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Décisions

CA Chambéry, ch. soc., 16 octobre 2008, n° 08-00240

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bremond

Défendeur :

Devil (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Broutechoux

Conseillers :

MM. Greiner, Ybres

Avocats :

Mes Prouteau, Deus

Cons. prud'h. Bonneville, du 15 janv. 20…

15 janvier 2008

M. David Bremond a été embauché par la société Devil, qui fabrique des pots d'échappement pour les motos et les automobiles, le 16 mars 1999 en qualité de commercial, sa rémunération étant constituée d'un fixe et d'une part variable, en fonction du chiffre d'affaires réalisé, puis, à partir de l'exercice 2003, les commissions sont remplacées par des primes en fonction de la réalisation d'objectifs.

Les 26 septembre et 2 décembre 2005, il s'est vu infliger deux avertissements par son employeur, pour n'avoir pas fait parvenir de rapports de visites hebdomadaires.

Le 4 janvier 2006, M. Bremond a écrit à la société Devil pour refuser de signer un nouvel avenant relatif à la fixation des objectifs, qui lui avait été proposé le 21 décembre précédent.

Il va s'ensuivre un échange nourri de courriers entre la direction de l'entreprise et M. Bremond, celui-ci faisant valoir que les objectifs de chiffre d'affaires notamment concernant certaines gammes de produits (auto, tout terrain) étaient irréalistes, la société Devil répliquant qu'elle avait beaucoup investi dans de nouveaux produits et qu'elle avait mis en place un site Internet, de façon à faciliter l'action de ses commerciaux.

Le 23 mars 2006, M. Bremond a été convoqué à un entretien préalable fixé au 3 avril 2006.

Le 7 avril 2006, il va être licencié.

Saisi le 13 avril 2006, le Conseil de prud'hommes de Bonneville, a par jugement rendu sur départition, du 15 janvier 2008:

- dit que le licenciement de M. Bremond par la société Devil est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Devil à payer à M. Bremond la somme de 17 746,81 euro au titre de l'indemnité résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse

- condamné la société Devil à rembourser à l'ASSEDIC le montant des indemnités servies par elle à M. Bremond dans la limite de six mois,

- débouté les parties du surplus de leur demande,

- condamné la société Devil à payer à M. Bremond la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Devil a interjeté appel de cette décision le 6 février 2008.

Dans ses conclusions reçues au greffe le 23 juillet 2008, elle déclare que le licenciement de M. Bremond est valablement motivé et qu'il a été prononcé pour une cause réelle et sérieuse.

Elle conclut à la réformation sur ce point du jugement entrepris et au rejet de la demande de M. Bremond, ainsi qu'à la confirmation de la décision sur l'absence d'indemnité de clientèle.

A défaut, elle expose que l'indemnité de clientèle ne peut dépasser le montant de 60 426,96 euro, duquel il convient de déduire les rémunérations spéciales perçues par le salarié. Elle ajoute qu'elle a joué un rôle dans le développement de la clientèle, ce dont il faut tenir compte, qu'elle-même a toujours rempli ses obligations et réclame enfin le paiement de la somme de 3 000 euro au titre de ses frais irrépétibles.

Dans ses conclusions reçues au greffe le 5 mai 2008, M. Bremond conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse et dit que le statut de VRP était applicable. Pour le surplus, il conclut à sa réformation, réclamant à la société Devil la somme de 35 493,62 euro de dommages intérêts, celle de 49 845 euro d'indemnité de clientèle, ainsi que 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur le licenciement

La société Devil fonde le licenciement de M. Bremond sur les motifs suivants exposés dans la lettre du 7 avril 2006 : "Nous avons fait état de la très forte baisse de votre chiffre d'affaires cumulé "auto" et "moto" depuis septembre 2005 sept mois consécutifs en négatif, avec des résultats atteignant - 73 % en auto et - 22 % en moto sur certains mois ! Cette performance n'est pas en phase avec les objectifs de la société, ni avec les moyens mis en œuvre pour y parvenir (gammes, communication, ...), ni avec les résultats que nous enregistrons par ailleurs. Nous vous avons demandé quelles solutions vous aviez afin de redresser cette situation. Aucune réponse de votre part... Nous ne pouvons pas envisager raisonnablement un redressement rapide vous permettant de rentrer dans les moyennes de réalisation normale, d'autant qu'il semble établi que vous ne partagez pas la politique commerciale de l'entreprise, ce qui vous conduit à en négliger les points forts et notamment les évolutions de gamme; nous devons également relever votre méconnaissance de la distribution automobile ainsi que le manque d'intensité de votre action commerciale alors que vous bénéficiez d'un statut salarié de droit commun et n'exercez que pour le compte de notre société. Nous vous rappelons également les difficultés économiques auxquelles nous avons été exposés, qui vous ont été rappelées précédemment et qui ne nous permettent pas de regarder sans réagir l'effondrement de vos résultats".

M. Bremond fait valoir qu'en 2005, alors que la production vendue de la société Devil avait diminué de 5,9 %, passant de 6 166 634 euro à 5 840 196 euro, le chiffre d'affaires qu'il avait quant à lui réalisé s'est élevé à 849 420 euro, soit une progression de 4,6 %. Il ajoute qu'en janvier 2006, il a dégagé un chiffre stable de + 0,03 % (- 36,97 % en auto, mais + 16,64 % en moto).

La société Devil réplique qu'en réalité, elle reproche à son salarié une baisse sur les six derniers mois de l'activité, à compter de septembre 2005.

Il n'est nul besoin pour un employeur d'attendre la fin d'un exercice pour que soit fait le point sur l'activité commerciale d'un de ses salariés, dès lors que la période prise en compte est d'une durée significative et que des éléments objectifs laissent à penser que le salarié en cause ne met pas en œuvre tous les moyens pour atteindre les objectifs fixés.

En l'espèce, M. Bremond avait fait l'objet de deux avertissements relatifs à l'absence de compte-rendu d'activité et avait émis à plusieurs reprises des avis négatifs sur la politique commerciale de l'entreprise et son positionnement en matière de produits. Il ne peut donc être fait grief à la société Devil d'avoir examiné avec une particulière attention les résultats dégagés par M. Bremond, à partir du mois de septembre 2005, un dérapage dans la continuité de l'action commerciale devant être enrayé le plus tôt possible pour éviter des répercussions fâcheuses sur la société toute entière.

En l'espèce, le chiffre d'affaires dégagé par M. Bremond s'est élevé à :

<emplacement tableau>

Ces chiffres attestent d'une très forte baisse du chiffre d'affaires concernant les produits "auto" et d'un simple fléchissement des produits "moto".

Mais pour qu'une insuffisance de résultats puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, il faut que soient assignés au salarié des objectifs raisonnables et que les résultats obtenus ne trouvent pas leur explication dans une conjoncture étrangère à l'activité personnelle du salarié. Il convient donc de comparer l'évolution du chiffre d'affaires dégagé par M. Bremond à celui des autres commerciaux de la société Devil durant la même période, qui étaient placés dans une situation identique.

C'est l'objet du tableau suivant :

<emplacement tableau>

Toutefois, le mois de février 2006 n'est pas significatif, du fait d'un arrêt de travail de trois jours et de la prise par M. Bremond de neuf jours de congés. Si l'on prend alors pour périodes de comparaison les mois de septembre 2004 à janvier 2005 et ceux de septembre 2005 à janvier 2006, on s'aperçoit alors que la chute du chiffre d'affaires obtenu par M. Bremond est bien inférieure de 35 % concernant l'auto et de seulement 0,55 % pour ce qui est de la moto.

Les résultats de M. Bremond sont ainsi égaux ou même supérieurs à ceux de ses collègues. Bien que la société Devil ait mis l'accent sur ses produits destinés à l'automobile, le fait que l'ensemble des commerciaux de la société aient connu une baisse sensible de leurs ventes montre que le problème n'est pas imputable à l'activité de ceux-ci, mais est dû soit à des produits mal positionnés sur le marché, en prix ou en gamme, par rapport à la concurrence ou surtout en phase de lancement (motos enduro, nouvelle gamme route Master, gamme auto Furious Sound), soit à une difficulté de se faire référencer dans les grandes enseignes de la distribution automobile (absence de la chaîne "Feu Vert" par exemple).

Dans ces conditions, l'insuffisance de résultats imputée à M. Bremond n'est pas suffisamment démontrée. De même, parce que l'activité déployée par M. Bremond s'est avérée être similaire à celle de l'année précédente et à celle de ses collègues, le grief tiré d'un manque d'intensité de l'action commerciale n'est pas lui non plus établi. Du reste, les reproches maintenant formulés par l'employeur n'ont pas été énoncés dans la lettre de licenciement, qui seule fixe les limites du litige et ne peuvent désormais plus être pris en considération.

En réalité, c'est parce que M. Bremond, dans de multiples courriers, a émis des critiques quant à l'action commerciale de la société Devil, celle-ci a en a pris ombrage et en est venue au licenciement. Certes, la société Devil fait état du bon accueil qui a été réservé à la gamme "Furious" (silencieux arrières pour automobiles) et aux silencieux pour motos Quadra et Sprinter. Mais elle fait état de ventes en réalité postérieures au départ de M. Bremond, à la fin du mois d'août 2006. On ne peut en déduire que M. Bremond aurait volontairement délaissé la promotion de ces produits.

Celui-ci ne repose donc pas sur une cause réelle et sérieuse.

M. Bremond ayant une ancienneté de sept années au sein de l'entreprise et étant actuellement au chômage, c'est par une exacte appréciation des circonstances de la cause que le premier juge a fixé le préjudice subi par le salarié à la somme de 17 746,81 euro. La décision déférée sera confirmée sur ce point.

Sur l'indemnité de clientèle

Aux termes du contrat de travail, la mission de M. Bremond consiste à "représenter la société en tant que commercial", chargé de commercialiser l'ensemble des produits de la société Devil, toute la clientèle de la société étant à visiter sur une série de départements. La rémunération variable initiale a été fixée à 10 % de l'augmentation du chiffre d'affaires dégagé sur le secteur, la référence étant la période mars 1998/février 1999, soit 1 902 000 F HT.

Ce taux a été ramené à 6 % pour l'exercice 2002 et à compter de 2003, le salaire est composé d'un fixe et d'une partie variable sur objectifs, avec des primes sur la réalisation de l'objectif, allant de 228,67 euro à 1 372,04 euro, dans le cas d'une réalisation de 80 % à 110 % de l'objectif fixé.

Ce montant a été réévalué en 2004.

Parce que le travail de M. Bremond consiste en la prospection, le démarchage personnel auprès de la clientèle, de façon itinérante, dans un secteur fixe, et en la prise d'ordres pour le compte de la société Devil, il relève du statut des représentants de commerce, cette activité étant exclusive et constante.

Le contrat de travail ayant été résilié du fait de l'employeur, M. Bremond est en droit de réclamer une indemnité de clientèle, destinée à réparer le préjudice subi du fait de la perte de la clientèle antérieurement démarchée.

Si les commissions initialement prévues ont été remplacées par des primes, en réalité, celles-ci ont continué à garder le caractère de commissions, puisque ces primes sont en rapport avec le chiffre d'affaires atteint. Du reste, les bulletins de paye portent la mention de "commission aug./CA HT facturé".

Par ailleurs, M. Bremond étant au chômage, il n'est plus en mesure de continuer à visiter la même clientèle après la rupture du contrat de travail. Il a ainsi subi une perte de rémunération, ce qui constitue un préjudice qui ouvre le droit au versement d'une indemnité de clientèle.

Cette indemnité est due quand bien même son développement résulte, comme c'est le cas en l'espèce, d'une action conjointe de M. Bremond, de par ses contacts personnels avec les revendeurs des produits Devil et de cette société, de par ses actions promotionnelles, notamment dans le domaine de la compétition motocycliste.

Il résulte des pièces versées aux débats que M. Bremond justifie d'une augmentation de la clientèle durant les sept années passées au service de la société Devil. C'est ainsi que le chiffre d'affaires a augmenté durant cette période de 46,60 %, que le nombre de clients "auto" est passé de 273 à 322, soit + 17,95 % et celui des clients "moto" de 198 à 357, soit + 80,30 %.

Les commissions et primes perçues par M. Bremond n'ont pas à être déduites de l'indemnité de clientèle, puisqu'elles n'ont pas eu pour but de rémunérer l'apport et le développement de la clientèle, mais seulement l'activité commerciale du salarié.

En revanche, le salaire fixe n'a pas à être pris en considération pour le calcul de l'indemnité.

Par ailleurs, dans la société Devil, les commissions versées aux commerciaux le sont au taux de 4 %. Enfin, la société Devil justifie avoir fait d'importants efforts de promotion de ses produits, en créant un site Internet, en développant de nouvelles gammes de produits, en pratiquant le sponsoring sportif dans le domaine de la compétition de moto, ce qui lui a conféré une notoriété certaine dans ce domaine.

Aussi, l'accroissement de la clientèle ne peut être imputée à M. Bremond seul.

Dans ces conditions, il convient de fixer l'indemnité de clientèle à la somme de 28 000 euro.

L'équité commande enfin l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a été jugé que M. Bremond a été licencié sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société Devil à payer à M. Bremond la somme de 17 746,81 euro à titre de dommages-intérêts, et en ce qu'il l'a condamnée à rembourser à l'ASSEDIC le montant des indemnités de chômage servies à M. Bremond dans la limite de six mois, Le reforme pour le surplus, Statuant a nouveau et y ajoutant, Dit que M. Bremond a le statut de représentant de commerce, Dit qu'il bénéficie d'une indemnité de clientèle, Condamne la société Devil à lui verser à ce titre la somme de 28 000 euro, Condamne la société Devil à payer à M. Bremond la somme de 2 500 euro au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.