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Décisions

Cass. com., 28 septembre 2010, n° 09-13.150

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Domaine du Château de Chassagne Montrachet (SCV), Clerget (Consorts)

Défendeur :

Fossier, Bader, Domaine du Château de Chassagne Montrachet Bader-Mimeur (GFA), Bader-Mimeur (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

M. Sémériva

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Célice, Blancpain, Soltner

Paris, aud. sol., du 15 déc. 2004

15 décembre 2004

LA COUR : - Vu les articles 327 et 330 du Code de procédure civile ; - Déclare irrecevable l'intervention volontaire de l'Institut Pasteur ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 février 2009), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 30 mai 2007, pourvoi n° 06-14.783, faisant suite à un premier arrêt de cassation, Chambre commerciale, économique et financière, 2 mai 2002, pourvoi n° 98-22.998), que Mme Bader, épouse Fossier, et M. Bader (les consorts Bader) et le groupement foncier agricole du Domaine du Château de Chassagne Montrachet Bader-Mimeur (le GFA) sont propriétaires, en vertu de droits constitués depuis 1919, de terres plantées en vignes dépendant de l'ancien domaine du château de Chassagne Montrachet et de bâtiments constituant les communs de ce château où ont lieu les opérations de vinification des raisins et la mise en bouteilles ; qu'en 1991 et 1997, la société civile d'exploitation (la SCE), devenue la société civile viticole du Domaine du Château de Chassagne Montrachet (la SCV), actuellement dirigée par les consorts Clerget, s'est rendue propriétaire de l'habitation principale et d'une parcelle de vignes cadastrée "Champ derrière" ; que les 7 et 17 février 1989, Maurice Clerget a déposé en classe 30 les marques "Caves du Château de Chassagne Montrachet", "Domaine du Château de Chassagne Montrachet" et "Château de Chassagne Montrachet" ; que M. Bader a déposé les 7 mai 1990 et 12 mars 1991, les marques "Clos du Château de Chassagne" et "Château de Chassagne" pour désigner en classe 33 "le vin d'appellation d'origine contrôlée provenant de l'exploitation exactement dénommée Château de Chassagne" et "Clos du Château de Chassagne" ; que, leur contestant le droit d'utiliser le terme "Château de Chassagne Montrachet" pour désigner des vins issus de vignes bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) Chassagne Montrachet, mais extérieures au domaine du château, les consorts Bader, le GFA et la société Bader-Mimeur ont poursuivi la SCV et Maurice Clerget, aux droits duquel se trouvent Mme Corinne Clerget et M. Patrick Clerget (les consorts Clerget) notamment pour concurrence déloyale ;

Sur le premier et le deuxième moyens, réunis : - Attendu que la SCV et les consorts Clerget font grief à l'arrêt de les avoir condamnés pour concurrence déloyale et de leur avoir interdit de faire usage de la dénomination Château de Chassagne Montrachet pour commercialiser des vins autres que ceux venant de la parcelle de vignes sise "Champ derrière" sur l'ancien domaine du château de Chassagne Montrachet, d'avoir ordonné la destruction des étiquettes et de tout document portant la dénomination Château de Chassagne Montrachet dans un tel usage et d'avoir ordonné des mesures de publication, alors, selon le moyen : 1°) que dans le cas où une entreprise correspond à une exploitation viticole où le vin a été obtenu, le nom de cette entreprise peut être utilisé à la double condition que le vin provienne exclusivement de raisins récoltés dans des vignes faisant partie de cette même exploitation et que la vinification ait été effectuée dans cette exploitation ; qu'en jugeant que l'article 6 du règlement CEE n° 3201-90 du 16 octobre 1990 posait des critères identiques à ceux du règlement CE 753-02 et que les consorts Clerget et la SCV avaient commis une faute en commercialisant leurs vins sous la dénomination "Château de Chassagne Montrachet" car ils étaient issus de vignes ne faisant pas partie de "l'ancien domaine du château de Chassagne Montrachet", y compris pour une période postérieure à la date de mise en application du dernier règlement communautaire, quand l'article 6 du règlement n° 3201-90 a été abrogé par le règlement n° 753-02 qui ne réglemente pas l'utilisation de la dénomination "château" mais celle du nom de l'entreprise correspondant à une exploitation viticole, de sorte qu'à compter de la date à laquelle le nouveau règlement était devenu applicable, soit le 1er janvier 2003, la SCV ne pouvait se voir imputer à faute l'utilisation de la dénomination "Château de Chassagne Montrachet", la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil et l'article 25 du règlement CE n° 753-02 du 29 avril 2002 fixant certaines modalités d'application du règlement CE n° 1493-1999 du Conseil en ce qui concerne la désignation, la dénomination, la présentation et la protection de certains produits vitivinicoles ; 2°) que le nom de l'entreprise correspondant à une exploitation viticole peut être utilisé dès lors que le vin provient exclusivement de raisins récoltés dans des vignes faisant partie de cette même exploitation viticole et que la vinification a été effectuée dans cette exploitation ; que si des conditions peuvent être imposées pour l'utilisation de la dénomination "château", elles doivent être prévues par les droits internes ou les usages locaux ; qu'en affirmant que le terme de "château" ne pouvait être utilisé par les consorts Clerget et la SCV, y compris pour la période postérieure à laquelle le règlement n° 753-2002 était devenu applicable, soit le 1er janvier 2003, aux motifs que les vins produits et commercialisés ne provenaient pas de vignobles faisant partie de "l'ancien domaine du château", quand le droit français auquel le droit communautaire renverrait n'interdit pas l'utilisation du terme "château" dans l'hypothèse où le vin produit par une entreprise dont le nom comprend ce terme, par ailleurs propriétaire d'une demeure seigneuriale et de vignes, n'est pas issu de raisins provenant exclusivement de "l'ancien domaine du château", la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil et l'article 25 du règlement CE n° 753-02 du 29 avril 2002 fixant certaines modalités d'application du règlement CE n° 1493-1999 du Conseil en ce qui concerne la désignation, la dénomination, la présentation et la protection de certains produits vitivinicoles, ensemble l'article 13-4° du décret du 19 août 1921, dans sa rédaction issue du décret du 30 septembre 1949 ; 3°) que le nom de l'entreprise correspondant à une exploitation viticole peut être utilisé dès lors que le vin provient exclusivement de raisins récoltés dans des vignes faisant partie de cette même exploitation viticole et que la vinification a été effectuée dans cette exploitation ; que si des conditions peuvent être imposées pour l'utilisation de la dénomination "château", elles doivent être prévues par les droits internes ou les usages locaux ; qu'en affirmant que le terme de "château" ne pouvait être utilisé par les consorts Clerget et la SCV, y compris pour la période postérieure à la date à laquelle le règlement n° 753-2002 était devenu applicable, soit le 1er janvier 2003, aux motifs que les vins produits et commercialisés ne provenaient pas de vignobles faisant partie de "l'ancien domaine du château", sans établir que les usages en vigueur en Bourgogne, compte tenu de la spécificité des vignobles dont les parcelles de différents climats sont morcelées et varient au fil du temps, interdisaient l'utilisation du terme "château" dans l'hypothèse où le vin produit par une entreprise dont le nom comprend ce terme, par ailleurs propriétaire d'une demeure seigneuriale et de vignes, n'est pas issu de raisins provenant exclusivement de "l'ancien domaine du château", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil et de l'article 25 du règlement CE n° 753-02 du 29 avril 2002 fixant certaines modalités d'application du règlement CE n° 1493-1999 du Conseil en ce qui concerne la désignation, la dénomination, la présentation et la protection de certains produits vitivinicoles, ensemble l'article 13-4° du décret du 19 août 1921, dans sa rédaction issue du décret du 30 septembre 1949 ; 4°) que pour l'indication du nom de l'exploitation viticole où le vin a été obtenu, le terme "château" peut être utilisé dès lors que le vin provient exclusivement de raisins récoltés dans des vignes faisant partie de cette même exploitation viticole et que la vinification a été effectuée dans cette exploitation ; que toute exploitation peut donc user du terme "château" dès lors que les principales étapes du processus d'élaboration du vin, qui vont de la récolte à la mise en bouteilles, en passant par la vinification et l'élevage du vin, ont été développées sous sa direction effective, son contrôle étroit et permanent et sa responsabilité exclusive, offrant ainsi la garantie que le vin offre une qualité d'exploitation uniforme ; qu'en jugeant que les consorts Clerget et la SCV, qui contrôlaient toutes les opérations du processus de vinification, puisque les vignes et les raisins utilisés faisaient tous partie de leur exploitation, que la vinification était effectuée sous leur contrôle exclusif et que le vin issu de ces vignes était élevé et mis en bouteille au Château de Chassagne-Montrachet dont la SCV était propriétaire, ne pouvaient commercialiser leurs vins sous la dénomination "Château de Chassagne Montrachet" car ils étaient issus de vignes ne faisant pas partie de "l'ancien domaine du château de Chassagne Montrachet" et en déduire qu'ils avaient commis des actes de concurrence déloyale au préjudice des personnes commercialisant sous cette dénomination des vins issus exclusivement de vignes situées sur l'ancien domaine du château, quand leur droit d'user du terme "château" n'était pas subordonné à une condition tenant à ce que les raisins proviennent de "l'ancien domaine du château", la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil et l'article 6 du règlement CE n° 3201-90 du 16 octobre 1990 portant modalités d'application pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins, ensemble l'article 25 du règlement CE n° 753-02 du 29 avril 2002 fixant certaines modalités d'application du règlement CE n° 1493-1999 du Conseil en ce qui concerne la désignation, la dénomination, la présentation et la protection de certains produits vitivinicoles ; 5°) que pour l'indication du nom de l'exploitation viticole où le vin a été obtenu, le terme "château" peut être utilisé dès lors que le vin provient exclusivement de raisins récoltés dans des vignes faisant partie de cette même exploitation viticole et que la vinification a été effectuée dans cette exploitation ; que si des conditions supplémentaires peuvent être imposées pour l'utilisation de ce terme, elles doivent être prévues par les droits internes ou les usages locaux ; qu'en affirmant que le terme de "château" ne pouvait être utilisé par les consorts Clerget et la SCV aux motifs que les vins produits et commercialisés ne provenaient pas de vignobles faisant partie de "l'ancien domaine du château", quand le droit français n'interdit pas l'utilisation du terme "château" dans l'hypothèse où le vin produit par une entreprise dont le nom comprend ce terme, par ailleurs propriétaire d'un bâtiment historique, n'est pas issu de raisins provenant exclusivement de "l'ancien domaine du château", la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, l'article 6 du règlement CE n° 3201-90 du 16 octobre 1990 portant modalités d'application pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins et l'article 25 du règlement CE n° 753-02 du 29 avril 2002 fixant certaines modalités d'application du règlement CE n° 1493-1999 du Conseil en ce qui concerne la désignation, la dénomination, la présentation et la protection de certains produits vitivinicoles, ensemble l'article 13-4° du décret du 19 août 1921, dans sa rédaction issue du décret du 30 septembre 1949 ; 6°) que pour l'indication du nom de l'exploitation viticole où le vin a été obtenu, le terme "château" peut être utilisé dès lors que le vin provient exclusivement de raisins récoltés dans des vignes faisant partie de cette même exploitation viticole et que la vinification a été effectuée dans cette exploitation ; que si des conditions supplémentaires peuvent être imposées pour l'utilisation de ce terme, elles doivent être prévues par les droits internes ou les usages locaux ; qu'en affirmant que le terme de "château" ne pouvait être utilisé par les consorts Clerget et la SCV aux motifs que les vins produits et commercialisés ne provenaient pas de vignobles faisant partie de "l'ancien domaine du château", sans établir que les usages en vigueur en Bourgogne, compte tenu de la spécificité des vignobles dont les parcelles de différents climats sont morcelées et varient au fil du temps, interdisaient l'utilisation du terme "château" dans l'hypothèse où le vin produit par une entreprise dont le nom comprend ce terme, par ailleurs propriétaire d'un bâtiment historique, n'est pas issu de raisins provenant exclusivement de "l'ancien domaine du château", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, de l'article 6 du règlement CE n° 3201-90 du 16 octobre 1990 portant modalités d'application pour la désignation et la présentation des vins et des moûts de raisins, de l'article 25 du règlement CE n° 753-02 du 29 avril 2002 fixant certaines modalités d'application du règlement CE n° 1493-1999 du Conseil en ce qui concerne la désignation, la dénomination, la présentation et la protection de certains produits vitivinicoles et de l'article 13-4° du décret du 19 août 1921, dans sa rédaction issue du décret du 30 septembre 1949 ;

Mais attendu que ce moyen est contraire à la doctrine de la Cour de cassation, à laquelle la cour d'appel de renvoi s'est conformée, prescrivant de rechercher si les vins ainsi qualifiés provenaient de vignes ayant fait partie de l'ancien domaine du château et si des procédures fiables avaient été instaurées pour que les raisins récoltés sur l'ancien domaine du château ne soient pas mélangés aux raisins récoltés sur d'autres parcelles, peu important que l'ensemble des opérations de vinification aient lieu dans le château ; que ce moyen est irrecevable ;

Et sur le troisième moyen : - Attendu que la SCV et les consorts Clerget font enfin le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que toute personne a droit au respect de sa vie privée, de son domicile et de ses biens ; qu'en interdisant à la SCV de faire usage de la dénomination "Château de Chassagne Montrachet" pour commercialiser des vins autres que ceux venant de la parcelle de vignes sise "Champ derrière" sur l'ancien domaine du château de Chassagne Montrachet, quand cette dénomination correspond à celle de son siège social, sis 5, chemin du Château de Chassagne Montrachet, de sorte qu'elle ne saurait se voir interdire d'en faire l'usage, notamment dans ses rapports avec ses clients, la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et l'article 1er du premier Protocole additionnel de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

Mais attendu que la cour d'appel n'a pas interdit à la SCV de faire usage de son adresse, mais seulement, afin de faire cesser le risque de confusion dont elle constatait l'existence, d'utiliser sa dénomination sociale pour désigner des produits ne répondant pas aux exigences de cette dénomination ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.