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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 23 septembre 2010, n° 2010-00163

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Digicel (SA), France Télécom (SA), Orange Caraïbe (SA)

Défendeur :

Outremer Télécom (SAS), Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fossier

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Jourdier

Avoués :

SCP Monin d'Auriac de Brons, SCP Grappotte Benetreau Jumel, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Selas Vogel & Vogel, Mes Rameau, Trifounovitch, Calvet, Rubinstein

CA Paris n° 2010-00163

23 septembre 2010

Faits, circonstances et procédure

Trois marchés ou segments de marchés distincts ont été identifiés dans le cadre de la présente affaire le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane ; le marché des prestations de terminaison d'appels mobiles à destination du réseau Orange Caraïbe ; le marché des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane.

Les segments du marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane se caractérisent, selon l'Autorité de la concurrence, par:

* une maturité tardive, le marché s'étant ouvert quatre ans plus tard qu'en métropole, compensée par une concurrence dynamique à compter de l'entrée sur le marché du nouvel opérateur Outremer Télécom et de la reprise de Bouygues Télécom par la société Digicel Ltd, selon ce qui sera exposé plus bas. Le taux de pénétration des services de téléphonie mobile a très rapidement progressé pour dépasser les 100 %, soit un niveau largement supérieur à celui de la métropole (85 %);

* l'existence de barrières à l'entrée, de plusieurs natures, notamment non technique;

* une consommation atypique, dans la mesure où prédominent les offres prépayées, où le pouvoir d'achat est sensiblement inférieur à celui de la métropole et où pourtant les consommateurs caribéens manifestent un fort intérêt pour les nouvelles technologies.

Sur le marché des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane, deux définitions géographiques sont envisageables: une définition nationale, donnée par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ; ou une définition locale, retenue par l'Autorité de la concurrence pour tenir compte des singularités de la zone Antilles-Guyane (§ 77-78 et 403-404 de la notification de griefs).

Les opérateurs de ces marchés dans les années 2004-2006 peuvent être décrits de la manière suivante.

Orange Caraïbe : Orange Caraïbe est l'opérateur historique de la zone Antilles-Guyane et y est présente sur le marché de la téléphonie mobile depuis 1996. Elle est la filiale à 100 % de France Télécom. La marque " Orange Caraïbe " a été utilisée à partir de 2001, en remplacement de la marque " Améris ". Orange Caraïbe est demeurée en monopole de fait jusqu'à l'entrée de Bouygues Télécom sur le marché en décembre 2000. A l'été 2004, Orange Caraïbe détenait plus de 82 % du marché des services de téléphonie mobile. Depuis lors, ses parts de marché ont décliné jusqu'à atteindre fin 2009 entre 50 et 70 % du parc, selon les modes de calcul. Le chiffre d'affaires de la société au début de la période considérée a atteint 320 millions d'euro.

France Télécom : Jusqu'en 2007, France Télécom, société-mère d'Orange Caraïbe, disposait dans la zone Antilles-Guyane d'une part de marché supérieure à 70 % sur le marché des communications vocales fixes. Son principal concurrent sur ces marchés est l'opérateur Outremer Télécom. Le chiffre d'affaires du groupe en début de la période considérée a atteint 46 milliards d'euro. Le dernier chiffre connu à la date du présent arrêt est de 51,7 milliards d'euro.

Bouygues Télécom Caraïbes : Bouygues Télécom Caraïbes, filiale de Bouygues Télécom, est entrée sur le marché en décembre 2000. Elle n'a obtenu sa licence d'exploitation qu'en juillet 2001 mais sa société-mère Bouygues Télécom a bénéficié, avant cette date, d'une autorisation provisoire pour fournir des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane. Bouygues Télécom Caraïbe disposait de 17,5 % de parts de marché en juin 2004 et de 20 % à la fin de l'année 2005. Le 28 avril 2006, Bouygues Télécom Caraïbes a été achetée par la société Digicel Limited, opérateur jamaïcain. Les chiffres d'affaires de BT Caraïbes et du groupe Bouygues Télécom au début de la période considérée ont été respectivement de 76 millions d'euro et 3,6 milliards d'euro.

Outremer Télécom : Outremer Télécom est chronologiquement le troisième opérateur entré sur le marché, en 2005. Outremer Télécom commercialise des services de communications électroniques très variés, tant aux particuliers qu'aux professionnels, (téléphonie fixe et mobile, liaisons louées, accès à Internet). Après s'être concentrée sur les services de télécommunications fixes, Outremer Télécom s'est lancée fin 2004 en Guyane, puis fin 2005 en Martinique et en 2006 en Guadeloupe, dans l'activité de téléphonie mobile. En décembre 2009, Outremer Télécom détient un peu plus de 15 % du marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane (5 p. 100 en valeur). Le chiffre d'affaires de la société pour son premier exercice plein (2006) a atteint 124 millions d'euro.

Procédure

Le 9 juillet 2004, la société anonyme Bouygues Télécom Caraïbe (aux droits de laquelle viendra, procédure pendante, la société Digicel Ltd) a saisi le Conseil de la concurrence d'une plainte à l'encontre d'Orange Caraïbe SA et de sa société-mère, France Télécom SA, dénonçant des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par la société Orange Caraïbe sur le marché des services de téléphonie mobile et par la société France Télécom sur les marchés de la fourniture de liaisons louées et des appels " fixe vers mobile " dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane.

Cette plainte était assortie d'une demande de mesures conservatoires à laquelle le Conseil a accédé le 9 décembre 2004 (décision n° 04-MC-02), assortie d'une obligation de publication auprès des cocontractants et clients concernés. Cette décision, prononçant quatre injonctions imposant à Orange Caraïbe une modification de sa politique commerciale, a été confirmée depuis lors par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 25 juin 2005 (sauf en ce qu'elle a prolongé les délais d'exécution de deux des quatre injonctions).

Le 10 juin 2005, la société Outremer Télécom a également saisi le Conseil de la concurrence d'une plainte dénonçant des pratiques mises en œuvre par France Télécom et sa filiale, sur les marchés de la téléphonie fixe vers mobile et de la téléphonie mobile dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane qui auraient pour objectif d'ériger des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de la téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane.

Les deux plaintes, jointes par décision du rapporteur général le 3 mai 2007, ont conduit à une instruction qui a donné lieu, le 5 août 2008, à une notification de griefs aux sociétés Orange Caraïbe et France Télécom.

Décision

Par décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009, Orange Caraïbe a été sanctionnée pour :

avoir abusé, entre 2000 et 2005, de la position dominante qu'elle détient sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant des clauses d'exclusivité dans les contrats de distribution conclus avec ses distributeurs indépendants;

avoir abusé, entre le printemps 2002 et le printemps 2005 de sa position dominante sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane par le biais de son programme de fidélisation " Changez de mobile " ;

avoir abusé, entre 2003 et 2004, de sa position dominante sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane par la différenciation tarifaire qu'elle a pratiqué entre les appels " on net " et les appels " off net " pour ses cartes " Orange Card Soir et Week-end ", " Orange Card Classique " et " Orange Card Seconde ";

s'être entendue, entre le 1er avril 2003 et le 24 janvier 2005, avec la société Cetelec, seule société agréée dans les Caraïbes pour assurer la réparation des terminaux (téléphones individuels) mobiles, en concluant un contrat comprenant une clause d'exclusivité interdisant la réparation des terminaux commercialisés par des opérateurs concurrents;

Ont également été retenus à l'encontre de France Télécom, deux abus de position dominante sur le marché de la téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane:

la commercialisation de l'offre " Avantage Améris " après l'arrivée de Bouygues Télécom sur le marché en décembre 2000 jusqu'au 21 mai 2005, puis en la maintenant postérieurement à cette date jusqu'à la fin de l'année 2005 pour les clients qui l'avaient déjà souscrite;

dans le cadre de l'appel d'offres du conseil régional de Guyane en 2004, la proposition à des collectivités ou entreprises d'offres de télécommunications "fixe vers mobile" en dessous des coûts qu'un opérateur aussi efficace qu'elle devait nécessairement supporter pour proposer la même prestation.

L'Autorité de la concurrence a, pour aboutir au prononcé de ces sanctions pécuniaires, estimé que, pour conserver sa position dominante, Orange Caraïbe a mis en œuvre une série de pratiques, caractéristiques d'abus de position dominante et d'ententes, s'échelonnant entre 2000 et 2005, sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane. Ces pratiques auraient consisté à lier des distributeurs indépendants par des clauses d'exclusivité, à conclure un accord liant par une exclusivité l'unique réparateur agréé de terminaux dans les Caraïbes, à mettre en place des programmes de fidélisation abusifs et à pratiquer une différenciation tarifaire abusive. Quant à France Télécom, elle se serait livrée à une pratique de ciseau tarifaire afin de favoriser abusivement sa filiale Orange Caraïbe au détriment de ses concurrents.

Certains griefs qui avaient été notifiés ont été écartés:

- grief n° 3 relatif à l'imposition de prix de revente des terminaux;

- seconde branche du grief n° 4 visant de manière générale la pratique d'Orange Caraïbe consistant à ne proposer, pour les offres de forfaits, que des engagements initiaux de 12 mois et des réengagements pour des périodes de 24 mois;

- grief n° 6 relatif à la pratique de ciseau tarifaire reprochée à Orange Caraïbe.

L'ensemble de pratiques, retenues ont été jugées contraires aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 (anciennement, 81 et 82) du TFUE (anciennement, traité UE), car elles ont eu selon l'Autorité de la concurrence, pour objet ou pour effet de créer des obstacles à l'accès au marché ou de rendre plus difficile le développement d'opérateurs concurrents.

Sanctions

Orange Caraïbe et France Télécom se sont vu infliger au titre de l'ensemble des griefs n° 1, 2, 4A et 5, conjointement, et solidairement une sanction pécuniaire de 35 millions d'euro.

France Télécom a également été condamnée seule à une sanction de 7 millions d'euro, pour l'ensemble des deux griefs n° 7 et 8.

Les sanctions pécuniaires ont été affectées ensuite d'une majoration de 50 % pour réitération, de sorte qu'elles ont atteint respectivement 52,5 millions d'euro pour Orange Caraïbe et France Télécom solidairement et 10,5 millions d'euro pour France Télécom seule.

Les sanctions ont été assorties d'une obligation de publication d'un résumé de la décision, élaboré par l'Autorité de la concurrence, dans trois quotidiens régionaux. Cette obligation a été exécutée le 22 janvier 2010.

LA COUR,

Vu la décision n° 09-D-36 de l'Autorité de la concurrence en date du 9 décembre 2009;

Vu les conclusions de la société Orange Caraïbe, en date du 12 février 2010 demandant à la Cour d'appel de Paris de:

A titre principal,

- Annuler les articles 1, 3 et 4 de la décision n° 09-D-36 de l'Autorité de la concurrence en date du 9 décembre 2009,

- et statuant à nouveau, dire et juger qu'il n'est pas établi que la société Orange Caraïbe a enfreint les dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 TFUE,

Subsidiairement,

- Dire et juger que l'injonction de publication est excessive et injustifiée et ordonner toute mesure utile pour en compenser les effets,

- Reformer la décision n° 09-D-36 de l'Autorité de la concurrence en date du 9 décembre 2009 en ce qu'elle condamne la société Orange Caraïbe à payer, à titre de sanction pécuniaire, une somme de 52 500 000 euro, en réduisant substantiellement le montant de ladite sanction,

Ordonner en conséquence la restitution des fonds payés, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ; Dire que les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil. Condamner le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi aux entiers dépens ;

Vu les conclusions en réplique de la société Orange Caraïbe, en date du 21 mai 2010 demandant à la Cour d'appel de Paris de:

A titre principal,

- d'annuler l'ensemble de la procédure devant la cour en application de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales;

- d'annuler par voie de conséquence la décision n° 09-D-36 de l'Autorité de la concurrence en date du 9 décembre 2009;

- de rejeter le recours partiel devant la cour de la société Digicel Ltd en application de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales;

- d'ordonner en conséquence restitution des sommes payées par la société Orange Caraïbe, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir; dire que les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil;

A titre subsidiaire,

- de lui adjuger de plus fort l'entier bénéfice de ses précédentes conclusions;

- de rejeter le recours partiel de la société Digicel Ltd.

En tout état de cause, de condamner le ministre de l'Economie, la société Digicel Ltd et Outremer Télécom aux entiers dépens.

Vu les conclusions de la société France Télécom, en date du 12 février 2010 demandant à la Cour d'appel de Paris de:

Dire et juger France Télécom recevable dans son recours en annulation, et subsidiairement, en réformation,

Déclarant ledit recours bien fondé,

1) Annuler l'entière procédure;

2) Subsidiairement, annuler les articles 1, 2, 3 et 4 de la décision n° 09-D-36 de l'Autorité de la concurrence en date du 9 décembre 2009 et, statuant à nouveau, écarter les griefs notifiés à France Télécom;

3) Très subsidiairement,

- dire et juger que l'injonction de publication est excessive et injustifiée et ordonner toute mesure utile pour en compenser les effets;

- réformer la décision n° 09-D-36 de l'Autorité de la concurrence en date du 9 décembre 2009 en ce qu'elle condamne France Télécom à payer, à titre de sanction pécuniaire, une somme de 10 500 000 euro, en réduisant substantiellement le montant de ladite sanction;

4) En tout état de cause, ordonner la restitution des fonds payés, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et dire que les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

5) Condamner le ministre de l'Economie aux entiers dépens.

Vu les conclusions de la société Digicel Limited, en date du 12 février 2010 demandant à la Cour d'appel de Paris de:

Annuler partiellement et subsidiairement réformer la décision susdite, en ce qu'elle a écarté le grief n° 4, deuxième partie, au motif que l'Autorité n'était pas en mesure de se prononcer dessus en raison du caractère incomplet de l'instruction;

Statuant à nouveau,

Constater qu'Orange Caraïbe demeure en position dominante,

Constater le caractère fidélisant et anticoncurrentiel de son offre,

Condamner conjointement et solidairement Orange Caraïbe et France Télécom à une amende dans la limite du plafond légal,

Subsidiairement,

Dire que l'Autorité a l'obligation de se prononcer sur tous les griefs notifiés et ne peut refuser de statuer sur l'un d'eux du seul fait du caractère incomplet de l'instruction,

En conséquence, annuler partiellement la décision,

et statuant à nouveau,

Renvoyer l'affaire à l'Autorité de la concurrence en vue de procéder à un complément d'instruction iniquement sur ce point.

En tout état de cause, condamner conjointement et solidairement les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom à payer à la société Digicel la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 CPC, et aux dépens;

Vu les conclusions en réplique de la société Digicel Limited, en date du 21 mai 2010, demandant à la Cour d'appel de Paris de:

1) Sur les recours de France Télécom et Orange Caraïbe,

Constater que la position dominante détenue par Orange Caraïbe sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane entre 2002 et 2005 n'est pas contestée,

Constater que, contrairement à ce que soutiennent France Télécom et Orange Caraïbe, la décision n'a commis aucune erreur de droit ou de fait en retenant:

- que la notification de griefs était suffisamment précise et qu'aucune atteinte aux droits de la défense n'est constatée,

- que France Télécom se plaint à tort d'une prétendue violation du secret des affaires qui aurait vicié l'intégralité de la procédure,

- qu'il existe un marché de la prestation de terminaison d'appels mobiles à destination du réseau Orange Caraïbe dominé par cette dernière,

- que France Télécom est en position dominante sur le marché de la téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane,

- que le droit communautaire est applicable,

- qu'Orange Caraïbe a abusé de sa positon dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant à ses distributeurs des obligations d'exclusivité et de non-concurrence leur interdisant de commercialiser des services concurrents et qui n'étaient en rien justifiées par la nécessité de protéger des investissements,

- qu'Orange Caraïbe s'est entendue avec Cétélec Caraïbe par la signature de contrats envisageant des obligations d'exclusivité et de non-concurrence interdisant à ce dernier d'assurer des services de réparation et de maintenance pour tout concurrent de l'opérateur et que cette entente n'est aucunement justifiée par les investissements consentis par Orange Caraïbe,

- qu'Orange Caraïbe a abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant un réengagement de 24 mois pour l'utilisation des points de fidélité du programme " Changez de Mobile " du printemps 2002 au printemps 2005,

- qu'Orange Caraïbe a abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en pratiquant une discrimination tarifaire injustifiée entre les appels à destination de son réseau (on net) et ceux à destination des autres opérateurs (et notamment Bouygues Télécom Caraïbe),

- que France Télécom a abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane en appliquant à de nombreux clients professionnels et entreprises une réduction sur les appels depuis un poste fixe à destination du réseau de sa filiale Orange Caraïbe exclusivement (Avantage Améris),

- que le développement de Bouygues Télécom Caraïbe a été artificiellement limité et retardé par les pratiques d'Orange Caraïbe;

- que les mesures conservatoires ont bien eu des effets sur le marché et largement contribué au développement de la concurrence après 2005 mais qu'il y a lieu de relativiser ce développement compte tenu de la part de marché en valeur extrêmement forte d'Orange Caraïbe.

- que les pratiques d'Orange Caraïbe sont imputables à France Télécom.

Constater que les sanctions prononcées sont proportionnées à la gravité des faits, au dommage à l'économie constaté, et à la situation de l'entreprise,

Constater que la réitération des pratiques du chef de France Télécom a été retenue à bon droit,

En conséquence, rejeter les recours de France Télécom et Orange Caraïbe.

2) Sur le recours partiel de Digicel,

A titre principal,

Dire et juger que le dossier d'instruction contient tous les éléments permettant de se prononcer sur l'offre de réengagement de deux ans avec subvention du terminal proposée par Orange Caraïbe dans le cadre de l'offre " Changez de mobile " après le printemps 2005, offre qui fait l'objet de la seconde partie du grief n° 4 notifié à Orange Caraïbe et à France Télécom le 4 août 2004.

En conséquence, annuler partiellement, et subsidiairement

Reformer, la décision n° 09-D-36 de l'Autorité de la concurrence du 9 décembre 2009 uniquement en ce qu'elle a écarté ce grief en indiquant qu'elle n'était pas en mesure de se prononcer dessus en raison du caractère incomplet de l'instruction.

Et, statuant à nouveau,

Constater qu'Orange Caraïbe, qui conservait encore une part de marché de plus de 650A (sic) en 2007, demeure en position dominante,

Constater le caractère fidélisant et anticoncurrentiel de cette offre, qui a privé les opérateurs alternatifs de l'accès à la part la plus rentable du marché et les clients concernés de la possibilité de bénéficier des tarifs plus avantageux proposés par la concurrence.

Condamner conjointement et solidairement Orange Caraïbe et France Télécom de ce fait à une amende dans la limite du plafond légal prévu à l'article L. 464-2 du Code de commerce, paragraphe 4.

Subsidiairement

Dire et juger que l'Autorité de la concurrence a l'obligation de se prononcer sur tous les griefs notifiés et ne peut refuser de statuer sur l'un d'eux du seul fait du caractère incomplet de l'instruction.

En conséquence, annuler partiellement la décision n° 09-D-36 de l'Autorité de la concurrence du 9 décembre 2009 uniquement en ce qu'elle a omis de se prononcer sur la seconde partie du grief n° 4.

Et, statuant à nouveau,

Renvoyer l'affaire à l'Autorité de la concurrence en vue de procéder à un complément d'instruction uniquement sur ce point précis.

3) Condamner solidairement France Télécom et Orange Caraïbe au paiement de la somme de 50 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens;

Vu les conclusions de la société Outremer Télécom, en date du 9 mars 2010, demandant à la Cour d'appel de Paris de rejeter les recours formés par Orange Caraïbe et France Télécom et d'accueillir le recours formé par la société Digicel Ltd;

Vu les observations de l'Autorité de la concurrence, en date du 20 avril 2010; les observations de la ministre chargée de l'Economie en date du 20 avril 2010 ; les observations de Monsieur le Procureur général en date du 10 juin 2010;

Ouï à l'audience du 22 juin 2010, les parties, la représentante de l'Autorité de la concurrence, celle de la ministre chargée de l'Economie et Monsieur l'Avocat général, les parties ayant pu répliquer et ayant eu la parole en dernier;

Sur quoi

A - Procédure

A1 - Procédure devant le Conseil puis l'Autorité : Imprécision des griefs et de la définition du marché

Considérant que la société France Télécom avance qu'une notification de griefs doit nécessairement être claire et précise, de sorte que les entreprises puissent utilement présenter leur défense ; qu'en l'espèce, les deux griefs notifiés à la société France Télécom ont été formulés de façon générale et indéterminée quant à la période qui pouvait être concernée par les pratiques alléguées et quant à leur portée matérielle;

Mais considérant qu'un grief est un ensemble de faits juridiquement qualifiés et imputés à une entreprise ; que les griefs énoncés doivent être interprétés par référence aux développements préalables du rapporteur;

Qu'ainsi définis de manière large, les griefs doivent être communiqués de sorte d'être soumis à la discussion éclairée des entreprises mises en cause; que cette communication exigée par l'article L. 463-2 du Code de commerce doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance du comportement qui leur est reproché par l'autorité de concurrence;

Que cette exigence est respectée lorsque la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l'occasion de s'expliquer;

Considérant qu'en l'espèce, s'agissant des griefs qui concernent France Télécom, requérante sur ce moyen, il résulte bien du corps de la notification des griefs que la pratique visée par le grief n° 7 est la commercialisation par France Télécom de "l'Avantage Améris" lors de l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000, jusqu'au 21 mai 2002, puis son maintien postérieurement à cette date pour les clients qui l'avaient déjà souscrit (voir à ce sujet les paragraphes 316 et 318 de la notification de griefs) ; que le dies a quo correspond à l'arrivée d'un concurrent sur le marché, le premier dies ad quem à la fin de la commercialisation de l'offre litigieuse, et la période postérieure au maintien du bénéfice de l'avantage "Améris" pour les clients qui l'avaient souscrits en temps voulu ; que loin d'être imprécis ou arbitraire, ce découpage chronologique correspond à une évolution économique et commerciale sur laquelle France Telecom a pu s'expliquer;

Qu'en ce qui concerne le grief n° 8, et sans préjudice des mérites au fond dudit grief examinés plus loin, il ressort des paragraphes 339 à 347 de la notification que celui qui porte le numéro 8 porte sur une offre "fixe vers mobile" de France Télécom avec un prix unitaire de base par minute de communication de 0,12 euro hors taxes, lors d'un appel d'offres passé par le conseil régional de Guyane en 2004 (voir à ce sujet les paragraphes 339 à 347 de la notification de griefs) ; que le reproche d'imprécision est particulièrement infondé;

Que s'agissant de la portée des griefs, les réponses apportées par France Télécom à la notification de griefs (dans les pages 26 à 38 de ses observations du 5 novembre 2008) et au rapport (pages 33 à 50 de ses observations du 14 août 2009) montrent que l'entreprise mise en cause a été en mesure de se défendre en toute connaissance de cause;

Considérant que dans ces conditions, la société France Télécom ne démontre pas que les droits de sa défense auraient été compromis;

Considérant que la société France Télécom fait également valoir que la définition du marché est imprécise et qu'en conséquence l'Autorité ne pouvait retenir un objet et un effet anticoncurrentiel sur un segment spécifique d'un marché sans apporter une démonstration appropriée;

Mais considérant qu'il ne peut être reproché à l'Autorité de la concurrence d'avoir retenu une délimitation du marché différente de celle qui a été proposée par le rapporteur, dès lors que l'analyse de l'Autorité est basée sur des éléments qui ont tous été soumis à la contradiction;

Qu'en l'espèce, et comme énoncé précédemment dans le présent arrêt, la notification de griefs a identifié trois marchés ou segments de marché sur lesquels pouvait être caractérisée une position dominante soit de France Télécom soit d'Orange Caraïbe: - le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane (position dominante d'Orange Caraïbe); - le marché des prestations de terminaison d'appels mobiles à destination du réseau Orange Caraïbe (monopole d'Orange Caraïbe); - le marché des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane (position dominante de France Télécom); que s'agissant de ce dernier marché, le rapporteur, ainsi que mentionné précédemment dans le présent arrêt, a exposé les deux définitions géographiques envisageables - définition nationale (comme l'a retenu l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) ou définition locale si l'on tenait compte des singularités de la zone Antilles-Guyane (ce qu'a finalement retenu le rapporteur); que ces définitions des marchés pertinents ont été maintenues dans le rapport; que dans la décision (§ 185 à 231), la définition locale a été clairement retenue à l'issue d'une motivation complète ; que France Télécom a pu débattre de la délimitation de ces marchés et présenter ses observations tout au long de la procédure contradictoire ainsi que le révèlent ses écritures en réponse à la notification des griefs (pages 21 à 26 de ses observations écrites du 5 novembre 2008) et au rapport (pages 27 à 32 de ses observations écrites du 14 août 2009);

Qu'ainsi le moyen tiré, sur le plan procédural, de l'imprécision ou des incertitudes de la délimitation des marchés pertinents apparaît devoir être rejeté;

A2 - Procédure devant le Conseil puis l'Autorité : Violation du secret des affaires

Considérant que la société France Télécom prétend qu'elle n'a pas été en mesure de formuler des demandes de traitement confidentiel dans le cadre de certains appels d'offres dans la zone Antilles-Guyane ; qu'elle a donc été privée d'un recours effectif au sens d'un arrêt rendu par la présente cour le 9 avril 2009 ; qu'il en ressort une grave atteinte à ses droits de la défense qui font encourir à l'intégralité de la procédure son annulation;

Mais considérant que si aucune demande n'est présentée, les informations et documents sont réputés ne pas mettre en jeu le secret des affaires ; qu'il s'en évince que la violation du secret ne saurait entraîner la nullité de la procédure, donc de la décision, que s'il résulte de cette violation une atteinte irrémédiable et concrète aux droits de la défense, dont la preuve incombe à l'entreprise qui s'en plaint;

Qu'en l'occurrence, la société France Télécom ne démontre pas en quoi la prétendue violation de son droit à la protection du secret des affaires aurait porté atteinte aux droits de la défense en l'empêchant de répondre de manière efficace aux griefs qui lui avaient été notifiés;

A3- Procédure devant le Conseil puis l'Autorité : Défaut de réponse aux observations des mis en cause

Considérant que la société Orange Caraïbe prétend que la motivation de la décision est restée inchangée depuis l'analyse prima facie retenue dans la décision de mesures conservatoires, qu'un tel défaut d'évolution est inadmissible compte tenu des cinq années d'instruction et de l'étude économique produite par Orange Caraïbe mais ignorée par l'Autorité ; que sur ce point précis, la société Orange Caraïbe conteste le traitement qui a été réservé à l'étude du cabinet économique MAPP qu'elle a soumise à l'Autorité de la concurrence; que bien qu'elle ait été reconnue pleinement recevable devant l'Autorité, cette étude a été écartée des débats devant l'Autorité ; que la requérante conteste l'argument de l'Autorité selon lequel elle ne pouvait se référer à l'étude dans la mesure où Orange Caraïbe avait demandé l'occultation de l'essentiel au titre de la protection du secret des affaires; qu'à cet égard, Orange Caraïbe relève que l'Autorité a tout de même pris le soin de répondre aux arguments sous-tendant l'étude économique en les critiquant et qu'en tout état de cause, l'Autorité aurait pu faire procéder au déclassement des données occultées selon la faculté qui lui est réservée par l'article R. 463-15 du Code de commerce;

Qu'en somme, la motivation de la décision tient toute entière dans le résultat recherché à tout prix;

Mais considérant que les décisions de l'Autorité étant motivées en droit et en fait, aucune nullité ne saurait résulter de ce qu'elle n'a pas examiné de manière exhaustive et dans le détail toute l'argumentation de l'entreprise mise en cause, ni même toutes les pièces fournies à l'appui de cette argumentation; que l'entreprise a du reste tout loisir de soumettre à nouveau les mêmes arguments et les mêmes annexes à la cour au soutien de son recours de pleine juridiction, qu'il s'agisse d'éléments non écartés expressément par la décision ou d'éléments que l'Autorité a considérés comme erronés ou dénués de pertinence; qu'il appartient alors à la cour de tirer, dans sa motivation au fond, toute conséquence de ce que l'Autorité n'a pas développé de réponse aux thèses ou aux documents qui seraient de nature à faire douter du bien-fondé de la poursuite et de la sanction;

A4 - Procédure devant la cour

A41 - Recevabilité de l'appel incident de la société Digicel Ltd

Considérant que la société Orange Caraïbe demande à la cour de rejeter le recours partiel de la société Digicel Ltd en application de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales;

Mais considérant, par application des articles L. 464-8, R. 464-12 et R. 464-16 du Code de commerce, que les décisions de l'Autorité de la concurrence mentionnées à l'article L. 464-2 du même code sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l'Economie qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la Cour d'appel de Paris;

Qu'il n'est pas fait de distinction dans ce texte selon que le recours est principal ou incident; ni selon qu'il émane d'une entreprise qui avait saisi l'Autorité de la concurrence ou d'une entreprise qui a été mise en cause;

Que dès lors, et sans préjudice du mérite de ce recours, examiné plus bas, la société Digicel Ltd, qui était partie devant l'Autorité, était recevable à former un recours incident, en soutenant pour le surplus les observations de l'Autorité de la concurrence;

A42 - Egalité des armes entre les parties et l'Autorité

Considérant que la société Orange Caraïbe invoque, au visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, son droit au respect de l'égalité des armes et son droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant, car la faculté de l'Autorité de la concurrence de déposer des observations écrites répondant aux critiques émises par Orange Caraïbe à l'encontre de sa propre décision sont de nature à accorder à une autorité quasi-juridictionnelle de première instance le droit de défendre sa propre décision et donc de disposer d'un statut assimilable à celui d'une partie au litige, ce que traduit au demeurant le ton des observations déposées devant la cour;

Mais considérant que l'Autorité de la concurrence est, selon l'article L. 461-1, (I), modifié par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 en son article 95-V, une autorité administrative indépendante ; qu'elle veille au libre jeu de la concurrence et apporte son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés aux échelons européen et international;

Qu'elle n'est et ne peut être par conséquent partie à une procédure, puisqu'elle inflige des sanctions;

Qu'elle ne peut davantage être une juridiction ou " quasi-juridiction " de première instance, puisque (i) elle participe d'une politique publique; que (ii) le statut de ses membres ou son organisation ne prétendent pas garantir l'impartialité au sens de la Convention ESDH; que (iii) par application du (II) de l'article L. 461-1 du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence n'est pas dotée d'une commission des sanctions et œuvre à travers un collège unique ; enfin que (iv) le Président de l'Autorité est désormais doté d'un droit de pourvoi en cassation;

Que les dispositifs de ce type ont été, dès avant la loi du 4 août 2008 (Civ. 1°, 4 fév. 1997 et 5 oct. 1999) et postérieurement encore (CEDH 24 septembre 2009, Mérigaud c/ France), jugés conformes à la Convention susdite, à la condition qu'un contrôle de pleine juridiction soit exercé, même a posteriori, par une cour dont l'indépendance et l'impartialité soient incontestables ; qu'Orange Caraïbe ne tente pas de contrebattre cette jurisprudence;

Que la constitutionnalité des dispositions légales qui consacrent la position particulière de l'Autorité n'est pas davantage critiquée par la société Orange Caraïbe;

Considérant par ailleurs que l'Autorité tient, en vertu de ses caractéristiques sui generis, des dispositions cumulées des articles L. 461-4 al. 7 et R. 461-1 al. 2 du Code de commerce, le droit de présenter, dans la procédure de recours, des observations écrites portées à la connaissance des parties ; qu'il ne s'agit pas, contrairement aux énonciations des écritures soumises à la cour, d'un mémoire en défense d'une administration devant son juge, mais d'une prérogative expressément affirmée par la loi par exception au Code de procédure civile applicable devant la juridiction judiciaire; que ces dispositions, dont la constitutionnalité pour la première et la légalité pour la seconde n'ont fait l'objet d'aucun recours approprié de la société Orange Caraïbe, ne méconnaissent pas en elles-mêmes l'exigence d'un procès équitable, dès lors que les parties disposent de la faculté de répliquer par écrit et oralement à ces observations (Com., 22 fév. 2005) ; que les mêmes considérations s'appliquent à propos des observations orales faites par l'Autorité à l'audience de la cour (Colas, 16 juin 2009);

Que la tonalité des écritures de l'Autorité est de même sans effet sur l'analyse juridique de sa participation à la procédure;

A43 - Effectivité du recours

Considérant que la société Orange Caraïbe fait valoir, au visa réitéré de l'article 6 de la Convention ESH, qu'elle a été privée de son droit à un recours effectif dans la mesure où l'Autorité a introduit de nouveaux éléments qui ne figuraient pas dans la décision déférée, notamment d'ordre économique se rapportant à la première branche du grief n° 4 (programme " Changez de mobile ") et au grief n° 5 (différenciation tarifaire des appels on-net et off-net) ; que le loisir laissé aux parties de répliquer aux observations de l'Autorité n'est pas de nature à modifier le caractère irrémédiable de l'atteinte à ses droits de la défense puisque les éléments nouveaux portés à la connaissance de la cour peuvent définitivement biaiser la conviction de la cour, peu important que ces éléments nouveaux soient finalement écartés des débats ; qu'en conséquence, la requérante demande l'annulation de la décision de l'Autorité;

Mais considérant qu'il n'est pas interdit à l'Autorité d'étoffer son argumentation devant la cour par rapport à la décision elle-même, dès lors que la cour examine à nouveau l'ensemble des faits instruits par le rapporteur;

Qu'il est seulement prescrit à l'Autorité de la concurrence, pour user de la faculté qui lui est ainsi reconnue, de se soumettre aux délais fixés par le premier président ou son délégué conformément à l'article R. 464-18 du Code de commerce, ce qu'elle a scrupuleusement respecté en l'espèce;

B - Fond

B1 - Applicabilité du droit européen

Considérant que la décision a fait application exprès des articles 101 et 102 du traité FUE;

Considérant que la société France Télécom estime que les services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane ne font pas l'objet d'échanges entre Etats membres, que les pratiques reprochées à France Télécom et à Orange Caraïbe ne sont pas susceptibles d'affecter les échanges entre Etats membres et qu'une telle affectation ne peut être sensible notamment car le marché concerné n'est que local;

Considérant que la société Orange Caraïbe avance elle aussi que les pratiques qui lui sont reprochées ne sont pas susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres et qu'en conséquence, le droit européen ne peut trouver application;

Considérant que la société Digicel Ltd rétorque que l'article 299 du traité CE (devenu art. 355 TFUE) prévoit que les dispositions du traité " sont applicables aux départements français d'outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries "; que la téléphonie mobile est par nature transfrontalière ; que le service de terminaison d'appels qui permet aux clients des opérateurs de l'Union de joindre les abonnés d'Orange Caraïbe aux Antilles-Guyane fait l'objet de contrats entre opérateurs et l'existence même de ces accords, passés entre différentes sociétés européennes afin d'assurer l'acheminement des appels passés depuis ou vers leurs réseaux, atteste de l'existence d'échanges, portant sur ces services entre des opérateurs de plusieurs Etats membres; qu'il y a bien échanges entre Etats membres lorsque d'une part des abonnés Orange Caraïbe situés dans les Caraïbes émettent des appels vers d'autres Etats membres et lorsque, d'autre part, ils reçoivent des appels de consommateurs se trouvant dans d'autres Etats membres ; que cette situation est d'autant plus incontestable que l'on ne saurait nier le caractère très touristique des Caraïbes;

Que dès lors, les pratiques ayant pour effet d'élever des barrières à l'entrée et de fermer un marché de la communauté sont de nature à affecter le commerce intracommunautaire; que s'agissant du critère des pratiques susceptibles d'affecter les échanges intracommunautaires les pratiques en cause, en ce qu'elles ont artificiellement élevé des barrières à l'entrée ont, au moins potentiellement, empêché des opérateurs de l'Union présents dans la région de pénétrer le marché dans la zone Antilles-Guyane;

Que s'agissant du caractère sensible de cette affectation, l'Autorité s'est à bon droit fondée sur la dimension européenne du groupe de téléphonie France Télécom et de sa filiale Orange Caraïbe, présent dans plusieurs pays européens et sur le fait que le chiffre d'affaires réalisé (supérieur à 40 milliards d'euro à l'époque des faits) résultait de postions fortes détenues sur les marchés pertinents en cause, 300 millions d'euro et une part de marché de 80 % de France Télécom et Orange Caraïbe constituant à eux seuls des indices forts de la sensibilité de l'affectation du marché communautaire;

Mais considérant que l'application du droit européen suppose la réunion de trois conditions cumulatives, énoncées dans la Communication de la Commission européenne - Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du traité FUE (anciennement, 81 et 82 traité CE) : l'existence d'échanges entre Etats membres portant sur les produits ou les services faisant l'objet de la pratique, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges, le caractère sensible de cette affectation;

Que ces conditions, dont l'accomplissement conduit à un renforcement possible de la répression, s'interprètent de manière stricte; que de ce point de vue, l'affirmation selon laquelle les groupes concernés par la présente affaire sont de dimension internationale ne saurait suffire à fonder la position de la cour ; qu'il en est de même de l'affirmation selon laquelle les clients ont vocation à communiquer téléphoniquement avec des concitoyens de l'Union et réciproquement, ou celle subséquente selon laquelle les opérateurs passent nécessairement entre eux des conventions transfrontalières, considérations qui conduiraient à écarter systématiquement le droit national ;

Considérant que sur l'exigence d'un courant d'échanges entre au moins deux Etats membres, soit la première condition nécessaire à l'application du droit européen, la demande, qui émane uniquement de consommateurs, d'entreprises et de collectivités résidant dans la zone, est purement locale tandis que l'offre est également strictement locale, notamment en raison des contraintes matérielles qui sont propres à la zone Antilles-Guyane;

Considérant que sur le deuxième critère, pour que les échanges entre Etats membres soient potentiellement affectés, il faut d'une part, que la structure de la concurrence à l'intérieur du marché commun soit affectée de telle sorte qu'un concurrent sera évincé ou menacé de l'être et, d'autre part, que l'entrée d'opérateurs provenant d'autres Etats membres sur le marché de la zone Antilles-Guyane soit rendue plus difficile; que si cette affectation peut reposer sur une influence indirecte et potentielle, elle ne peut " reposer sur une influence éloignée ou hypothétique " (point 43 des lignes directrices précitées); qu'en l'espèce, le seul opérateur non français qui s'est manifesté sur le marché concerné n'était pas ressortissant de l'Union, mais jamaïcain : que dès lors, l'Autorité ne se fonde que sur des éléments qui ne permettent pas d'établir une influence quelconque, même potentielle ; qu'à cet égard, la possibilité que des concurrents européens puissent souhaiter entrer sur le marché est demeurée purement théorique, donc insuffisante;

Considérant que sur le troisième critère (affectation sensible du commerce intracommunautaire), il est nécessaire, notamment dans le cas où seule une partie d'un Etat membre constitue le marché géographique pertinent, de se référer au volume de ventes global concerné par rapport au volume national; qu'à cet égard, la mise à l'écart par la décision de l'exigence de détermination en volume de la part de marché national prétendument affectée par la pratique anticoncurrentielle, au motif que cette exigence prévue par les lignes directrices de la Commission ne s'appliquerait qu'aux ententes, n'a pas lieu d'être ; que le respect de cette exigence par l'Autorité l'aurait conduite à écarter l'existence d'une affectation sensible du commerce intracommunautaire, étant observé à titre superfétatoire que le chiffre d'affaires du groupe France Télécom aux Caraïbes a représenté 0,75 p. 100 du chiffre national;

Considérant qu'il y a lieu par conséquent d'annuler la décision en ce qu'elle a été rendue au visa exprès des articles 101 et 102 du traité FUE;

Que, saisie par des parties en cause d'un recours en annulation ou en réformation de la décision de l'Autorité, la cour d'appel, après avoir annulé cette décision, est tenue de statuer en fait et en droit sur les demandes des parties;

B2 - Détermination des marchés pertinents

B21 - Segmentation du marché " Mobile " opérée par l'Autorité

Considérant que la société Orange Caraïbe soutient que les griefs qui ont été retenus contre elle sont inopérants car l'analyse qui les sous-tendent n'a pas été conduite sur des marchés correctement identifiés, notamment en ce que les deux segments examinés n'ont pas couvert tout le périmètre du marché, ce qui n'est permis, pour caractériser une position dominante, qu'à titre de complément d'une analyse globale;

Que dans le cas particulier du marché de gros de la terminaison d'appels mobiles, la délimitation d'un tel marché amont est artificielle car elle aboutit à une présentation restrictive de la prestation de gros et n'inclut pas les mécanismes de substitution tels que les "hérissons" ;

Mais considérant que lorsque la segmentation d'un marché n'apporterait aucune information supplémentaire sur le pouvoir de marché dont dispose l'entreprise concernée, par exemple lorsque celle-ci occupe la même position quelle que soit la segmentation retenue, il n'est pas nécessaire de procéder à une telle segmentation, ainsi que l'affirme à juste titre la décision (§ 191); que tel est le cas en l'espèce (eod.loc., § 187 suiv.) ; que dès lors, le fait de retenir un marché pertinent plus large n'interdit pas de constater que les effets des pratiques mises en œuvre ont été plus ou moins importants sur certains segments de ce marché (eod.loc., § 190);

Considérant que dans le cas particulier, Orange Caraïbe a recouru à des " hérissons ", procédés techniques permettant à un opérateur désirant acheminer un appel vers la ligne d'un abonné d'un autre opérateur de faire passer l'appel sur une carte SIM de ce dernier opérateur (§ 210); que ce procédé permet à certains opérateurs, ou à certaines entreprises, de ne pas avoir à s'acquitter du prix d'interconnexion directe, souvent supérieur au prix de détail des appels passés au départ des réseaux mobiles ; qu'en effet, l'appel passé par le biais d'un " hérisson " devient un appel on net du réseau de l'abonné destinataire et est facturé comme tel à l'appelant;

Que, comme l'a explicité l'Autorité de la concurrence (décision, paragraphes 119 et suivants), les mécanismes de "hérissons" représentaient, à l'époque des faits et dans les territoires concernés, une solution juridiquement précaire, reposant sur une tolérance de certains opérateurs; que cette précarité était confirmée par l'article 13.4 des conditions générales de vente du service " Orange entreprises Liberté " (...) dont Outremer Télécom souligne l'applicabilité au mécanisme des "hérissons" : "La carte SIM étant conçue pour fonctionner dans des terminaux agréés GSM, seule l'utilisation de ces terminaux est conforme à la destination de cette carte. OC ne saurait être tenu responsable du non-fonctionnement ou de la défaillance de la carte SIM utilisée dans un terminal non agréé. L'utilisation de la carte SIM dans un terminal non-agréé peut entraîner la résiliation du contrat d'abonnement comme stipulé dans l'article 15.3";

Que dès lors, la question de l'inclusion ou non des " hérissons " dans la périmètre du marché pertinent n'a pas d'incidence sur la position occupée par Orange Caraïbe sur ce marché ; qu'en toute hypothèse, Orange Caraïbe était l'unique offreur ; que les "hérissons" s'appuient en effet sur des offres de détail d'Orange Caraïbe, pour lesquelles les prix des appels on net sont inférieurs à la charge de terminaison d'appels; que les opérateurs de détail concurrents ne sont pas en mesure de proposer des prix de détail aussi attractifs pour les appels à destination du réseau d'Orange Caraïbe puisqu'ils doivent reverser à ce dernier, pour la réalisation de ces appels, la prestation de terminaison des appels;

Considérant que le recours sera rejeté de ce chef;

B22 - Délimitation du marché de gros de la terminaison d'appels mobiles

Considérant que la société Orange Caraïbe fait valoir que la délimitation d'un marché amont de la terminaison d'appels serait inappropriée et artificielle; que l'identification d'un monopole de fait de chaque opérateur sur la terminaison d'appels de son propre réseau peut être pertinente dans le cadre de la réglementation sectorielle, mais s'avère inadaptée pour l'application du droit commun de la concurrence en ce qu'elle aboutirait à une présentation restrictive de la prestation de gros et de la position des opérateurs;

Mais considérant que chaque opérateur de réseau mobile, en monopole sur la terminaison d'appels sur son propre réseau, est en position dominante sur ce marché ; que ce monopole de fait résulte de la nécessité, pour tout opérateur, de permettre à ses clients d'appeler leurs interlocuteurs quel que soit le réseau auquel ils appartiennent; que cette nécessité commerciale est d'ailleurs conforme à la réglementation résultant de l'article L. 34-8 du Code des postes et télécommunications électroniques aux termes duquel les opérateurs de télécommunications sont tenus de terminer les appels quel que soit le réseau de destination ; que la question de l'inclusion ou non des " hérissons " dans le périmètre du marché pertinent n'a pas d'incidence sur la position occupée par Orange Caraïbe sur ce marché;

Qu'il en ressort qu'Orange Caraïbe occupe une position dominante sur le marché des prestations de terminaison d'appels mobiles à destination de son réseau et que le reproche qu'elle adresse à la décision de ce chef est infondé;

B23 - Segmentation du marché " Fixe " opérée par l'Autorité

Considérant que la société France Télécom, relève que la décision qu'elle attaque semble considérer que les appels "fixe vers mobile" forment simplement un " segment " du marché plus large des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane et non pas un marché en soi ; que cependant, elle n'en tire pas les conclusions qui s'imposent au plan de l'analyse et n'apporte, pas plus que l'instruction, aucune analyse du fonctionnement et de la structure de ce " segment "; que la décision confirme en outre l'appréciation erronée de l'instruction du rôle joué par les " hérissons " et passe d'une analyse globale à celle des effets sur le seul segment " entreprises et collectivités " ; qu'en l'absence de justification de telles imprécisions ou de preuves, et l'affirmation d'une dominance étant en cause, la décision est entachée d'un défaut de motivation et porte atteinte au principe de sécurité juridique;

Mais considérant que, comme énoncé précédemment à propos de la segmentation du marché de la téléphonie mobile, lorsque la segmentation d'un marché n'apporterait aucune information supplémentaire sur le pouvoir de marché dont dispose l'entreprise concernée, par exemple lorsque celle-ci occupe la même position quelle que soit la segmentation retenue, il n'est pas nécessaire de procéder à une telle segmentation, ainsi que l'affirme à juste titre la décision (§ 191) ; que tel est le cas en l'espèce (eod.loc., § 223); que dès lors, le fait de retenir un marché pertinent plus large n'interdit pas de constater que les effets des pratiques mises en œuvre ont été plus ou moins importants sur certains segments de ce marché (eod.loc., § 224);

Que dès lors, le reproche articulé par France Télécom n'est pas fondé;

B3 - Causalité générale des dysfonctionnements du marché " Mobile "

Considérant que la société Orange Caraïbe allègue, à titre général et indépendamment de chaque grief articulé contre elle, que l'incapacité de Bouygues Télécom Caraïbe à gagner puis à conserver des parts de marché ne peut être raisonnablement imputée à Orange Caraïbe dans la mesure où elle découle de l'inefficacité de la politique commerciale de Bouygues Télécom Caraïbes ;

Que la société fait valoir que la décision ignore la part très importante de consommateurs adressables, c'est-à-dire susceptibles de changer d'opérateur, presque la moitié du parc étant libre de tout engagement et le taux de résiliation étant très élevé ; que la prééminence du modèle de distribution monomarque découle directement des exigences du marché local ; que l'échec commercial de Bouygues Télécom Caraïbe ne peut, dans un tel contexte, être imputé qu'à sa propre inefficacité et à sa mauvaise stratégie commerciale qui s'est essentiellement calquée sur celle de la métropole en faisant fi des caractéristiques propres au marché des Caraïbes ; que la réussite d'un opérateur entrant sur le marché n'est fonction que de l'efficacité de celui-ci; qu'il faut encore observer que Bouygues n'a tiré aucun profit de l'exécution des mesures conservatoires exigées par le Conseil de la concurrence, qui ont été dépourvues d'effet sur le marché, ce qui tend à démontrer la mauvaise stratégie de l'entreprise à l'origine de la saisine de l'Autorité;

Mais considérant que, comme le conclut la société Digicel Ltd, l'accusation d'inefficacité que profère Orange Caraïbe contre Bouygues Télécom Caraïbes, qu'absorbera la société Digicel Ltd, procède à la fois d'une comparaison avec les résultats d'Outremer Télécom, présentés comme meilleurs, et d'une analyse péjorative de l'effet des mesures conservatoires ordonnées en 2005 ; que ces deux affirmations ne sont corroborées par aucun élément probant;

Que, sur l'évolution d'Outremer Télécom, l'ARCEP a évalué les parts de marché de cette société à moins de 5 p.100 en 2007, fin de la période d'incrimination, ce qui semble indiquer que des stratégies commerciales diverses, celle de Bouygues Télécom Caraïbes ou celle d'Outremer Télécom, ont abouti aux mêmes résultats médiocres, en raison de la présence d'Orange Caraïbe;

Que les mesures conservatoires, si elles ont produit leur effet de libération du segment " cartes " et de nouvelles incitations à entrer sur le marché, n'ont pas conduit à un renversement du marché, sur lequel Orange Caraïbe est resté dominant; que d'ailleurs, ce n'est qu'après l'intervention du Conseil de la concurrence que la société Digicel Ltd et Outremer Télécom sont entrées sur le marché ; qu'en effet, la première injonction (art. 1er) prévue par la décision de mesures conservatoires du 9 décembre 2004, confirmée par la cour d'appel dans son arrêt du 28 janvier 2005, enjoignait à la société Orange Caraïbe, à titre conservatoire, de supprimer dans tous les contrats, en cours ou à venir, conclus avec ses distributeurs indépendants les obligations d'exclusivité liant ces derniers ; qu'ainsi, les développements de la société Digicel Ltd - qui a racheté la société Bouygues Télécom Caraïbe en 2006 - et de la société Outremer Télécom - qui n'est entrée sur le marché guadeloupéen qu'en 2006 - postérieurs à l'exécution de ces injonctions, ne peuvent, à l'évidence, prouver que les clauses d'exclusivité, alors supprimées, n'auraient produit aucun effet;

Que dès lors, le reproche fait à la décision n'est pas fondé;

- Effets généraux des pratiques incriminées

Considérant que la société Orange Caraïbe dénie en outre tout verrouillage du marché;

Que la société expose que le pouvoir de marché rapidement acquis par Outremer Télécom (6,4 % acquis en un mois (décembre 2004) et 17 % fin 2005 sur le marché de la Guyane, 10 % aux Antilles en 12 mois d'activité), nouvel entrant sur le marché ayant déployé une politique commerciale efficace, témoigne de l'inanité du reproche; que la société Orange Caraïbe fait valoir dans le même sens que ses propres parts de marché se sont fortement érodées, passant de 80 % en 2001 à 45 % fin 2008 ; que la société Orange Caraïbe relève encore que la décision elle-même a cru pouvoir dénoncer l'existence de barrières à l'entrée non techniques découlant notamment de la maturité du marché, tout en relevant que les nouveaux entrants ont réalisé un développement " spectaculaire " ; qu'au demeurant et pour confirmer ce qui précède, les opérateurs concurrents d'Orange Caraïbe n'ont mis à profit aucune des mesures conservatoires, de sorte que le pouvoir de marché qu'ils ont acquis ne peut s'expliquer que par leurs mérites;

Mais considérant que, comme le conclut la société Digicel Ltd, la société Orange Caraïbe, première arrivée sur le marché, a proposé son offre " Changez de mobile " qui consistait à procurer aux clients une remise sur l'achat d'un " terminal " (poste téléphonique mobile), sous réserve d'un réengagement de deux ans, a un objet et un effet clairement fidélisant;

Que le rapport du cabinet MAPP, fourni par Orange Caraïbe, qui étudie une cohorte de clients, ne fait - sans préjudice de ses autres limites examinées plus bas (B5-3) - que confirmer l'importance de cet effet de fidélisation puisqu'il met en lumière un taux très important de clients fidélisés, les autres clients étant résiliés pour la plupart par Orange Caraïbe elle-même pour impayés;

Que cette clientèle fidélisée, qui est la plus rentable, ne peut être recrutée par les autres opérateurs, même compétitifs en raison (i) de l'effet incitatif du programme " Changez de mobile " qui promet un mobile gratuit à qui aura accumulé suffisamment de points, et (ii) de la longueur et du chevauchement des périodes de réengagement durant lesquelles le client est privé de la possibilité de changer d'opérateur;

Qu'ainsi, il apparaît que les contrats proposés par Orange Caraïbe à sa clientèle conduisaient d'emblée à un verrouillage, dont Orange ne peut dénier la réalité et la persistance pendant toute la période d'incrimination, sans préjudice de ce qui sera dit plus loin sur l'abus que pourraient constituer de telles clauses dans les contrats avec les clients finaux ou encore les contrats passés avec les distributeurs et réparateurs;

B5 - Pratiques poursuivies

B51 - Clauses Distribution (clauses d'exclusivité et de non-concurrence; grief n° 1)

Considérant qu'il est reproché à la société Orange Caraïbe "d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant à ses distributeurs des obligations d'exclusivité et de non-concurrence les interdisant de commercialiser des services concurrents. Une telle pratique (...) a eu pour objet et pour effet de conforter la position d'orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l'accès et le développement d'entreprises concurrentes, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 jusqu'à la suppression de ces restrictions en janvier 2005" ainsi que "de s'être entendue avec ses distributeurs indépendants par la signature de contrats de commercialisation contenant des obligations d'exclusivité et de non-concurrence interdisant ces derniers de commercialiser des services concurrents de l'opérateur. Une telle pratique (...) a eu pour objet et pour effet de limiter la concurrence effective et potentielle entre les opérateurs de téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 jusqu'à la suppression de ces restrictions en janvier 2005";

Considérant qu'à l'appui de ce grief, la société Digicel Ltd conclut que les clauses d'exclusivité présentes dans les contrats conclus par Orange Caraïbe avec ses distributeurs indépendants, qui interdisaient sous peine de sanctions très lourdes à ces distributeurs de distribuer tout produit ou service concurrent pendant la durée du contrat puis pendant deux ans après la fin du contrat ont un objet et ont eu des effets anticoncurrentiels d'une gravité considérable:

- l'arrivée de la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile aux Antilles et en Guyane a été considérablement dissuadée, freinée puis limitée alors qu'Orange Caraïbe, régnait en monopoleur depuis plusieurs années,

- les opérateurs concurrents d'Orange Caraïbe ont dû investir des sommes beaucoup plus importantes pour constituer un réseau de distribution qui reste en tout état de cause limité,

- ils pâtissent encore des effets persistants de l'exclusivité puisque leur réseau reste limité et de moindre qualité,

- aucune distribution multimarque n'a pu voir le jour sur le marché des Antilles et de la Guyane, situation unique et opposée au modèle existant en métropole. Cette absence de multi-marquisme est gravement préjudiciable au consommateur qui est ainsi privé de la possibilité de comparer les offres concurrentes dans un même point de vente et de bénéficier d'une assistance à la comparaison. Elle porte également atteinte aux opérateurs alternatifs qui voient ainsi leur possibilité d'attirer les clients d'Orange Caraïbe par des prix plus attractifs limitée;

Que cette exclusivité est totalement injustifiée et a pour unique but de freiner le développement des concurrents et de protéger Orange Caraïbe d'une concurrence frontale qui l'obligerait à baisser ses prix ; que l'effet de ces clauses persiste encore à l'heure actuelle malgré les mesures conservatoires du fait de la structure durablement imposée par Orange Caraïbe ; que cette situation participe largement, avec les offres fidélisantes d'Orange Caraïbe aux limitations de concurrence que l'on constate encore aujourd'hui sur le marché ;

Qu'il en résulte que la condamnation par l'Autorité de ces exclusivités de distribution au titre de l'abus de position dominante est pleinement justifiée;

Considérant que la société Orange Caraïbe conteste en premier lieu le caractère anticoncurrentiel des clauses d'exclusivité et de non-concurrence comprises dans ses contrats de distribution, au motif qu'elles n'auraient ni créé des barrières artificielles à l'entrée sur le marché ni diminué l'intensité concurrentielle liée à la distribution monomarque ; que la requérante relève par surcroît qu'alors que la notification de griefs et le rapport n'avançaient que l'existence d'un objet et d'effets potentiellement anticoncurrentiels, la décision allègue l'existence d'effets réels ; qu'une telle contradiction est chronologiquement inconcevable dans la mesure où les éléments recueillis au cours de l'instruction n'ayant pas permis de démontrer d'effets concrets, une telle déduction ne peut avoir lieu au stade de la décision en l'absence de tout élément nouveau;

Que la société Orange Caraïbe, en deuxième lieu, justifie le recours à une distribution monomarque par les exigences des spécificités du marché local qui privilégie une distribution de proximité disponible et clairement identifiable; que la levée des exclusivités telle qu'imposée par les mesures conservatoires n'a pas eu d'impact sur marché puisque Bouygues Télécom Caraïbe et Outremer Télécom ont elles-mêmes choisi de développer des réseaux de distribution monomarques;

Que la société Orange Caraïbe met également en avant le fait que la distribution monomarque permet de différencier les opérateurs de téléphonie mobile et de stimuler la qualité de service au bénéfice du consommateur, soit deux facteurs pro-concurrentiels, que la décision n'a d'ailleurs pas totalement ignorés ; qu'Orange Caraïbe en veut pour preuve l'intensité concurrentielle sur le marché de détail de la téléphonie mobile dans la zone antillo-guyanaise, illustrée par le développement " spectaculaire " (décision) des nouveaux entrants sur le marché;

Qu'en troisième lieu, la société Orange Caraïbe relève, qu'en tout état de cause, les clauses d'exclusivité et de non-concurrence bénéficient de justifications économiques objectives, dont la principale réside dans les investissements consentis par Orange Caraïbe afin de développer et de rendre performant son réseau commercial, et notamment en matière de formation du personnel ; qu'Orange Caraïbe reproche à la décision de ne pas prendre en compte l'approche de la Commission européenne reconnaissant qu'un fournisseur qui a investi dans la promotion de sa marque peut légitimement se protéger du parasitisme de ses concurrents grâce à une clause de non-concurrence (Communication de la Commission, Lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE C 291 du 13 octobre 2000, page 1, § 116);

Qu'en dernier lieu, la société Orange Caraïbe ajoute, autant que de besoin, que la décision ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre le pouvoir de domination d'Orange Caraïbe et l'abus qu'elle aurait mis en place au moyen des clauses d'exclusivité et de non-concurrence ; que la décision ayant admis que les clauses d'exclusivité " ne sont pas anticoncurrentielles par elles-mêmes " (§ 232 de la décision), le lien de causalité doit être recherché dans les effets de la pratique qui font défaut en l'espèce;

Mais considérant qu'en premier lieu, sur l'effet anticoncurrentiel du " monomarquisme ", qu'en tant que premier entrant, Orange Caraïbe s'est naturellement tournée vers les distributeurs indépendants, lesquels disposaient par la force des choses des meilleurs emplacements commerciaux; que dans un contexte de relative rareté des distributeurs, l'accès au marché de nouveaux entrants a été entravé, sauf à se contenter d'un réseau de très faible ampleur et d'emplacements commerciaux médiocres, de nature à nuire à l'image de marque et au développement de ces opérateurs; que le fait de disposer d'un réseau de points de vente étoffé et bien situé est un élément particulièrement essentiel sur le marché de la téléphonie mobile; que toutes clauses faisant obstacle à la distribution multimarque entravaient l'accès au marché de la distribution dès lors que Bouygues Télécom Caraïbe doit, pour trouver des distributeurs indépendants qualifiés et disposant d'un emplacement attractif, sur de petits territoires, faire des efforts bien supérieurs à ceux qu'il aurait besoin de fournir dans des conditions de concurrence normale ; que dès lors, le développement de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché antillo-guyanais, et notamment son développement d'un réseau commercial bénéficiant de certains emplacements de premier ordre, ne peut être considéré comme témoignant de la faible portée des clauses d'exclusivité incriminées, mais comme une illustration des " efforts biens supérieurs à ceux qu'il aurait besoin de fournir dans des conditions de concurrence normale " entrepris par l'opérateur;

Que ce verrouillage a affecté directement les consommateurs finaux puisque les clauses d'exclusivité figurant dans les contrats de distribution conclus entre Orange Caraïbe et ses distributeurs indépendants ont généralisé une distribution monomarque dans la zone Antilles-Guyane en privant ainsi lesdits consommateurs des avantages - prix, qualité - d'une distribution multimarque;

Que les modalités juridiques du monomarquisme en faisaient une réalité difficilement surmontable par les concurrents, puisque:

- le fournisseur Orange Caraïbe était en situation de monopole à l'époque de la mise en place de la clause puis en position ultra-dominante par la suite avec 82 % de parts de marché;

- le fournisseur concerné bénéficiait d'avantages très importants liés à son appartenance au groupe de l'opérateur historique France Télécom en position dominante sur les marchés connexes de la téléphonie fixe et de l'Internet;

- le seul concurrent d'Orange Caraïbe était arrivé sur le marché cinq ans après lui et souffrait de ce fait d'un handicap pour attirer les clients et pour développer son réseau de distribution;

- la durée de l'exclusivité était indéterminée puisqu'elle s'appliquait pendant toute la durée du contrat de distribution lui-même à durée indéterminée;

- la portée de l'exclusivité était encore renforcée par le fait que le distributeur s'interdisait de participer à une autre société qui distribuerait un concurrent;

Que de fait:

- les ventes réalisées par les distributeurs indépendants liées à une obligation d'exclusivité représentaient une part très importante (82 %) des ventes;

- les barrières à l'entrée sur le marché étaient très élevées s'agissant de la mise en place d'un réseau de distribution efficace qui constitue une opération longue, difficile et coûteuse;

- seul un très faible nombre de distributeurs d'Orange Caraïbe a pu effectivement distribuer les services de Bouygues Télécom Caraïbe, cette distribution multimarque ayant d'ailleurs rapidement cessé;

Considérant en deuxième lieu, s'agissant des justifications de sa pratique avancées par la société Orange Caraïbe, que si le monomarquisme peut potentiellement produire des effets vertueux, sa mise en place et son maintien par un opérateur en position de monopole de fait sur un marché de dimension limitée a eu, en l'espèce, pour conséquence d'ériger des barrières artificielles à l'entrée;

Qu'en outre, Orange Caraïbe n'avait pas à craindre et ne peut se réclamer à titre de fait justificatif, du parasitisme de ses aménagements en boutique et de promotion de ses services, précisément parce que l'exclusivité la garantissait contre ce risque ; que d'ailleurs, ces investissements ont été faibles (0,6 p. 100 du résultat net de la période considérée), en sorte que la rigueur de cette exclusivité et l'effet de verrouillage qui en résultait étaient largement disproportionnés;

Considérant en troisième lieu, sur la nécessité économique du " monomarquisme ", que des entreprises en position dominante peuvent se défendre ou contester le caractère éventuellement abusif d'une pratique en démontrant qu'elle est objectivement justifiée ou qu'elle est source d'efficacité au profit des consommateurs, mais qu'il faut alors, que l'exclusivité soit nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi; que les gains d'efficacité qu'elle génère, en partie au bénéfice des consommateurs, soient supérieurs à l'atteinte à la concurrence qu'elle peut créer;

Qu'en l'espèce, les investissements invoqués par Orange Caraïbe ont trait à la promotion de la marque et des services d'Orange (investissements de 250 000 à 600 000 euro pour les années 2002 et 2003 et de l'ordre de 35 000 à 50 000 euro pour l'année 2004 au titre de la mise en place de la marque Orange, présentation et mise en valeur des services Orange Caraïbe pour 140 000 euro pour deux campagnes en 2001 et 2004 et participation à la réalisation d'une opération promotionnelle spéciale pour 143 000 euro); qu'en revanche, Orange Caraïbe ne démontre pas avoir réalisé des investissements importants dans le service de conseil au consommateur;

Considérant en quatrième et dernier lieu, sur le lien de causalité entre la position dominante d'Orange Caraïbe et les dysfonctionnements prétendus du marché, il a été répondu par la cour aux allégations de la société Orange Caraïbe relatives au verrouillage du marché et aux erreurs, réelles ou supposées, de Bouygues Télécom Caraïbes;

Que dès lors, le grief est établi;

B52 - Clauses Réparateurs (entente verticale avec Cetelec Caraïbes ; grief n° 2)

Considérant qu'il est reproché à la société Orange Caraïbe de " s'être entendue avec Cétélec Caraïbe par la signature de contrats envisageant des obligations d'exclusivité et de non-concurrence interdisant ce dernier d'assurer des services de réparation et de maintenance pour tout concurrent de l'opérateur. Une telle pratique (...) a eu pour objet et pour effet de limiter la concurrence effective et potentielle entre les opérateurs de téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbes sur le marché en décembre 2000 jusqu'à la suppression de ces restrictions en janvier 2005 ";

Considérant qu'à l'appui de ce grief, la société Digicel Ltd fait valoir que l'exclusivité imposée à Cétélec, seul réparateur local disponible, avait clairement un objet anticoncurrentiel, en ce qu'elle empêchait tout concurrent de faire réparer ses terminaux sur place, l'installation d'un second réparateur étant hors de portée des nouveaux entrants et concurrents d'Orange Caraïbe ; que cette exclusivité n'était aucunement justifiée par des raisons objectives, et au contraire était coûteuse pour Orange Caraïbe qui aurait bénéficié de tarifs plus avantageux en acceptant de partager son réparateur avec ses concurrents; qu'Orange Caraïbe a cependant préféré payer le prix fort pour s'assurer que ses concurrents ne pourraient offrir à leurs clients un service après-vente aussi rapide que le sien et qu'ils seraient dans l'obligation de renvoyer tous les terminaux en métropole, même pour les pannes les plus simples, engageant ainsi des frais et des lenteurs très préjudiciables; que cette exclusivité constituait ainsi sans nul doute une entente anticoncurrentielle et la décision de l'Autorité l'ayant constaté ne peut donc qu'être approuvée;

Considérant que la société Orange Caraïbe conteste un tel grief en invoquant que le recours aux services d'un réparateur local n'est pas indispensable à l'accès et à la prospérité sur le marché, ainsi qu'en atteste la réussite d'Outremer Télécom qui a stratégiquement et économiquement choisi de faire réparer les terminaux mobiles de ses clients en métropole (§ 133 mémoire Orange Caraïbe); qu'avant la création de Cetelec Caraïbes, Bouygues Télécom Caraïbes n'a pas souhaité confier la réparation de ses terminaux au seul centre de réparation agréée local ; qu'il a fallu attendre près d'un an après la reprise de Bouygues Télécom Caraïbes par la société Digicel Ltd pour que celle-ci décide de formaliser un accord avec Cetelec Caraïbes (devenu Cordon Electronics);

Que la société Orange Caraïbe rappelle que la décision elle-même constate que Bouygues Télécom Caraïbes pâtissait d'une mauvaise image antérieurement à l'année 2003, qu'en conséquence, le prétendu accord anticoncurrentiel conclu avec la société Cetelec Caraïbes qui n'a été créée qu'en 2003, ne peut expliquer la dégradation de l'image de Bouygues Télécom Caraïbes;

Que la société Orange Caraïbe ajoute que si la réparation des terminaux mobiles par un opérateur local tel que Cetelec Caraïbes avait réellement été indispensable, Bouygues Télécom aurait demandé à Orange Caraïbe de reconsidérer la clause d'exclusivité qui la liait à Cetelec Caraïbes, principe auquel Orange Caraïbe ne s'est jamais opposé mais demande qui n'a jamais été formulée par Bouygues Télécom Caraïbes;

Qu'à titre subsidiaire, la société Orange Caraïbe invoque le caractère pleinement justifié de l'exclusivité consentie par Cetelec Caraïbes au regard des investissements consentis; que les arguments avancés par la décision selon lesquels (i) Orange Caraïbe aurait pu défendre ses investissements sans pour autant se réserver une exclusivité et (ii) la réparation des terminaux mobiles d'autres opérateurs aurait permis de créer des économies d'échelle, sont inopérants;

Mais considérant que la nécessité devant laquelle Bouygues Télécom Caraïbes s'est trouvée, faute de pouvoir offrir à ses abonnés des prestations de maintenance dans la zone Antilles-Guyane, d'envoyer les " terminaux " défectueux en métropole a généré des délais de réparation notablement plus longs que ceux garantis par Orange Caraïbe, ce qui était une source d'insatisfaction pour sa clientèle et a entraîné des coûts supplémentaires; que cet avantage a d'ailleurs été mis en avant par Orange Caraïbe vis à vis des clients;

Que l'exclusivité, qui a effectivement été opposée à Bouygues Télécom Caraïbes puisque toute négociation entre elle et Cetelec a échoué, a eu pour effet de rendre impossible pour le nouvel entrant le bénéfice d'un service local de maintenance, d'engendrer une dégradation de l'image de marque de Bouygues Télécom Caraïbes et d'accroître directement ou indirectement les coûts de réparation, incluant l'envoi en métropole et la mise à disposition, très longue à amortir, d'un parc de " terminaux " de remplacement pour les clients en panne; qu'ainsi les barrières à l'entrée créées par l'exclusivité de maintenance ont donc été non seulement techniques mais aussi économiques;

Que sur la justification économique de cette pratique, les restrictions imposées par l'exclusivité n'étaient pas indispensables pour atteindre les objectifs poursuivis puisqu'Orange Caraïbe pouvait mettre en place son service de réparation sans imposer une exclusivité, et que parallèlement Cetelec se serait passée volontiers d'une clause commercialement dangereuse ; qu'en conséquence les pratiques reprochées ne peuvent bénéficier des dispositions du 1-2 de l'article L. 420-4 du Code de commerce;

Que s'agissant du lien de causalité entre la pratique et les effets constatés, la dégradation de l'image de marque de tout nouvel entrant et l'augmentation des coûts pour les concurrents démontrent que l'exclusivité a bien eu un lien de cause à effet entre la pratique et les effets d'éviction constatés;

Que dès lors, le grief est établi;

B53 - Offres de fidélisation (programme " Changez de mobile " grief n° 4A)

Considérant qu'il a été fait reproche à Orange Caraïbe, dans la première branche du grief n° 4, " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant un réengagement de 24 mois pour l'utilisation des points de fidélité du programme " Changez de mobile " du printemps 2002 au printemps 2005 "; (...) De telles pratiques (...) ont eu pour objet et pour effet de conforter la position d'Orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l'accès et le développement d'entreprises concurrentes, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbes sur le marché en décembre 2000 et d'Outremer Télécom en 2005, sans qu'elles puissent être justifiées à suffisance par des contreparties au bénéfice aux consommateurs et/ou au marché " ;

Considérant qu'à l'appui de ce grief, la société Digicel Ltd estime devoir rappeler que la jurisprudence considère que sont abusives les remises pratiquées par une entreprise en position dominante:

- qui sont de nature fidélisante en ce qu'elles incitent le client à se lier pour l'avenir à un opérateur et tendent ainsi à le priver de sa liberté d'arbitrage entre les offres présentes sur le marché,

- ont ainsi un effet restrictif de concurrence en ce qu'elles privent les concurrents de l'accès à une partie de la demande adressable (effet qui peut notamment résulter des modalités effectives de fonctionnement de l'offre, comme un emboîtement des périodes d'engagements ayant pour conséquence un engagement perpétuel du client),

- et ne sont pas économiquement justifiées par un avantage conféré au consommateur qui pourrait venir contrebalancer cette atteinte à la concurrence;

Que plus précisément, l'offre " Changez de mobile " qui consiste - sous prétexte de faire profiter aux clients d'Orange Caraïbe de " points de fidélité " acquis grâce au volume de consommations passées - à leur proposer une remise sur l'achat d'un terminal, sous réserve d'un réengagement de deux ans, a un objet et un effet clairement fidélisant et abusif de la part d'une entreprise en position dominante comme Orange Caraïbe ; que la période d'engagement de deux ans imposée au client est dépourvue de toute justification économique puisque la remise accordée - sous forme de subvention du terminal est rentabilisée bien avant l'écoulement de ce délai ; que l'étude du cabinet MAPP qui étudie une cohorte de clients dans laquelle la clientèle la plus consommatrice est largement sous-représentée ne fait que confirmer l'importance de cet effet de fidélisation puisqu'elle met en lumière un taux très important de clients fidélisés, les autres clients étant résiliés pour la plupart par Orange Caraïbe elle-même pour impayés; que cette clientèle fidélisée, qui est la plus rentable, ne peut être recrutée par les autres opérateurs malgré leur compétitivité en raison 1) de l'effet incitatif du programme " Changez de mobile " qui promet un mobile gratuit à qui aura accumulé suffisamment de points, 2) de la longueur et du chevauchement des périodes de réengagement durant lesquelles le client est privé de la possibilité de changer d'opérateur; que le verrouillage obtenu est encore sécurisé par le monomarquisme imposé par Orange Caraïbe qui limite la capacité du consommateur à comparer les offres concurrentes qu'une telle pratique, qui tend pour un opérateur alors en situation de position ultra-dominante, à se réserver la frange la plus rentable de la clientèle en la retirant durablement de la clientèle adressable par la concurrence, est de toute évidence constitutive d'un abus de position dominante ; que la décision de l'Autorité doit donc être confirmée en ce qui concerne la condamnation du grief n° 4 dans sa première partie;

Considérant que la société Orange Caraïbe rappelle que les offres de fidélisation doivent être analysées dans le cadre d'un bilan concurrentiel, qu'elles ne peuvent être jugées anticoncurrentielles lorsqu'elles reposent sur des contreparties économiques objectives qui les justifient; qu'en l'espèce, le programme " Changez de mobile " permettait aux consommateurs d'utiliser leurs points de fidélité pour changer de terminal sous la condition d'un réengagement auprès d'Orange Caraïbe pendant 24 mois, que si l'Autorité a pu considérer la durée d'engagement comme un inconvénient, il était largement compensé par les avantages pour le consommateur;

Que la société Orange Caraïbe fait valoir la grande fluidité du marché, pour dénier tout effet anticoncurrentiel à la pratique poursuivie; que seul 20 % du parc de ses abonnés étaient susceptibles de bénéficier du programme en cause, que les clients de ce programme n'étaient ni captifs ni dissuadés de faire jouer la concurrence puisque les offres des concurrents étaient plus attractives que celles dudit programme, que le marché antillo-guyanais est caractérisé par une très grande fluidité des consommateurs d'un opérateur à l'autre, et qu'enfin la demande n'a pas été verrouillée, en ce y compris la catégorie des forfaits les plus rentables, ainsi que le démontre l'étude économique produite par Orange Caraïbe ; qu'en conséquence, aucun effet anticoncurrentiel n'a ou n'aurait pu résulter du programme "Changer de mobile";

Mais considérant que la pratique concernée est une gratification accordée à un client en contrepartie d'un engagement de ce dernier pour l'avenir, et non pas seulement une récompense pour une fidélité passée; que ce type de clauses contractuelles qui tend a rendre la sortie du contrat plus coûteuse a un effet néfaste pour la concurrence, car il augmente pour le client le prix de changement d'opérateur et fige les parts de marché de chaque opérateur;

Que les "contreparties objectives" et les " avantages pour le consommateur " qu'Orange Caraïbe invoque pour justifier sa politique de fidélisation ne sont pas plus discernées par la cour qu'elles ne l'ont été dans la décision (parag. 319 suiv.) puisque le client ne pouvait changer d'opérateur qu'en perdant tous ses points de fidélité; et que le marché était proche de la maturité, ce qui signifie que la demande portait essentiellement sur le renouvellement d'abonnements et conférait aux offres de fidélisation une importance à proprement parler décisive;

Que l'effet anticoncurrentiel est tout aussi vainement nié par Orange Caraïbe ; que la cour ne peut retenir à ce sujet l'étude du cabinet MAPP dans la mesure où l'échantillon sur lequel elle a travaillé n'est pas représentatif de la clientèle d'Orange Caraïbe ; que cette étude mentionne en effet que dans cet échantillon de clients 4,52 % sont des clients " forfaits postpayés" ; que ce pourcentage est beaucoup plus faible que le pourcentage réel du parc "forfait postpayé" d'Orange Caraïbe puisque selon cette dernière elle même " en terme de clients, le prépayé carte représente 46 % environ. L'abonnement prépayé 44 % environ et l'abonnement post-payé: 10 % environ. L'abonnement postpayé représentant 10 % du parc total, il représente 18,5 % du parc forfait (qui lui-même représente 54 % du parc total) "; que par ailleurs, l'étude note que parmi les clients ayant renouvelé leur abonnement forfait chez Orange Caraïbe, la quasi-totalité l'a fait après la première période d'engagement d'un an et que, parmi ces clients, le délai moyen de réengagement était de 19 mois après la fin de la première période d'engagement ; que ceci suppose que la plupart des clients qui ont choisi de se réengager sont restés plus de 30 mois avec le même terminal ; que dans les Caraïbes, le délai moyen de changement de terminal est de 18 mois (ce délai moyen plus court qu'en métropole (20 mois) est dû principalement à la durée de vie plus courte des terminaux en raison du fort degré d'humidité) ; qu'ainsi cette étude non représentative du parc global d'Orange Caraïbe n'a pas une valeur probante suffisante;

Que de manière positive cette fois, l'effet anticoncurrentiel de l'offre de fidélisation est repérable à travers l'évolution des parts de marché d'Orange Caraïbe sur le marché de détail des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane; que placée en monopole au moment de l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbes en 2000, Orange Caraïbe a vu ses parts de marché tomber à 75 % en 2002 puis remonter à 83 % à la fin de l'année 2003 au moment où l'offre de fidélisation est apparue et a produit ses effets;

Considérant que du tout, il résulte que le grief est établi;

B54 - Recours incident de la société Digicel Ltd à propos du grief n° 4B

Considérant que le grief n° 4 comportait une seconde branche imputant à Orange Caraïbe un abus "constitué par le fait que cette société n'a proposé et ne propose encore aujourd'hui que des offres forfaitaires avec un engagement initial minimal de 12 mois, et que des offres de réengagement avec subvention du terminal de 24 mois. (...) De telles pratiques (...) ont ou pour objet et pour effet de conforter la position d'Orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l'accès et le développement d'entreprises concurrentes, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbes sur le marché en décembre 2000 et d'Outremer Télécom en 2005, sans qu'elles puissent être justifiées à suffisance par des contreparties au bénéfice des consommateurs et/ou au marché ";

Que cette seconde branche du grief n° 4 a été abandonnée par l'Autorité de la concurrence (décision, parag. 328);

Que la société Digicel Limited estime que cette seconde branche du grief visait les offres fidélisantes d'Orange Caraïbe après 2005, et notamment l'option de l'offre "Changez de mobile" incitant le client à se réengager pour deux ans en contrepartie d'une subvention sur un nouveau terminal. L'Autorité a considéré que l'instruction n'avait pas effectué une analyse suffisamment approfondie de ces pratiques pour qu'elle soit en mesure de se prononcer ; que ces pratiques ont pourtant eu pour effet de figer le segment " forfaits " en Martinique, Guadeloupe et Guyane jusqu'à une période très récente et ont ainsi causé un préjudice considérable au consommateur et à la société Digicel Ltd, tandis qu'elles ont été source de surprofits pour Orange Caraïbe qui est toujours en position dominante à l'heure actuelle; qu'il est donc indispensable qu'elles soient condamnées au même titre que les autres pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe ; que la notification de griefs avait précisément décrit ces pratiques et analysé leurs effets et leur absence de justification ; que la société Digicel Ltd avait également, au cours de l'instruction, apporté à l'Autorité les éléments établissant (i) l'absence de justification économique des périodes d'engagement de deux ans, (ii) l'effet de fermeture du marché forfait en résultant; que l'Autorité de la concurrence disposait ainsi de tous les éléments nécessaires pour statuer sur le grief, et condamner Orange Caraïbe ; qu'elle aurait dû, à tout le moins, renvoyer à l'instruction si elle estimait un complément d'information nécessaire sur tel ou tel point;

Considérant que dans son mémoire en réplique, la société Orange Caraïbe relève d'abord que l'offre "Changez de mobile" dans sa version postérieure à 2005 n'a jamais fait l'objet d'un grief; qu'en conséquence, la société Digicel Ltd est infondée à reprocher à l'Autorité de ne pas avoir sanctionné une pratique qui n'a pas fait l'objet d'un grief notifié;

Que la société Orange Caraïbe rappelle ensuite que le renvoi de l'affaire à l'instruction, lorsque celle-ci est incomplète, représente une faculté et non une obligation pour l'Autorité, conformément à l'article R. 463-7 du Code de commerce ; qu'il en ressort que la société Digicel Ltd ne peut valablement soutenir que l'absence de renvoi à l'instruction de l'affaire décidée par l'Autorité s'apparente à une méconnaissance de ses pouvoirs et une violation de ses propres obligations;

Considérant en effet que la société Digicel Ltd dénonce, au titre de la seconde branche du quatrième grief, une offre de fidélisation postérieure à 2005, qui résulterait du contournement de l'injonction prononcée dans la décision de mesures conservatoires, laquelle avait imposé à Orange Caraïbe de " permettre que ses clients utilisent les points de fidélité qu'ils ont acquis ou dont ils pourraient faire l'acquisition, en tant qu'à valoir venant en déduction du prix de tout achat d'un bien ou d'un service qu'elle propose à sa clientèle " ; que cependant, la seconde branche du quatrième grief est libellée ainsi " En outre, cet abus est constitué par le fait qu'Orange Caraïbe n'a proposé et ne propose encore que des offres forfaitaires avec un engagement minimal de 12 mois, et que des offres de réengagement avec subvention du terminal de 24 mois " (§ 403 de la notification des griefs);

Que dès lors, la seconde branche du quatrième grief ne porte pas sur une prétendue offre de fidélisation postérieure à 2005 mais, de manière générale, sur les durées d'engagements et de réengagements imposées aux consommateurs pour les offres de forfaits;

Que d'ailleurs, le rapport indique "le grief se compose en effet de deux branches présentées de manière parfaitement claire ; la première branche étant soulignée par le "tout d'abord", la seconde par le " en outre ". La première branche vise le fait que du printemps 2002 au printemps 2005, les clients d'Orange Caraïbe ne pouvaient utiliser leurs points de fidélité que dans le cadre d'un réengagement de 24 mois. La seconde branche vise, de manière générale, la pratique visant à ne proposer, pour les offres de forfaits, que des engagements initiaux de 12 mois et des réengagements pour des périodes de 24 mois" (§ 180 du rapport);

Considérant qu'en somme, sans avoir à examiner si cette branche du grief abandonné était fondée ou pas, il faut relever que la société Digicel Ltd argumente sur d'autres préoccupations, et est donc irrecevable sur le fond en son recours incident;

B55 - Effet de club (différenciation tarifaire entre les appels on-net et les appels off-net; grief n° 5)

Considérant qu'il a encore été reproché à Orange Caraïbe " (...) d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en pratiquant une discrimination tarifaire injustifiée entre les appels à destination de son réseau (on net) et ceux à destination des autres opérateurs (et notamment de Bouygues Télécom Caraïbes). Une telle pratique (...) a eu pour objet et pour effet de conforter la position d'Orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l'accès et le développement d'entreprises concurrentes, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbes sur le marché en décembre 2000 jusqu'à sa suppression au printemps 2005 ";

Considérant qu'à l'appui de ce grief, la société la société Digicel Ltd avance qu'Orange Caraïbe a pratiqué jusqu'à l'intervention du Conseil de la concurrence une discrimination tarifaire exorbitante et totalement injustifiée dans les tarifs de détails de ses offres cartes ; que cette pratique a eu sur la concurrence un effet restrictif extrêmement grave dans le contexte d'ultra-dominance dans lequel elle a été appliquée. Cette pratique renforce en effet considérablement l'effet de club au profit de l'opérateur dominant et marginalise l'opérateur concurrent; que le consommateur est en effet fortement incité à choisir l'opérateur qui présente des tarifs avantageux pour la grande majorité des appels qu'il sera nécessairement amené à effectuer (appels vers le réseau de l'opérateur dominant). Compte tenu du surcout très important des appels vers le réseau du concurrent prévu dans les tarifs de cet opérateur dominant, le consommateur est également incité à éviter le réseau concurrent, pour ne pas devenir trop cher "à appeler"; que les pratiques d'Orange Caraïbe ont pris fin grâce à l'intervention du Conseil de la concurrence, et l'effet bénéfique sur le marché s'est fait sentir rapidement. Ces mesures ont largement libéré le segment des cartes prépayées des barrières que ces pratiques avaient érigées, et Digicel Ltd a pu s'y développer de façon satisfaisante; que l'étude du cabinet MAPP, qui repose encore sur un périmètre d'analyse non pertinent ce qui lui ôte toute valeur probante, ne démontre en rien que les pratiques d'Orange Caraïbe n'auraient pas eu d'effet sur le marché. Cet effet est au contraire aisément constatable puisque peu après la cessation de la pratique en cause, la société Digicel Ltd a connu un important développement sur le segment prépayé, et ce au détriment d'Orange Caraïbe dont la part de marché sur ce segment s'est effritée;

Considérant que la société Orange Caraïbe estime, sur le plan des droits de la défense, que l'Autorité se livre, dans ses observations, à des appréciations des données de l'étude économique du cabinet MAPP n'ayant pas fait l'objet d'un classement en annexe confidentielle ; que ces appréciations constituent des éléments nouveaux produits pour la première fois devant la cour; qu'enfin, l'Autorité s'est livrée dans ses observations à une requalification juridique de la pratique condamnée puisque, alors que la décision reprochait à Orange Caraïbe une discrimination sur le marché du détail entre les prix des appels on-net et des appels off-net, les observations de l'Autorité visent désormais une pratique de ciseau tarifaire entre un prétendu marché amont de la terminaison d'appels et le marché aval de la téléphonie mobile;

Que sur le fond, la société Orange Caraïbe affirme que la différenciation tarifaire qu'elle a mise en place est bénéfique au consommateur, en ce qu'elle permet de répercuter à son profit, à travers les prix de détail, la différence des coûts de gros des appels on-net et off-net; que l'analyse contraire relèverait du droit de la régulation sectorielle et non du droit de la concurrence; qu'Orange relève encore que la mise en place des mesures conservatoires n'a pas eu d'impact sensible sur le comportement des clients, pas plus que la différenciation tarifaire n'en a eu sur la capacité des opérateurs concurrents à attirer des clients;

Considérant que dans son mémoire en réplique, la société Orange Caraïbe relève que l'Autorité infléchit sa position dans ses observations quant aux effets de la prétendue pratique de différenciation tarifaire, ne qualifiant désormais ceux-ci que de " potentiels ";

Mais considérant qu'il a été répondu précédemment (§ A-4-3) sur les éléments nouveaux que l'Autorité aurait indûment introduit dans la discussion et sur la requalification juridique à laquelle elle se serait illégalement livrée;

Qu'au fond, pour qu'une pratique de différenciation tarifaire soit considérée comme abusive, il est nécessaire qu'elle ait un objet ou un effet anticoncurrentiel ; qu'une pratique discriminatoire devient abusive dès lors que (i) le traitement différencié des opérateurs ne repose sur aucune justification économique objective, (ii) les acheteurs sont dans une situation équivalente et (iii) elle crée un désavantage dans la concurrence;

Qu'ayant posé ces principes, il faut encore constater que :

Orange Caraïbe détenait plus de 80 p. 100 du parc de clients, en sorte que la même proportion d'appels potentiels de son client-type était dirigée vers ses autres clients (" on net ") et 20 p. 100 seulement vers les clients des opérateurs concurrents (" off net ");

Les appels " on net " étaient significativement moins chers que les appels " off net " (entre 53 et 70 p. 100 d'écart, en sorte que le client-type était invité à privilégier les appels " on net " et à contracter avec l'opérateur dominant pour bénéficier des tarifs les plus bas vers le plus grand nombre d'abonnés;

Que, s'agissant de la justification de cette pratique, elle ne serait possible que si les coûts de terminaison d'appels, facturés par l'opérateur du réseau de l'appelé à l'opérateur du réseau de l'appelant, étaient plus élevés pour les appels sortant du réseau que pour les appels intra-réseau ; qu'en l'espèce, tel n'était pas le cas;

Que s'agissant des effets, s'ils ne peuvent être quantifiés isolément, ils sont certains car un mécanisme de club anticoncurrentiel apparaît lorsque l'avantage qu'un consommateur tire d'un produit ou d'un service augmente avec le nombre de personnes qui consomme le même produit ou le même service (voir document OCDE) ; que cet effet se trouve renforcé en cas d'asymétrie forte des parts de marché entre les opérateurs et de différenciation tarifaire importante entre les appels " on net " et les appels " off net" ; que ces caractéristiques sont réunies en l'occurrence, ainsi qu'il a été dit; qu'en somme, l'attractivité du réseau Orange Caraïbe confortait ainsi sa position dominante;

Que la pratique incriminée a eu également pour effet de dégrader l'image de Bouygues Télécom Caraïbes, considéré comme un opérateur cher; qu'elle a enfin privé Bouygues Télécom Caraïbes de revenus tirés des appels entrants (la différenciation tarifaire en cause a amené les clients Orange Caraïbe à diminuer le nombre et la durée de leurs communications vers Bouygues Télécom Caraïbes générant ainsi des pertes de revenus au titre des charges de terminaison d'appels);

Considérant que du tout, il résulte que le grief est établi;

856 - "Avantage Améris" (grief n° 7)

Considérant qu'il est fait grief à France Télécom " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane en appliquant à de nombreux de ses clients professionnels et entreprises une réduction sur les appels depuis un poste fixe à destination du réseau de sa filiale Orange Caraïbe exclusivement (Avantage Améris). Une telle pratique doit recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que l'article 82 du traité CE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet de favoriser abusivement la filiale de téléphonie mobile de France Télécom et de rendre artificiellement plus difficile l'accès et le développement d'entreprises concurrentes depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbes sur le marché en décembre 2000 ";

Considérant qu'à l'appui de ce grief, la société Digicel Ltd avance que la discrimination tarifaire totalement injustifiée mise en place par France Télécom au profit de sa filiale et qui a eu pour objet et pour effet de barrer l'accès au segment entreprises et collectivité - segment très important en terme de chiffre d'affaires et de rentabilité - à Bouygues Télécom Caraïbes/la société Digicel Ltd, est sans conteste gravement anticoncurrentielle ; qu'elle l'est d'autant plus qu'elle émane d'une entreprise en position ultra-dominante qui profite de multiples avantages du fait de sa position d'opérateur historique bénéficiaire d'un monopole légal et qu'elle a été appliquée pendant de nombreuses années;

Considérant que la société France Télécom prétend que le raisonnement de l'Autorité est entaché de graves erreurs d'interprétation des faits; qu'en effet, France Télécom ne pouvait pas cesser la commercialisation de l'" Avantage Améris " de sa propre initiative avant l'homologation par le ministre compétent de l'offre de remplacement sous peine de méconnaître les obligations légales que faisait peser sur elle la réglementation en vigueur à l'époque; que l'Autorité a donc tort d'affirmer quant à elle que France Télécom aurait pu cesser la commercialisation de l'"Avantage Améris" sans attendre l'homologation et qu'elle aurait d'autant plus dû y procéder qu'elle aurait été " avertie du caractère anticoncurrentiel que pouvait présenter " cette option tarifaire lorsque Bouygues Télécom Caraïbes entrait sur le marché ; que le maintien de l'option "Avantage Améris" est dépourvu de tout objet anticoncurrentiel et qu'à défaut de preuve de l'effet anticoncurrentiel, un tel grief ne peut être retenu à l'encontre de France Télécom;

Considérant que dans son mémoire en réplique, la société France Télécom précise que l'Autorité de la concurrence n'a pas été en mesure de démontrer l'effet sensible sur le jeu de la concurrence qu'aurait créée la commercialisation de l'"Avantage Améris";

Mais considérant que, opérateur en position de quasi-monopole, France Télécom devait respecter les conditions d'une concurrence loyale entre les opérateurs de téléphonie mobile et ne devait pas avantager sa filiale; que France Télécom n'avance aucune justification objective au fait qu'à partir de l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbes sur le marché du mobile (2001 dans la zone concernée), ait été mise en place une différenciation tarifaire entre opérateurs, pour les appels " fixe vers mobile "; qu'au contraire, il appartenait à France Télécom de retirer son offre dès cette époque, sans avoir à requérir une autorisation administrative; qu'en effet, il n'existait aucun obstacle juridique à ce que France Télécom résiliât l'avantage Améris dans la mesure où les contrats conclus par France Télécom prévoyaient expressément une possibilité de changement de tarif (article 8 des conditions générales d'abonnement);

Que le caractère anticoncurrentiel de l'offre en cause apparaît incontestable dans la mesure où le prix des communications fixes vers mobiles est un élément déterminant dans le choix des entreprises pour telle ou telle offre de téléphonie; que cet effet a été d'autant plus grave que cette offre a été commercialisée jusqu'en mai 2002 soit pendant la phase d'entrée sur le marché de Bouygues Télécom Caraïbes ; que cet effet est par surcroît mesurable, puisque la part de marché de Bouygues Télécom Caraïbes en 2004 était seulement de 4 % sur le segment entreprises soit un taux bien inférieur à sa part de marché globale; que par son effet discriminant et du fait de la position dominante de France Télécom et d'Orange, la pratique en cause était de nature à porter atteinte à la concurrence; que par ailleurs, France Télécom avait été alertée de ce caractère anticoncurrentiel dès lors qu'existeraient d'autres réseaux mobiles par l'ARCEP dans une décision n° 00-1142 du 25 novembre 2000 ; que s'il est vrai que les tarifs de France Télécom faisaient l'objet d'une homologation administrative, c'est elle et non l'administration qui a mis en œuvre cette discrimination et l'homologation ministérielle intervenue en 2000 ne l'exonère en rien de sa responsabilité;

Considérant que du tout, il résulte que le grief est établi;

B57 - Ciseau tarifaire (grief n° 8)

Considérant qu'il est fait grief à France Télécom " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane en proposant à des collectivités ou entreprises des offres de télécommunications " fixe vers mobile " en dessous des coûts qu'un opérateur aussi efficace qu'elle doit nécessairement supporter pour proposer la même prestation. Une telle pratique doit recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que l'article 82 du traité CE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet d'introduire une distorsion de concurrence sur le marché des offres " fixe vers mobile " pour les entreprises et les organismes publics dont ont pu souffrir les concurrents de France Télécom dans la zone Antilles-Guyane";

Que ce grief a été sanctionné au motif notamment que pour remporter une commande publique, France Télécom avait recouru au montage dit de "hérissons", consistant à faire passer l'appel "fixe vers mobile" vers une carte SIM du réseau appelé, de façon à bénéficier du tarif " on net " de l'opérateur appelé (décision, parag. 118); que ce système n'était pas réellement disponible pour les opérateurs concurrents, qui n'étaient donc pas en mesure de proposer une offre comparable à celle de France Télécom ; que ce mécanisme ne peut pas être considéré comme une alternative sérieuse et réelle à l'interconnexion directe (eod.loc., parag. 396); que selon sa définition jurisprudentielle qu'une pratique de "ciseau tarifaire" a un effet anticoncurrentiel si un concurrent potentiel aussi efficace que l'entreprise dominante verticalement intégrée auteur de la pratique ne peut entrer sur le marché aval qu'en subissant des pertes ; qu'un tel effet peut être présumé dès lors que les prestations fournies à ses concurrents par l'entreprise auteur du ciseau tarifaire leur sont indispensables pour la concurrencer sur ce marché aval;

Mais considérant qu'il était impératif, pour sanctionner un ciseau tarifaire dans les circonstances de l'espèce, de constater que les pratiques de la société France Télécom avaient eu pour résultat de rendre indispensable, pour les opérateurs de téléphonie fixe souhaitant présenter à leurs clientèles des prestations relatives aux appels fixes vers mobiles, l'interconnexion directe aux réseaux de téléphonie mobile de la filiale de France Télécom ou, dans le cas où des possibilités de reroutage existaient, que les pratiques de ciseau tarifaire de la société France Télécom avaient eu ou pu avoir pour effet d'entraîner des pertes pour des concurrents aussi efficaces qu'elles sur le marché des appels fixes vers mobiles;

Qu'en l'espèce, la décision se fonde sur une offre unique dans le cadre de la réponse à un appel d'offres lancé par le Conseil régional de Guyane en 2004;

Que la décision ne donne pas d'indication sur le schéma d'interconnexion (interconnexion directe classique ou via le mécanisme de hérisson) ni sur le prix unitaire de base par minute de communication " fixe vers mobile " ; que par suite, les offres et tarifs visés par le grief de ciseau tarifaire ne sont pas clairement identifiés;

Que de même, la décision ne procède à aucun test de ciseau tarifaire, notamment par comparaison entre les prix et les coûts, sous l'angle économique; que l'affirmation selon laquelle "il ressort de l'instruction que, lors d'un appel d'offres passé par le Conseil régional de Guyane à l'été 2004, France Télécom a proposé une offre tarifaire qui n'était pas " réplicable par un opérateur concurrent aussi efficace qu'elle, sauf à supporter des pertes " est constitutif d'un renvoi aux développements de l'instruction et est comme tel inopérant; que France Télécom justifie pourtant qu'elle avait joint à ses observations en réponse au rapport une étude interne démontrant l'absence de tout ciseau tarifaire même en utilisant la méthode et les chiffres de l'instruction;

Considérant dès lors que la décision sera annulée de ce chef, mais sans évocation, et toute sanction supprimée;

B6 - Imputation des pratiques poursuivies

Considérant que la société France Télécom fait valoir que le droit européen étant inapplicable, la décision ne pouvait apprécier l'autonomie d'Orange Caraïbe vis-à-vis de sa société-mère qu'exclusivement au regard des critères de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle françaises; que la société France Télécom relève que la décision a déjà implicitement reconnu qu'au regard des critères propres au droit français et même à ceux du droit européen, antérieurs à l'arrêt Akzo de la Cour de justice (CJCE, 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a. c/ Commission, aff. C-97-08 P) Orange Caraïbe disposait d'une autonomie vis-à-vis de France Télécom, excluant ainsi toute imputation des pratiques de sa filiale à son égard ;

Que la société France Télécom ajoute, qu'en tout état de cause, l'organisation autant que le processus de décision interne d'Orange Caraïbe lui garantissent une pleine autonomie par rapport à France Télécom; que de même l'élaboration de sa stratégie commerciale, financière et technique est indépendante, qu'il s'agisse de son activité d'opérateur de réseau, de sa politique commerciale et marketing, de sa politique d'achats de terminaux ; qu'enfin l'absence de toute implication de France Télécom dans les griefs notifiés à Orange Caraïbe démontre l'indépendance de cette dernière;

Considérant que la société France Télécom soutient encore que l'imputabilité d'une pratique anticoncurrentielle ne se rattache pas à la qualification de la pratique elle-même, mais relève du régime de la sanction ; qu'en conséquence, l'imputabilité de la sanction ne peut relever du droit européen que l'Autorité de la concurrence voudrait appliquer à l'appréciation au fond de la pratique;

Mais considérant d'abord que l'imputabilité d'un comportement répréhensible ne se confond avec - ni ne se résume à - l'imputabilité de la sanction, au rebours du dernier argument de la société France Télécom;

Qu'ensuite, comme le relèvent les écritures de la société Digicel Ltd, sur le plan juridique et comptable:

- à l'époque des faits, France Télécom détenait indirectement la totalité ou la quasi-totalité du capital d'orange Caraïbe, les deux sociétés constituant une seule entreprise et se présentant comme telle à la clientèle;

- plusieurs membres représentant France Télécom siègent au conseil d'administration d'Orange Caraïbe;

- toute la trésorerie d'Orange Caraïbe est remontée à France Télécom (puisque, par exemple, dans les comptes sociaux d'Orange Caraïbe pour 2004 il est mentionné que les disponibilités d'Orange Caraïbe se réduisent à un montant faible de 2 millions d'euro alors que les créances autres que les créances clients et compte rattachés s'élèvent à 122 millions d'euro);

Que, dans les rapports avec les autorités, avec les partenaires commerciaux ou avec les tiers;

- s'agissant des contrats de distribution comportant des clauses d'exclusivité, France Télécom a parfois agi en tant que commissionnaire de sa filiale pour la conclusion de contrats de distribution;

- Orange Caraïbe passe par France Télécom pour effectuer ses achats de terminaux;

- France Télécom affichait, notamment auprès de l'Autorité des marchés financiers, une stratégie globale reposant sur l'articulation entre les services de téléphonie fixe et ceux de téléphonie mobile;

Que dans les rapports avec la clientèle utilisatrice:

- toutes les agences France Télécom des Antilles et de la Guyane distribuent les produits Orange Caraïbe à titre exclusif;

- France Télécom publie des offres pour les produits de sa filiale;

- à l'époque des faits, les deux sociétés se présentaient comme un groupe vis-à-vis de leurs clients et partenaires notamment dans le cadre de la commercialisation de " l'avantage Améris " ou des offres sur mesure pour les appels fixes vers mobile d'Orange Caraïbe;

Considérant que du tout, et alors même que le droit européen n'est pas applicable à la cause, il s'évince que France Télécom, société-mère, doit se voir imputer les pratiques reprochées collectivement avec sa filiale, Orange Caraïbe;

Considérant que cette dernière ne saurait s'exonérer à son tour qu'en démontrant qu'elle n'avait pu prendre d'initiatives dans aucun domaine opérationnel ou juridique, ne disposait d'aucune autonomie réelle dans la détermination de sa ligne d'action sur le marché, n'appliquait que les instructions qui lui étaient imparties par la société-mère qui la contrôlait; que la société Orange Caraïbes n'apporte à la cour aucun élément de cette nature, en quoi la pratique poursuivie est somme toute imputable aux deux sociétés, comme l'a énoncé par des motifs non contraires et complémentaires, la décision attaquée;

Que vainement, les requérantes opposent des témoignages de clients indiquant que les contrats Orange Caraïbe sont négociés avec France Télécom et que France Télécom reste ensuite l'interlocuteur des clients à la place d'Orange Caraïbe, ce fait unique pouvant traduire des arrangements commerciaux qui n'attestent en rien de l'absence d'autonomie d'Orange Caraïbe;

C - Sanction

C1 - Référence au chiffre d'affaires du groupe

Considérant que la société Orange Caraïbe critique la décision pour avoir pris erronément comme assiette le chiffre d'affaires mondial du groupe de France Télécom et non pas le chiffre d'affaires d'Orange Caraïbe;

Mais considérant que s'il n'est pas interdit à l'Autorité puis à la cour de se référer au chiffre de la seule société fautive, même intégrée à un groupe, c'est dans le cas où celui-ci n'a aucunement été impliqué dans la stratégie anticoncurrentielle de sa filiale;

Que, comme il a été énoncé précédemment, tel n'est pas le cas ici;

C2 - Gravité des pratiques

Considérant que la société France Télécom conteste le montant de la sanction en ce qu'il est manifestement disproportionné au regard de la gravité des manquements poursuivis;

Considérant que la société Orange Caraïbe reproche à la décision de ne pas avoir pris en compte deux facteurs qui minimisent considérablement la gravité alléguée des pratiques, la position de Bouygues Télécom Caraïbes ne résultant que de sa stratégie qui s'est démontrée peu efficace tandis qu'il ressort de la décision que la pratique a été dénuée de portée anticoncurrentielle;

Considérant que dans son mémoire en réplique, la société Orange Caraïbe reproche à la décision de l'Autorité de ne pas prendre en considération, lorsqu'elles existent, les circonstances de nature à atténuer la gravité des infractions qu'elle prétend sanctionner; que dans cette perspective, Orange Caraïbe rappelle que les pratiques qui lui sont reprochées ne sont pas graves en soi dès lors que, d'une part, elles n'ont pas d'objet anticoncurrentiel, et d'autre part, elles ne relèvent pas de la catégorie des pratiques injustifiables par nature;

Mais considérant que la cour relève les signes d'une gravité certaine du comportement anticoncurrentiel;

Qu'en effet, les pratiques ont été mises en œuvre par un opérateur en situation de monopole pendant quatre ans, au nom et pour le compte de sa société-mère, opérateur historique;

Que la longue durée du comportement anticoncurrentiel traduit une ferme volonté de perturber la concurrence;

Que l'Autorité a fait en outre la démonstration, que la cour reprend à son compte, d'une affectation directe des prix de détail;

Qu'il s'est agi par surcroît de marchés assez sensibles, selon les caractéristiques relevées par l'Autorité et relatées en tête du présent arrêt, décrivant une clientèle très demandeuse, et finalement captive au sens économique ;

Qu'enfin, si la subtilité ou la malignité des mécanismes mis en place ne sont pas exceptionnels, il demeure que la décision, puis le présent arrêt, ont décrit une multiplication des mécanismes contractuels constitutifs d'une ingénierie anticoncurrentielle dont les effets combinés se sont cumulés pour déboucher sur une affectation importante de la concurrence;

C3 - Dommage à l'économie

Considérant que la société France Télécom conteste le montant de la sanction en ce qu'il est manifestement disproportionné au dommage à l'économie qui fait même défaut en l'espèce;

Considérant que la société Orange Caraïbe fait valoir que la décision reconnaît elle-même que les pratiques en cause ont été " d'une durée relativement brève ", que la décision n'apporte pas le moindre élément qualitatif relatif au prétendu dommage à l'économie, que la société Orange Caraïbe a pu démontrer que les pratiques n'ont eu aucun impact sur le développement de ses concurrents; qu'en conséquence, le montant de la sanction infligée à Orange Caraïbe, totalement injustifié, viole le principe fondamental de proportionnalité;

Considérant que la société France Télécom soutient que la décision se contente de développer un raisonnement abstrait dans lequel l'existence d'un lien entre les supposées pratiques de France Télécom et le dommage à l'économie fait défaut;

Mais considérant que, s'attachant d'abord à l'aspect économétrique du dommage, l'Autorité a fait la démonstration, reprise par la cour, sans s'aider d'une quelconque présomption, de ce que durant toute la période qui s'est écoulée entre la période précédent l'entrée retardée de Bouygues Télécom jusqu'en 2005 le consommateur a été privé des bénéfices résultant d'une concurrence réelle entre les opérateurs notamment en termes de prix et de qualité de service; que la brièveté de certaines pratiques n'est aucunement due à la volonté de la société fautive de mettre fin à ces dernières mais à la mise en œuvre des mesures conservatoires imposées par le Conseil dans sa décision du 9 décembre 2004 et confirmées par la cour dans son arrêt du 28 janvier 2005 ; que l'ARCEP note que les prix sont inférieurs à ceux de la métropole dans les départements d'outre-mer en mettant en lumière que ce sont les concurrents d'Orange Caraïbe qui ont fait baisser le prix moyen proposé aux Antilles, ce qui confirme, à contrario, que pendant tout le temps où la concurrence a été artificiellement retardée ou limitée le consommateur a eu à souffrir de prix plus élevés;

Que se livrant ensuite à l'examen d'un faisceau " qualitatif " sur le dommage à l'économie, l'Autorité, dont la cour approuve la décision aussi sur ce point, a décrit les perturbations des marchés pendant toute la période considérée, en insistant sur les spécificités de ces marchés (absence de liberté commerciale des distributeurs, captivité de la clientèle, barrières construites contre tous nouveaux concurrents) et a caractérisé ainsi un trouble persistant à la concurrence;

Qu'enfin, le dommage aux consommateurs, partie intégrante du dommage à l'économie, a été abondamment décrit dans la décision et évoqué précédemment par la cour que la première victime des pratiques a été le consommateur caribéen et les secondes victimes, les opérateurs, au point que l'un d'eux, Bouygues Télécom Caraïbes, s'est vu exclure du marché après avoir vu son développement totalement contraint, tandis que les deux autres ont vu leur développement anormalement contraint;

C4 - Individualisation réitération

Considérant que l'Autorité a retenu une majoration des sanctions de 50 % conjointement et solidairement pour l'entité économique formée par Orange Caraïbe et France Télécom et de 50 % pour France Télécom au titre des pratiques visées par les griefs 7 et 8;

Considérant que selon la société France Télécom, la décision procède à une appréciation fortement extensive de la notion de réitération, visant n'importe quelle pratique anticoncurrentielle, au point de vider le mécanisme de sa logique;

Considérant qu'Orange Caraïbe développe le même grief, dans les termes détaillés ci-après;

Considérant que la société Orange Caraïbe qui affirme jouir d'une autonomie commerciale, financière et technique vis-à-vis de sa société-mère, invoque qu'elle n'a jamais été sanctionnée par une autorité de concurrence et, qu'à ce titre, la réitération ne peut lui être appliquée; que la requérante ajoute que la réitération, tout comme les autres éléments de détermination de la sanction pécuniaire, relève des seules règles françaises de concurrence, ce qui exclut l'application de toute jurisprudence européenne à l'espèce; qu'en conséquence, l'Autorité n'aurait dû examiner la réitération qu'au regard des règles françaises permettant d'apprécier l'autonomie d'une filiale vis-à-vis d'une société-mère, selon un faisceau d'indices approfondi et approprié;

Qu'en toute hypothèse, la réitération constitue une circonstance aggravante personnelle et qu'elle sanctionne la répétition de pratiques anticoncurrentielles identiques ou similaires; qu'à cet égard, la société Orange Caraïbe prétend que la condition liée à l'identité de l'entreprise n'est pas remplie, non plus que celle relative à l'identité des pratiques, dans la mesure où la requérante allègue que l'Autorité s'est permise d'étendre la notion de pratiques identiques ou similaires à des circonstances qui poursuivent seulement le même effet alors qu'elles ne sont ni de même nature ni de même type, qu'elles ne concernent pas les mêmes marchés et qu'elles relèvent de dispositions juridiques différentes;

Considérant que la société Orange Caraïbe fait valoir que l'imputabilité ne constitue pas une question de fond de l'application des articles 101 et 102 du TFUE mais relève du régime des sanctions; que, par conséquent, l'imputabilité relève de l'autonomie procédurale des Etats membres et est régie par le droit français;

Considérant que dans son propre mémoire en réplique, la société France Télécom fait valoir que la décision s'appuie sur une acception erronée de la réitération et en particulier de la notion de pratiques anticoncurrentielles identiques ou similaires par leur effet anticoncurrentiel ; qu'en l'espèce, une telle identité ou même similitude des pratiques prétendument concernées par la réitération fait défaut;

Mais considérant que pour être prises en compte, les pratiques peuvent être identiques ou similaires par leur même objet anticoncurrentiel, critère qui renvoie pour l'essentiel à la base légale utilisée pour les qualifier, mais elles peuvent aussi être identiques ou similaires par leur même effet anticoncurrentiel, critère qui s'attache davantage à la finalité du comportement poursuivi;

Qu'il s'en évince que les conditions permettant à l'Autorité de viser la réitération sont réunies, dès lors, d'une part que de précédentes infractions au droit de la concurrence ont été constatées avant la commission des nouvelles pratiques en vertu d'une décision du Conseil ou après lui de l'Autorité, qui était devenue définitive à la date à laquelle il a été statué dans la présente affaire et, d'autre part, sans qu'il y ait lieu de procéder, de surcroît, à une analyse des circonstances précises dans lesquelles les pratiques précédemment sanctionnées ont été mises en œuvre;

Que celles-ci étaient similaires par leur objet, puisque la décision n° 97-D-52 du 25 juin 1997 avait jugé que les entreprises en cause avaient "participé à une action concertée ayant pour objet et ayant pu avoir pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché" ; que les décisions n° 94-D-21 du 22 mars 1994, n° 97-D-53 du 1er juillet 1997, l'arrêt du 29 juin 1999, les décisions n° 01-D-46 du 13 juillet 2001 et 05-D-59 du 7 novembre 2005 appréhendaient justement des comportements abusifs mis en œuvre par France Télécom et dont l'objet ou l'effet était d'empêcher ou de freiner l'entrée sur le marché de nouveaux concurrents;

Considérant que la cour relève en outre, au titre de l'individualisation de la sanction, un facteur défavorable tenant à la notoriété nationale du groupe France Télécom, et à la disposition d'infrastructures juridico-économiques de nature à mettre en garde la société-mère et ses filiales contre les pratiques illicites;

Considérant que du tout, il ressort que l'Autorité de la concurrence a fait une parfaite analyse de la gravité des comportements, du dommage à l'économie qui en est résulté et des facteurs d'individualisation, en ce compris la réitération;

C5 - Montant et paiement de la sanction pécuniaire : solidarité

Considérant qu'en fonction des éléments qui précèdent, la cour estime qu'en fixant la sanction pécuniaire au titre des griefs n° 1, 2, 4A, 5, à environ 0,6 pour 100 du maximum légal (majoration en sus), l'Autorité a fait une appréciation proportionnée de l'article L. 464-2-I du Code de commerce;

Que le grief n° 8 n'étant pas retenu par la cour, la sanction pécuniaire correspondante n'a pas lieu d'être; que pour le grief n° 7, la sanction sera établie à 5 millions d'euro, majoration de 50 p. 100 en sus, soit un total de 7,5 millions d'euro;

Considérant que ni Orange Caraïbe ni France Télécom ne conteste, pour le cas où des pratiques anticoncurrentielles seraient retenues contre elles ensemble, que la sanction pécuniaire doive alors peser solidairement sur la société-mère et la filiale;

Qu'il n'est pas davantage réclamé à la cour de répartir la charge finale de cette sanction, selon les facteurs d'individualisation examinés précédemment;

Qu'il en sera donné acte aux entreprises concernées;

C6 - Injonction de publication

Considérant que la société Orange Caraïbe reproche à l'Autorité de la concurrence de l'avoir contrainte à publier un communiqué, sanction complémentaire disproportionnée au regard de la période révolue des pratiques reprochées, de l'ampleur et de la nature de l'affaire; qu'en conséquence, Orange Caraïbe sollicite l'annulation de l'injonction de publication et le bénéfice de toute mesure susceptible d'en compenser les effets;

Considérant que la société France Télécom, quant à elle, conteste la proportionnalité de l'injonction de publication que l'Autorité a prononcé à son encontre, s'agissant de faits antérieurs au mois d'avril 2005, concernant en conséquence une période totalement révolue depuis cinq ans;

Mais considérant que la publication que le Conseil peut ordonner en application de l'article L. 464-2, alinéa 5, procède du principe fondamental de la publicité des décisions à forme et à contenu juridictionnel et n'est pas de nature à porter atteinte au crédit et à la considération des personnes visées dès lors, notamment, que le texte dont la publication est enjointe constitue un résumé objectif des éléments retenus par le Conseil pour entrer en voie de sanction;

Qu'en l'espèce, la publication d'un résumé de la décision dans les éditions des quotidiens France Antilles Martinique, France Antilles Guadeloupe et France Guyane était parfaitement adaptée à la nature de l'affaire;

C7 - Demandes accessoires

Considérant que la société Digicel Ltd demande à juste titre la répétition des frais exposés pour sa défense et non compris dans les dépens;

Par ces motifs, Annule la décision du 5 février 2009 en ce qu'elle a fait application du droit européen (ci-devant, communautaire) et dit que les pratiques poursuivies le sont par application des dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce; Evoquant, Dit que la société Orange Caraïbe : A abusé, entre 2000 et 2005, de la position dominante qu'elle détient sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant des clauses d'exclusivité dans les contrats de distribution conclus avec ses distributeurs indépendants; A abusé, entre le printemps 2002 et le printemps 2005 de sa position dominante sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane par le biais de son programme de fidélisation "Changez de mobile"; A abusé, entre 2003 et 2004, de sa position dominante sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane par la différenciation tarifaire qu'elle a pratiqué entre les appels " on net " et les appels " off net " pour ses cartes " Orange Card Soir et Week-end ", " Orange Card Classique " et " Orange Card Seconde "; S'est entendue, entre le 1er avril 2003 et le 24 janvier 2005, avec la société Cetelec, seule société agréée dans les Caraïbes pour assurer la réparation des terminaux (téléphones individuels) mobiles, en concluant un contrat comprenant une clause d'exclusivité interdisant la réparation des terminaux commercialisés par des opérateurs concurrents; Dit que la société France Télécom, a abusé de sa position dominante sur le marché de la téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane en commercialisant l'offre " Avantage Améris " après l'arrivée de Bouygues Télécom sur le marché en décembre 2000 jusqu'au 21 mai 2005, puis en la maintenant postérieurement à cette date jusqu'à la fin de l'année 2005 pour les clients qui l'avaient déjà souscrite; Dit que doivent être écartés : - le grief n° 3 relatif à l'imposition de prix de revente des terminaux; - la seconde branche du grief n° 4 visant de manière générale la pratique d'Orange Caraïbe consistant à ne proposer, pour les offres de forfaits, que des engagements initiaux de 12 mois et des réengagements pour des périodes de 24 mois; - le grief n° 6 relatif à la pratique de ciseau tarifaire reprochée à Orange Caraïbe et le grief n° 8 relatif à la pratique de ciseau tarifaire reprochée à France Télécom; Condamne les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom au titre de l'ensemble des griefs n° 1, 2, 4A et 5, solidairement à une sanction pécuniaire de 35 millions d'euro; Condamne la société France Télécom à une sanction de 5 millions d'euro, pour le grief n° 7; Dit que ces sanctions pécuniaires seront affectées ensuite d'une majoration de 50 % pour réitération, de sorte qu'elles atteignent respectivement 52,5 millions d'euro pour Orange Caraïbe et France Télécom solidairement et 7,5 millions d'euro pour France Télécom seule; Dit que les sanctions doivent être assorties d'une obligation de publication d'un résumé de la décision, élaboré par l'Autorité de la concurrence, dans trois quotidiens régionaux et donne acte aux parties que cette obligation a été exécutée le 22 janvier 2010; Condamne solidairement les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom à payer à la société Digicel Ltd la somme de 15 000 (quinze mille) euro pour frais irrépétibles de procédure, ainsi qu'aux dépens.