant sur les dates de valeur, la banque créditant le compte de son client à une date postérieure à celle à laquelle elle a elle-même été payée (voir point 32).

470. Par ailleurs, l'argument suivant lequel le secteur bancaire dans son ensemble aurait été perdant au passage à l'EIC sans CEIC, ce qui démontrerait qu'au moins l'une des banques l'était également (point 37 de l'étude), ne permet pas de justifier la nécessité de l'instauration de la CEIC : s'agissant d'une commission interbancaire, sa création représente un jeu à somme nulle entre les acteurs du secteur bancaire qui ne permet pas d'améliorer le bilan du secteur dans son ensemble. Dans une telle hypothèse, la CEIC ne ferait que transférer les pertes d'un établissement à un autre, et ne permettrait donc pas davantage de créer les incitations nécessaires pour obtenir l'accord de l'ensemble des participants aux négociations de la CIR. Ainsi, à supposer que le secteur bancaire dans son ensemble ait été perdant du fait du passage à l'EIC - hypothèse bien improbable qu'avancent les parties, compte tenu des gains d'efficience qu'il apportait -, le seul mécanisme de compensation effectif aurait été une hausse des tarifs imposés à la clientèle. A cet égard, les banques étaient libres de déterminer individuellement la politique tarifaire appliquée à l'égard de leurs clients. Malgré la gratuité de la délivrance des formules de chèques imposée par la législation française, elles pouvaient obtenir une compensation indirecte, via la hausse du prix d'autres services bancaires, dès lors qu'ainsi qu'il a été exposé (voir point 31), les banques appuient leur rémunération sur la globalité de la relation avec leurs clients, tous services confondus.

. L'étude des incitations individuelles des Caisses d'Epargne et du Crédit Agricole

471. En second lieu, l'étude économique du 30 octobre 2009 produit une évaluation du bilan individuel du passage à l'EIC pour les Caisses d'Epargne et le Crédit Agricole (points 44 et s. et annexe A de l'étude). Elle indique, sous certaines données (ou hypothèses) propres à chacune des banques concernées (22), une perte par chèque tiré de 4,2 centimes d'euro pour les Caisses d'Epargne hors prise en compte des gains administratifs, et de 1,5 centimes par chèque tiré en prenant en compte ces derniers, et une perte par chèque tiré de 5,5 centimes d'euro et 2,8 centimes d'euro respectivement pour le Crédit Agricole.

472. Toutefois, ces calculs ne sont pas pertinents pour évaluer le bilan net du passage à l'EIC de ces banques dès lors qu'ils ne tiennent pas compte des gains de trésorerie dont elles ont bénéficié du fait de l'EIC.

473. Par ailleurs, s'agissant du Crédit Agricole, l'étude repose sur le montant moyen des chèques interbancaires tirés entre 2002 et 2006. Or, pour étudier les incitations de la banque à accepter le passage à l'EIC, il convient de s'appuyer sur les données dont elle avait la disposition au moment de la conclusion de l'accord, en 2000, qui étaient seules à même de servir de base à l'élaboration de la position adoptée au cours des négociations de la CIR, et ce même si les évaluations réalisées par la banque étaient nécessairement de nature prospective. A cet égard, le chiffrage interne réalisé par le Crédit Agricole à cette époque, qui figure au dossier, permet d'apprécier les incitations réelles de cette banque à accepter la dématérialisation de la compensation du chèque avec plus d'exactitude que la reconstitution a posteriori de son bilan du passage à l'EIC.

474. De même, si l'étude économique du 30 octobre 2009 propose de calculer le montant minimal de la CEIC nécessaire pour compenser les pertes alléguées par le Crédit Agricole, en tenant compte cette fois des gains de trésorerie enregistrés et d'une répercussion de la CEIC sur les clients estimée à 42 % (points 60 et s. et annexe B), cette évaluation est dépourvue de pertinence, dès lors qu'elle repose, de même que les évaluations précédentes, d'une part, sur des données relatives à la période comprise entre 2002 et 2006, postérieure aux négociations qui ont pris place au sein de la CIR, et, d'autre part, sur l'hypothèse erronée selon laquelle la répercussion de l'accélération des échanges au profit des clients remettants prive la banque de la possibilité de se rémunérer sur les sommes remises en les plaçant à son profit à proportion de cette répercussion, alors que cela n'est vrai qu'en ce qui concerne les sommes encaissées par des clients qui optimisent leur trésorerie.

475. Ainsi, compte tenu des erreurs de méthode ci-dessus exposées, les analyses avancées par les parties ne sont pas de nature à démontrer de manière probante que l'une au moins des banques concernées aurait subi une perte du fait du passage à l'EIC.

. Méthodologie pour l'évaluation du bilan économique du passage à l'EIC

476. Alors même que la charge de la preuve repose sur les parties, s'agissant de l'examen du caractère exemptable d'une pratique restrictive de la concurrence, le bilan individuel du passage à l'EIC pour les banques sera néanmoins étudié selon la méthode détaillée ci-dessous.

477. Les simulations seront effectuées sur la base des données obtenues au cours de l'enquête ou communiquées par les parties au cours de la procédure, ou, à défaut, sur des hypothèses de calcul communes aux banques. Lorsqu'elles ont été communiquées, les données seront celles dont les banques avaient la disposition au moment des réunions de la CIR. A défaut, les données disponibles pour l'année la plus proche de la période 1999/2000 seront utilisées. Lorsque les données sont inconnues, plusieurs hypothèses de calcul seront testées, afin de tenir compte de cette incertitude, conformément aux arguments présentés par les banques au cours de la procédure (23). Toutes les données utilisées sont donc issues du dossier soumis au débat contradictoire.

. L'évaluation de la perte de trésorerie moyenne par chèque tiré (P) :

478. La perte de trésorerie moyenne par chèque tiré correspond, pour chaque banque, au produit du montant moyen des chèques tirés dont elle a été privée aux fins de placement pour son propre compte (T), de la durée de l'accélération du règlement interbancaire (A, exprimée en jours ouvrés), et partant, du débit des chèques sur les comptes des émetteurs, du taux d'intérêt (i) auquel elle pouvait placer ces sommes à son profit.

Les sommes dont les banques ont été privées aux fins de placement pour leur compte propre suite à l'EIC (T) :

479. Une part du montant des chèques tirés n'a pas induit de perte de trésorerie pour la banque tirée du fait du passage à l'EIC, malgré l'accélération du débit de la banque permis par le passage à l'EIC : il s'agit, d'une part, des chèques de clients dont le compte est à découvert (24), et, d'autre part, des chèques de clients qui optimisent la gestion de leur trésorerie, c'est-à-dire qui approvisionnent leur compte au dernier moment avant le débit du chèque, la banque ne pouvant donc pas placer à son profit le montant correspondant. Ce dernier cas concerne essentiellement les entreprises clientes des banques.

480. Ainsi, plus la proportion de clients à découvert est élevée, moins la perte de trésorerie de la banque tirée du fait du passage à l'EIC est importante. Ceci est d'autant plus vrai que, dès lors que le chèque est débité plus tôt, la banque sera en mesure de facturer plus vite des intérêts à son client à découvert (agios). De même, plus la proportion de clients optimisant leur trésorerie à l'émission est élevée, moins la perte de trésorerie de la banque tirée est importante.

481. Ces éléments n'ont pas été pris en compte par la CIR.

482. On peut calculer le montant T selon la formule suivante :

T = montant moyen des chèques tirés * proportion (en valeur) des clients créditeurs n'optimisant pas leur trésorerie

483. Le montant moyen des chèques tirés, de même que le montant moyen des chèques remis, a été communiqué, pour chaque banque, au cours de la procédure (voir point 3 ci-dessus). Certaines banques n'ont pas communiqué les données afférentes à la période 1999/2000, seules pertinentes pour apprécier leurs incitations à passer à l'EIC au moment des négociations de la CIR. Dans ce cas, il convient de retenir les données présentes au dossier les plus anciennes.

484. De manière générale, on peut considérer que l'optimisation de trésorerie est effectuée par les seules grandes entreprises qui disposent d'un service de gestion de trésorerie. Les parties ont communiqué au cours de la procédure la répartition, en valeur, des chèques tirés entre entreprises et particuliers.

485. Les parties n'ont produit aucun élément probant, ni, pour la plupart d'entre elles, aucune hypothèse propre, permettant d'évaluer, pour chacune des banques, la proportion des entreprises clientes émettrices (ou remettantes) de chèques optimisant leur trésorerie. De même, les banques, à l'exception du Crédit Agricole, n'ont fourni aucun élément permettant d'établir, pour chacune d'entre elles, la proportion des particuliers émetteurs de chèques disposant d'un compte à découvert.

486. Les parties font valoir que la proportion, en valeur, des clients optimisant leur trésorerie est plus forte à la remise qu'à l'émission, dès lors que les clients remettants sont en majorité des commerçants, parmi lesquels les grands remettants, à l'image des entreprises de la grande distribution, qui disposent d'un service de gestion de trésorerie.

487. Les études économiques du 26 mai 2008 et du 30 octobre 2009 produites par les parties, ainsi que l'étude réalisée par le cabinet Microeconomix pour le compte de HSBC mettent en cause toute possibilité pour les émetteurs de chèques d'optimiser leur trésorerie, notamment parce qu'ils ne peuvent pas prévoir à l'avance si le chèque émis sera interbancaire ou intrabancaire (et donc débité plus tôt). L'optimisation de trésorerie à l'émission peut toutefois être effectuée, par exemple lorsque l'entreprise négocie avec sa banque une date de valeur à l'émission postérieure à la date de règlement, ou si elle émet un fort volume de chèques, au moyen de l'utilisation d'outils statistiques de gestion de trésorerie permettant d'évaluer la date prévisionnelle des débits.

488. Par ailleurs, l'étude économique en date du 30 octobre 2009 précise que, dans leur très grande majorité, les clients de la Caisse d'Epargne ne géraient pas leurs émissions de chèques selon une logique d'optimisation de trésorerie, seuls 10,5 %, en valeur, des chèques émis par des entreprises correspondant à une clientèle optimisant sa trésorerie. Il en serait de même des clients du Crédit Agricole, seuls 20 %, en valeur, des chèques émis par des entreprises correspondant à une clientèle optimisant sa trésorerie (point 146 de l'étude, cote 34980).

489. Sur ce point, plusieurs hypothèses seront testées pour l'estimation du bilan individuel de chaque banque afin de répondre à l'objection des parties. Il convient cependant de relever que les évaluations ci-dessus présentées par les banques sont discutables, dans la mesure où elles sont fondées sur l'hypothèse selon laquelle les entreprises optimisant leur trésorerie sont celles qui ont un compte en position débitrice.

L'accélération du règlement interbancaire (A) :

490. Plus l'accélération des échanges est importante, plus la perte de trésorerie de la banque tirée est élevée, puisque cette perte correspond au produit du placement des sommes présentes au crédit des comptes des émetteurs de chèques, débitées plus tôt, dont la banque a été privée pendant la durée correspondant à cette accélération.

491. Cette accélération a été initialement évaluée entre 1,1 et 1,6 jour ouvré par le groupe de travail restreint de la CIR (cote 924). Cette estimation est probablement surévaluée car elle ne prend pas en compte l'existence d'une catégorie de grands remettants, encaissant d'importants volumes de chèques, qui ont bénéficié de l'accélération du règlement interbancaire principalement pour la compensation des chèques " hors place " (cf. point 81), dès lors qu'ils avaient recours, avant l'EIC, à des sous-traitants travaillant pendant la nuit pour que les chèques soient échangés dès le lendemain ouvré de la date de leur émission du chèque par le client.

492. Les parties n'ont transmis aucun élément permettant d'apprécier l'accélération réelle du règlement interbancaire observée en 2002. Les études économiques en date du 26 mai 2008 et du 30 octobre 2009 se fondent sur l'hypothèse d'une accélération de 1,2 jour ouvré.

493. Sur ce point, plusieurs hypothèses seront testées pour le calcul du bilan individuel de chaque banque afin de prendre en compte l'éventail des estimations effectuées par la CIR.

Le taux de placement des sommes concernées (i) :

494. Le taux d'intérêt annuel pris en compte par la CIR est de 3 %, soit un taux journalier (i) de 0,012% (sur la base de 250 jours ouvrés par an). Cette évaluation n'a pas été remise en cause au cours de la procédure.

495. La perte moyenne de trésorerie est alors donnée par la formule suivante :

P = T * A * i.

. L'évaluation du gain de trésorerie moyen par chèque remis (G) :

496. L'évaluation du gain de la part remettante est symétrique à l'évaluation de la perte de trésorerie de la part tirée des banques. Le gain de trésorerie moyen par chèque remis correspond, pour chaque banque, au produit du montant moyen des chèques remis dont elle a bénéficié aux fins de placement pour son propre compte (R), de la durée de l'accélération du règlement interbancaire, et partant, du crédit des chèques sur les comptes des bénéficiaires (A, exprimée en jours ouvrés), du taux d'intérêt journalier auquel elle pouvait placer ces sommes à son profit (i).

Les sommes dont les banques ont bénéficié aux fins de placement pour leur compte propre suite à l'EIC (R) :

497. Symétriquement à l'effet constaté sur la part tirée des banques, les chèques des clients dont le compte est à découvert ou qui optimisent leur trésorerie n'ont pas entraîné de gain de trésorerie pour la banque remettante du fait du passage à l'EIC (au moins à hauteur du découvert précédant l'encaissement du chèque pour les premiers)

498. Ainsi, plus la proportion de clients à découvert est élevée, moins le gain de trésorerie de la banque remettante du fait du passage à l'EIC est important. De même, plus la proportion de clients optimisant leur trésorerie à l'émission est élevée, moins le gain de trésorerie est important (25).

499. On peut calculer le montant R selon la formule suivante :

R = montant moyen des chèques remis * proportion (en valeur) de clients remettants dont le compte est créditeur et qui n'optimisent pas leur trésorerie

500. Ces éléments n'ont pas été pris en compte par la CIR et les parties n'ont produit aucun élément probant, ni, pour la plupart d'entre elles, aucune hypothèse propre, permettant d'évaluer les montants concernés. Dans ces conditions, il sera testé une hypothèse raisonnable de 5 % de comptes de particuliers à découvert, ainsi que plusieurs hypothèses relatives à la proportion de clients optimisant leur trésorerie.

501. Le gain moyen de trésorerie par chèque remis est alors donné par la formule suivante :

G = R * A * i.

. Le bilan global du passage à l'EIC sans mécanisme de compensation :

502. Ce bilan correspond à la différence entre le gain et la perte de trésorerie de chaque banque, corrigée par les gains administratifs générés par le passage à l'EIC ainsi que les investissements nécessaires à la mise en place du nouveau système.

Les investissements réalisés pour le passage à l'EIC :

503. Il conviendrait de tenir compte des investissements initiaux faits par les banques pour mettre en place l'EIC. Les investissements initiaux à fonds perdus faits par l'une ou l'autre des parties ainsi que les délais ou les contraintes nécessaires à l'engagement et à la rentabilisation d'un investissement destiné à accroître l'efficience d'une entreprise doivent en effet être pris en compte pour les besoins de l'analyse effectuée au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE (voir sur ce point les lignes directrices de la Commission du 27 avril 2004 précitées, point 44).

504. Les banques n'ont fourni aucune évaluation des investissements qu'elles avaient consenti à l'occasion du passage à l'EIC, à l'exception de LCL (investissements totaux de [75 - 100 millions de francs], amortis dans une fourchette annuelle de [25 - 50 millions de francs] cote 36523), BNP Paribas, HSBC et des Banques Populaires. Ces trois dernières n'ont pas produit de pièces justificatives au soutien de leurs estimations. L'étude économique du 26 mai 2008 indique que ces investissements seraient de l'ordre de " plusieurs millions d'euro ", s'élevant à 20 millions d'euro pour certaines banques (point 2.43).

505. En l'espèce, il conviendrait toutefois de tenir compte, non du montant total des investissements effectués pour le passage à l'EIC, mais de ce montant net des investissements qui auraient dû être réalisés si l'EIC ne s'était pas concrétisé. En effet, sans passage à l'EIC, la duplication du système d'échange papier pour le besoin des chèques en euro aurait été nécessaire pendant la période de coexistence des deux monnaies, ce qui aurait été onéreux, ainsi que l'explique la Banque de France dans son audition du 1er juillet 2008 (cotes 8998 et s.).

506. Dans ces conditions, il pourra être admis de ne pas tenir compte des investissements initiaux effectués par les banques, dont il n'est aucunement établi qu'ils ont été supérieurs aux investissements qui auraient été réalisés sans passage à l'EIC. Par ailleurs, alors que toutes les banques, tirées et remettantes, devaient consentir des investissements pour le passage à l'EIC, on pourra considérer que le sens des résultats, c'est-à-dire la position des banques les unes par rapport aux autres en termes de bilan économique, n'est pas faussé par l'absence de prise en compte des investissements initiaux, qui dégrade le bilan de l'ensemble des banques sans distinction.

Les gains administratifs moyens par chèque :

507. A l'époque des négociations de la CIR, les gains administratifs attendus du passage à l'EIC avaient été évalués à 90 millions d'euro par an pour l'ensemble du secteur bancaire (point 73) ce qui correspond à 2,7 centimes d'euro par chèque traité.

508. Certaines banques ont fourni au cours de la procédure des chiffrages internes concernant les gains administratifs attendus, par chèque tiré (Gt) ou émis (Gr), du fait du passage à l'EIC.

509. L'étude économique du 26 mai 2008 propose une évaluation des gains administratifs comprise entre 0,9 et 1,2 centimes d'euro par chèque tiré (§ 2.42 et s.). Toutefois, contrairement aux calculs présentés dans cette étude, il n'y a pas lieu de retrancher le montant des commissions connexes pour évaluer les gains administratifs enregistrés par les banques tirées. En effet, ces commissions, à l'exclusion de la commission d'archivage, ne sont prélevées que pour une minorité d'images-chèques, dans le cas de la circulation de la vignette, du rejet de l'image-chèque, d'une erreur du SIT ou d'une demande de télécopie, alors que les économies attendues de la dématérialisation concernent le traitement standard des chèques (26). En outre, certaines commissions indemnisent la banque remettante du coût d'une opération auparavant assumée par la banque tirée. Elles ne représentent donc pas un coût supplémentaire pour la banque tirée par rapport aux charges assumées avant l'EIC, sauf si ses coûts étaient inférieurs au montant de la commission.

510. L'étude du 30 octobre 2009 retient quant à elle l'hypothèse d'un gain d'efficacité moyen de 2,7 centimes d'euro par chèque tiré (point 35 de l'étude du 30 octobre 2009).

Le bilan global :

511. Le bilan économique, pour chaque banque, du passage à l'EIC sans mécanisme de compensation peut être calculé selon la formule suivante :

Bilan sans CEIC = nombre de chèques tirés * (-T + Gt)

+ nombre de chèques remis * (R + Gr)

512. Le bilan économique, pour chaque banque, du passage à l'EIC avec la CEIC de 4,3 centimes d'euro peut être calculé selon la formule suivante :

Bilan avec CEIC = Bilan sans CEIC

+ 0,043*(nombre de chèques tirés - nombre de chèques remis)

. Simulation des bilans individuels du passage à l'EIC pour les banques (27)

513. Les bilans effectués ci-dessous en tenant compte d'hypothèses de calcul alternatives, confirment l'analyse concluant à l'absence de nécessité d'une commission fixe par transaction telle que la CEIC pour créer les incitations nécessaires au passage à l'EIC. A titre indicatif, le bilan du passage à l'EIC avec CEIC, hors répercussion de cette commission sur les clients, est présenté dans les tableaux ci-dessous.

. Etude de l'impact de l'accélération des échanges interbancaires

514. Le bilan ci-dessous est réalisé en retenant les hypothèses d'une accélération du règlement interbancaire (A) de 1,4 jour ouvré, c'est-à-dire l'estimation moyenne retenue par la CIR, d'une proportion de particuliers à découvert de 5 %, et d'une part (en valeur) des entreprises optimisant leur trésorerie à l'émission et à la remise de 25 %. Par ailleurs, les données individuelles communiquées par les parties sont retenues concernant le nombre et le montant moyen des chèques émis et remis (28), la part des entreprises dans les montants tirés et émis, et les gains administratifs. A défaut de communication, l'hypothèse d'un gain administratif moyen par chèque tiré de 2,7 centimes d'euro est retenue (29).

<emplacement tableau>

515. Il ressort de ce tableau que :

- aucune des banques majoritairement tirées en volume, à savoir La Poste, le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel et les Caisses d'Epargne ne connaît un bilan négatif hors mécanisme de compensation. Or, ce sont celles qui ont bénéficié d'une commission fixe sur chaque chèque remis ;

- le bilan de HSBC, banque majoritairement remettante en volume, qui était positif en l'absence de CEIC (gain de 1 million d'euro par an), devient négatif du seul fait de l'instauration de cette commission ; il en est de même pour le CIC ;

- le bilan sans CEIC de certaines banques majoritairement remettantes en volume, telles que la Société Générale, le Crédit du Nord, HSBC ou le CIC, est moins favorable que celui de banques majoritairement tirées en volume, telles que le Crédit Agricole ou le Crédit Mutuel.

516. Le sens des résultats n'est pas modifié si l'on retient l'hypothèse d'une accélération du délai de règlement interbancaire de 1,2 jour ouvré, avancée par les banques dans l'étude économique du 30 octobre 2009, qui, ainsi qu'il a été exposé plus haut, réduit les pertes de trésorerie de la part tirée des banques ainsi que les gains de leur part remettante. Dans une telle hypothèse, toutes les banques connaissent un bilan positif hors mécanisme de compensation. Par ailleurs, le bilan de HSBC devient négatif du seul fait de l'instauration de la CEIC, passant de +1 à -1,4 million d'euro. Il en est de même pour le CIC, qui passe de +4,8 à -0,2 millions d'euro A l'inverse, le bilan des banques majoritairement tirées en volume, positif hors mécanisme de compensation, s'améliore significativement avec l'instauration de la CEIC.

517. Le sens des résultats n'est pas non plus modifié si l'on retient l'hypothèse d'une accélération du délai de règlement interbancaire de 1,6 jour ouvré, qui correspond au maximum envisagé par la CIR. Ainsi qu'il a été exposé plus haut, une accélération plus importante accroît les pertes de trésorerie de la part tirée des banques ainsi que les gains de leur part remettante. Dans une telle hypothèse, toutes les banques connaissent un bilan positif hors mécanisme de compensation. Le bilan des banques majoritairement tirées en volume s'améliore donc du fait de l'instauration de la CEIC, à l'inverse de celui des banques majoritairement remettantes, le bilan de HSBC devenant négatif du seul fait de l'instauration de la CEIC, à hauteur de -1,6 million d'euro.

. Etude de l'impact de l'optimisation de trésorerie

518. Un bilan alternatif peut être réalisé afin de tenir compte de l'argument présenté par les banques dans leurs observations, qui font valoir que le nombre d'entreprises optimisant leur trésorerie à l'émission est plus faible que celui des entreprises optimisant leur trésorerie à la remise, dès lors notamment que la population d'entreprises remettantes est différente de celle des entreprises tirées, et comprend notamment les entreprises de la grande distribution, qui disposent généralement d'un service de gestion de trésorerie (voir sur ce point l'étude économique du 9 mars 2010 jointe aux observations des parties, points 30 et s.).

519. Le bilan ci-dessous est réalisé en retenant les mêmes hypothèses que le bilan précédent (point 514), excepté la part (en valeur) des entreprises optimisant leur trésorerie à l'émission et la part (en valeur) des entreprises optimisant leur trésorerie à la remise, ici évaluées respectivement à 10 % et 40 % :

<emplacement tableau>

520. Dans l'hypothèse étudiée, conforme aux arguments avancés par les banques :

- aucune des banques majoritairement tirée en volume, à savoir La Poste, le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel et les Caisses d'Epargne ne connaît un bilan négatif hors mécanisme de compensation ;

- deux banques ont un bilan négatif hors mécanisme de compensation, à savoir HSBC et la Société Générale, banques majoritairement remettantes en volume pour qui l'instauration de la CEIC a pour effet de creuser les pertes ;

- trois banques, majoritairement remettantes en volume, à savoir la BNP, le CIC et le Crédit du Nord, deviennent perdantes du fait de la CEIC versée aux banques majoritairement tirées ;

- le bilan sans CEIC de certaines banques majoritairement remettantes en volume, telles que la Société Générale, le Crédit du Nord, HSBC ou le CIC, est moins favorable que celui de banques majoritairement tirées en volume, telles que les Caisses d'Epargne ou le Crédit Mutuel.

. Conclusion sur le bilan économique du passage à l'EIC

521. Lorsqu'elles ont pris part aux réunions de la CIR, les banques n'ont probablement pas réalisé à titre individuel un bilan reposant sur des hypothèses économiques aussi précises. A la date à laquelle elles ont décidé la création de l'EIC, les banques étaient donc dans une situation d'incertitude concernant les conséquences précises, pour elles ou pour leurs concurrentes, du passage à l'EIC.

522. Toutefois, les simulations effectuées ci-dessus corroborent les enseignements qui résultent de l'examen des documents de travail de la CIR, ainsi que des chiffrages internes des banques.

523. En effet, elles sont conformes aux chiffrages internes réalisés par le Crédit Agricole et le Crédit Mutuel, banques majoritairement tirées en volume, qui avaient prévu un gain net du passage à l'EIC (hors prise en compte de l'hypothèse d'une disparition des dates de valeur, voir point 443).

524. Mais surtout, elles confirment également que, quelles que soient les hypothèses de calcul qui pouvaient être retenues par la CIR, la mise en place d'une commission fixe avait des effets extrêmement variables suivant les volumes et valeurs de chèques émis et remis par chaque banque, avec pour conséquence de dégrader le bilan de certaines banques dont la position résultant du passage à l'EIC en termes d'équilibre de trésorerie était pourtant moins favorable que leurs concurrentes (comme HSBC ou la Société Générale), alors qu'à l'inverse, certaines banques voyaient un bilan particulièrement favorable s'améliorer encore du fait de l'instauration de la commission (cas du Crédit Agricole ou de la Caisse d'Epargne).

525. L'incohérence de la mise en place d'une commission fixe, en termes d'incitations individuelles des banques à accepter le passage à l'EIC, est donc confirmée, dès lors que les banques majoritairement tirées de chèques en volume ne correspondent pas nécessairement aux banques majoritairement tirées de chèques en valeur. La CEIC contribue à dégrader le bilan des banques qui effectuent une importante émission de chèques en valeur et une importante remise de chèques en volume, telles que HSBC, la Société Générale, le CIC, le Crédit du Nord et la BNP. Par ailleurs, la CEIC a pour effet d'améliorer fortement le bilan du passage à l'EIC d'autres banques qui effectuent une importante émission de chèques en volume, déjà positif hors instauration de cette commission.

L'absence de réexamen de la CEIC en 2004

526. Les conditions du passage à l'EIC, et donc l'instauration et le montant de la CEIC, devaient faire l'objet d'un réexamen à l'issue d'une période de trois ans. Le procès-verbal de la réunion de la CIR en date du 3 février 2000 mentionne ainsi que " [le président de la CIR] précise que les conditions proposées à la Commission seront applicables à partir du 1er janvier 2002, valables pour 3 ans, c'est à dire jusqu'au 31/12/2004 et propose un rendez-vous à l'automne 2004 pour fixer les conditions qui seront applicables à partir du 1/1/2005 sur la base d'un bilan des 3 ans écoulés et de l'évolution constatée des équilibres par rapport aux équilibres actuels. " (cote 942).

527. Cependant, cette commission, prélevée à compter du 1er janvier 2002, n'a été supprimée que le 4 octobre 2007, avec effet rétroactif au 1er juillet 2007 (cf. point 128). Les banques ne se sont pas réunies à la fin de l'année 2004 pour réexaminer les conditions instaurées en 2000 pour le passage à l'EIC. La suppression de la CEIC est donc intervenue dans le contexte de l'enquête lancée par les services du Conseil de la concurrence, quelques mois avant la notification des griefs en date du 14 mars 2008.

528. Alors que l'instauration de la CEIC se traduisait par un coût supplémentaire pour les banques majoritairement remettantes en volume, qui n'était que partiellement compensé par les gains administratifs retirés du système (cf. point 524), les parties n'expliquent pas les raisons pour lesquelles ces banques n'ont pas demandé une renégociation quant au principe ou au niveau de la CEIC à l'échéance fixée par la CIR, c'est-à-dire par les banques elles-mêmes.

529. Interrogées en séance quant aux motifs du maintien de la CEIC après le 1er janvier 2005, les banques se sont bornées à faire valoir que la CEIC était considérée comme un " sujet mineur " par les établissements concernés et que ceux-ci étaient alors mobilisés par la mise en place du système paneuropéen de prélèvement automatique (SEPA).

530. L'absence de tentative de renégociation des banques majoritairement remettantes ne semble là encore trouver que deux explications plausibles : soit les gains administratifs réalisés par les banques majoritairement remettantes ont au moins compensé le coût subi du fait de l'instauration de la CEIC, soit tout ou partie de cette charge a été répercutée sur les clients remettants, dans le cadre du renouvellement après 2002 des contrats de services pluriannuels conclus avec les entreprises clientes ou de la modification des conditions tarifaires standard des banques, de manière à compenser la perte liée au paiement de la CEIC.

Conclusion sur la CEIC

531. Il résulte de tout ce qui précède que les parties n'apportent pas la preuve, qui leur incombe s'agissant de la justification d'une pratique constituant comme en l'espèce une restriction de concurrence par objet, que l'instauration d'un mécanisme de compensation, prenant la forme d'une commission interbancaire d'un montant fixe, payée à la transaction par la banque remettante à la banque tirée, était nécessaire pour fournir à l'ensemble des banques les incitations indispensables au passage à l'EIC. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner si les autres conditions de l'exemption prévues par l'article 81, paragraphe 3, CE et l'article L. 420-4 du Code de commerce sont remplies, cette pratique ne peut être exemptée sur le fondement de ces dispositions.

b) En ce qui concerne les CSC

532. Le caractère exemptable des CSC sera examiné ci-après au regard de chacune des quatre conditions prévues par les articles L. 420-4 du Code du commerce et 81 CE.

Sur le progrès économique

533. Les parties font valoir que, de même que la création de la CEIC, l'instauration des CSC a contribué à permettre le passage de l'ancien système de compensation des chèques interbancaires au système dématérialisé de l'échange image chèques.

534. Il a été démontré ci-dessus (voir points 399 et s.) que le passage à l'EIC constituait un progrès économique et un progrès technique pour la gestion du chèque en France.

535. La dématérialisation du système de compensation supposait, afin de réduire le coût de traitement des chèques, d'arrêter la circulation physique des chèques le plus tôt possible, en l'occurrence au niveau de la banque remettante. Dès lors, certaines charges, telles que l'archivage des chèques, auparavant assumées par les banques tirées étaient transférées aux banques remettantes, les CSC ayant précisément pour objet de compenser ce transfert de charges.

536. Par ailleurs, la dématérialisation des chèques entraînait la création de nouvelles charges pour les banques, telles que le traitement des rejets d'images-chèques et des demandes de télécopie adressées par le banquier tiré au banquier remettant, ou encore le traitement des annulations d'opérations compensées à tort via le SIT. Afin d'assurer le bon fonctionnement du système EIC, il apparaissait donc nécessaire que les banques prenant part aux opérations de compensation s'accordent sur les modalités de répartition des frais ou de compensation des services rendus par l'une d'entre elles à une autre.

537. Les CSC ont pour objet de compenser les coûts engagés par une banque à raison d'une opération initiée par un autre établissement bancaire ou par son client, et donc de transférer la charge financière d'une opération aux personnes à l'origine de la transaction en cause (couple payeur/banque tirée ou couple bénéficiaire/banque remettante). Une telle allocation permet notamment d'inciter les acteurs du système de paiement par chèque à éliminer les erreurs ou les incidents de paiement dont ils sont à l'origine, puisqu'ils doivent en assumer la charge financière, et, partant, à encourager une utilisation efficiente de ce moyen de paiement.

538. A cet égard, la Commission européenne admet, dans son document de travail " SEPA " du 30 octobre 2009 précité, que l'application d'une commission interbancaire soit justifiée par l'objectif d'une allocation des coûts à la personne responsable de la transaction ayant occasionné ceux-ci. Elle indique ainsi, s'agissant des " transactions R ", c'est-à-dire des transactions qui ne peuvent être exécutées normalement (hypothèses d'un rejet de la transaction, par exemple pour manque de provision, révocation, erreur de forme...) : " Les frais liés aux transactions R peuvent être destinés à allouer les coûts aux utilisateurs du système qui ont donné lieu à une transaction R. Si les participants au système sont confrontés aux conséquences financières de leurs propres actes, ils sont exposés à des incitations adéquates en vue d'éviter les erreurs, et les contributions financières sont alors équitablement réparties entre utilisateurs. En principe, l'application d'une CMI par transaction R peut faciliter cette allocation " (point 39).

539. Ainsi, il est établi que les CSC ont contribué au progrès économique que représente le passage à un système de compensation dématérialisé des chèques interbancaires.

Sur la nécessité

S'agissant du caractère indispensable des CSC

540. Les parties font valoir que les CSC étaient indispensables à la réalisation du progrès économique que représentait le passage à l'EIC dès lors que celui-ci entraînait un découplage entre la responsabilité d'une opération et sa charge administrative, alors que l'hypothèse d'une négociation bilatérale du montant des commissions connexes se heurtait au grand nombre d'acteurs du système du chèque, se traduisant par des coûts de transaction disproportionnés.

. La nécessité de commissions interbancaires

541. La nécessité d'adopter un système de commissions interbancaires pour financer les opérations connexes est établie, d'une part, par le découplage entre la responsabilité d'une opération et sa charge administrative et, d'autre part, par l'absence de modalité alternative de compensation des coûts encourus par les banques.

542. Sur le premier point, il convient de vérifier que chacune des commissions a pour objet de rémunérer un service rendu par une banque à une autre et, partant, d'allouer le coût de l'opération à la personne responsable.

543. L'archivage des chèques, auparavant assumé par les banques tirées, a été transféré aux banques remettantes avec le passage à l'EIC. On peut considérer que le couple payeur/banque tirée est responsable de cette opération, dès lors que l'archivage est réalisé pour chaque chèque échangé indépendamment de la consultation de l'image-chèque qui pourra en être faite. La commission pour archivage, qui a pour objet de compenser le coût de l'archivage effectué par la banque remettante, permet de transférer la charge de l'opération sur les acteurs du système du chèque à l'origine de celle-ci.

544. La commission pour chèque circulant est acquittée par le banquier tiré au banquier remettant dans quatre cas : les chèques hors norme, les chèques circulant conformément aux indications du banquier tiré, les chèques circulant au titre de la circulation aléatoire, les chèques d'un montant supérieur à 5 000 euro. Dans les deux premiers cas, la circulation physique du chèque est directement imputable au banquier tiré. Dans les deux derniers cas, la circulation des chèques résulte de l'application des règles définies en commun par les banques, à des fins notamment de contrôle et de sécurité du système EIC. On peut toutefois considérer que le coût lié à la circulation d'un chèque de montant important doit être assumé par le payeur qui est à l'origine de son émission. Ainsi, dans la majorité des cas, le couple payeur/banque tirée est à l'origine de la circulation des vignettes de chèques. Cependant, du fait de la dématérialisation du traitement du chèque, il revient à la banque remettante la charge d'acheminer le chèque en direction de la plate-forme d'échange physique des chèques de Paris. La commission sur image-chèque circulante, qui a pour objet de compenser le coût supporté par la banque remettante dans le cas d'un tel acheminement, permet de transférer la charge de l'opération sur le couple payeur/banque tirée, à l'origine de l'opération.

545. Les rejets d'image-chèque sont le plus souvent imputables au couple payeur/banque tirée, à l'origine de l'émission d'un chèque sur un compte insuffisamment approvisionné ou indisponible, d'une opposition sur chèque ou encore de l'émission d'un chèque irrégulier dans la forme ou frauduleux. Or, du fait de la dématérialisation du traitement du chèque, il revient à la banque remettante la charge d'effectuer le contrôle entre le rejet d'image- chèque généré par le SIT et la vignette du chèque correspondant. La commission sur rejet d'image-chèque acquittée par le banquier tiré rémunère donc le service qui lui est rendu par la banque remettante.

546. Les demandes de télécopie émanent de la banque tirée (le cas échéant sur requête du payeur), mais leur charge pèse sur la banque remettante qui a effectué l'archivage du chèque. Les commissions sur demandes de télécopie, qui ont pour objet de compenser les frais de recherche et de télécopie supportés par la banque remettante, permettent de transférer la charge de l'opération sur le couple payeur/banque tirée à l'origine de l'opération.

547. Enfin, les commissions sur annulation d'une opération compensée à tort (AOCT) compensent les charges supportées par les banques lorsqu'elles effectuent la contre- passation d'une opération initiale émise à tort. La commission sur annulation d'image- chèque est payée par la banque remettante qui, constatant une telle erreur, demande à la banque tirée l'annulation de l'opération compensée à tort. La commission sur annulation de rejet d'image-chèque est payée par la banque tirée qui, ayant émis un rejet à tort, demande à la banque remettante d'annuler cette opération.

548. Aux termes du rapport du groupe de travail restreint de la CIR relatif aux opérations connexes de l'Echange d'Images Chèques du 28 décembre 1999 : " il s'agit d'opérations dont le nombre peut être réduit par un contrôle approfondi des opérations avant leur émission. Il est donc normal que l'établissement qui émet ces opérations qui donnent une charge de travail significative à celui qui les reçoit, paie une commission par AOCT émise " (cote 1433). Les commissions AOCT permettent donc de transférer la charge de l'opération sur la banque qui est à l'origine de l'erreur commise.

549. En ce qui concerne l'absence de modalité de compensation alternative, il convient de relever que, compte tenu des caractéristiques du système de paiement du chèque, la rémunération de la banque via une imputation des frais à son client ne permet pas d'optimiser l'allocation des coûts liés aux opérations connexes entre les utilisateurs du système du chèque. En effet, en l'absence de relation contractuelle prolongée entre l'émetteur d'un chèque et son bénéficiaire, les remettants n'ont pas toujours la possibilité de refacturer les frais liés à une opération connexe dont ils ne sont pas responsables, par exemple dans le cas de l'émission d'un chèque sans provision. S'agissant d'opérations exceptionnelles (erreur, rejet...), leur coût ne peut être aisément répercuté, par exemple dans le prix des produits vendus par des commerçants. Une allocation privée des coûts entre payeur et bénéficiaire étant en pratique complexe, voire impossible, seule une commission interbancaire permet de transférer efficacement la charge financière d'une opération sur l'acteur qui en est responsable.

. La nécessité de commissions multilatérales

550. La nécessité d'adopter un système de commissions multilatérales de préférence à des commissions bilatérales a été reconnue par les autorités de concurrence nationale et communautaire dans le cadre de décisions relatives à des commissions d'interchange.

551. Dans sa décision n° 88-D-37 précitée, GIE CB, le Conseil de la concurrence a relevé que : " la définition par le groupement des conditions tarifaires applicables entre les établissements qui en sont membres est nécessaire au bon fonctionnement du système interbancaire de paiement ; qu'en l'absence d'intervention du groupement, en effet, chacun de ses membres devrait négocier avec tous les autres le montant de la rémunération qu'il entend percevoir en sa qualité de banque de porteurs ; que l'efficacité et la rentabilité du réseau interbancaire de paiement par carte s'en trouveraient compromises ainsi que le progrès économique qui en découle ; que le principe selon lequel le groupement définit la tarification d'interchange relève, en conséquence, du 2° de l'article 51 [devenu l'article L.420-4 du Code de commerce] ".

552. La réduction des coûts de négociation et de transaction a également été avancée par la Commission européenne pour justifier le caractère indispensable d'un accord multilatéral d'interchange dans sa décision Visa précitée du 22 novembre 2002. La Commission relève que, compte tenu de ces coûts, " des commissions bilatérales d'interchange seraient théoriquement possibles mais se traduiraient, selon toute vraisemblance, par des frais plus élevés et moins transparents. Cela risquerait d'entraîner une augmentation des frais imputables aux commerçants. Telle est la raison pour laquelle une CMI [commission multilatérale d'interchange] par défaut est nécessaire pour les cas où deux banques n'ont pas été capables ou n'ont pas tenté de parvenir à un accord bilatéral " (considérant 101).

553. En l'absence d'accord multilatéral sur la répartition des frais nouveaux et sur la compensation des transferts de charges entre les banques générés par la dématérialisation des échanges, les gains d'efficacité issus du passage à l'EIC auraient été significativement amputés par le coût de la négociation de commissions bilatérales entre chaque couple de banques. En effet, des négociations bilatérales se seraient traduites par la conclusion d'un nombre très important d'accords (plusieurs centaines de milliers), compte tenu du nombre des acteurs en jeu, toute réévaluation quantitative nécessitant la renégociation de l'ensemble de ces contrats.

. La nécessité de commissions fixes

554. Les CSC rémunèrent un service rendu par une banque à une autre, dont le coût n'est pas lié au montant du chèque émis, mais correspond à un coût fixe, dont le montant dépend de la nature de l'opération connexe effectuée par la banque. Ainsi, à la différence d'une commission dont l'objet serait de compenser des déséquilibres de trésorerie, le caractère unitaire des CSC est justifié, compte tenu de leur objet.

555. Il résulte de tout ce qui précède que le caractère indispensable des CSC afin d'obtenir les gains d'efficacité attendus est établi.

S'agissant du montant proportionné des CSC

556. Dans sa décision n° 88-D-37 précitée, GIE CB, le Conseil de la concurrence a relevé, pour refuser d'exempter la commission interbancaire instituée par les membres du groupement en cause à raison de sa contribution au progrès économique, que le tarif de celle-ci était applicable uniformément à tous les établissements financiers quelle que fût leur situation particulière, et de ce fait, a estimé non conformes " à l'objectif de progrès économique " les modalités retenues pour sa définition, par le motif qu'elles empêchaient en fait les membres du groupement " de consentir à leur clientèle de commerçants des taux de commission reposant sur des critères objectifs et qui soient notamment en rapport avec les efforts des commerçants en vue de réduire les risques de fraude et d'utilisation abusive ".

557. En matière de commissions interbancaires, la Commission européenne se réfère également à l'objectivité et à la transparence des critères utilisés pour en déterminer le montant. Dans sa décision Visa du 22 novembre 2002, elle souligne que le niveau de la CMI soumise à son examen n'excède pas " le coût des services spécifiques sur lesquels son calcul se fonde ", tel que vérifié par une étude de coûts réalisée auprès d'un échantillon représentatif de membres de Visa et vérifiée par un expert indépendant (point 92). Dans l'affaire GSA, la Commission a demandé aux banques de revoir périodiquement le montant de la compensation interbancaire sur la base du coût de traitement auquel parvient la banque la plus efficace, tel qu'évalué par un expert indépendant (voir la décision, GSA du 21 octobre 1999, point 30).

558. A cet égard, les parties soulignent la difficulté que pouvait représenter le calcul des coûts correspondant aux services connexes à l'époque de la création des CSC, dans la mesure où, s'agissant de services nouveaux liés à la mise en place de l'EIC, les banques ne pouvaient avoir connaissance des coûts liés à ces services en 1999.

559. S'il est vrai que l'évaluation des coûts réels liés aux opérations financées par les CSC ne pouvait être effectuée avec précision en 1999, la CIR avait prévu de réviser les conditions du passage à l'EIC, et donc le montant des CSC, à l'issue d'une période de trois ans. Par ailleurs, l'article 4.6.3 de la convention professionnelle sur l'échange d'images-chèques en date du 9 juillet 2003 précitée a prévu l'organisation, au moins tous les trois ans, et pour la première fois dans le trimestre suivant l'adoption de la convention, d'une concertation afférente au montant des CSC " sur la base des coûts estimés par un échantillon d'établissements contractants considéré comme représentatif par les signataires " (voir point 125 ci-dessus). Cette réévaluation n'a cependant été effectuée qu'en novembre 2007, avec effet rétroactif au 1er juillet de la même année, à l'issue d'une étude de coûts commandée au cabinet Latham et Watkins pour l'ensemble des CSC, excepté les commissions pour annulation d'une opération compensée à tort AOCT (idem).

560. A l'exception de la commission pour chèques circulants, dont le montant a été fixé à un niveau supérieur aux coûts réels de la transaction dans un but dissuasif, le montant des CSC a été fixé à l'issue de la réévaluation de 2007 par référence au coût médian supporté par les banques.

561. Sur ce point, les Caisses d'Epargne font valoir que, s'agissant de commissions multilatérales, il est légitime de fixer leur niveau en fonction du coût moyen supporté par l'ensemble des banques, sous peine de créer une charge trop importante pour les banques moins efficaces. Le Crédit Agricole et LCL soulignent que la fixation de commissions à un niveau trop bas aurait eu pour conséquence de pénaliser les banques remettantes les moins efficaces, ce qui aurait pu conduire au refus d'assumer cette responsabilité, et donc à l'échec du passage à l'EIC.

562. Il convient donc d'examiner quels sont les critères objectifs qui peuvent être retenus pour la détermination du montant de commissions interbancaires pour services rendus dans le cadre du fonctionnement du système de paiement du chèque.

563. Du fait de la dimension multi-face du marché, les CSC représentent à la fois un coût à la charge d'une banque qui achète le service à une autre, dont, comme il a été souligné ci-dessus, une partie peut être répercutée sur le client final, et une rémunération qu'une banque perçoit en contrepartie de la fourniture d'un service à une autre. Pour autant que l'on admette le principe d'une détermination conjointe de ces commissions, il importe donc que leur niveau soit fixé de manière à en minimiser l'impact sur les clients et à encourager les banques à l'efficacité dans la fourniture de ces services. En particulier, la répercussion des commissions aux consommateurs ne doit pas autoriser l'inflation du coût des services correspondants.

564. La méthode préconisée par la Commission européenne dans l'affaire GSA est la fixation de la commission sur la base du coût de traitement auquel parvient la banque la plus efficace. Un niveau de commission indexé sur le coût de la banque la plus efficace est préférable, puisqu'il permet de minimiser les répercussions sur les consommateurs en réduisant les coûts susceptibles d'influer sur le niveau des prix facturés aux clients.

565. Par ailleurs, le choix du coût de référence n'a qu'un impact relativement limité sur les incitations des banques à minimiser le coût de fourniture des services correspondant aux différentes commissions connexes. En effet, qu'elles soient bénéficiaires des commissions ou contributeurs, elles sont toutes incitées à réduire les coûts de ces services, pour augmenter leur rente ou limiter leurs pertes.

566. Il résulte de ce qui précède que les commissions interbancaires pour services rendus doivent, sauf circonstances particulières, être fixées par référence au coût de traitement auquel parvient la banque la plus efficace.

567. Au cas d'espèce, compte tenu du caractère nouveau de la règle fondée sur le coût de la banque la plus efficace, et par mesure de tempérament, la proportionnalité des CSC sera admise lorsqu'il est établi que celles-ci ont été fixées à un niveau de coût moyen (référence utilisée par les banques pour fixer le montant de certaines CSC au cours des négociations de la CIR) ou médian (référence utilisée lors de la révision du montant des commissions en 2007), sous réserve de l'examen de circonstances particulières (cas de la commission sur image-chèque circulante, dont le montant a été fixé dans un but dissuasif). Il est en effet admis que ces coûts de référence permettaient de faciliter l'obtention d'un consensus des différents acteurs économiques quant au niveau de la commission à retenir. Il convient toutefois de souligner que la prochaine révision périodique du niveau des CSC devrait être l'occasion pour les banques de fixer celui-ci sur la base du coût de la banque la plus efficace.

. La commission sur rejet d'image chèque

568. La commission pour rejet d'image chèque a été fixée à 3 euro par la CIR. Son montant est demeuré inchangé lors de la révision de 2007.

569. Les parties font valoir que la circonstance que le montant de la commission soit demeuré inchangé à la suite de l'évaluation du cabinet Latham et Watkins en 2007 démontre que celui-ci a été fixé à un niveau correspondant aux coûts réels dès 2002.

570. Il résulte des éléments ci-dessus que le niveau de la commission correspond au coût médian de l'opération pour les banques, observé en 2007. Dès lors qu'aucun facteur n'indique que ce coût aurait varié entre 2002 et 2007, celui-ci peut être considéré comme proportionné à la réalisation des gains d'efficacité attendus.

. Les commissions sur demande de télécopie

571. Ces trois commissions ont été fixées par la CIR respectivement à 2,7 euro (télécopie recto) ; 3 euro (télécopie recto/verso) et 7 euro (télécopie recto + original). Leur montant a été considérablement réduit en 2007, et s'établit désormais à 1 euro pour les deux premières commissions et à 4,12 euro pour la troisième.

572. Le Crédit Agricole et LCL font valoir que le coût de délivrance d'une copie du chèque au tireur s'est accru du fait de l'EIC : alors que la recherche était auparavant effectuée par la banque tirée directement à partir de l'extrait de compte du client, la banque remettante doit désormais extraire de ses archives la remise de chèque concernée à partir de la référence de l'opération de compensation transmise par le SIT. Le coût de ce service après la réforme n'aurait pas pu être évalué avec précision en 1999.

573. Les Banques Populaires, le Crédit Agricole et LCL soutiennent en outre que la nouvelle évaluation à la baisse du montant de ces commissions en 2007 s'explique par l'évolution des technologies, qui a permis de réduire le coût des services de télécopie. Elles indiquent que la généralisation de l'archivage numérique a permis d'automatiser le processus d'extraction et d'envoi de la télécopie à partir d'une demande transmise par le SIT, et donc de réduire les coûts de l'opération qui nécessitait auparavant une manipulation manuelle à partir de l'archive papier du chèque.

574. Le rapport du groupe de travail restreint de la CIR relatif aux opérations connexes de l'Echange d'Images Chèques du 28 décembre 1999, qui a proposé la fixation des commissions pour demandes de télécopie aux niveaux finalement retenus par les banques, précise que : " Le groupe a considéré que dans le cas général la charge de travail qui incombe au banquier remettante était du même ordre de grandeur pour un chèque impayé que pour une demande de télécopie. Il suggère qu'un même prix soit fixé pour tous les rejets et pour les demandes de télécopie, étant entendu que les outils techniques devront permettre d'affecter à ces deux opérations des prix distincts si des faits nouveaux apparaissaient " (cote 1432). A l'époque de la mise en place du système EIC, les opérations effectuées par la banque remettante lors d'une demande de télécopie étaient donc similaires à celles qui étaient effectuées dans le cas de rejet d'une image-chèque.

575. Dans ces conditions, le montant des commissions pour télécopie pourra être considéré comme proportionné à la réalisation des gains d'efficacité attendus.

. Les commissions sur annulation d'une opération compensée à tort (AOCT)

576. Ces commissions ont été fixées à 0,61 euro par la CIR. Ce montant n'a fait l'objet d'aucun examen dans le cadre de l'évaluation menée en 2007.

577. Les parties font valoir que le montant de ces commissions a été fixé au même niveau que celui des commissions AOCT relatives aux autres moyens de paiement traitées dans le cadre du SIT, s'agissant d'opérations semblables.

578. Cependant, le montant de commissions interbancaires ne saurait être fixé par analogie, mais doit, ainsi qu'il a été souligné ci-dessus (points 556 et s.), être fixé en fonction de critères objectifs reposant sur les coûts des services rendus. Ainsi, la circonstance que le montant des commissions soit commun à toutes les opérations AOCT n'est pas de nature à en démontrer le caractère proportionné, en l'absence de toute justification des banques quant aux modalités qui ont présidé à la détermination de ce montant.

579. Dans ces conditions, les banques ne démontrent pas le caractère proportionné du montant des commissions AOCT prélevées depuis le 1er janvier 2002. Dès lors, ces commissions ne sont pas susceptibles de bénéficier de l'exemption prévue par les articles 81, paragraphe 3, CE et L. 420-4 du Code de commerce.

. La commission d'archivage

580. Cette commission a été fixée à 0,003 euro (0,019 F) par la CIR. Alors qu'elle venait en déduction de la CEIC, cette commission a été supprimée le 1er juillet 2007, sans que cette suppression soit justifiée par les banques.

581. La Banque de France fait valoir que le montant de la commission correspond au coût de revient moyen de l'archivage.

582. Le rapport relatif aux opérations connexes de l'Echange d'Images Chèques du 28 décembre 1999 précise que le coût de revient de l'archivage observé pour les établissements membres du groupe de travail restreint de la CIR " se situe entre 0,01 et 0,03 F par chèque " (cote 1430).

583. Dans ces conditions, le montant de la commission pour archivage pourra être considéré comme proportionné à la réalisation des gains d'efficacité attendus.

. La commission sur image-chèque circulante

584. Cette commission a été fixée à 0,15 euro par la CIR. Son montant a été réduit à 0,12 euro en 2007.

585. Les parties font valoir qu'elles ont choisi une tarification dissuasive, en se fondant sur les coûts de revient des banques les moins efficaces. Elles expliquent que la commission pour chèques circulants n'est pas seulement destinée à couvrir le coût supporté par les banques remettantes mais également à dissuader les banques tirées de rendre les chèques circulants, afin d'assurer l'efficacité du système. Le Crédit Agricole et LCL expliquent que la circulation des vignettes restait possible après l'EIC, même pour les chèques correspondant aux normes du système, à la demande de la banque tirée ou sur initiative de la banque remettante au titre de la circulation aléatoire. Les premières années de mise en place de l'EIC auraient d'ailleurs été caractérisées par un taux de chèques circulants significatif comparé à celui qui est observé actuellement, démontrant la nécessité d'un mécanisme dissuasif.

586. Le rapport relatif aux opérations connexes de l'Echange d'Images Chèques du 28 décembre 1999 précise ainsi que le montant de la commission " correspond au haut de la fourchette des coûts de revient constatés dans les établissements, mais c'est un choix volontaire pour éviter que le nombre de chèques circulants ne devienne trop important " (cote 1431). Lors de la révision de 2007, les banques ont choisi de fixer le montant de la commission au niveau du coût médian (le coût de la banque la moins efficace étant de 0,25 euro).

587. Le choix des banques est justifié, dans la mesure où une commission fixée à un niveau initial dissuasif permettait d'inciter les acteurs du système à éviter une circulation des vignettes, contraire à l'objet même de l'EIC qui a mis en place la dématérialisation des chèques, et génératrice de coûts. Une commission fixée à un niveau dissuasif permettait donc, dans le cadre de la phase de lancement de l'EIC, de maximiser les gains d'efficacité produits par le nouveau système. Par ailleurs, le niveau fixé par la CIR en 2000 n'est pas excessif dès lors qu'il n'excédait pas le coût de revient réel constaté dans certains établissements. A l'issue de la phase transitoire de lancement de l'EIC, et dès lors que l'objectif de réduction de la circulation des vignettes était atteint, il était justifié pour les banques de fixer le niveau de la commission suivant le référentiel du coût médian adopté pour les autres CSC.

588. Il résulte des éléments ci-dessus que le niveau de la commission pour chèques circulants fixé par la CIR était proportionné à la réalisation des gains d'efficacité qui en étaient attendus.

589. Il résulte de tout ce qui précède que les CSC, à l'exception des commissions AOCT dont le montant a été fixé selon des critères étrangers aux objectifs poursuivis par l'accord sous examen, étaient raisonnablement nécessaires à la réalisation des gains d'efficacité qui en étaient attendus.

Sur le partage des profits

590. Les parties font valoir qu'une part équitable des gains retirés par les banques du passage à l'EIC, auquel les CSC ont contribué, a été répercutée sur les consommateurs sous la forme d'une accélération du crédit des comptes bancaires des clients à la remise des chèques, et d'une sécurité accrue des transactions par chèque.

591. Il résulte de ce qui précède que les CSC étaient nécessaires à la réalisation des gains d'efficacité correspondant, d'une part, à l'économie des coûts de négociation et de transaction de commissions bilatérales, et, d'autre part, à l'optimisation de l'allocation des coûts du système de paiement par chèque entre les utilisateurs de ce système.

592. Aux termes des lignes directrices de la Commission européenne concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité, précitées : " La deuxième condition de l'article 81, paragraphe 3, intègre une échelle mobile. Plus la restriction de concurrence constatée au regard de l'article 81, paragraphe 1, est grande, plus les gains d'efficacité et leur répercussion sur les consommateurs doivent être importants. Cette approche de l'échelle mobile suppose que si les effets restrictifs d'un accord sont relativement limités et les gains d'efficacité substantiels, il y a de fortes chances qu'une partie équitable des réductions de coûts soit répercutée sur les consommateurs. C'est pourquoi, dans ce cas, il n'est en principe pas nécessaire de se lancer dans une analyse détaillée de la deuxième condition de l'article 81, paragraphe 3, sous réserve toutefois que les trois autres conditions d'application de cette disposition soient remplies " (point 90).

593. Au cas d'espèce, il peut être souligné que les CSC ne concernent que des opérations connexes au système de compensation des chèques, et ne sont donc pas prélevées pour la majorité des transactions effectuées dans le cadre du nouveau système EIC. Par ailleurs, s'agissant de rémunérations pour services rendus, les effets restrictifs pour la concurrence se limitent à l'impossibilité pour chaque banque de négocier individuellement avec ses concurrentes un niveau de commission plus faible lorsque ses coûts sont inférieurs au coût médian, privant ainsi ses clients de la possibilité de bénéficier de tarifs plus compétitifs, dans la mesure où les CSC sont, en fin de compte, répercutées en tout ou en partie sur les utilisateurs du système du chèque.

594. S'agissant du gain d'efficacité tiré de l'optimisation de l'allocation des coûts entre les utilisateurs du système, il peut être considéré que les CSC, à l'exception des AOCT, réservent une partie équitable du profit qui en résulte aux consommateurs dans la mesure où leur montant se fonde des critères objectifs et transparents et n'excède pas le coût du service rendu, ainsi qu'il a été souligné plus haut. Cette analyse correspond notamment à celle qui a été développée par la Commission européenne dans la décision Visa du 22 novembre 2002 (voir considérant 92 de la décision).

595. S'agissant des économies de coûts de transactions bilatérales, il peut être également considéré que les CSC réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte. En effet, dans l'hypothèse de négociations bilatérales, les coûts de transaction risquent d'être répercutés sur les consommateurs, directement par une hausse des frais facturés à la clientèle, ou indirectement, par une majoration du prix d'autres services bancaires (subventions croisées). L'absence de répercussion des coûts de transaction bilatérale représente pour les consommateurs un gain probablement supérieur aux éventuels surcoûts liés à l'impossibilité pour la banque acquittant la commission multilatérale de fixer le prix de ses services en fonction de ses seuls coûts individuels, lorsqu'ils sont inférieurs au niveau de la commission.

596. Il résulte de ce qui précède que les CSC doivent être regardées comme réservant une part équitable des gains d'efficacité qui en sont attendus aux utilisateurs du système du chèque.

Sur l'absence d'élimination de la concurrence

597. La concurrence entre les banques n'a pas été éliminée sur les marchés de l'émission et de la remise de chèques par l'instauration des CSC. En effet, les CSC ne règlent pas directement les relations entre les banques et leurs clients et les banques restent libres de déterminer les modalités et le niveau de rémunération qu'elles réclament à leurs clients pour les services d'émission et de remise de chèques. Les banques acquittant les commissions restent libres de répercuter en tout ou partie les frais correspondant aux CSC sur leurs clients, et peuvent se concurrencer sur les autres éléments de tarification des services d'émission et de remise du chèque.

Conclusion sur les CSC

598. Il résulte de tout ce qui précède que les commissions sur rejet d'image-chèque, les commissions sur demandes de télécopie, la commission pour archivage et la commission sur image-chèque circulante peuvent bénéficier de l'exemption prévue par les articles 81, paragraphe 3, CE et L. 420-4 du Code de commerce.

599. A l'inverse, les commissions AOCT ne sont pas susceptibles de bénéficier de l'exemption prévue par les articles 81, paragraphe 3, CE et L. 420-4 du Code de commerce, dès lors que les banques n'ont pas démontré que leur montant était proportionné à la réalisation des gains d'efficacité attendus.

D. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

1. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES À LA BANQUE POSTALE

600. La Banque Postale soutient que les griefs retenus ne pouvaient lui être notifiés, car elle n'existe sous sa dénomination et par son objet social que depuis 2005, date postérieure aux réunions de la CIR.

a) Le droit applicable

601. Les règles développées par la jurisprudence nationale et communautaire qui gouvernent l'imputabilité des infractions en droit de la concurrence en cas de restructurations d'entreprises s'appuient sur le principe de la responsabilité personnelle, complété par le critère de la continuité économique.

602. Lorsqu'une personne morale enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir, en ce sens, les arrêts de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 145, et du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C-279-98 P, Rec. p. I-9693, point 78).

603. Une personne morale qui n'est pas l'auteur de l'infraction peut néanmoins être sanctionnée pour celle-ci dans certaines circonstances, sur le fondement du critère de la continuité économique. En effet, " si aucune autre possibilité d'infliction de la sanction à une entité autre que celle ayant commis l'infraction n'était prévue, des entreprises pourraient échapper à des sanctions par le simple fait que leur identité ait été modifiée par suite de restructurations, de cessions ou d'autres changements juridiques ou organisationnels. L'objectif de réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence et d'en prévenir le renouvellement au moyen de sanctions dissuasives serait ainsi compromis " (arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2007, ETI e.a., C-280-06, Rec. p. I-10893, point 41).

604. Il en est ainsi lorsque la personne ayant commis l'infraction a cessé d'exister juridiquement après la commission de l'infraction (voir l'arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 145). Aux termes de la jurisprudence des cours nationales de contrôle : " les sanctions prévues à l'article L. 464-2 du Code de commerce sont applicables aux entreprises auteurs des pratiques anticoncurrentielles prohibées (...), lorsque la personne qui exploitait l'entreprise a cessé d'exister juridiquement avant d'être appelée à en répondre, les pratiques sont imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a été juridiquement transmise, et, à défaut d'une telle transmission, à celle qui assure en fait sa continuité économique et fonctionnelle " (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 14 janvier 2009, Eurelec ; voir aussi l'arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 2001, société Bec Frères).

605. Il en est également ainsi lorsque la personne ayant commis l'infraction a cessé d'exister économiquement après la commission de l'infraction (voir, en ce sens, les arrêts de la Cour de justice, Aalborg Portland/Commission, précité, points 355 à 359, et ETI, précité, point 41 à 52.). La Cour de justice souligne : " À ce dernier égard, il y a lieu de considérer qu'une sanction infligée à une entreprise qui continue à exister juridiquement, mais n'exerce plus d'activités économiques, risque d'être dépourvue d'effet dissuasif " (arrêt ETI, précité, point 40).

606. Dans cette seconde hypothèse, le juge communautaire a précisé que " lorsque deux entités constituent une même entité économique, le fait que l'entité ayant commis l'infraction existe encore n'empêche pas, en soi, que soit sanctionnée l'entité à laquelle elle a transféré ses activités économiques. En particulier, une telle mise en œuvre de la sanction est admissible lorsque ces entités ont été sous le contrôle de la même personne et ont, eu égard aux liens étroits qui les unissent sur le plan économique et organisationnel, appliqué pour l'essentiel les mêmes directives commerciales " (même arrêt, points 48 et 49). Cette jurisprudence est fondée sur le fait que le droit de la concurrence vise les activités des entreprises, et que la notion d'entreprise, telle qu'elle a été définie par la jurisprudence communautaire, comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Dans l'affaire ETI, le nouvel exploitant a été sanctionné, alors même que l'ancien exploitant n'avait pas cessé d'exister juridiquement, et avait conservé une activité économique dans un autre secteur économique, dès lors que les deux entités étaient détenues et placées sous la tutelle d'une même autorité publique.

607. Ainsi, le critère de la continuité économique joue non seulement " dans le cas où la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise a cessé d'exister juridiquement après la commission de l'infraction " mais également " dans les cas de restructurations internes d'une entreprise lorsque l'exploitant initial ne cesse pas nécessairement d'avoir une existence juridique mais n'exerce plus d'activité économique sur le marché concerné et eu égard aux liens structurels entre l'exploitant initial et le nouvel exploitant de l'entreprise " (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T-161-05, non encore publié au Recueil, point 52).

608. L'imputation au nouvel exploitant d'une infraction commise par l'ancien exploitant est une possibilité que, dans certaines circonstances, la jurisprudence reconnaît à l'autorité de concurrence, et non une obligation (même arrêt, point 64).

b) Appréciation en l'espèce

609. En l'espèce, la création de commissions interbancaires prélevées à raison des opérations de compensation des chèques dans le système EIC et la fixation de leur montant ont été décidées en commun par les banques dans le cadre de la réunion de la CIR du 3 février 2000, à laquelle siégeait le représentant de La Poste (voir points 76 ci-dessus). L'accord a ensuite été mis en œuvre par La Poste jusqu'au transfert de ses activités bancaires à sa filiale La Banque Postale au titre des activités bancaires de cet établissement public. La Banque Postale a été créée en décembre 2005 par changement de dénomination de la société Efiposte, filiale de La Poste qui avait pour activité la réception, transmission et exécution d'ordres financiers, et par extension de son objet social aux opérations de banque. C'est cette entité qui a, sans que La Poste le conteste, mis en œuvre l'entente litigieuse à compter de décembre 2005.

610. En application de la jurisprudence communautaire précitée, la circonstance que La Poste n'a pas cessé d'exister juridiquement n'empêche pas de sanctionner La Banque Postale à raison des infractions en cause commises par La Poste avant 2005, dès lors, d'une part, que cette dernière n'exerce plus d'activité sur le marché du chèque concerné par la présente procédure et, d'autre part, qu'il existe des liens structurels entre La Poste et La Banque Postale. La situation de La Banque Postale est en tout point comparable à celle des entreprises mises en cause dans l'affaire ETI. En effet, à la suite de la restructuration interne de cet établissement public intervenue en 2005, La Poste, bien que n'ayant pas cessé d'avoir une existence juridique et ayant conservé une activité dans un autre secteur économique, a transféré l'ensemble de ses activités bancaires à sa filiale La Banque Postale. En outre, il convient de relever que La Poste détient l'intégralité du capital de La Banque Postale, les deux sociétés étant donc présumées constituer une même entreprise au sens du droit de la concurrence. Enfin, à la date de la création de La Banque Postale, les deux entités étaient détenues par l'Etat et placées sous la tutelle d'une même autorité publique, le ministre chargé de l'économie.

611. Par ailleurs, il convient de relever que l'imputation des pratiques en cause à La Banque Postale n'est pas de nature à porter atteinte aux droits de la défense de cette entreprise, dès lors qu'elle a été destinataire de la notification des griefs et qu'elle a pu présenter ses observations conformément aux prévisions de l'article L. 463-2 du Code de commerce. Enfin, cette imputation n'est pas préjudiciable aux intérêts de l'entreprise, dès lors que le plafond de la sanction encourue est, aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le chiffre d'affaires hors taxes consolidé du groupe, soit, au cas d'espèce, le chiffre d'affaires du groupe La Poste, au sein duquel les comptes de La Banque Postale sont consolidés.

612. Il résulte de ce qui précède qu'il appartient à La Banque Postale de répondre du grief qui lui a été notifié.

2. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES À LCL

613. Le Crédit Agricole et LCL soutiennent que les pratiques en cause ne peuvent être imputées à LCL à compter du 19 juin 2003, date de son acquisition par la société Crédit Agricole SA. Les mêmes banques font valoir que LCL ne peut plus être considérée comme une entité autonome depuis cette date dès lors que la société Crédit Agricole SA détient l'intégralité de son capital et que la majorité des membres des organes de direction de LCL exercent des responsabilités au sein du groupe Crédit Agricole et de la société Crédit Agricole SA.

614. Il résulte de la jurisprudence communautaire que le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. L'absence de comportement autonome est présumée lorsqu'une société mère détient l'intégralité du capital de sa filiale. Dans ce cas, l'autorité de concurrence est " en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l'amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n'apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché " (voir l'arrêt de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08, non encore publié au Recueil, points 58 à 61).

615. La Cour de justice a par ailleurs précisé que, lorsque la société qui a commis les pratiques est absorbée par un groupe au sein duquel elle continue, en tant que filiale, à exercer l'activité dans le cadre de laquelle les pratiques ont été commises, elle doit répondre elle-même de son comportement infractionnel antérieur à l'absorption (voir l'arrêt Cascades/Commission, précité, point 79).

616. Au cas d'espèce, la conclusion de l'accord du 3 février 2000 et sa mise en œuvre jusqu'au 19 juin 2003 sont imputables à LCL, dès lors que cette société continue, en tant que filiale de la société Crédit Agricole SA, à exercer l'activité de banque dans le cadre de laquelle les pratiques ont été commises.

617. La société Crédit Agricole SA a acquis la totalité du capital de LCL le 19 juin 2003. Dans ces conditions, et alors qu'il est soutenu qu'à compter de cette date, LCL ne déterminait plus de façon autonome son comportement sur le marché, la société Crédit Agricole SA sera considérée comme solidairement responsable pour le paiement de l'amende infligée à sa filiale à raison de la mise en œuvre de l'accord pour la période postérieure au 19 juin 2003.

3. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES À BPCE

618. Lorsque la personne ayant commis l'infraction a cessé d'exister juridiquement après la commission de l'infraction, les pratiques sont imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a été juridiquement transmise (voir l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, Eurelec, précité, point 604 ci-dessus).

619. Il en résulte, qu'en cas de fusion-absorption de la personne morale, les pratiques doivent être imputées à la société qui succède, sur le plan juridique, à la société auteur des pratiques, c'est-à-dire la société absorbante (voir, en ce sens, la décision n° 07-D-11 du 28 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre à l'occasion de marchés publics de travaux routiers passés par le Conseil général de la Marne, la ville de Reims et le district de Reims, point 97).

620. En l'espèce, la Banque Fédérale des Banques Populaires (devenue BP Participations en 2009) et la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne (devenue CE Participations en 2009) ont fait l'objet d'une fusion-absorption le 5 août 2010 par la société anonyme Banques Populaires Caisses d'Epargne (BPCE), ainsi que l'ont signalé les banques concernées. Les pratiques mises en œuvre par la Banque Fédérale des Banques Populaires et par la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne doivent donc être imputées à BPCE.

E. SUR LES SANCTIONS

1. SUR LA PROTECTION DE LA CONFIANCE LÉGITIME DES PARTIES

621. Le Crédit Mutuel et le CIC soutiennent que l'application d'une sanction serait contraire au principe de confiance légitime. Les mêmes banques font valoir que l'absence de réaction de la DGCCRF à la suite des échanges qui se sont tenus au cours de l'année 2002 avec les représentants du secteur bancaire au sujet de l'instauration de la CEIC a créé une confiance légitime des banques dans la légalité de cette commission.

622. Les conditions d'application du principe de droit communautaire de protection de la confiance légitime sont toutefois particulièrement strictes. Aux termes de la jurisprudence communautaire, le droit de se prévaloir de ce principe s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration a fait naître chez lui des espérances fondées. Nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l'absence d'assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, que lui aurait fournies l'administration (voir par exemple pour une application de ce principe au droit de la concurrence, les arrêts du Tribunal du 30 avril 2009, Nintendo, T-13-03, non encore publié au Recueil, point 203, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a., T-236-01, T-239-01, T-244-01 à T-246-01, T-251-01 et T-252-01, Rec. p. II-1181, point 152).

623. Au cas d'espèce, en s'abstenant de donner suite aux échanges qui ont eu lieu avec les banques au cours de l'année 2002, la DGCCRF, qui n'était d'ailleurs pas compétente pour qualifier des pratiques anticoncurrentielles, n'a nullement fourni des assurances précises, inconditionnelles et concordantes de nature à susciter une confiance légitime des banques. Le moyen tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime doit donc être écarté.

2. SUR LE PLAFOND DES SANCTIONS

a) Sur la loi applicable

624. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001- 420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (ci-après la " loi NRE ") prévoit que " [s]i le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".

625. Lorsque les pratiques relevées sont constitutives d'une pratique continue, commencée antérieurement et terminée postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi NRE et que le Conseil de la concurrence a été saisi postérieurement à cette entrée en vigueur, les dispositions applicables sont celles de la loi NRE (voir sur ce point l'arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2006, SAS Privileg).

626. En l'espèce, la saisine d'office du Conseil de la concurrence en date du 29 avril 2003 est postérieure à l'entrée en vigueur de la loi NRE. Cette saisine vise une pratique instituée par l'accord du 3 février 2000 conclu au sein de la CIR, qui a été mis en œuvre jusqu'au 1er juillet 2007 s'agissant de la perception de la CEIC, et qui est toujours appliqué, s'agissant de la perception des commissions AOCT. Les dispositions de la loi NRE sont donc applicables.

b) Sur le chiffre d'affaires pertinent pour l'application du plafond légal

627. La Société Générale, le Crédit Agricole, LCL, les Banques Populaires, la BNP, et HSBC soutiennent que, compte tenu des spécificités de leur activité, il convient de prendre en compte le " produit net bancaire ", donnée qui s'approcherait le plus de la notion de chiffre d'affaires pour le secteur bancaire.

628. Le Crédit Agricole et LCL font valoir que l'utilisation du produit brut bancaire comme base de calcul d'une éventuelle sanction aurait notamment pour conséquence, en ce qui concerne les opérations de swap de taux d'intérêts, de prendre en compte les intérêts perçus sans prendre en compte les intérêts payés en contrepartie, alors que le produit de telles opérations ne correspond pour la banque qu'à la seule différence entre intérêts payés et perçus. Elles indiquent qu'en 2008 LCL a comptabilisé au titre d'opérations de swap 9 499 milliards d'euro d'intérêts perçus (compris dans son produit brut bancaire), alors que le produit net de ces opérations n'est que de 243 milliards d'euro.

629. La rubrique relative au chiffre d'affaires de certains établissements de crédit, du fait des particularités comptables et fiscales qui leur sont propres, soit n'est pas renseignée, ce qui est le cas des Caisses d'Epargne, soit contient des montants financiers très inférieurs au montant du chiffre d'affaires qu'ils mentionnent par ailleurs. Dans ce cas, il convient de prendre en compte une donnée adaptée aux spécificités du secteur bancaire pour apprécier le plafond de la sanction au sens de l'article L. 464-2 du Code de commerce précité.

630. Le produit net bancaire s'obtient par la différence entre les produits et les charges d'exploitation bancaires hors intérêts sur créances douteuses mais y compris les dotations et reprises de provisions pour dépréciation des titres de placement. Selon la définition de l'INSEE, il mesure la contribution spécifique des banques à l'augmentation de la richesse nationale et peut en cela être rapproché de la valeur ajoutée dégagée par les entreprises non financières (30). Le produit net bancaire ne peut donc être considéré comme l'équivalent d'un chiffre d'affaires, lequel est composé de recettes brutes et non de recettes nettes de charges.

631. Les juridictions de contrôle ont approuvé l'analyse du Conseil de la concurrence dans sa décision n° 00-D-28 du 19 septembre 2000 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du crédit immobilier, qui avait considéré que, lorsque le chiffre d'affaires d'un établissement bancaire n'était pas renseigné dans la liasse fiscale ou était significativement inférieur au montant communiqué par ailleurs du fait de ses particularités comptables et fiscales, il convenait de prendre en compte, comme plafond des sanctions, la somme des postes de produits d'exploitation bancaire, qui constitue le " produit brut bancaire " et représente l'activité économique de ces entreprises (voir les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 27 novembre 2001 et de la Cour de cassation du 23 juin 2004).

632. Par ailleurs, en droit des concentrations, le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1) prévoit, dans son article 5, que, pour les établissements de crédit et autres établissements financiers, le chiffre d'affaires est remplacé par la somme des postes de produits suivants, déduction faite, le cas échéant de la taxe sur la valeur ajoutée et d'autres impôts directement liés aux dits produits : intérêts et produits assimilés, revenus des titres (revenus d'actions, de parts et d'autres titres à revenu variable, revenus de participations, revenus de parts dans des sociétés liées), commissions perçues, bénéfice net provenant d'opérations financières et autres produits d'exploitation. Ces dispositions correspondent à la notion de produit brut et non de produit net.

633. Dans ces conditions, à défaut de chiffre d'affaires, le produit brut bancaire des entreprises mises en cause sera retenu pour l'appréciation du plafond des sanctions prévu par l'article L. 464-2 du Code commerce.

634. Il convient toutefois de rappeler que la référence au chiffre d'affaires faite par l'article L. 464-2 du Code de commerce ne sert qu'à définir le montant maximal de la sanction pécuniaire encourue par les entreprises s'étant livrées à des pratiques anticoncurrentielles. Sous réserve de ce plafond légal, il est seulement indiqué que la sanction doit être proportionnée à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel il appartient et à l'éventuelle réitération des pratiques prohibées. Ainsi, pour établir le montant d'une sanction, l'Autorité de la concurrence tient compte de nombreux paramètres qui ne se résument pas au chiffre d'affaires, et notamment, dans le cadre de l'individualisation des sanctions prononcées, des capacités contributives de chaque entreprise.

635. Dans sa décision n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, le Conseil de la concurrence a ainsi rappelé que, pour établir le montant d'une sanction, " Au titre de l'appréciation de la situation d'une entreprise susceptible d'être sanctionnée, il doit naturellement prendre en compte sa capacité financière, mais cette capacité peut être parfois assez largement indépendante du chiffre d'affaires, même si dans d'autres cas elle y est étroitement liée ". Dans cette affaire, le Conseil a retenu la marge brute des entreprises de travail temporaire pour apprécier leurs capacités contributives, dès lors que le chiffre d'affaires déclaré incluait les salaires et charges versées aux intérimaires à l'inverse de la marge brute, qui reflétait en substance le prix des prestations facturées aux entreprises utilisatrices.

636. Au cas d'espèce, l'argumentation des banques sera retenue, non pour calculer le plafond légal comme cela a été dit ci-dessus, mais pour s'assurer que les sanctions prononcées sont proportionnées à leur faculté contributive, mieux reflétée, compte tenu des spécificités particulières du secteur bancaire, par leur produit net bancaire que par le chiffre d'affaires mentionné dans la liasse fiscale ou le produit brut bancaire.

3. SUR LES CRITÈRES DE DÉTERMINATION DES SANCTIONS

637. Le I de l'article 464-2 du Code de commerce dispose que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".

638. Seront successivement abordées :

- la gravité des pratiques ;

- l'importance du dommage à l'économie ;

- la prise en compte de la réitération ;

- la situation individuelle des entreprises.

a) Sur la gravité des pratiques

Les arguments des parties

639. Les parties soutiennent que l'accord ayant instauré la CEIC ne saurait être qualifié d'infraction grave au droit de la concurrence.

640. La Banque de France, les Banques Populaires, le Crédit Agricole et LCL font valoir que les banques n'ont pas eu l'intention de mettre en œuvre une pratique anticoncurrentielle lorsqu'elles ont décidé d'instaurer la CEIC. Les parties indiquent que les autorités de concurrence n'avaient jusqu'alors pas posé de principe général d'illicéité de ce type de commissions, qui avaient fait l'objet d'exemptions à de nombreuses reprises. Elles soulignent par ailleurs la problématique technique et complexe des commissions interbancaires en cause. HSBC invoque quant à elle l'existence d'un " doute légitime " et fait valoir qu'elle pouvait légitimement ignorer que les pratiques en causes étaient susceptibles d'être qualifiées de restrictions de la concurrence.

641. Les parties soutiennent que l'accord du 3 février 2000 ne peut être assimilé à une entente sur les prix, à l'image de l'accord d'Helsinki ayant donné lieu à la décision de la Commission du 25 mars 1992. Elles soulignent que cette commission ne constitue pas la contrepartie d'un service mais comporte un objectif d'indemnisation. Elles indiquent que cette commission n'avait pas vocation à être répercutée sur les prix et que la hausse tarifaire relevée par les services d'instruction, qui ne reflète pas uniquement cette répercussion, est inférieure au montant de la commission.

642. S'agissant de la durée des pratiques, la Société Générale précise que la CEIC a été conçue comme une commission provisoire. Les parties soutiennent qu'elles ont mis un terme à la CEIC et ont procédé à la révision des CSC de leur propre initiative en 2007.

643. Les parties soulignent que la pratique n'avait pas de caractère secret. Elles font valoir que l'accord est intervenu sous l'influence et en pleine connaissance des pouvoirs publics. Les parties indiquent que la DGCCRF a été informée du passage à l'EIC en avril 2002. La Société Générale précise que les parties, conscientes des problématiques susceptibles d'être soulevées par certaines commissions interbancaires au regard du droit de la concurrence, ont souhaité agir en toute transparence à l'égard de cette autorité.

644. La Banque de France, les Banques Populaires et le Crédit du Nord indiquent que la concurrence sur le marché de la remise de chèques est demeurée vive, et que l'accord n'a pas eu pour effet de créer des barrières à l'entrée sur ce marché, comme le démontrerait l'existence de deux nouveaux acteurs, Axa Banque et ING Direct.

645. S'agissant des spécificités du marché concerné, la Société Générale soutient que le monopole bancaire et le caractère automatique de la perception de la CEIC ne sauraient être retenus pour caractériser la gravité des pratiques dès lors qu'ils résultent de dispositions législatives ou réglementaires. Par ailleurs, elle souligne la diminution constante de l'utilisation du chèque en France.

Appréciation en l'espèce

646. Selon une jurisprudence constante, l'Autorité de la concurrence peut procéder à une appréciation globale de la gravité des pratiques en cause, comme du dommage à l'économie, dès lors qu'elle tient compte, de manière individualisée, de la situation de chaque entreprise et de sa contribution personnelle aux pratiques (voir, notamment, les arrêts de la Cour de cassation du 22 novembre 2005, Dexxon Data Media, et de la Cour d'appel de Paris du 19 janvier 2010, AMD Sud-Ouest, du 24 juin 2008, France Travaux, du 20 novembre 2007, Carrefour, du 25 avril 2006, société Sade et du 8 septembre 1998, Adecco).

La nature des pratiques mises en œuvre

647. Dans son arrêt du 4 avril 2006, Etablissements horticoles Georges Truffaut, la Cour d'appel de Paris a souligné que " les pratiques ayant pour objet ou pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché et de favoriser artificiellement leur hausse sont par nature, particulièrement graves, en ce qu'elles confisquent au profit des auteurs de 1'infraction le bénéfice que le consommateur est en droit d'attendre d'un bon fonctionnement du marché ".

648. En l'espèce, les accords litigieux constituent une entente horizontale, considérée comme une des pratiques anticoncurrentielle les plus graves.

649. Il y a lieu toutefois de distinguer les infractions commises selon qu'il s'agit de l'instauration de la CEIC ou des commissions AOCT qui, du fait de la nature même de chaque commission, ne revêtent pas le même caractère de gravité. Les commissions AOCT ont en effet pour objet de rémunérer un service rendu ponctuellement par une banque à une autre. A l'inverse, la CEIC, perçue par les banques tirées lors de chaque transaction interbancaire par chèque, ne correspond à aucun service rendu aux banques remettantes, ni à aucun coût particulier subi par les banques tirées à l'occasion de cette transaction. Cette commission vient accroître de manière purement artificielle le coût de la remise de chèques, pesant ainsi indirectement sur le niveau des prix.

650. En l'espèce, les parties n'ont pas démontré que le montant des commissions AOCT était proportionné à la réalisation des gains d'efficacité attendus. A l'inverse de la CEIC, ces commissions ne sont pas remises en cause dans leur principe, mais dans leur montant, faute de tout élément de justification produit par les parties sur ce point. Ainsi, l'infraction commise du fait de la fixation en commun du montant des commissions AOCT est significativement moins grave que celle qui a été commise avec la création de la CEIC.

651. Par ailleurs, les circonstances suivantes, communes aux deux types de commissions, doivent être prises en compte à la décharge de l'ensemble des parties mises en cause, pour tempérer la gravité des pratiques.

652. En premier lieu, l'accord ne constitue pas une entente sur les prix finaux.

653. Comme le soulignent les parties, l'entente en litige se distingue de l'accord d'Helsinki, par lequel les banques s'étaient entendues sur le principe de la perception d'une commission auprès des commerçants pour les paiements par eurochèques, et qui a donné lieu à l'imposition d'une sanction pécuniaire par les autorités communautaires. Dans cette affaire, il convient de relever que l'entente ne portait pas directement sur le niveau des prix finaux dès lors qu'elle se contentait de fixer le principe d'une commission prélevée sur les commerçants, mais ne fixait pas le montant de cette commission, préservant ainsi une possibilité de concurrence entre les banques par les prix à l'égard des commerçants (arrêt du Tribunal de première instance du 23 février 1994, Groupement des cartes bancaires " CB " et Europay International SA, T-39/92, Rec. p. II-00049, point 143 et s., réformant la décision 92/212/CEE de la Commission, du 25 mars 1992).

654. Au cas d'espèce, les parties n'étaient pas tenues aux termes de leur accord de répercuter le montant des commissions versées sur leurs clients. Toutefois, la facturation du service de remise de chèques, directe ou indirecte, est adossée aux charges pesant sur les banques remettantes. Dès lors que le solde de CEIC perçue et versée représente une charge nette pour les banquiers majoritairement remettants en volume (nombre de chèques), ce surcoût a nécessairement pesé sur la formation des prix, directs ou indirects, du service de la remise de chèques, ou, compte tenu des spécificités de la tarification des services bancaires, sur l'équilibre global de la relation de la banque avec son client. Ainsi, l'instauration de la CEIC a favorisé à la hausse la formation des prix des services bancaires, empêchant la détermination des prix par le libre jeu du marché.

655. Si la répercussion des commissions a été constatée en pratique, l'accord était limité dans son principe aux relations interbancaires, ce qui contribue à atténuer sa gravité.

656. En deuxième lieu, l'accord du 3 février 2000 a été conclu dans le cadre des négociations pour le passage à l'EIC, projet d'intérêt général dont la mise en œuvre a été activement soutenue par la Banque de France. Si le rôle de celle-ci n'est pas suffisant pour caractériser l'existence d'une contrainte de nature à exonérer les parties à l'entente de leur responsabilité (voir points 300 et s.), il n'en demeure pas moins que la Banque de France, autorité de tutelle des établissements bancaires, a exercé un important rôle d'influence pour parvenir à la conclusion de l'accord, en proposant notamment un compromis quant au montant et à la durée de la CEIC (voir point 101 ci-dessus).

657. En dernier lieu, l'entente conclue ne peut être assimilée à un cartel secret. La Banque de France a, par exemple, informé certains de ses clients, dont le Trésor public, dans le cadre de renégociations de tarifs à la suite de la mise en place de la CEIC. Par ailleurs, ainsi qu'il a été relevé plus haut (voir point 623), les parties n'ont pas cherché à occulter les termes de leur entente à l'égard de la DGCCRF, même si les échanges n'ont eu lieu qu'en avril 2002, soit plus de deux ans après l'accord du 3 février 2000, et trois mois après l'entrée en vigueur du dispositif.

La connaissance par les parties du caractère anticoncurrentiel des pratiques

658. Les autorités de concurrence tant nationale que communautaire se sont déjà prononcées à plusieurs reprises sur la légalité de commissions interbancaires au regard du droit de la concurrence, avant même la commission des pratiques en cause.

659. Dans sa décision n° 88-D-37 du 15 octobre 1988 précitée, qui n'a pas été contestée par les banques, le Conseil de la concurrence avait ainsi considéré que les commissions d'interchange fixées par le Groupement d'intérêt économique des cartes bancaires " CB " étaient restrictives de la concurrence. Si la décision ne le précise pas, le raisonnement suivi indique que la pratique a été qualifiée à raison de son objet, dès lors que les effets de la commission interbancaire ne sont pas analysés. Par ailleurs, le Conseil avait rejeté la possibilité d'exempter les commissions en cause.

660. Au niveau communautaire, la Commission européenne a énoncé qu'elle considérait que tout accord sur une commission interbancaire multilatérale constitue une restriction de la concurrence qui relève de l'article 81, paragraphe 1, CE dans sa communication du 27 septembre 1995 précitée. La Commission a fait application de ces principes dans sa décision GSA précitée, rendue le 8 septembre 1999, plusieurs mois avant l'accord du 3 février 2000 faisant l'objet de la présente procédure. Ces principes ont été réaffirmés dans les décisions ultérieures de la Commission rendues sur les affaires Visa et Mastercard, le débat portant alors sur la réunion des conditions nécessaires à l'exemption de l'accord (voir points 341 et s. ci-dessus).

661. Ainsi, tant à la date de la négociation de l'accord de la CIR que lors de sa mise en œuvre, les banques ne pouvaient ignorer que les commissions interbancaires multilatérales étaient soumises aux règles de concurrence et qu'elles faisaient l'objet d'une appréciation au cas par cas par les autorités de concurrence, notamment au regard d'une éventuelle exemption.

662. Les circonstances de l'espèce se distinguent donc de celles de l'affaire Atlantic Container invoquée par HSBC, dans laquelle le Tribunal de première instance des Communautés européennes a écarté l'application d'une sanction en s'appuyant sur un faisceau fourni de circonstances atténuantes, parmi lesquelles les circonstances que la décision attaquée constituait la première dans laquelle la Commission avait apprécié directement la légalité de pratiques du type de celles en cause, que cette appréciation soulevait de complexes questions juridiques, qu'il ne s'agissait pas d'une forme classique de pratique abusive et, enfin, que les parties avaient toutes les raisons de croire, au cours de la procédure administrative, que la Commission ne leur infligerait pas d'amende (arrêt du 30 septembre 2003, T-191/98, Rec. p. II-3275, points 1603 et s.).

663. Ainsi, le moyen soulevé par les banques s'agissant des doutes qu'elles pouvaient avoir au moment des négociations de la CIR quant à l'appréciation de la conformité des commissions en litige au droit de la concurrence ne saurait être accueilli pour écarter l'application d'une sanction. L'Autorité tiendra néanmoins compte de cet élément pour la fixation du montant de base des sanctions prononcées, dans le cadre de son appréciation du contexte de la mise en œuvre des pratiques.

La durée des pratiques

664. La durée des pratiques est différente selon le type de commission concernée. La CEIC a été prélevée entre le 1er janvier 2002 et le 1er juillet 2007. Les commissions AOCT sont prélevées continûment depuis le 1er juillet 2002 et n'ont fait l'objet d'aucune révision depuis cette date. Par ailleurs, il convient de souligner que ces commissions n'ont pas fait l'objet du réexamen prévu par l'accord du 3 février 2000 à l'issue de la période de trois ans suivant leur instauration (voir points 119 et 126).

665. Par ailleurs, si la CEIC a été supprimée au cours de l'automne 2007, les banques ont mis fin à leur pratique restrictive à un stade avancé de l'instruction des services de l'Autorité de la concurrence, sous la pression de l'enquête en cours. Dans ces conditions, elle doit être considérée non comme une circonstance atténuante, mais comme un comportement normal des entreprises mises en cause.

666. Ainsi appréciée, la durée des pratiques en cause, mises en œuvre pendant une période supérieure à cinq ans, peut être regardée comme relativement longue.

Le marché affecté

667. Les commissions en cause ont été prélevées à raison de l'ensemble des chèques interbancaires échangés en France.

668. En effet, l'accord a été conclu au sein de la CIR par les douze établissements de crédit les plus importants dans le secteur de la banque de détail et de la banque commerciale, qui représentaient à l'époque des faits plus de 80 % des chèques interbancaires émis et remis (voir point 66). Les commissions ont été prélevées par l'ensemble des établissements de crédit participant au système de règlement interbancaire du chèque, les membres de la CIR agissant comme mandataires de l'ensemble des banques actives en France sur ce point (voir point 76 ci-dessus).

669. Il convient de souligner que les services bancaires sont d'une importance cruciale tant pour les consommateurs que pour les entreprises, c'est-à-dire pour l'ensemble de l'économie. Parmi ces services, le chèque représentait au cours de la période en cause l'un des principaux moyens de paiement utilisés en France, même si son usage a reculé pendant la durée des pratiques, passant de 37 % des paiements scripturaux en 2000 à 26 % en 2006 (voir point 24 ci-dessus).

670. Du fait des caractéristiques du système quadripartite propre au chèque, les commissions ont nécessairement affecté les différentes faces du marché, à savoir le marché de la remise de chèque et le marché de l'émission du chèque (voir sur ce point, l'analyse développée au point 254 et s. ci-dessus). Or, le chèque est un secteur dans lequel la concurrence est limitée par un certain nombre de caractéristiques.

671. En premier lieu, il convient de rappeler que le choix des utilisateurs du système du chèque est entièrement contraint par le monopole bancaire : les tireurs comme les bénéficiaires ne peuvent obtenir ce service qu'auprès des établissements de crédit (point 27 ci-dessus). Cette situation caractérise l'existence d'une clientèle captive au sens économique.

672. En deuxième lieu, il n'existe pas une parfaite substituabilité entre les différents moyens de paiement, qui permettrait aux utilisateurs des services bancaires de s'affranchir du chèque. En effet, le chèque est utilisé de préférence à la carte bancaire pour les achats de montant élevé (point 24 ci-dessus). Par ailleurs, il constitue, du fait de la gratuité de la délivrance des formules de chèque, à la différence par exemple de la carte bancaire, un moyen de paiement privilégié pour une partie de la clientèle, et notamment de la clientèle de particuliers modestes. Cette substituabilité imparfaite se traduit, sur l'autre face du marché, par l'impossibilité pour la plupart des commerçants, et notamment des grandes surfaces, de se passer du service bancaire de la remise de chèque.

673. En troisième lieu, le secteur du chèque est caractérisé par l'opacité tarifaire et l'asymétrie d'information entre la banque et son client. Dans un article consacré à la concurrence dans les moyens de paiement, le président Philippe Nasse soulignait ainsi : " la caractéristique principale de cette concurrence est qu'elle s'exerce dans une obscurité quasi totale quant aux prix effectivement payés, et aux liens entre ces prix et les coûts supportés. Cette obscurité règne du côté de l'acheteur et probablement aussi du vendeur, mais pas du côté de l'émetteur ou de l'acquéreur : les banques disposent de moyens leur permettant de bien connaître leurs coûts et leurs recettes " (colloque Banque, Finance & Concurrence, 30 novembre 2006, Concurrences n° 1, 2007 p. 63). Dans son rapport du 22 septembre 2009 consacré aux conditions bancaires, la Commission européenne dénonce elle aussi le manque de transparence des tarifs liés aux services de gestion d'un compte courant, parmi lesquels figure le service du chèque. Le rapport indique que les banques françaises se caractérisent par des tarifs parmi les plus complexes et les moins transparents des banques de l'Union européenne (SEC(2009) 1251, p. 16 et s.). Dans leur rapport sur la tarification des services bancaires remis au ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi le 8 juillet 2010, MM. Constans et Pauget font également état du manque de transparence et de la complexité de la tarification bancaire en France. Ils soulignent à cet égard l'impact des services faiblement rémunérés ou gratuits, en particulier le chèque, sur le système de tarification des services bancaires : les coûts de gestion des chèques " pèsent (...) sur les autres services de la banque au quotidien et accentuent les phénomènes de subventions croisées " (page 21).

674. Cette opacité est particulièrement significative dans le secteur du chèque, puisque, outre le phénomène de subventions croisées, la plupart des services aux clients sont facturés de manière indirecte (via le système des dates de valeur par exemple). L'asymétrie d'information entre la banque et son client est telle que la majorité des clients ne connaissent ni le coût réel des services, ni le mode de facturation utilisé. Ainsi, même la clientèle des entreprises, dont le niveau d'information est en général plus élevé que celui des personnes physiques, croit fréquemment que la gestion de ses moyens de paiement est assurée " gratuitement " par le secteur bancaire, alors que les prix indirects qu'elle supporte sont très largement supérieurs aux prix payés par la proportion d'entreprises qui sont parvenues à négocier avec leurs banques une facturation à l'opération et non plus sur une base indirecte. Seule une minorité d'entreprises, et notamment les très grands remettants tels que les entreprises de la grande distribution qui encaissent plusieurs millions de chèques par an, sont en mesure de réduire cette asymétrie d'information, en recourant par exemple aux appels d'offre et à la négociation d'une tarification à l'unité du service de la remise de chèques.

675. Les particularités du marché montrent que les pratiques sont intervenues sur un marché où la concurrence est déjà réduite en raison du monopole bancaire et de l'opacité tarifaire, et dans des relations où la logique bilatérale de formation du prix est difficilement applicable.

L'affectation des finances publiques

676. L'institution d'une commission interbancaire pesant sur les coûts du service de remise de chèque affecte automatiquement les finances publiques. En effet, la Banque de France, prestataire du service de remise de chèques au bénéfice du Trésor Public, indique qu'elle est tenue, en application de l'article 114 de la convention conclue avec l'Etat le 26 avril 2002 pour la gestion du compte du Trésor, de répercuter sur les comptables publics les charges bancaires, telles que les commissions interbancaires, payées sur les opérations réalisées pour le compte du Trésor (voir les observations en réponse à la notification des griefs, cote 6808).

b) Sur l'importance du dommage à l'économie

S'agissant de la CEIC

677. Les parties critiquent les méthodes d'évaluation du dommage à l'économie proposées par les services d'instruction dans le rapport du 18 août 2009.

678. Il résulte toutefois d'une jurisprudence constante que l'Autorité de la concurrence n'est pas tenue de chiffrer précisément l'importance du dommage à l'économie (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 19 janvier 2010, AMD Sud-Ouest, précité, ainsi que les arrêts du 26 janvier 2010, Adecco France SAS, du 23 mars 2010, SEM GEG, et du 28 janvier 2009, Epsé Joué Club, précité). Dans son arrêt Epsé Joué Club, la Cour d'appel de Paris précise ainsi : " le dommage à l'économie ne se réduit pas à une perte objectivement mesurable, mais s'apprécie notamment en fonction de l'étendue du marché affecté par les pratiques, de la durée et des effets conjoncturels ou structurels de ces pratiques ".

679. A titre liminaire, il convient de préciser que, contrairement à ce que soutiennent les parties, le dommage à l'économie doit être apprécié par rapport à la situation de concurrence qui aurait prévalu dans l'hypothèse d'un passage à l'EIC sans CEIC et non celle qui aurait été observée dans l'hypothèse du maintien d'un système manuel de compensation des chèques. En effet, ainsi qu'il a été souligné plus haut, il n'a pas été démontré que la CEIC était nécessaire au passage à l'EIC. Le dommage à l'économie ne saurait dès lors être atténué par les gains retirés de la dématérialisation des échanges, qui ne sont aucunement liés à la pratique restrictive en cause.

680. Outre la durée des pratiques et le caractère structurellement peu concurrentiel du marché affecté, analysés ci-dessus (points 664 et s.), plusieurs éléments peuvent être retenus pour apprécier l'importance du dommage à l'économie.

La taille du marché affecté

681. Ainsi qu'il a été souligné ci-dessus (point 668), le système quadripartite du chèque a été affecté dans sa totalité par l'instauration de la CEIC, dès lors que celle-ci a été prélevée sur l'ensemble des chèques interbancaires compensés par les établissements de crédit en France.

682. Les volumes de chèques concernés au cours des années 2002 à 2006, seules données disponibles au dossier, sont les suivants :

2002 : 3.487.501.308

2003 : 3.465.211.009

2004 : 3.300.843.748

2005 : 3.233.432.426

2006 : 3.100.666.135

G-SIT

683. En raison de l'opacité de la tarification bancaire, il n'est pas possible d'évaluer précisément la valeur des ventes réalisées par les banques à raison des services d'émission et de remise de chèques affectés par les pratiques en cause.

684. Il convient toutefois de rappeler que les chèques représentaient 37 % des moyens de paiement scripturaux utilisés en France en 2002, et 26 % en 2006. Ils représentaient donc nécessairement une part non négligeable des coûts des banques afférents à la gestion des moyens de paiement de leurs clients ou à la gestion de leurs flux créditeurs. La facturation des services bancaires étant adossée aux coûts des banques, le chèque représentait donc une part significative du prix facturé pour ces services, dans le cadre de l'équilibre global de la relation entre la banque et son client.

La potentialité des effets anticoncurrentiels sur le marché

685. Les montants de CEIC collectés au cours de la période pendant laquelle cette commission était en vigueur sont les suivants (en euro) :

2002 : 147.420.380

2003 : 146.585.462

2004 : 142.476.313

2005 : 136.716.644

2006 : 131.018.862

1er janvier au 1er juillet 2007 * : 62.650.000 *

Total : 766.867.661

Sources : G-SIT ; estimation de l'Autorité pour les données du premier semestre 2007 (*)

686. Il convient de rechercher si cette commission, qui constituait une charge d'exploitation pesant sur le résultat des banques remettantes, a pu être répercutée sous la forme d'une hausse de prix, cette hausse pouvant porter sur le tarif de la remise de chèques ou sur le prix d'autres services bancaires (via des subventions croisées). Il convient également d'examiner si la CEIC s'est traduite par une raréfaction de l'offre sur le marché de la remise de chèques, compte tenu de la hausse des coûts supportés par les banques pour fournir ce service qui en a suivi.

687. La perte subie par les consommateurs du fait d'une hausse des prix (ou de leur maintien à un niveau artificiellement élevé) est en l'occurrence d'autant plus importante que les remettants sont des clients captifs du monopole bancaire : l'élasticité-prix de la demande du service de remise de chèques est en effet quasi nulle, puisque, dès lors qu'ils acceptent le paiement par chèque, les remettants sont tenus de recourir aux services d'établissements bancaires pour l'encaissement de ces chèques. Or, tous ces établissements sont soumis à l'imposition de la CEIC.

. La hausse du prix de la remise de chèques

688. Pour chaque centime répercuté (sur les 4,3 centimes que compte la CEIC), la facturation supplémentaire pour les clients représente entre 30 et 35 millions d'euro par an si l'on prend en compte les seuls volumes de chèques interbancaires échangés sur le marché (voir point 682 ci-dessus). Or, la hausse des prix facturés aux clients a affecté de façon homogène les chèques interbancaires, donnant lieu à perception de la CEIC (80 % des chèques remis), et les chèques intra-bancaires, ne donnant pas lieu au versement de cette commission dès lors qu'ils sont remis et encaissés par un même établissement (20 % des chèques remis). Ainsi, on peut estimer que, pour chaque centime répercuté, l'augmentation des prix payés par les clients s'élève en réalité à environ 220 millions d'euro sur l'ensemble de la période considérée (31).

689. De nombreuses pièces du dossier permettent d'établir la réalité de la répercussion de la CEIC sur les clients remettants. Cette hausse n'est toutefois pas facilement quantifiable, dès lors notamment qu'elle ne s'est pas toujours traduite par la hausse d'un prix unitaire observable. En effet, la facturation des remises de chèques est parfois assise sur le montant du chèque (cas des commissions ad-valorem, qui correspondent à un pourcentage prélevé sur les montants traités). Elle peut également prendre la forme de jours de valeur imposés aux remettants, ou d'autres canaux de facturation. Enfin, l'existence des subventions croisées empêche de faire des estimations très précises des variations tarifaires.

690. Par ailleurs, dès lors que le passage à l'EIC permettait au secteur bancaire de réaliser des économies de coût du fait de la dématérialisation des échanges et de leur accélération, l'absence de renégociation à la hausse du tarif du service de remise de chèques n'est pas de nature à prouver l'absence d'effet de la CEIC : dans ce cas, le facteur de baisse des prix que constitue le passage à l'EIC est neutralisé par le facteur de hausse des prix que représente la CEIC.

691. Il convient à cet égard d'opérer une distinction selon les différentes catégories de clients remettants.

. Le Trésor Public

692. La répercussion directe et intégrale de la CEIC sur le prix des services facturés est avérée dans le cas du Trésor Public, principal client de la Banque de France, et qui représente près de 5 % des chèques remis annuellement en France. La Banque de France indique en effet, dans ses observations à la notification des griefs, une répercussion sur le Trésor d'un montant de 36 millions d'euro sur l'ensemble de la période concernée (cote 7219).

. Les " grands remettants "

693. L'ampleur de la répercussion de la CEIC sur les " grands remettants ", c'est-à-dire les entreprises remettant annuellement un important volume de chèques, peut être appréciée sur le fondement des résultats du sondage de prix. Ce sondage a été effectué auprès de 700 entreprises françaises, disposant toutes d'un service de gestion de trésorerie. L'échantillon des entreprises sondées représente une part importante du volume des remises de chèques en France (près de 10 % des chèques remis en France, hors prise en compte des chèques du Trésor public), et les données retenues par l'expert avoisinent 6 % des chèques remis en France, hors prise en compte des chèques du Trésor public, soit environ 200 millions de chèques par an.

694. Une proportion importante de ces grands remettants bénéficie d'une tarification à l'unité du service de la remise de chèque. Le sondage de prix a permis d'établir que cette catégorie d'entreprises a subi, en moyenne, une hausse significative du prix unitaire de la remise de chèques Si certaines d'entre elles sont parvenues à l'éviter, il convient de souligner qu'il s'agit d'une minorité d'entreprises, disposant d'un fort pouvoir de négociation vis-à-vis de leur établissement bancaire compte tenu du volume d'affaires que représentent les millions de chèques qu'elles remettent chaque année.

695. Aux termes du rapport d'expertise du 19 août 2009 (cf. p. 35 du rapport, cote 31696) l'augmentation du tarif observée est comprise, pour chaque chèque remis, entre 1,07 et 1,75 centimes d'euro au cours de la période 2001-2004, et entre 1,04 et 1,58 centimes d'euro au cours de la période 2001-2006 selon l'échantillon retenu. Par comparaison, le prix moyen des conditions bancaires utilisées par l'expert était, en 2001, d'environ 3 centimes d'euro (32). Il convient de relever que ces constatations portent sur la seule évolution des prix faciaux du service de la remise de chèques, et ne tiennent pas compte de l'évolution tarifaire liée par exemple à l'évolution des dates de valeur imposées aux entreprises. Elles sous-estiment donc la hausse réelle des tarifs imposés aux clients des banques. A cet égard, le rapport précité du 19 août 2009, qui n'a pas été contesté sur ce point par les banques, donne une évaluation de la hausse des prix équivalente à l'évolution des dates de valeur de 0,6 centime par chèque.

696. S'il n'est pas contesté que l'échantillon retenu pour le sondage de prix n'est pas représentatif de l'ensemble des entreprises utilisant un service de remise de chèques, dès lors que les entreprises remettant un volume très important de chèques, et notamment les entreprises de la grande distribution, y sont surreprésentées, il a pu être observé que l'augmentation du prix unitaire de la remise de chèques appliquée aux plus petits des remettants dont les réponses ont été exploitées a toujours été supérieure à celle qui a été appliquée aux plus grands remettants. Ce résultat indique que la répercussion de la CEIC a été d'autant plus importante que les clients apportaient un volume d'affaires moins élevé. Partant, la hausse relevée par l'expertise peut être considérée comme un minorant de la hausse moyenne subie par les entreprises sur le marché.

697. De nombreux exemples spécifiques de répercussion intégrale de la CEIC sur des entreprises majeures ressortent par ailleurs des pièces du dossier telles que courriers ou conventions de services entre les banques et leurs clients.

698. Dans une lettre en date du 29 janvier 2001, le CIC informe l'un de ses clients, remettant plusieurs millions de chèques annuellement, que : " des commissions interbancaires sont mises en place à charge selon la nature des opérations de la banque remettante ou de la banque tirée. Pour l'essentiel, une commission de 0,04 Euro par chèque remis est mise à la charge de la banque remettante. Cette commission se traduit par une augmentation des coûts de la banque auxquels votre facturation est adossée. Conformément aux règles de transparence, cette commission vous sera désormais répercutée à due proportion, sous forme d'une majoration de votre facturation actuelle " (cote 3877).

699. De même, dans une lettre en date du 30 octobre 2002, le Crédit Lyonnais informe l'un de ses clients, entreprise remettant plusieurs dizaines de millions de chèques annuellement, que : " Les composantes techniques et tarifaires de cette nouvelle offre ne sont pas comparables point par point avec notre précédente proposition du fait des nouvelles modalités de compensation des chèques entre banques (passage à l'Echange d'Image Chèque). Notre nouvelle offre intègre les surcoûts liés au traitement EIC par la banque remettante qui doit désormais assurer les fonctions de dématérialisation et d'archivage du chèque tout en supportant des charges interbancaires plus lourdes que dans le système précédent " (cote 67).

700. Dans une lettre du 23 avril 2002, la BNP annonce la répercussion de la CEIC à un client remettant plusieurs millions de chèques annuellement : " Comme nous vous l'avons annoncé, dans notre dernier courrier électronique du 5 février dernier, les Banques sont facturées depuis le 1er janvier 2002, de la commission d'interchange, sur les chèques remis (...) Afin de respecter les délais dont nous sommes convenus, et dans l'attente de votre accord définitif sur notre proposition du 5 février, nous vous confirmons, dès à présent, qu'à compter du 1er juillet 2002, nous vous répercuterons l'intégralité de cette facturation de 0,04 Euro par chèque remis " (cote 3829).

701. S'agissant du Crédit Mutuel, la convention de services signée par la Banque de l'économie du Crédit Mutuel avec une entreprise remettant plusieurs centaines de milliers de chèques par an prévoit : " Le prix du traitement de l'image chèque est fixé à 0,031 euro ht par chèque traité. A ce montant se rajoute le prix de la commission interbancaire reversé par la BECM soit 0,040 euro ht " (cote 500).

702. De même, il résulte de l'instruction que la Banque de France a facturé la CEIC à deux grandes entreprises publiques, l'une remettant plus d'un million de chèques par an (voir la convention de services signée entre la banque et l'entreprise, cote 13.197), l'autre remettant plus de dix millions de chèques par an (voir le courrier du 9 janvier 2004 annonçant une nouvelle tarification à la suite d'un " déséquilibre important " de celle-ci, " accentué depuis la mise en place de l'EIC et de la commission de 0,04 euro versée par le banquier présentateur pour les IC remises ", cote 13222).

703. Enfin, plusieurs cas de baisse des tarifs consécutifs à la suppression de l'EIC à l'automne 2007 permettent de confirmer a contrario la réalité de l'impact inflationniste de la CEIC sur le prix des services de remise de chèques. L'étude des appels d'offre auxquels a répondu la Société Générale fait ainsi apparaître une baisse des tarifs proposés après octobre 2007 à hauteur de 35 % pour les offres portant sur un volume supérieur à 10 millions de chèques remis annuellement (télécollecte), de 18 % pour les offres portant sur un volume annuel inférieur à 250 000 chèques, et de 16 % pour les offres portant sur un volume annuel compris entre 1 et 3 millions de chèques par an (estimations effectuées sur la base des données utilisées dans l'étude de LECG du 26 mai 2008 " Analyse des appels d'offres auxquels a participé Société Générale entre juin 2002 et mars 2008 ", cotes 6734 et s.).

704. De même, et à titre d'exemple parmi de nombreux cas recensés au dossier, une grande entreprise publique, cliente de la Banque de France, a indiqué lors de son audition par les services d'instruction avoir obtenu en 2008 une baisse de la tarification de son service de chèques sous la forme de dates de valeur plus favorables : " la disparition en 2008 de la CEIC a eu une conséquence positive puisque la Banque de France a accepté de faire passer les dates de valeur de J+2 à J+1 " (cote 13292). Cette même entreprise, également cliente de La Banque Postale, a obtenu de cette dernière, auprès de laquelle elle remettait plusieurs millions de chèques annuellement, une baisse de tarif de 2 centimes d'euro par chèque (cote 25524). Une entreprise remettant plusieurs millions de chèques par an au Crédit du Nord a bénéficié de nouvelles conditions tarifaires à partir du 1er janvier 2008, le prix facturé passant de [0,045 - 0,07] par chèque à [0,02 - 0,05] euro, soit une baisse de [35 - 60]% par rapport au tarif de début 2007 (cote 14208). Le cas d'une entreprise cliente du CIC, remettant plusieurs centaines de milliers de chèques par an et qui a bénéficié d'une baisse de prix comprise entre 15 à 40 % au 1er janvier 2009, atteste également de cette baisse des tarifs consécutive à la suppression de la CEIC (cote 31568).

. Les autres entreprises

705. L'ampleur de la répercussion de la CEIC sur les entreprises qui n'appartiennent pas à la catégorie des grands remettants (petites et moyennes entreprises notamment) et qui représentent la majorité des volumes de chèques remis en France annuellement, n'est pas quantifiable dès lors que, sauf exception, le service de remise de chèques ne leur est pas facturé à l'unité, mais de manière indirecte, notamment via des jours de valeur.

706. Il est toutefois certain que c'est cette catégorie d'entreprises, qui ne dispose que d'un faible pouvoir de négociation vis-à-vis de leur établissement bancaire comparé à celui des grands remettants, et qui est en outre peu informée des modalités indirectes de facturation des services bancaires et du prix réel de ceux-ci, qui a subi la plus forte augmentation tarifaire du fait de la CEIC. En effet, ainsi qu'il a été relevé plus haut (point 696 ci-dessus), les résultats du sondage de prix ont permis d'établir que l'ampleur de la répercussion de la CEIC était inversement proportionnelle au volume de chèques remis par les entreprises concernées. Cette catégorie d'entreprises était d'autant moins en mesure de s'opposer à une hausse tarifaire que, à la différence des très grands remettants qui procèdent par appels d'offres, elle ne recourt pas à la mise en concurrence des établissements bancaires pour choisir un prestataire de service de remise de chèques.

. Les particuliers

707. A l'image des petites et moyennes entreprises, l'ampleur de la répercussion de la CEIC sur les particuliers, qui représentent environ 15 % des volumes de chèques remis en France annuellement, n'est pas quantifiable dès lors que, sauf exception, le service de remise de chèques ne leur est pas facturé à l'unité, mais de manière indirecte, principalement via des jours de valeur. Là encore, les banques étaient d'autant plus en mesure de répercuter la commission sur leurs clients que les particuliers ne disposent pas de pouvoir de négociation auprès de leur banque, et qu'ils sont peu informés des modalités indirectes de rémunération des services bancaires.

708. Il convient de relever que lorsque la répercussion de la CEIC n'a pas pris la forme d'une hausse des prix faciaux de services bancaires, mais s'est traduite par une hausse de la rémunération des banques sous forme de float, via une accélération des encaissements de chèques moindre que ne l'aurait permise l'accélération du règlement interbancaire consécutive à la dématérialisation des échanges, voire une augmentation des jours de valeur imposés aux clients, seuls les clients optimisant leur trésorerie et les clients à découvert ont subi un dommage direct et quantifiable. En effet, l'encaissement moins rapide des chèques a privé les clients optimisateurs de la possibilité de placer les sommes encaissées plus rapidement pour leur propre profit, et a empêché les clients à découvert d'améliorer plus rapidement la balance de leur compte bancaire, et donc de réduire les frais facturés par leur banque à cette occasion (agios). Les autres clients ont quant à eux subi un dommage qu'il est plus difficile de monétiser. Du fait d'un approvisionnement moins rapide de leurs comptes, certains clients ont pu différer une dépense importante, ou même y renoncer. Ils ont donc subi une perte d'utilité difficilement quantifiable, mais réelle.

709. De manière générale, certains documents internes des banques figurant au dossier démontrent l'intention de répercuter le coût de la CEIC sur l'ensemble de leurs clients, sans distinction entre eux. Il en est par exemple ainsi de la note sur " les images chèques Arguments et questions réponses " remise aux membres du groupe de travail restreint de la CIR à la suite de la réunion du 10 mai 2000 indiquant à propos des coûts supplémentaires résultant pour le secteur bancaire de la mise en place de la CEIC : " report sur le client remettant... " (cote 4264) ainsi que du compte rendu d'une réunion interne au Crédit Mutuel en date du 10 janvier 2001 dans lequel il est précisé que " [b]ien qu'ayant vocation à être répercutée sur le remettant elle pèse sur le compte d'exploitation du banquier remettant " (cote 4263). De même, lors de son audition par les enquêteurs le 12 juillet 2005, le représentant du Crédit Agricole a déclaré : " La position du CA par rapport à la répercussion de la [CEIC] consiste à dire qu'à partir du moment où les clients bénéficient de délais meilleurs et que le CA supporte une charge supplémentaire, il est normal que cette charge soit répercutée, mais c'est aux caisses régionales de décider de répercuter ou non la commission interbancaire " (cote 4264).

. La raréfaction de l'offre de remise de chèques

710. Lorsque la CEIC n'a pas été répercutée intégralement sur les clients remettants, la rentabilité de l'offre de services bancaires de remise de chèques était ainsi dégradée, ce qui était de nature à réduire l'incitation des banques à se faire concurrence sur le marché de la remise de chèques, au détriment des grandes entreprises remettantes. Cet effet est notamment avéré s'agissant de la Société Générale, qui a décliné l'offre de l'un de ses clients, très grand remettant, lui proposant de lui apporter l'intégralité de son activité de remise de chèques à la condition de ne pas inclure dans le prix de la remise le montant de la CEIC, au motif qu'une telle prestation ne pouvait être que déficitaire (cote 3770). A l'inverse, les données transmises dans l'étude du 26 mai 2008 précitée montrent un regain de participation de la Société Générale aux appels d'offres des entreprises remettantes après la suppression de la CEIC : la participation observée entre octobre 2007 et mars 2008 est ainsi 50 % plus élevée que la participation moyenne relevée aux périodes de mars à octobre des années pendant lesquelles la commission était en vigueur.

S'agissant des commissions AOCT

711. S'agissant des commissions AOCT, il convient de rappeler que le refus de l'exemption est fondé non sur le principe même de ces commissions, mais sur l'absence de démonstration du caractère proportionné de leur niveau. En l'absence de toute information sur ce point, il n'est pas possible de déterminer le niveau de commissions qui correspondrait aux coûts réellement exposés par les banques lors de ces opérations. Par suite, le dommage à l'économie ne peut être quantifié avec précision.

712. Néanmoins, il est certain que l'importance du dommage causé par l'instauration de commissions AOCT pour la compensation des chèques est significativement moindre que celle du dommage causé par l'instauration de la CEIC.

713. En effet, les commissions AOCT sont prélevées sur une minorité des opérations de compensation de chèques interbancaires, et la potentialité des effets anticoncurrentiels est limitée, du fait du montant des commissions collectées, d'une part, et de la nature de la pratique, d'autre part.

714. Les montants de commissions AOCT collectés entre 2002 et 2006 sont les suivants :

Annulation d'image chèque / Annulation de rejet d'image chèque

2002 : 605.346 / 358.284

2003 : 331.926 / 18.803

2004 : 279.553 / 6.456

2005 : 150.913 / 4.983

2006 : 123.196 / 54.151

Total : 1.490.934 / 442.677

Source : G-SIT

NB : les chiffres postérieurs à 2006 ne figurent pas au dossier.

715. Le montant de ces commissions représente moins de 0,3 % du montant de la CEIC collectée pendant la même période.

716. Ces commissions constituent une charge d'exploitation pesant sur le résultat des banques, dont une partie peut être répercutée sur les clients finals, via une facturation directe ou indirecte. Dès lors que le montant des commissions n'a pas été fixé suivant un critère objectif reposant sur les coûts réels des services, la pratique est susceptible de conduire à une hausse des coûts des banques et, indirectement, à une inflation du prix des services bancaires lorsque le niveau des commissions est supérieur aux coûts réellement exposés. Cependant, à la différence de la CEIC, qui correspond pour la totalité de son montant à un coût artificiel imposé aux banques remettantes, seule une fraction du montant des commissions AOCT, correspondant à la différence entre leur tarif et le coût réel du service, représente un surcoût imposé à la banque qui doit acquitter ces commissions, susceptible d'entraîner un dommage à l'économie.

c) Sur la réitération

717. Le Crédit Mutuel, les Caisses d'Epargne, la Société Générale, le Crédit Agricole et LCL font valoir que les pratiques sanctionnées par la décision précitée du Conseil de la concurrence n° 00-D-28 du 19 septembre 2000, sont d'une nature différente des pratiques en cause au cas d'espèce et qu'elles ont eu lieu sur un marché différent. Par ailleurs, elles soutiennent que la réitération ne peut être retenue dès lors que la première infraction n'avait pas été sanctionnée au moment de la commission des nouvelles pratiques.

718. Comme l'a souligné le Conseil dans sa décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit, la réitération visée par l'article L. 464-2 du Code de commerce constitue une circonstance aggravante justifiant la majoration du montant de la sanction notamment au regard de l'objectif de dissuasion que poursuit sa politique de sanctions (point 112 de la décision).

719. Il est possible de retenir la réitération lorsque quatre conditions sont réunies : a. une précédente infraction au droit de la concurrence doit avoir été constatée avant la commission des nouvelles pratiques ;

b. ces dernières doivent être identiques ou similaires à celles ayant fait l'objet du précédent constat d'infraction ;

c. ce dernier doit être devenu définitif à la date à laquelle l'Autorité de la concurrence statue sur les nouvelles pratiques ;

d. le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et la commission des nouvelles pratiques doit être pris en compte pour appeler une réponse proportionnée à la propension de l'entreprise à s'affranchir des règles de concurrence (voir la décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane).

Sur l'existence d'un constat d'infraction antérieur

720. La circonstance que les pratiques aient débuté avant qu'une précédente infraction ne fasse l'objet d'un constat ne suffit pas à priver l'Autorité de la concurrence de la possibilité de retenir la réitération au titre des circonstances aggravantes, lorsque les pratiques, de nature continue, se sont poursuivies après ce premier constat d'infraction.

721. Ainsi, dans sa décision n° 07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de jouets, le Conseil de la concurrence a retenu la réitération s'agissant de pratiques commises au cours des années 2000 à 2003, eu égard à un constat d'infraction du 25 septembre 2003, et à raison des faits établis au cours de la période postérieure à ce constat (octobre-décembre 2003). Cette solution a été validée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 28 janvier 2009.

722. Les juridictions communautaires suivent une analyse similaire. Dans une affaire mettant en cause la société Lafarge, les juges ont considéré que la Commission avait à bon droit retenu la récidive comme une circonstance aggravante, dès lors qu'en l'espèce, l'entreprise avait continué de participer à l'entente en cause pendant plus de quatre ans après la décision adoptée dans une précédente affaire (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T-54-03, Rec. p. II-120, points 738 et 739, confirmé par l'arrêt de la Cour du 17 juin 2010, C-413-08, non encore publié au Rec., point 91).

723. En l'espèce, il y a lieu de rappeler que, si les parties mises en cause ont conclu l'accord litigieux le 3 février 2000, soit antérieurement à la décision du Conseil de la concurrence n° 00-D-28 précitée, elles l'ont toutefois mis en œuvre à compter du 1er janvier 2002 jusqu'au 1er juillet 2007, s'agissant de la CEIC, et depuis le 1er juillet 2002 en ce qui concerne les AOCT, soit pendant une période de plus de cinq années après le constat d'infraction. Le Crédit Mutuel, les Caisses d'Epargne, la Société Générale, le Crédit Agricole, la BNP et LCL - Le Crédit Lyonnais ont donc poursuivi, dans le cadre de la présente affaire, des pratiques anticoncurrentielles bien qu'une précédente infraction au droit de la concurrence ait été constatée à leur encontre par le Conseil de la concurrence.

Sur le caractère définitif, à la date de la présente décision, du constat d'infraction

724. La décision n° 00-D-28 est devenue définitive, puisqu'elle a été confirmée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 27 novembre 2001, qui a fait l'objet d'un pourvoi rejeté par la Cour de cassation (arrêt du 23 juin 2004).

Sur l'identité ou la similitude des pratiques

725. La réitération a pour objet d'appréhender les cas dans lesquels une entreprise précédemment sanctionnée pour un type particulier de comportement met de nouveau en œuvre des pratiques identiques ou similaires. Il est possible de retenir la réitération lorsque les pratiques sont identiques ou similaires par leur même objet anticoncurrentiel.

726. En l'espèce, il y a lieu de relever que les pratiques constatées dans la décision n° 00-D-28 et celles poursuivies dans le cadre de la présente affaire au titre de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 CE sont similaires par leur objet. Même si les marchés affectés sont différents, les pratiques précédemment sanctionnées sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 avaient également pour objet de restreindre la concurrence dans le secteur bancaire : il s'agissait d'une entente horizontale sur le marché du crédit immobilier aux particuliers destinée à restreindre les possibilités de renégociation des prêts immobiliers.

727. Au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il y a donc lieu de retenir la réitération à l'encontre du Crédit Mutuel, des Caisses d'Epargne, de la Société Générale, du Crédit Agricole, de la BNP ainsi que de LCL et, par conséquent, d'appliquer une majoration de 20 % pour le calcul de la sanction qui leur est infligée, en tenant compte du fait que seule la poursuite de l'infraction résultant de l'entente scellée en 2000 caractérise une telle réitération.

d) Sur la situation individuelle des entreprises

728. Outre les éléments d'individualisation fondés sur la position de chaque banque sur le marché ainsi que leur taille et leur puissance économique, qui seront examinés ci-après dans le cadre de l'exposé de la méthode de calcul des sanctions (voir point 751), il convient d'examiner si d'autres éléments d'individualisation des sanctions peuvent être pris en compte.

Sur le comportement des parties lors des négociations de la CIR

. Sur l'opposition à la CEIC au cours des débats de la CIR

729. Les Banques Populaires, la Banque de France et le Crédit du Nord font valoir qu'elles étaient opposées au principe de la création de la CEIC. HSBC soutient que, en raison de sa position marginale sur le marché du chèque, elle n'a eu aucun poids dans les négociations de la CIR et s'est contentée d'adopter une attitude passive et réservée, espérant que le compromis trouvé ne lui serait pas trop préjudiciable.

730. Cependant, si le rôle de meneur d'une entreprise constitue une circonstance aggravante pour l'individualisation de la sanction (Cour de cassation, 18 février 2004, OCP Répartition), la circonstance qu'une entreprise ait manifesté des réticences ou ait adopté une position de suiveur à l'occasion de la conclusion d'un accord restrictif de la concurrence ne saurait à l'inverse être prise en compte comme une circonstance atténuante, dès lors que cette entreprise n'a pas fait l'objet d'une contrainte irrésistible, qu'elle a approuvé la conclusion de l'accord et qu'elle a appliqué celui-ci.

731. Seule pourrait être prise en compte au titre des circonstances atténuantes la démonstration par l'entreprise que sa participation à l'infraction était substantiellement réduite notamment parce qu'elle s'est effectivement soustraite à l'application de l'accord en cause en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché (franc tireur) (voir, pour une solution similaire, le point 29 des lignes directrices de la Commission pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1-2003 (JO 2006, C 210, p. 2)).

732. Il suit de là que le moyen soulevé n'est pas susceptible d'atténuer la sanction encourue.

. Sur le rôle d'incitateur de l'infraction

733. En l'espèce, il ressort des procès-verbaux des réunions de la CIR que cinq banques se sont clairement exprimées en faveur de l'instauration d'une commission interbancaire fixe versée par la banque remettante à la banque tirée : le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel, La Poste, les Caisses d'Epargne et la BNP, alors que les autres parties à la négociation faisaient part de leurs réticences. Lors de la réunion du 1er juillet 1999, le représentant des Caisses d'Epargne indique ainsi que celles-ci " sont favorables à la première solution présentée par le groupe de travail basée sur (...) une commission fixe de 0,50 F versée par la banque remettante à la banque tirée ". Le représentant du Crédit Agricole se déclare de même " favorable " à cette solution. Le représentant de La Poste indique que son établissement " préférerait la solution J + 1 avec commission ". Le représentant du Crédit Mutuel précise quant à lui être " favorable au règlement à J+1 et (...) ouvert à la suggestion de la Banque de France de modération du montant de la commission ". Enfin, le représentant de la BNP indique être " résolument pour l'EIC et la commission fixe versée par la banque remettante " (voir le compte rendu de cette réunion, cote 930 et s. ; voir aussi point 102 ci-dessus).

734. Le rôle tenu par ces cinq banques n'emporte pas la qualification de meneur (ou instigateur) de l'entente, qui vise les entreprises ayant représenté une force motrice significative ou ayant porté une responsabilité particulière et concrète dans le fonctionnement de l'entente (voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2004 précité, et, pour une analyse similaire en droit communautaire, les arrêts du Tribunal de première instance du 15 mars 2006, BASF/Commission, T-15-02, Rec. p. II-497, point 374, et du 8 septembre 2010, Deltafina/Commission, T-29-05, non encore publié au Rec., point 332).

735. Au cas d'espèce, les cinq banques ont néanmoins tenu un rôle actif de conviction de leurs partenaires dans le cadre des négociations de la CIR qui ont conduit à la création des commissions en litige. Ainsi, une majoration de 10 % sera appliquée pour le calcul de la sanction infligée au Crédit Agricole, au Crédit Mutuel, à La Banque Postale, aux Caisses d'Epargne et à la BNP, qui ont activement défendu l'instauration de la commission au cours des négociations de la CIR.

Sur l'absence de profit retiré de l'entente

736. HSBC, les Banques Populaires, la Banque de France, la Société Générale et les Caisses d'Epargne font valoir qu'elles n'ont retiré aucun profit de l'entente, voire que cette dernière s'est traduite pour elles par un préjudice financier, dès lors que, en tant que banques majoritairement remettantes en volume (nombre de chèques), elles étaient contributrices nettes de CEIC.

737. Toutefois, la Cour d'appel de Paris relève que, si l'explosion des profits est un facteur aggravant pour l'individualisation de la sanction, la réciproque n'est pas admissible (voir l'arrêt du 19 janvier 2010, AMD Sud-Ouest, précité). Si le montant de la sanction pécuniaire doit être proportionné à la gravité des pratiques et au dommage à l'économie, pour l'appréciation desquels le profit retiré par les membres de l'entente en cause peut être pris en compte, la circonstance qu'une entreprise n'ait tiré aucun bénéfice de la mise en œuvre d'une pratique restrictive de la concurrence ne saurait faire obstacle à l'imposition d'une sanction et ne saurait être prise en compte comme une circonstance atténuante (voir, pour une analyse similaire effectuée par le juge communautaire, l'arrêt du Tribunal du 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries Ltd, T-66-01, non encore publié au Recueil, point 443).

738. En tout état de cause, il convient de relever que la réalité du préjudice allégué n'est nullement établie, compte tenu de la possibilité qu'avaient les banques remettantes de répercuter tout ou partie des commissions payées sur leurs clients, ce qu'elles ont fait au moins en partie.

739. Il suit de là que le moyen soulevé n'est pas susceptible d'atténuer la sanction encourue.

Sur la position des parties sur le marché en cause

740. HSBC invoque sa position marginale sur le marché du chèque.

741. Ainsi qu'il ressort des éléments recueillis au cours de l'instruction (voir point 66 ci- dessus), la position de HSBC sur le marché du chèque est significativement plus modeste, en termes de volume d'émission et de remise, que celle des autres banques mises en cause.

742. Lorsqu'elle fixe le montant des amendes, l'Autorité peut tenir compte de l'influence que l'entreprise a pu exercer sur le marché, notamment en raison de sa taille et de sa puissance économique. Le chiffre d'affaires donne normalement des indications sur ce point (voir, pour une analyse similaire effectuée par le juge communautaire, l'arrêt de la Cour de justice du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100-83 à 103-83, Rec. p. 1825, points 120 et 121, et par le juge national, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 septembre 2010, Raffalli & Cie SARL). Il peut également être tenu compte du fait que le chiffre d'affaires ne reflète qu'imparfaitement la situation particulière d'une entreprise sur le marché concerné par les pratiques en cause, en retenant également, comme critère de détermination du montant de la sanction, la part détenue par cette entreprise sur le marché affecté. De même, les lignes directrices de la Commission précitée prévoient que le montant de base de l'amende à infliger est fondé sur la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l'entreprise, en relation directe ou indirecte avec l'infraction, reflétant ainsi la position de l'entreprise sur le marché concerné par les pratiques.

743. Au cas d'espèce, afin de prendre en compte à la fois la taille et la puissance économique des banques mises en cause ainsi que leur position particulière sur le marché du chèque, il convient d'asseoir le montant de la sanction de base sur le produit net bancaire, réalisé uniquement sur le territoire national, qu'il conviendra de combiner, dans des proportions égales, avec la part de chaque banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques.

Sur la répercussion de la CEIC

744. Les Banques Populaires, le Crédit du Nord, La Banque Postale, la Société Générale, les Caisses d'Epargne et le CIC indiquent qu'elles n'ont pas augmenté leurs tarifs unitaires pendant la période concernée. La Banque de France indique quant à elle avoir fait bénéficier son principal client, le Trésor public, d'une réduction du délai d'encaissement des chèques.

745. Il résulte cependant de ce qui a été dit plus haut que la répercussion de la CEIC a pu être effectuée sous des modalités très diverses, directes (hausse du prix unitaire de la remise de chèque) ou indirectes (variation des dates de valeur imposées aux clients, hausse du prix des forfaits de services, de la commission de mouvement ou d'autres services bancaires facturés aux clients). Dans ces conditions, la circonstance que l'établissement n'ait pas eu recours à l'une des modalités de répercussion de la CEIC n'est pas exclusive du recours à une modalité alternative de répercussion.

746. Partant, aucune des banques mentionnées ci-dessus ne démontre qu'elle n'a pas répercuté la CEIC sur ses clients, ou que cette répercussion était plus modérée que celle qui a été effectuée par les autres participants à l'entente.

747. En tout état de cause, l'Autorité de la concurrence n'est pas tenue de démontrer la participation individuelle de chaque entreprise mise en cause à la réalisation du dommage à l'économie. L'évaluation du dommage à l'économie procède en effet d'une approche globale (voir, notamment, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 2009, Epsé Joué Club, précité).

Sur l'initiative de la suppression de la CEIC

748. Les Banques Populaires font valoir que la CEIC a été supprimée à la suite du courrier qu'elles avaient pris l'initiative d'adresser au gouverneur de la Banque de France. La Banque de France fait quant à elle valoir qu'elle a invité les banques à supprimer la commission par lettre en date du 20 juillet 2007.

749. Ainsi qu'il a été rappelé au point 665 ci-dessus, la suppression de la CEIC au cours de l'automne 2007 est intervenue à un stade avancé de l'instruction des services de l'Autorité de la concurrence, sous la pression de l'enquête en cours. Dans ces conditions, elle doit être considérée non comme une circonstance atténuante, mais comme un comportement normal des entreprises mises en cause.

4. SUR LE MONTANT DES SANCTIONS

a) Sur la méthode de calcul des sanctions

750. La Commission européenne ainsi que la plupart des autorités de concurrence en Europe se réfèrent, pour fixer le montant de base de la sanction, à la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l'entreprise, en relation avec l'infraction sur le marché géographique concerné. L'Autorité de la concurrence souscrit à cette approche convergente, car elle permet de mieux proportionner la sanction à la réalité économique de l'infraction. Au cas d'espèce toutefois, il n'est pas possible, en raison des spécificités du secteur bancaire, de déterminer la valeur des ventes de services d'émission et de remise de chèques réalisées par les banques au cours de la période en cause. En effet, cette valeur ne peut être quantifiée, compte tenu des diverses modalités, directes et indirectes, de tarification de ces services, et de l'existence d'importantes subventions croisées avec d'autres services bancaires.

751. Dans ces conditions, le montant de base de la sanction sera assis sur deux éléments, à savoir, d'une part, la part de marché de chaque banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques et, d'autre part, le produit net bancaire réalisé par chaque banque sur le seul territoire national. Le premier élément permet de tenir compte de la position spécifique de chaque banque sur le marché affecté. Le second élément permet de tenir compte de la taille et de la puissance économique de chaque banque et, partant, de ses capacités contributives. Il permet également de tenir compte de la circonstance que l'effet des pratiques en litige s'est étendu au-delà du seul marché du chèque, pour toucher l'ensemble des activités bancaires des mises en cause, en raison des modalités spécifiques de tarification de ces activités (subventions croisées).

S'agissant des banques autres que la Banque de France

752. Afin de déterminer le montant de base de la sanction, il est pertinent de retenir les données relatives à la dernière année complète de la mise en œuvre des pratiques, correspondant à l'année 2006 s'agissant de la CEIC, et à l'année 2009 s'agissant des commissions AOCT.

753. Cependant, certaines banques n'ont pas communiqué les données relatives à leur produit net bancaire de l'année 2009. Dans ces conditions, il conviendra de retenir les produits nets bancaires réalisés durant l'année 2006, pour lesquels l'Autorité dispose de données homogènes présentes au dossier, afin de déterminer les sanctions appliquées au titre de la CEIC comme celles appliquées au titre des commissions AOCT.

754. Par ailleurs, la part de marché prise en compte sera la part des volumes de chèques intra et interbancaires émis et remis par chaque banque par rapport aux volumes de chèques émis et remis par l'ensemble des banques mises en cause (hors Banque de France) au cours de l'année 2008, seule année pour laquelle l'Autorité dispose de données exhaustives communiquées par les banques. Il convient de relever que l'analyse des volumes de chèques interbancaires émis et remis par les banques au cours des années 2002 à 2006 (données fournies par le G-SIT) permet de démontrer une très grande stabilité dans les parts de marché de chacun de ces établissements au cours de la période en litige.

755. Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, le montant de base de la sanction sera donc calculé en multipliant la part de la banque concernée sur le marché de l'émission et de la remise de chèques avec le produit net bancaire national total des mises en cause (hors Banque de France), puis en additionnant ce premier résultat intermédiaire avec le produit net bancaire national de la banque concernée. Un même coefficient multiplicateur, fixé en fonction de l'ensemble des critères généraux énoncés précédemment, sera ensuite appliqué à ce second résultat intermédiaire. Le montant de base de la sanction sera donc calculé ainsi : [(part relative de la banque concernée sur le marché de l'émission et de la remise de chèques x produit net bancaire total des mises en cause) + produit net bancaire de la banque concernée] x coefficient multiplicateur.

756. Les coefficients de majoration de 20 % au titre de la réitération et de 10 % au titre du rôle actif joué dans l'entente seront appliqués au montant de base, le cas échéant, pour déterminer le montant de la sanction individuelle, écrêté s'il y a lieu afin de ne pas excéder le plafond légal de la sanction applicable pour chacune des parties.

S'agissant de la Banque de France

757. Le cas de la Banque de France doit être distingué de celui des autres banques mises en cause dès lors que, en l'absence de produit net bancaire, celle-ci a communiqué un chiffre d'affaires retraité pour refléter les recettes tirées de ses activités commerciales. Cette donnée n'est pas homogène avec celles retenues plus haut pour les autres banques. Le montant de la sanction prononcée sera donc calculé par application d'un coefficient multiplicateur distinct au chiffre d'affaires réalisé en 2006, auquel il sera appliqué en outre un abattement pour tenir compte de ce que la part relative de cette dernière sur le marché de l'émission et de la remise de chèques en 2008 était particulièrement faible (3,02 %).

b) Sur les sanctions individuelles

Pour BNP-Paribas

758. Le plafond légal de la sanction s'élève à 92 376 millions d'euro (produit brut bancaire mondial du groupe en 2007).

759. La part relative de la banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 11,48 % et son produit net bancaire de l'année 2006 de 10 778 millions d'euro, le montant de base de la sanction, déterminé selon les modalités exposées ci-dessus, est de 48,68 millions d'euro, qu'il convient de majorer de 20 % au titre de la réitération et de 10 % au titre du rôle actif tenu par la banque dans la conclusion de l'accord.

760. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le montant total de la sanction infligée à BNP-Paribas s'élève à 63,28 millions d'euro, soit 62,65 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,63 million d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour BPCE, venant aux droits et obligations de BP Participations

761. Le plafond légal de la sanction applicable à BP Participations s'élève à 34 346 millions d'euro (produit brut bancaire mondial du groupe en 2005).

762. La part relative de la banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 10,77 % (33) et son produit net bancaire de l'année 2006 de 7 225 millions d'euro, le montant final de la sanction, mise à la charge de BPCE venant aux droits et obligations de BP Participations, déterminé selon les modalités exposées ci-dessus, est de 38,09 millions d'euro, soit 37,71 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,38 million d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour BPCE, venant aux droits et obligations de CE Participations

763. Le plafond légal de la sanction applicable à CE Participations s'élève à 45 437 millions d'euro (produit brut bancaire mondial du groupe en 2007).

764. La part relative des Caisses d'Epargne sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 8,68 % et son produit net bancaire de l'année 2006 de 9 603 millions d'euro, le montant de base de la sanction, déterminé selon les modalités exposées ci- dessus, est de 40,62 millions d'euro, qu'il convient de majorer de 20 % au titre de la réitération et de 10 % au titre du rôle actif tenu par la banque dans la conclusion de l'accord.

765. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le montant total de la sanction, mise à la charge de BPCE venant aux droits et obligations de CE Participations, s'élève à 52,81 millions d'euro, soit 52,28 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,53 million d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour le Crédit Agricole

766. Le plafond légal de la sanction s'élève à 89 575 millions d'euro (produit brut bancaire mondial du groupe en 2006).

767. Le groupe Crédit Agricole n'ayant pas fourni, malgré la demande formulée en ce sens les produits nets bancaires nationaux réalisés respectivement par le Crédit Agricole, hors LCL, et par LCL, une ventilation du produit net bancaire national du groupe a été effectuée sur la base de la ventilation observée du produit net bancaire mondial du groupe. Le produit net bancaire national du groupe en 2006 est de 10 439 millions d'euro, ce qui correspond à 8 057 millions d'euro pour le Crédit Agricole, hors LCL, et à 2 382 millions d'euro pour LCL.

768. La part relative de la banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 24,02 % et son produit net bancaire de l'année 2006, déterminé selon les modalités exposées ci-dessus, de 8 057 millions d'euro, le montant de base de la sanction est de 63,80 millions d'euro, qu'il convient de majorer de 20 % au titre de la réitération et de 10 % au titre du rôle actif tenu par la banque dans la conclusion de l'accord.

769. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le montant total de la sanction infligée à Crédit Agricole SA s'élève à 82,94 millions d'euro, soit 82,11 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,83 million d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour LCL

770. Le plafond légal de la sanction s'élève à 89 575 millions d'euro (produit brut bancaire mondial du groupe en 2006).

771. Le groupe Crédit Agricole n'ayant pas fourni, malgré la demande formulée en ce sens les produits nets bancaires nationaux réalisés respectivement par le Crédit Agricole, hors LCL, et par LCL, une ventilation du produit net bancaire national du groupe a été effectuée sur la base de la ventilation observée du produit net bancaire mondial du groupe. Le produit net bancaire national du groupe en 2006 est de 10 439 millions d'euro, ce qui correspond à 8 057 millions d'euro pour le Crédit Agricole, hors LCL, et à 2 382 millions d'euro pour LCL.

772. La part relative de la banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 6,30 % et son produit net bancaire de l'année 2006 de 2 382 millions d'euro, le montant de base de la sanction, déterminé selon les modalités exposées ci-dessus, est de 17,44 millions d'euro, qu'il convient de majorer de 20 % au titre de la réitération.

773. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le montant total de la sanction infligée à LCL s'élève à 20,93 millions d'euro, soit 20,72 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,21 million d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour HSBC

774. HSBC n'a pas communiqué le produit brut bancaire mondial du groupe au cours de la période de référence, en indiquant que cette donnée n'existe pas s'agissant d'une société de droit anglais. En tout état de cause, le montant de la sanction n'excède pas le produit net bancaire mondial le plus élevé réalisé par le groupe au cours de la période de référence, soit 81 682 millions d'euro pour l'année 2008.

775. La part relative de la banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 1,23 % et son produit net bancaire de l'année 2006 de 2 614 millions d'euro, le montant final de la sanction infligée à HSBC, déterminé selon les modalités exposées ci- dessus, est de 9,05 millions d'euro, soit 8,96 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,09 million d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour le CIC

776. Le plafond légal de la sanction s'élève à 14 769 millions d'euro (produit brut bancaire mondial du groupe en 2007).

777. La part relative de la banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 6,12 % et son produit net bancaire de l'année 2006 de 3 917 millions d'euro, le montant final de la sanction infligée au CIC, déterminé selon les modalités exposées ci- dessus, est de 21,15 millions d'euro, soit 20,94 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,21 million d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour le Crédit Mutuel

778. Les griefs ont été notifiés à la Confédération nationale du Crédit Mutuel, association régie par la loi du 1er juillet 1901. En application des dispositions précitées du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le plafond de la sanction applicable à cet établissement est donc de 3 millions d'euro.

779. La part relative de la banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 10,23 % et son produit net bancaire de l'année 2006 de 6 373,7 millions d'euro, le montant de base de la sanction, déterminé selon les modalités exposées ci-dessus, est de 34,90 millions d'euro, qu'il convient de majorer de 20 % au titre de la réitération et de 10 % au titre du rôle actif tenu par la banque dans la conclusion de l'accord.

780. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le montant total de la sanction infligée au Crédit Mutuel devrait s'élever à 45,37 millions d'euro. Compte tenu du plafond légal applicable, cette sanction est ramenée à 3 millions d'euro, soit 2,97 millions euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,03 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour la Société Générale

781. Le plafond légal de la sanction s'élève à 66 821 millions d'euro (chiffre d'affaires mondial du groupe au sens du contrôle des concentrations réalisé en 2007).

782. La part relative de la banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 9,47 % et son produit net bancaire de l'année 2006 de 10 570 millions d'euro, le montant de base de la sanction, déterminé selon les modalités exposées ci-dessus, est de 44,56 millions d'euro, qu'il convient de majorer de 20 % au titre de la réitération.

783. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le montant total de la sanction infligée à la Société Générale s'élève à 53,48 millions d'euro, soit 52,94 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,53 million d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour le Crédit du Nord

784. Le plafond légal de la sanction s'élève à 66 821 millions d'euro (chiffre d'affaires mondial du groupe au sens du contrôle des concentrations réalisé en 2007).

785. La part relative de la banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 1,69 % et son produit net bancaire de l'année 2006 de 1516 millions d'euro, le montant final de la sanction infligée au Crédit du Nord, déterminé selon les modalités exposées ci- dessus, est de 6,98 millions d'euro, soit 6,91 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,07 million d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour La Banque Postale

786. Le plafond légal de la sanction s'élève à 20 829 millions d'euro (chiffre d'affaires mondial du groupe réalisé en 2008).

787. La part relative de la banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques étant de 10,01 % et son produit net bancaire de l'année 2006 de 4 612 millions d'euro, le montant de base de la sanction, déterminé selon les modalités exposées ci-dessus, est de 29,88 millions d'euro, qu'il convient de majorer de 10 % au titre du rôle actif tenu par la banque dans la conclusion de l'accord.

788. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le montant total de la sanction infligée à La Banque Postale s'élève à 32,87 millions d'euro, soit 32,54 millions d'euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 0,33 million d'euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

Pour la Banque de France

789. Le chiffre d'affaires de la Banque de France étant de 212,8 millions d'euro en 2006, le montant final de la sanction, déterminé selon les modalités exposées ci-dessus, est de 350 000 euro, soit 346 500 euro au titre de sa participation à l'accord sur la CEIC et 3 500 euro au titre de sa participation à l'accord sur les commissions AOCT.

F. SUR LE PRONONCÉ D'UNE INJONCTION

790. Aux termes de l'article L. 462-6 du Code de commerce : " L'Autorité de la concurrence examine si les pratiques dont elle est saisie entrent dans le champ des articles L. 420-1, L. 420-2 ou L. 420-5 ou peuvent se trouver justifiées par application de l'article L. 420-4. Elle prononce, le cas échéant, des sanctions et des injonctions ". L'article L. 464-2-I prévoit également que " L'Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières (...) ".

791. Le prononcé d'injonctions au fond est soumis au principe de proportionnalité, ce qui signifie que les mesures ordonnées ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour faire cesser l'atteinte à la concurrence. Le prononcé d'injonctions apparaît néanmoins particulièrement nécessaire lorsque l'atteinte à la concurrence résulte d'un accord en cours d'application à la date de la décision de l'Autorité.

792. En l'espèce, le grief notifié au titre de la mise en œuvre de commissions AOCT résulte des conditions de la compensation interbancaire des chèques arrêtées par les banques dans le cadre de leur accord du 3 février 2000. Ces commissions sont toujours en vigueur à la date de la décision de l'Autorité, sans que leur mode de calcul ait été modifié depuis leur mise en place.

793. Dans ce contexte, l'Autorité de la concurrence est fondée à enjoindre aux parties de réviser le montant des commissions AOCT afin de s'assurer que celui-ci est proportionné aux gains d'efficacité qui en sont attendus, et partant, de mettre ces commissions en conformité avec les dispositions de l'article L. 420-4 du Code de commerce et les stipulations de l'article 101, paragraphe 3, TFUE. Il convient de demander aux banques de procéder à cette révision, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, et de fixer le montant de ces commissions sur la base du coût de traitement des opérations AOCT auquel parvient la banque la plus efficace, tel que vérifié par une étude de coûts réalisée auprès d'un échantillon représentatif des établissements bancaires et vérifiée par un expert indépendant.

G. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION

794. Afin d'informer les acteurs et les utilisateurs des services d'émission et de remise de chèques de la présente décision, il y a lieu d'ordonner aux mises en cause de faire publier à leurs frais, au prorata des sanctions prononcées, dans les éditions du Monde et des Echos le résumé de la présente décision figurant au point suivant.

795. Résumé de la décision :

" A la suite d'une saisine d'office, l'Autorité de la concurrence vient de rendre une décision par laquelle elle sanctionne la Banque de France, la BPCE (issue de la fusion entre les Banques Populaires et les Caisses d'Epargne), La Banque Postale, BNP-Paribas, la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, le Crédit Agricole, le Crédit du Nord, le Crédit Industriel et Commercial (CIC), LCL, HSBC et la Société Générale, à hauteur de 384,92 millions d'euro pour s'être entendues sur le marché du chèque.

L'instauration de nouvelles commissions interbancaires lors de la dématérialisation de l'échange des chèques

A l'occasion de la mise en place du nouveau système dématérialisé de compensation des chèques interbancaires (système appelé Echange Images-Chèques, ci-après EIC), les principales banques de la place se sont réunies afin de définir ensemble les conditions de fonctionnement de ce nouveau système. Elles ont décidé en commun la création de plusieurs commissions interbancaires, dont l'Autorité a examiné la licéité au regard du droit de la concurrence.

L'Autorité de la concurrence a fait application du droit national, mais également du droit communautaire, considérant que les pratiques en cause avaient potentiellement affecté la liberté d'établissement des banques étrangères en France.

L'Autorité de la concurrence a estimé que la commission d'échange image chèque (CEIC) était anticoncurrentielle

La CEIC est une commission à l'opération, d'un montant uniforme de 4,3 centimes d'euro par chèque, versée par la banque du remettant (bénéficiaire du chèque) à la banque du tiré (émetteur du chèque). Elle a été présentée par les banques comme ayant pour objet de compenser la perte de trésorerie engendrée par l'accélération du règlement interbancaire des chèques liée à la dématérialisation des échanges, au détriment des banques tirées. Débitées plus tôt, celles-ci perdent la possibilité de placer pour leur compte aussi longtemps qu'auparavant les sommes correspondant aux chèques émis par leurs clients. A l'inverse, les banques remettantes, créditées plus tôt, peuvent placer pour leur compte plus rapidement qu'auparavant les sommes correspondant aux chèques déposés par leurs clients.

Cette commission, prélevée sur 80 % des chèques échangés en France entre janvier 2002 et juillet 2007, a été supprimée en octobre 2007, cette suppression intervenant à un stade avancé de l'instruction de l'Autorité de la concurrence et sous la pression de l'enquête en cours.

La création de la CEIC, qui ne correspond à aucun service rendu, a eu pour conséquence d'augmenter artificiellement les coûts supportés par les banques remettantes, ce qui a ainsi pesé directement ou indirectement sur le niveau des prix des services bancaires.

L'Autorité a considéré qu'il n'était pas avéré que le passage à l'EIC se soit traduit, pour l'une quelconque des banques participantes, par des pertes nettes, qui aurait pu éventuellement justifier un mécanisme de compensation des banques perdantes par les banques gagnantes. En effet, les pertes de trésorerie sur les chèques tirés étaient compensées par les gains de trésorerie sur les chèques remis et par les économies de coûts de traitement retirés de la dématérialisation des échanges.

En tout état de cause, la CEIC, du fait de son caractère fixe, ne permettait pas de compenser réellement les pertes brutes des banques tirées, qui étaient liées aux montants moyens des chèques échangés par chaque banque (et non à leur nombre), ces montants variant très fortement selon les établissements concernés.

De ce fait, l'Autorité de la concurrence n'a pas exempté cette commission qui n'échappe donc pas à l'interdiction posée par les règles de concurrence.

L'Autorité a exempté l'ensemble des commissions pour services connexes à l'exception des commissions dites AOCT (annulation d'opérations compensées à tort).

Huit commissions pour services rendus ont été créées afin de rémunérer les services nouvellement rendus par une catégorie de banques à une autre (tels que le traitement des rejets) et de compenser les transferts de charges résultant de la dématérialisation du système d'échange des chèques (tels que l'archivage des vignettes).

Bien que le montant de chacune de ces commissions ait été fixé d'un commun accord à un niveau unique, l'Autorité a néanmoins admis qu'elles pouvaient bénéficier d'une exemption, à l'exception des commissions AOCT, dans la mesure où les banques mises en cause n'ont pas démontré que le montant de ces dernières était en rapport avec les coûts du service rendu. En conséquence, l'Autorité a enjoint les banques concernées de procéder à leur révision en fixant leur montant sur la base des coûts de la banque la plus efficace.

Des pratiques qui ont poussé à la hausse le prix des services bancaires

Les banques ont répercuté la CEIC, au moins en partie, soit directement par une augmentation des tarifs unitaires de la remise de chèques (cas notamment des entreprises remettant un fort volume de chèques comme les entreprises de la grande distribution), soit indirectement au moyen de la hausse du prix d'autres services bancaires (subventions croisées). La répercussion directe et intégrale de la commission est avérée en ce qui concerne le Trésor Public, principal client de la Banque de France, le montant total répercuté sur l'ensemble de la période s'élevant à 36 millions d'euro.

En définitive, alors que la dématérialisation du système de compensation a permis aux banques de réaliser d'importantes économies, les consommateurs et les entreprises n'ont pas pu pleinement profiter de ce progrès économique.

Les services bancaires revêtent une importance extrême tant pour les entreprises que pour les consommateurs. Même si son usage a reculé, le chèque reste encore aujourd'hui l'un des principaux moyens de paiement utilisés en France et représentait 26% des paiements scripturaux en 2006. Par ailleurs, ces pratiques sont intervenues sur un marché où la concurrence est déjà réduite en raison du monopole bancaire et de l'opacité tarifaire, récemment soulignée par le rapport Constans/Pauget sur la tarification des services bancaires, remis à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi en juillet 2010.

Des sanctions fixées en fonction de la gravité des pratiques, du dommage à l'économie et de la situation individuelle de chaque banque

L'Autorité de la concurrence a tenu compte, pour la fixation des sanctions, de la gravité et de la durée des pratiques (entente horizontale, durée supérieure à cinq ans), mais également de trois circonstances tempérant cette gravité : l'accord ne constitue pas une entente sur les prix finaux ; il a été conclu dans le cadre du passage à l'EIC, projet d'intérêt général dont la mise en œuvre a été activement soutenue par la Banque de France ; enfin l'entente ne peut être assimilée à un cartel secret.

Elle a également tenu compte du dommage à l'économie (taille du marché affecté, effet sur les prix). L'Autorité a calculé que, pour chaque centime répercuté, l'augmentation des prix payés par les clients s'élève à près de 220 millions d'euro sur l'ensemble de la période considérée.

L'Autorité a enfin tenu compte de la situation individuelle de chaque banque, et notamment de sa position sur le marché du chèque et de sa puissance économique.

Elle a majoré la sanction de 10 % pour tenir compte du fait que le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel, La Poste, les Caisses d'Epargne et la BNP ont joué un rôle actif dans la conclusion de l'accord en soutenant l'instauration de la CEIC lors des négociations qui ont précédé l'instauration du système EIC.

Elle a également majoré la sanction de 20 % en retenant la réitération pour le Crédit Mutuel, les Caisses d'Epargne, Société Générale, le Crédit Agricole, la BNP et LCL, qui avaient déjà été sanctionnés en 2000 pour des pratiques d'entente (décision n° 00-D-28 du 19 septembre 2000, relative à la situation de la concurrence dans le secteur du crédit immobilier).

Sont infligées les amendes pécuniaires suivantes :

. à la Banque de France, une sanction de 346 500 euro pour le premier grief et de 3 500 euro pour le second grief.

. à BPCE, venant aux droits et obligations de BP Participations, une sanction de 37 710 000 euro pour le premier grief et de 380 000 euro pour le second grief ;

. à BPCE, venant aux droits et obligations de CE Participations, une sanction de 52 280 000 euro pour le premier grief et de 530 000 euro pour le second grief ;

. à La Banque Postale, une sanction de 32 540.000 euro pour le premier grief et de 330 000 euro pour le second grief ;

. à BNP-Paribas, une sanction de 62 650.000 euro pour le premier grief et de 630 000 euro pour le second grief ;

. au Crédit Agricole, une sanction de 82 110 000 euro pour le premier grief et de 830 000 euro pour le second grief ;

. au Crédit Mutuel, une sanction de 2 970 000 euro pour le premier grief et de 30.000 euro pour le second grief ;

. au Crédit du Nord, une sanction de 6 910 000 euro pour le premier grief et de 70 000 euro pour le second grief ;

. au Crédit Industriel et Commercial, une sanction de 20 940 000 euro pour le premier grief et de 210 000 euro pour le second grief ;

. à LCL, une sanction de 20 720 000 euro pour le premier grief et de 210 000 euro pour le second grief, dont le Crédit Agricole sera tenu conjointement et solidairement responsable à hauteur de 15 000 000 euro pour le premier grief et 152 000 euro pour le second grief ;

. à HSBC, une sanction de 8 960 000 euro pour le premier grief et de 90 000 euro pour le second grief ;

. à Société Générale, une sanction de 52 940 000 euro pour le premier grief et de 530 000 euro pour le second grief ;

Le texte intégral de la décision de l'Autorité de la concurrence est disponible sur le site : www.autoritedelaconcurrence.fr ".

H. SUR LES FRAIS DE L'EXPERTISE

796. Aux termes de l'article L. 463-8, troisième alinéa, du Code de commerce : " Le financement de l'expertise est à la charge de la partie qui la demande ou à celle de l'Autorité dans le cas où elle est ordonnée à la demande du rapporteur. Toutefois, l'Autorité peut, dans sa décision sur le fond, faire peser la charge définitive sur la ou les parties sanctionnées dans des proportions qu'[elle] détermine ".

797. En l'espèce, les frais de l'expertise décidée, dans les conditions exposées aux points 7 à 10 ci-dessus, par le rapporteur général par décisions du 16 décembre 2008 et du 17 février 2009, et acquittés par l'Autorité de la concurrence, seront mis solidairement, et au prorata des sanctions infligées, à la charge de la Banque de France, de BPCE, de La Banque Postale, de BNP-Paribas, de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, du Crédit Agricole SA, du Crédit du Nord, du Crédit Industriel et Commercial (CIC), de LCL, de HSBC et de Société Générale.

Décision

Article 1er : Il est établi que la Banque de France, BPCE, venant aux droits et obligations de BP Participations et de CE Participations, La Banque Postale, BNP-Paribas, la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, le Crédit Agricole, le Crédit du Nord, le Crédit Industriel et Commercial (CIC), LCL, HSBC, et la Société Générale ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité CE, devenu l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, au titre du grief d'entente du fait de l'instauration de la commission interbancaire pour l'échange d'images-chèques (CEIC) et de la perception de cette commission du 1er janvier 2002 au 1er juillet 2007.

Article 2 : Il est établi que les personnes morales visées à l'article 1er ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 CE au titre du grief d'entente du fait de l'instauration des commissions interbancaires pour services connexes sur annulation d'opérations compensées à tort (AOCT) et de la perception de ces commissions à compter du 1er janvier 2002.

Article 3 : Il n'est pas établi que les autres pratiques visées par le second grief notifié, relatif aux commissions pour services connexes, soient contraires aux dispositions mentionnées ci-dessus.

Article 4 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

. à la Banque de France, une sanction de 346 500 euro pour le premier grief et de 3 500 euro pour le second grief.

. à BPCE, venant aux droits et obligations de BP Participations, une sanction de 37 710 000 euro pour le premier grief et de 380 000 euro pour le second grief ;

. à BPCE, venant aux droits et obligations de CE Participations, une sanction de 52 280 000 euro pour le premier grief et de 530 000 euro pour le second grief ;

. à La Banque Postale, une sanction de 32 540 000 euro pour le premier grief et de 330 000 euro pour le second grief ;

. à BNP-Paribas, une sanction de 62 650 000 euro pour le premier grief et de 630 000 euro pour le second grief ;

. au Crédit Agricole, une sanction de 82 110 000 euro pour le premier grief et de 830 000 euro pour le second grief ;

. au Crédit Mutuel, une sanction de 2 970 000 euro pour le premier grief et de 30 000 euro pour le second grief ;

. au Crédit du Nord, une sanction de 6 910 000 euro pour le premier grief et de 70 000 euro pour le second grief ;

. au Crédit Industriel et Commercial, une sanction de 20 940 000 euro pour le premier grief et de 210 000 euro pour le second grief ;

. à LCL, une sanction de 20 720 000 euro pour le premier grief et de 210 000 euro pour le second grief, dont le Crédit Agricole sera tenu conjointement et solidairement responsable à hauteur de 15 000 000 euro pour le premier grief et 152 000 euro pour le second grief ;

. à HSBC, une sanction de 8 960 000 euro pour le premier grief et de 90 000 euro pour le second grief ;

. à la Société Générale, une sanction de 52 940 000 euro pour le premier grief et de 530 000 euro pour le second grief ;

Article 5 : Il est enjoint aux personnes morales visées à l'article 1er de procéder à la révision du montant des commissions AOCT, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, afin de faire cesser l'infraction visée à l'article 2. Il est demandé à ces sociétés d'en fixer le montant sur la base du coût de traitement des opérations AOCT auquel parvient la banque la plus efficace, tel que vérifié par une étude de coûts réalisée auprès d'un échantillon représentatif de banques et vérifiée par un expert indépendant.

Article 6 : Les personnes morales visées à l'article 1er feront publier le texte figurant au point 795 de la présente décision, en respectant la mise en forme, dans les éditions des journaux Le Monde et Les Echos. Ces publications interviendront dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement ". Elles pourront être suivies de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution et au plus tard le 20 novembre 2010.

Article 7 : En vertu des dispositions de l'article L. 463-8, troisième alinéa, du Code de commerce, les frais de l'expertise décidée par le rapporteur général par décisions du 16 décembre 2008 et du 17 février 2009 seront mis solidairement, et au prorata des sanctions infligées, à la charge des personnes morales visées à l'article 1er.

Notes :

1 Les modalités d'accès aux données du sondage de prix sont inspirées de la pratique communautaire dans l'affaire UK International Roaming, COMP/38.097, qui a fait l'objet d'une décision du médiateur européen du 30 septembre 2008, qui a considéré que le principe du contradictoire avait été respecté en l'espèce.

2 Source : Banque de France

3 Rapport annuel 2007 du CECEI

4 La pratique des jours de valeur consiste à décaler la date de débit ou de crédit du compte courant du client par rapport à la date d'opération, afin de tenir compte des délais techniques d'encaissement, et donc de la date effective à laquelle la banque est elle-même débitée ou payée. Lorsque le décalage est supérieur au délai technique d'encaissement, cela constitue un mode de rémunération indirecte pour la banque, qui peut placer les sommes correspondantes à son profit dans l'intervalle.

5 Dans l'hypothèse où la banque tirée n'est pas la banque remettante, le chèque est dit " interbancaire " ; dans le cas contraire, il est dit " intra-bancaire ".

6 Source : G-SIT

7 Cf. PV d'audition du président du G-SIT

8 La CIR distingue la date d'achat (DA) : date à laquelle le tireur remet le chèque à la personne payée, la date de remise (DR) : date à laquelle la personne payée remet le chèque à sa banque, la date d'échange (DE) : date de présentation du chèque à la compensation et la date de règlement interbancaire (DRI).

9 Participaient à ce groupe les représentants des Caisses d'Epargne, des Banques Populaires, du Crédit Agricole, du Crédit Lyonnais, du Crédit Mutuel, de La Poste, de la Société Générale, de la Banque de France, du CCF et de la BNP (cote 929).

10 Il s'agit de chèques " hors place " dont la banque remettante décide, compte tenu par exemple de leur montant important, de les transporter à la chambre de compensation de l'agence bancaire du tireur, le chèque y étant alors identifié comme un chèque " sur place ", dont le règlement intervient un jour ouvré après l'échange. Ainsi, si le temps de transport du chèque entre les deux chambres de compensation est par exemple de un jour ouvré, le règlement interbancaire interviendra un jour plus tôt que s'il avait été traité " hors place ".

11 AP : avis de prélèvement ; LCR : lettre de change relevé

12 Ce qui correspond également aux opérations intitulées " annulation d'image chèque " et " annulation de rejet d'image chèque ".

13 La commission d'archivage de 0,3 centimes d'euro ne figure pas dans ce tableau, puisqu'elle vient en déduction du montant de la CEIC (cote 943).

14 cf. annexes 12 et s. du RAE

15 Courrier de la rapporteure générale en date du 15 juillet 2009, cotes 29.149 et s.

16 Cf. la demande des parties (cotes 33613 à 33615) et la réponse du président de l'Autorité (cote 33701)

17 Aux termes de l'annexe 2 du compte rendu de la réunion de la CIR du 3 février 2000, " [u]n établissement peut facturer des montants inférieurs à certains confrères ".

18 Le SIT prélève les neuf commissions interbancaires dues par les banques au niveau fixé par la CIR et ces dernières ne peuvent facturer des montants inférieurs qu'à la condition de conclure entre elles des accords bilatéraux et de se rembourser a posteriori le trop-perçu par le SIT.

19 Voir, à cet égard, la décision GSA, précitée, dans laquelle la Commission européenne a considéré que " le passage d'une commission fixe à un plafond pour la compensation interbancaire n'a (...) aucune incidence dans la pratique ", dès lors qu'aucun accord bilatéral fixant une commission interbancaire moins élevée n'a été conclu par les banques participantes.

20 Il ne ressort pas des éléments figurant au dossier que les banques aient utilisé la possibilité de facturer les CSC à un montant moins élevé. Le montant maximal déterminé par la CIR ayant été ainsi systématiquement appliqué, les CSC doivent être considérées comme des commissions interbancaires fixes, à l'instar de la CEIC (voir, à cet égard, le point 359 ci-dessus).

21 Voir le document de travail de la Commission du 30 octobre 2009 intitulé " Applicabilité de l'article 81 du traité CE aux paiements interbancaires multilatéraux liés au prélèvement SEPA ", points 24 et s.

22 Les données présentées par l'étude ne sont accompagnées d'aucune pièce justificative permettant d'en apprécier le caractère probant.

23 Les données utilisées sont reproduites à l'annexe A à la présente décision.

24 Un chèque émis à partir d'un compte courant à découvert ne constitue pas nécessairement un chèque sans provision, dès lors qu'une part importante des clients bénéficient d'une autorisation de découvert.

25 Ainsi qu'il a été souligné plus haut (point 474) la part du bénéfice de l'accélération des échanges répercutée sur les clients qui optimisent leur trésorerie, au moyen d'une accélération des délais d'encaissement, n'est pas neutre. Si la banque choisit de ne répercuter que partiellement cette accélération, elle pourra placer pour son compte propre les sommes concernées pendant la durée correspondante. Ainsi, plus la répercussion de l'accélération est forte, moins le gain de trésorerie enregistré sera important. Il n'est toutefois pas possible de connaître le taux de répercussion, qui plus est, variable selon les banques, voire selon les clients, qui aurait été observé dans l'hypothèse où l'EIC aurait été mis en place sans CEIC. De même, la part du bénéfice de l'accélération qui a effectivement été transmise par chacune des banques à ses clients après la mise en place de l'EIC avec CEIC n'est pas déterminée. Dans l'étude économique en date du 30 octobre 2009, les parties proposent de retenir l'hypothèse suivant laquelle les banques auraient conservé 15 % du bénéfice de l'accélération et estiment que la part du bénéfice de l'accélération conservée par les banques aurait été moindre, voire nulle, si le passage à l'EIC ne s'était accompagné d'aucun mécanisme compensateur (point 41 de l'étude). On retiendra donc, pour les besoins de la présente évaluation, l'hypothèse d'une répercussion intégrale de l'accélération des échanges, dès lors qu'un effet équivalent à celui d'une répercussion partielle peut être étudié au moyen d'une variation à la baisse de l'hypothèse relative à la proportion des remettants qui optimisent leur trésorerie.

26 Pour son bilan interne, le Crédit Mutuel a ainsi retenu au titre des gains administratifs, les économies liées à la vitesse de tri, au conditionnement des remises, à la navette et au traitement retour (cote 2521). Le Crédit Agricole a quant à lui retenu la diminution des coûts de saisie et de passage au lecteur trieur (cote 1523).

27 Du fait des spécificités de cette banque, le bilan du passage à l'EIC de la Banque de France n'a pas fait l'objet des simulations présentées ici. En effet, la Banque de France est une banque très majoritairement remettante en volume (avec plus de 100 fois plus de chèques remis que de chèques émis), et, de ce fait, perdante à l'instauration de la CEIC. Par ailleurs, dès lors qu'elle a pour clientèle essentiellement des entreprises optimisant leur trésorerie, l'EIC ne s'est pas traduite pour elle par d'importants gains de trésorerie à la remise ou d'importantes pertes à l'émission. Par ailleurs, ses gains administratifs sont d'autant plus importants qu'elle a pu réduire son réseau de succursales, auparavant mis à disposition des banques à titre de chambre de compensation (économie difficilement quantifiable).

28 Les données afférentes aux volumes de chèques sont relatives à l'année 2002 (G-SIT), les montants moyens de chèques sont calculés sur la base du montant communiqué par les banques correspondant à l'année la plus proche de l'année 2000 (c'est-à-dire de l'accord de la CIR), corrigé de l'inflation observée pendant la période correspondante.

29 Les données utilisées ont été exploitées afin d'obtenir des données homogènes pour l'ensemble des banques et sont reproduites en annexe de la présente décision ; les chiffres présentés sont arrondis à la décimale la plus proche.

30 Site internet de l'INSEE

31 S'il est vrai que la CEIC n'a pas été répercutée dès sa mise en œuvre au 1er janvier 2002, mais au fur et à mesure du renouvellement des contrats de services entre les banques et leurs clients par exemple, cette inertie des prix est également observable au moment de la suppression de la CEIC à l'automne 2007, qui ne s'est pas traduite par une baisse instantanée des prix de la remise de chèques, et ce, d'autant plus que cette suppression n'a été accompagnée d'aucune mesure destinée à en assurer la publicité.

32 L'inflation n'explique pas la hausse de prix observée sur la période, sauf à la marge.

33 La part de marché des Banques Populaires est déterminée sur le fondement des données communiquées pour l'année 2008, qui, en raison de leur caractère incomplet, ont été corrigées sur la base des données disponibles sur l'année 2006.