Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 08-43.712
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Ludi SFM (SAS), De Bruyn
Défendeur :
Labat
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mazars (faisant fonction)
Rapporteur :
Mme Sommé
Avocat général :
M. Allix
Avocats :
SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, SCP Monod, Colin
LA COUR : - Donne acte à la société Ludi SFM du désistement de son pourvoi; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 mai 2008), que M. Labat a été engagé par la société Ludi SFM en qualité de directeur exécutif, suivant contrat de travail du 10 février 2006, avec effet au 10 mai 2006, prévoyant une période d'essai de trois mois et comportant une clause de non-concurrence; que par lettre du 16 juin 2006, la société Ludi SFM a notifié au salarié la rupture de sa période d'essai ; que soutenant qu'il exerçait en fait ses fonctions sous la direction de M. de Bruyn, actionnaire principal de la société Ludi SFM, dans des conditions caractérisant l'existence d'un contrat de travail, M. Labat a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la condamnation solidaire de M. de Bruyn et de la société Ludi SFM au paiement de diverses sommes, à titre d'indemnités pour rupture abusive, pour travail dissimulé, pour préjudice moral et au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence;
Sur le moyen unique du pourvoi incident de M. Labat : - Attendu que M. Labat fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner solidairement la société Ludi SFM et M. de Bruyn à lui payer des dommages-intérêts au titre de la contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence, alors, selon le moyen : 1°) que l'obligation de loyauté a pour objet d'imposer au salarié, exclusivement pendant la période d'exécution du contrat de travail, une obligation de fidélité, de discrétion, et une interdiction de tous agissements de nature concurrentielle à l'égard de l'employeur, cette obligation cessant immédiatement après expiration du contrat de travail, et le salarié retrouvant alors sa pleine liberté; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le contrat de travail de M. Labat comportait une clause prévoyant une obligation de loyauté, s'imposant au salarié non seulement pendant la durée d'exécution du contrat de travail, mais également pendant une durée d'un an à partir de la rupture de ce contrat, pour quelque cause que ce soit, ce qui revenait par hypothèse même à interdire tous agissements de nature concurrentielle au salarié après l'exécution du contrat, comme en témoignaient du reste les stipulations de la clause faisant expressément interdiction au salarié de recommander ou conseiller à un client d'une autre société que la société Ludi des services ou produits qui feraient concurrence à la société; que dès lors en déclarant, pour écarter la demande indemnitaire formulée de ce chef par M. Labat, que cette clause ne pouvait être assimilée à une clause de non-concurrence, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales et a violé l'article 1134 du Code du travail; 2°) que si la clause prévoyant une obligation de loyauté prohibait effectivement des actes de concurrence déloyale consistant notamment à "récupérer les clients de la société par des manœuvres illicites et/ou anticoncurrentielles", cette clause faisait également d'une manière générale, et indépendamment de tous agissements déloyaux, interdiction au salarié de recommander ou conseiller à un client d'une autre société que la société Ludi des services ou produits qui feraient concurrence à la société, ce qui revenait purement et simplement à lui interdire toute activité concurrente pendant un an au-delà de la fin du contrat de travail; que dès lors en affirmant que l'obligation de loyauté stipulée au contrat de travail de M. Labat permettait au salarié de récupérer les clients par des manœuvres concurrentielles, ce qui ne limitait en rien son accès au travail, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis, en violation de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, que le moyen, qui invoque une clause contenue dans le contrat de travail conclu entre M. Labat et la société Ludi SFM, est inopérant en ce qu'il est dirigé à l'encontre de M. de Bruyn;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel, procédant à une interprétation nécessaire des termes ambigus des clauses contractuelles, après avoir relevé que l'article 14 du contrat stipulait que la clause de non-concurrence qu'il prévoyait ne s'appliquait pas en cas de rupture du contrat à l'initiative de l'employeur pendant la période d'essai, a constaté que l'obligation de loyauté prévue à l'article 12 du contrat n'empêchait pas le salarié, postérieurement à la rupture, d'exercer une activité concurrente de celle de la société Ludi SFM, en sorte qu'elle ne s'analysait pas en une obligation de non-concurrence ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le pourvoi principal de M. de Bruyn : - Sur le premier moyen : - Vu l'article L. 1221-1 du Code du travail ; - Attendu que pour reconnaître l'existence d'un contrat de travail entre M. Labat et M. de Bruyn, l'arrêt retient que M. de Bruyn, actionnaire principal de la société Ludi SFM, a recruté lui-même M. Labat; que le contrat de travail de celui-ci avec la société Ludi SFM a été signé dans les bureaux de la société Erusa dont M. de Bruyn est le représentant légal ; que le répertoire des numéros de téléphone des divers postes de la société Ludi SFM fait apparaître que M. Aonzo, président de la société, n'a ni bureau ni téléphone, alors que M. de Bruyn, auquel aucun rôle n'est dévolu dans le fonctionnement de la société par les statuts de celle-ci, dispose d'un téléphone portable pris en charge par la société; qu'il a été précisé au salarié lors de l'embauche qu'il serait rattaché à l'actionnaire principal à qui il devrait rendre compte régulièrement; que, de fait, il résulte des courriels échangés entre M. Labat et M. de Bruyn que le premier rendait compte au second de son activité hebdomadaire, répondait avec diligence à ses demandes et lui communiquait ses projets d'activité;
Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il n'était pas contesté que M. Labat exerçait une prestation de travail uniquement pour la société Ludi SFM et que s'il rendait compte de son activité à M. de Bruyn, c'était dans le cadre de ses fonctions exercées pour la société Ludi SFM, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'une relation de travail distincte entre M. Labat et M. de Bruyn, n'a pas donné de base légale à sa décision;
Et sur le second moyen : - Vu l'article 625 du Code de procédure civile; - Attendu que la cassation des chefs du dispositif critiqués par le premier moyen entraîne par voie de conséquence celle des dispositions de l'arrêt relatives à la demande d'indemnité pour travail dissimulé;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi incident ; Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit qu'il existait un contrat de travail entre M. Labat et M. de Bruyn et condamné M. de Bruyn à payer à M. Labat les sommes de 60 000 euro à titre d'indemnité pour travail dissimulé et 10 000 euro à titre de licenciement abusif, l'arrêt rendu le 26 mai 2008, entre les parties, par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Montpellier.