CJUE, 3e ch., 30 septembre 2010, n° C-314/09
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Stadt Graz
Défendeur :
Strabag AG, Teerag-Asdag AG, Bauunternehmung Granit GesmbH, Land Steiermark
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Lenaerts
Avocat général :
Mme Trstenjak
Juges :
MM. Juhász, Arestis, von Danwitz, váby
Avocats :
Mes Kocher, Mecenovic, Lerchbaumer
LA COUR (troisième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 1er, paragraphe 1, et 2, paragraphes 1, sous c), et 7, de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992 (JO L 209, p. 1, ci-après la "directive 89-665").
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant la Stadt Graz [ville de Graz (Autriche)] à Strabag AG, Teerag-Asdag AG et Bauunternehmung Granit GesmbH (ci-après, ensemble, "Strabag e.a."), à la suite de l'attribution illégale d'un marché public par cette ville.
Le cadre juridique
Le droit de l'Union
3 Aux termes des troisième et sixième considérants de la directive 89-665 :
"[...] l'ouverture des marchés publics à la concurrence communautaire nécessite un accroissement substantiel des garanties de transparence et de non-discrimination et [...] il importe, pour qu'elle soit suivie d'effets concrets, qu'il existe des moyens de recours efficaces et rapides en cas de violation du droit communautaire en matière de marché public ou des règles nationales transposant ce droit;
[...]
[...] il est nécessaire d'assurer que, dans tous les États membres, des procédures adéquates permettent l'annulation des décisions illégales et l'indemnisation des personnes lésées par une violation".
4 Cette directive dispose, à son article 1er, paragraphe 1 :
"Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d'application des directives 71-305-CEE, 77-62-CEE et 92-50-CEE, les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l'article 2, paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit."
5 L'article 2, paragraphes 1 et 5 à 7, de la directive 89-665 énonce :
"1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l'article 1er prévoient les pouvoirs permettant :
a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d'empêcher d'autres dommages d'être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou de l'exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;
b) d'annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l'appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;
c) d'accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par une violation.
[...]
5. Les États membres peuvent prévoir que, lorsque des dommages et intérêts sont réclamés au motif que la décision a été prise illégalement, la décision contestée doit d'abord être annulée par une instance ayant la compétence nécessaire à cet effet.
6. Les effets de l'exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 sur le contrat qui suit l'attribution d'un marché sont déterminés par le droit national.
En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à l'octroi de dommages-intérêts, un État membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l'attribution d'un marché, les pouvoirs de l'instance responsable des procédures de recours se limitent à l'octroi de dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation.
7. Les États membres veillent à ce que les décisions prises par les instances responsables des procédures de recours puissent être exécutées de manière efficace."
Le droit national
6 Le droit de l'Union en matière de marchés publics a été transposé, dans le Land de Styrie, par la loi de 1998 sur les marchés publics (Steiermärkisches Vergabegesetz 1998, ci-après le "StVergG").
7 L'article 115, paragraphe 1, du StVergG dispose :
"En cas de violation fautive de la présente loi ou de ses règlements d'application par les organes d'un pouvoir adjudicateur, un candidat ou un soumissionnaire non retenu peut faire valoir un droit au remboursement des frais engagés pour élaborer son offre et des autres coûts supportés du fait de sa participation à la procédure d'adjudication à l'encontre du pouvoir adjudicateur auquel le comportement des organes de l'entité adjudicatrice est imputable. Il convient de faire valoir les droits à dommages et intérêts, y compris la compensation de la perte d'un gain, par une requête introduite devant les juridictions ordinaires."
8 L'article 1298 du Code civil autrichien (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch, ci-après l'"ABGB") dispose :
"Celui qui prétend avoir été empêché de remplir ses obligations contractuelles ou légales sans avoir commis de faute doit le prouver. Si, en raison d'une convention contractuelle, il n'est responsable que d'une négligence grossière, il doit aussi prouver que cette condition n'est pas remplie."
9 L'article 1299 de l'ABGB prévoit :
"Celui qui exerce publiquement une fonction, un art, une profession ou un métier ou celui qui se charge librement d'une affaire dont la réalisation exige des connaissances artistiques ou une assiduité inhabituelle montre par là qu'il dispose de l'assiduité nécessaire et des connaissances inhabituelles exigées; il doit dès lors répondre de l'absence de ces dernières. Toutefois, si celui qui lui a confié l'affaire connaissait son inexpérience ou aurait pu la connaître par une attention habituelle, c'est à lui que revient la charge de la carence de ce dernier."
Les faits à l'origine du litige au principal et les questions préjudicielles
10 En 1998, la Stadt Graz a lancé, dans le cadre d'une procédure ouverte, un appel d'offres au niveau de l'Union européenne pour la fabrication et la livraison d'enrobés bitumeux à chaud, conformément aux dispositions du StVergG. L'appel d'offres, publié au Journal officiel des Communautés européennes et dans le Grazer Zeitung, mentionnait comme lieu d'exécution de la prestation "Graz, Autriche" et indiquait, sous une rubrique intitulée "Description sommaire (nature des prestations, remarques générales, objet des travaux ou des prestations de construction"), la livraison d'enrobés bitumeux à chaud durant l'année 1999. Il précisait également, sous la rubrique "Délais d'accomplissement des prestations", "début : 1er mars 1999, fin : 20 décembre 1999".
11 Quatorze offres ont été déposées. L'entreprise la mieux-disante était l'entreprise de construction Held & Franck Bau GmbH (ci-après "HFB"). Selon les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle, si cette entreprise avait été écartée, il y aurait eu lieu de retenir l'offre commune de Strabag e.a.
12 HFB avait accompagné son offre d'une lettre dans laquelle elle indiquait, "à titre complémentaire", que sa nouvelle installation de mélange d'asphalte, qui devait être construite sur le territoire de la commune de Großwilfersdorf dans les semaines à venir, serait opérationnelle à compter du 17 mai 1999. Strabag e.a. ignoraient l'existence de cette lettre.
13 Le 5 mai 1999, Strabag e.a. ont introduit devant le Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark (commission de contrôle des adjudications du Land de Styrie) un recours dans lequel elles ont fait valoir que HFB ne disposait pas, dans le Land de Styrie, d'installations de fabrication d'enrobés à chaud, ce qui la plaçait dans l'impossibilité technique d'exécuter le marché en cause. Selon elles, l'offre de cette entreprise devait, par conséquent, être écartée.
14 Strabag e.a. ont, parallèlement, introduit une demande en référé, à laquelle le Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark a fait droit par une ordonnance du 10 mai 1999 interdisant à la Stadt Graz de procéder à l'attribution du marché dans l'attente de la décision au fond.
15 Par décision du 10 juin 1999, le Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark a rejeté le recours de Strabag e.a. dans son intégralité, notamment les demandes visant à lancer une procédure de recours et à exclure HFB du marché. Il a estimé que cette entreprise disposait d'une autorisation en vue de la fabrication d'asphalte et que le fait d'exiger l'existence d'une installation de production d'enrobés à chaud au moment de l'ouverture des offres serait disproportionné par rapport à l'objet du marché et contraire aux usages de la vie économique.
16 Le 14 juin 1999, la Stadt Graz a attribué le marché à HFB.
17 Par décision du 9 octobre 2002, le Verwaltungsgerichtshof a, à la suite d'un recours de Strabag e.a., invalidé la décision du Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark, au motif que l'offre de HFB n'était pas conforme à l'appel d'offres en raison du fait que, alors que le délai de réalisation des prestations courait du 1er mars au 20 décembre 1999, cette entreprise ne pouvait disposer de sa nouvelle installation de mélange d'asphalte qu'à compter du 17 mai 1999.
18 L'Unabhängiger Verwaltungssenat für die Steiermark (chambre administrative indépendante pour le Land de Styrie), qui a repris, en 2002, les compétences du Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark, a jugé, par une décision du 23 avril 2003, que, en raison d'une violation du StVergG, le marché n'avait pas été attribué légalement par la Stadt Graz.
19 Strabag e.a. ont introduit devant les juridictions ordinaires une action tendant à la condamnation de la Stadt Graz au versement en leur faveur de la somme de 300 000 euro à titre de dommages et intérêts. À l'appui de leur action, elles ont fait valoir que l'offre de HFB aurait dû être écartée en raison d'un vice irrémédiable et que leur offre aurait, par conséquent, dû être retenue. La Stadt Graz aurait commis une faute en s'abstenant de constater l'incompatibilité de l'offre de HFB avec les termes de l'appel d'offres. La décision du Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark ne serait pas de nature à exonérer la Stadt Graz, qui aurait agi à ses propres risques.
20 La Stadt Graz a fait valoir, de son côté, qu'elle était liée par la décision du Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark et que l'illégalité éventuelle de cette décision est imputable au Land Steiermark, dont relève le Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark. Ses propres organes n'auraient, en revanche, commis aucune faute.
21 La juridiction de première instance a, par une décision interlocutoire, jugé fondée la demande en réparation de Strabag e.a., estimant que la Stadt Graz avait commis une faute en ne procédant pas à la vérification des offres et en attribuant le marché à HFB, malgré le vice apparent de l'offre de cette dernière, pendant le délai de recours ouvert contre la décision du Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark.
22 Cette décision a été confirmée en appel. La juridiction d'appel a toutefois déclaré que son arrêt était susceptible d'un recours en "Revision" ordinaire, eu égard à l'absence de jurisprudence de l'Oberster Gerichtshof sur la responsabilité pour faute du pouvoir adjudicateur dans une situation caractérisée, comme en l'espèce, par l'existence, à la date de l'attribution du marché au plus offrant, d'une décision du Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark confirmant la position dudit pouvoir adjudicateur.
23 La juridiction d'appel a estimé que, bien que les juridictions ordinaires soient liées par le constat d'illégalité opéré par la décision de l'Unabhängiger Verwaltungssenat für die Steiermark du 23 avril 2003 et qu'un lien de causalité ait été établi entre le comportement illégal de la Stadt Graz et le préjudice de Strabag e.a., il convenait néanmoins de s'interroger sur l'existence d'une faute de la Stadt Graz, liée à sa décision d'attribuer, dès le 14 juin 1999, le marché à HFB sans tenir compte de la circonstance, non évoquée dans la décision du Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark du 10 juin 1999, que la lettre d'accompagnement de l'offre de cette entreprise indiquait qu'elle n'était pas en mesure de respecter les délais d'exécution du marché en cause.
24 La Stadt Graz a introduit, devant l'Oberster Gerichtshof, un recours en "Revision" contre l'arrêt rendu en appel.
25 En premier lieu, la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la conformité de l'article 115, paragraphe 1, du StVergG avec la directive 89-665. Se référant aux arrêts des 14 octobre 2004, Commission/Portugal (C-275-03), et 10 janvier 2008, Commission/Portugal (C-70-06, Rec. p. I-1), elle se demande s'il y a lieu de considérer comme étant contraire à cette directive toute réglementation nationale qui, d'une façon ou d'une autre, conditionne le droit du soumissionnaire à des dommages et intérêts à l'existence d'une faute du pouvoir adjudicateur, ou uniquement celle qui fait peser la charge de la preuve de cette faute sur ledit soumissionnaire.
26 Ladite juridiction souligne, à cet égard, que l'article 1298 de l'ABGB opère un renversement de cette charge de la preuve, en vertu duquel la faute organique du pouvoir adjudicateur est présumée. En outre, ce dernier ne serait pas en droit d'invoquer l'absence de capacités individuelles, étant donné que sa responsabilité correspondrait à celle d'un expert, au sens de l'article 1299 de l'ABGB. La Stadt Graz pourrait, néanmoins, satisfaire à suffisance de droit à la charge de la preuve si elle avait été liée, de manière effective et intégrale, par la décision formellement exécutoire du Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark.
27 En deuxième lieu, à supposer que la directive 89-665 ne s'oppose pas à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, la juridiction de renvoi, qui conteste, à l'instar du Verwaltungsgerichtshof et de la juridiction d'appel dans la présente affaire, que le pouvoir adjudicateur soit lié par une décision telle que celle rendue par le Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark le 10 juin 1999, se demande, toutefois, si la supposition selon laquelle ledit pouvoir ne serait pas lié par une telle décision et aurait pu, voire aurait dû, octroyer le marché à un autre soumissionnaire n'est pas de nature à heurter l'objectif, affirmé à l'article 2, paragraphe 7, de ladite directive, visant à l'exécution efficace des décisions prises par les instances responsables des procédures de recours.
28 En troisième lieu, à supposer que cette deuxième interrogation appelle une réponse affirmative, la juridiction de renvoi relève que Strabag e.a., ainsi que la juridiction d'appel, reprochent à la Stadt Graz d'avoir octroyé le marché à HFB sans avoir tenu compte de la circonstance, non évoquée par le Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark dans sa décision du 10 juin 1999, que cette entreprise n'était, selon ses propres indications, pas en mesure d'exécuter ce marché dans le délai fixé par l'appel d'offres. Dans ces conditions, elle se demande, eu égard à l'article 2, paragraphe 7, de la directive 89-665, si, quand bien même le pouvoir adjudicateur aurait été lié par la décision prise par un organe tel que le Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark, il aurait pu, voire aurait dû, néanmoins vérifier l'exactitude d'une telle décision et/ou le caractère exhaustif de l'appréciation sur laquelle celle-ci reposait.
29 Dans ces conditions, l'Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) Les articles 1er, paragraphe 1, et 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 89-665 [...] ou d'autres dispositions de cette directive font-ils également obstacle à une réglementation nationale en vertu de laquelle les droits à dommages et intérêts réclamés au titre d'une violation du droit communautaire des marchés publics par le pouvoir adjudicateur sont soumis à une condition de faute, lorsque cette réglementation est appliquée en ce sens qu'il y a lieu, en principe, de présumer la faute organique du pouvoir adjudicateur et que l'invocation par celui-ci de l'absence de capacités individuelles et, donc, d'un défaut d'imputation de l'élément subjectif est exclue ?
2) En cas de réponse négative à la première question :
L'article 2, paragraphe 7, de la directive 89-665 [...] doit-il être interprété en ce sens que, conformément à la garantie de l'efficacité de la mise en œuvre des décisions adoptées dans une procédure de recours, prescrite par cette disposition, la décision d'une autorité de contrôle de l'attribution des marchés publics a un effet contraignant à l'égard de toutes les parties à la procédure, y compris du pouvoir adjudicateur ?
3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question :
Est-il licite, en vertu de l'article 2, paragraphe 7, de la directive 89-665 [...], que le pouvoir adjudicateur s'abstienne de prendre en compte une décision exécutoire de l'instance de contrôle de l'attribution des marchés publics ou est-il même tenu de s'abstenir de la prendre en compte [et], le cas échéant, dans quelles conditions ?"
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
30 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 89-665 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale subordonnant le droit d'obtenir des dommages et intérêts en raison d'une violation du droit des marchés publics par un pouvoir adjudicateur au caractère fautif de cette violation lorsque l'application de cette réglementation repose sur une présomption de faute du pouvoir adjudicateur ainsi que sur l'impossibilité pour ce dernier d'invoquer l'absence de capacités individuelles et, partant, d'imputabilité subjective de la violation alléguée.
31 À cet égard, il convient, tout d'abord, de relever que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 89-665 impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour garantir l'existence de procédures de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible contre les décisions des pouvoirs adjudicateurs qui auraient "violé" le droit de l'Union en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit. Le troisième considérant de cette directive souligne, de son côté, la nécessité qu'il existe des moyens de recours efficaces et rapides en cas de "violation" de ce droit ou de ces règles.
32 S'agissant, en particulier, de la voie de recours tendant à l'octroi de dommages et intérêts, l'article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 89-665 dispose que les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à son article 1er prévoient les pouvoirs permettant d'accorder de tels dommages et intérêts aux personnes lésées par une violation.
33 La directive 89-665 n'établit toutefois que les conditions minimales auxquelles doivent répondre les procédures de recours instaurées dans les ordres juridiques nationaux, afin de garantir le respect des prescriptions du droit de l'Union en matière de marchés publics (voir, notamment, arrêts du 27 février 2003, Santex, C-327-00, Rec. p. I-1877, point 47, et du 19 juin 2003, GAT, C-315-01, Rec. p. I-6351, point 45). En l'absence d'une disposition spécifique en la matière, il appartient par conséquent à l'ordre juridique interne de chaque État membre de déterminer les mesures nécessaires pour garantir que les procédures de recours permettent effectivement d'accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par une violation du droit des marchés publics (voir, par analogie, arrêt GAT, précité, point 46).
34 Si, dès lors, la mise en œuvre de l'article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 89-665 relève, en principe, de l'autonomie procédurale des États membres, encadrée par les principes d'équivalence et d'effectivité, il convient, toutefois, d'examiner si cette disposition, interprétée au regard du contexte et de l'objectif généraux dans lesquels s'inscrit la voie de recours tendant à l'octroi de dommages et intérêts, s'oppose à ce qu'une disposition nationale telle que celle en cause au principal subordonne, dans les conditions reproduites au point 30 du présent arrêt, pareil octroi au caractère fautif de la violation, par le pouvoir adjudicateur, du droit des marchés publics.
35 À cet égard, il importe de relever, tout d'abord, que le libellé des articles 1er, paragraphe 1, et 2, paragraphes 1, 5 et 6, ainsi que du sixième considérant de la directive 89-665, n'indique aucunement que la violation de la réglementation relative aux marchés publics susceptible d'ouvrir un droit à des dommages et intérêts en faveur de la personne lésée devrait revêtir des caractéristiques particulières, comme celle d'être liée à une faute, prouvée ou présumée, du pouvoir adjudicateur, ou encore de n'être couverte par aucune cause d'exonération de responsabilité.
36 Cette analyse est corroborée par les contextes et objectifs généraux de la voie de recours tendant à l'octroi de dommages et intérêts, prévue par la directive 89-665.
37 En effet, selon une jurisprudence constante, les États membres, tout en étant tenus de prévoir des voies de recours permettant d'obtenir l'annulation d'une décision d'un pouvoir adjudicateur contraire à la réglementation relative aux marchés publics, sont en droit, eu égard à l'objectif de célérité poursuivi par la directive 89-665, d'assortir ce type de recours de délais raisonnables, à peine de forclusion, et ce pour éviter que les candidats et les soumissionnaires puissent à tout moment invoquer des infractions à ladite réglementation, obligeant ainsi le pouvoir adjudicateur à reprendre la totalité de la procédure afin de corriger ces infractions [voir en ce sens, notamment, arrêts du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C-470-99, Rec. p. I-11617, points 74 à 78; Santex, précité, points 51 et 52; du 11 octobre 2007, Lämmerzahl, C-241-06, Rec. p. I-8415, points 50 et 51, ainsi que du 28 janvier 2010, Uniplex (UK), C-406-08, non encore publié au Recueil, point 38].
38 En outre, l'article 2, paragraphe 6, second alinéa, de la directive 89-665 réserve aux États membres la faculté de limiter, après la conclusion du contrat qui suit l'attribution d'un marché, les pouvoirs de l'instance responsable des procédures de recours à l'octroi de dommages et intérêts.
39 Dans ce contexte, la voie de recours indemnitaire prévue à l'article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 89-665 ne saurait constituer, le cas échéant, une alternative procédurale compatible avec le principe d'effectivité qui sous-tend l'objectif d'efficacité des recours poursuivi par ladite directive [voir en ce sens, notamment, arrêt Uniplex (UK), précité, point 40] qu'à la condition que la possibilité d'octroi de dommages et intérêts en cas de violation des règles relatives aux marchés publics ne soit, pas plus que ne le sont les autres voies de recours prévues à cet article 2, paragraphe 1, tributaire du constat d'une faute du pouvoir adjudicateur.
40 Ainsi que l'a fait valoir la Commission européenne, il importe peu, à cet égard, que, à la différence de la réglementation nationale visée par l'arrêt du 14 octobre 2004, Commission/Portugal, précité, celle qui est en cause dans l'affaire au principal ne fasse pas peser sur la personne lésée la charge de la preuve d'une faute du pouvoir adjudicateur, mais impose à ce dernier de renverser la présomption de faute qui pèse sur lui en limitant les motifs invocables à cette fin.
41 En effet, cette dernière réglementation engendre, elle aussi, le risque que le soumissionnaire qui a été lésé par une décision illégale d'un pouvoir adjudicateur soit néanmoins privé du droit d'obtenir des dommages et intérêts au titre du préjudice causé par cette décision, si le pouvoir adjudicateur parvient à renverser la présomption de faute qui pèse sur lui. Or, aux termes de la présente demande de décision préjudicielle et ainsi que l'ont confirmé les débats lors de l'audience, une telle éventualité n'est pas exclue en l'occurrence, eu égard à la possibilité pour la Stadt Graz d'invoquer le caractère excusable de l'erreur de droit qu'elle a prétendument commise, en raison de l'intervention de la décision du Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark du 10 juin 1999 ayant rejeté le recours de Strabag e.a.
42 À tout le moins ledit soumissionnaire encourt-il le risque, en vertu de cette même réglementation, de n'obtenir des dommages et intérêts que tardivement, eu égard à la longueur pouvant caractériser une procédure civile tendant à la constatation du caractère fautif de la violation alléguée.
43 Or, dans l'un et l'autre cas, la situation serait contraire à l'objectif de la directive 89-665, exprimé à l'article 1er, paragraphe 1, et au troisième considérant de celle-ci, consistant à garantir l'existence de voies de recours efficaces et aussi rapides que possible contre les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs en violation du droit des marchés publics.
44 Il convient également de souligner que, à supposer même que, dans la présente affaire, la Stadt Graz ait pu considérer, au cours du mois de juin 1999, que, en raison de l'objectif d'efficacité inhérent au déroulement des procédures de passation des marchés publics, elle était tenue de donner immédiatement suite à la décision du Vergabekontrollsenat des Landes Steiermark du 10 juin 1999, sans attendre l'expiration du délai de recours ouvert à l'encontre de cette décision, il n'en demeure pas moins, ainsi que la Commission l'a souligné lors de l'audience, que la constatation du bien-fondé d'une demande d'octroi de dommages et intérêts introduite par le soumissionnaire évincé à la suite de l'invalidation de cette décision par une juridiction administrative ne saurait, pour sa part, dépendre, au mépris des termes, du contexte et de l'objectif des dispositions de la directive 89-665 prévoyant le droit à de tels dommages et intérêts, d'une appréciation du caractère fautif du comportement du pouvoir adjudicateur mis en cause.
45 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que la directive 89-665 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale subordonnant le droit d'obtenir des dommages et intérêts en raison d'une violation du droit des marchés publics par un pouvoir adjudicateur au caractère fautif de cette violation, y compris lorsque l'application de cette réglementation repose sur une présomption de faute dudit pouvoir adjudicateur ainsi que sur l'impossibilité pour ce dernier d'invoquer l'absence de capacités individuelles et, partant, d'imputabilité subjective de la violation alléguée.
Sur les deuxième et troisième questions
46 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre aux deux autres questions posées.
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre) dit pour droit :
La directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale subordonnant le droit d'obtenir des dommages et intérêts en raison d'une violation du droit des marchés publics par un pouvoir adjudicateur au caractère fautif de cette violation, y compris lorsque l'application de cette réglementation repose sur une présomption de faute dudit pouvoir adjudicateur ainsi que sur l'impossibilité pour ce dernier d'invoquer l'absence de capacités individuelles et, partant, d'imputabilité subjective de la violation alléguée.