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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 juin 2009, n° 07-05995

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Rica (SA)

Défendeur :

Etablissements Charles Chevignon (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fèvre

Conseillers :

MM. Roche, Birolleau

Avoués :

SCP Verdun-Seveno, SCP Ribaut

Avocats :

Mes Berthault, Rabitchov

T. com. Bobigny, du 16 mars 2007

16 mars 2007

LA COUR,

Vu le jugement du 16 mars 2007 par lequel le Tribunal de commerce de Bobigny a, notamment:

- dit que la rupture par la société Chevignon de sa relation commerciale avec la société Rica était intervenue sans préavis écrit en application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

- débouté la société Rica de sa demande de condamnation de la société Chevignon à lui payer une somme de 130 782 euro assortie des intérêts au taux légal à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, celui-ci n'étant pas rapporté;

- débouté la société Chevignon de sa demande de donné acte;

- débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Vu l'appel interjeté par la société Rica et ses conclusions enregistrées le 17 mars 2009 et tendant à faire:

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la rupture par la société Etablissements Charles Chevignon de sa relation commerciale avec elle était intervenue sans préavis écrit en application de l'article L. 442-6 I 5° du Code du commerce, engageant ainsi sa responsabilité,

- l'infirmer pour le surplus,

statuant à nouveau,

- condamner la société Etablissements Charles Chevignon à lui payer la somme de 130 782 euro assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement, à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice né du caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies avec elle,

- dire qu'en s'abstenant de livrer les produits commandés par ses soins pour les saisons hiver 2008 et été 2009, sans justification probante, l'intimée a manqué à ses obligations contractuelles,

- condamner cette dernière à réparer le préjudice en résultant et ainsi payer la somme de

9 082 euro,

- la condamner à verser la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu, enregistrées le 10 mars 2009, les conclusions présentées par la société Etablissements Charles Chevignon et tendant à ce qu'il soit fait droit à son appel incident et dit qu'aucune rupture fautive n'est intervenue dans les relations commerciales entre les parties, à faire confirmer le jugement pour le surplus et, y ajoutant, déclarer irrecevables et subsidiairement non fondées les nouvelles demandes présentées par l'appelante en cause d'appel, cette dernière étant en tout état de cause condamnée à lui verser 5 000 euro au titre des frais hors dépens;

Sur la rupture des relations entre les parties intervenue fin 2004

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Rica, spécialisée dans la revente au détail d'articles de prêt-à-porter de type "sportswear" en Principauté d'Andorre, avait entretenu depuis 1986 des relations commerciales suivies avec la société Etablissements Charles Chevignon (ci-après Chevignon), laquelle était son fournisseur; que, cependant, à la suite d'une restructuration interne de son service commercial intervenue fin 2004, cette dernière n'a pas pu honorer les commandes adressées alors par la société Rica et ce pendant plusieurs saisons consécutives ; que si la société Chevignon, tout en ne contestant pas la matérialité de la " suspension des relations "; souligne que celle-ci serait " parfaitement fortuite et involontaire " et indique n'avoir en réalité jamais eu l'intention de " mettre fin à une relation contractuelle ", l'absence de toute prise de commande auprès de son seul fournisseur des produits considérés ne peut, sauf force majeure non démontrée ni même alléguée en l'espèce, qu'être considérée comme constitutive d'une rupture des relations liant les parties ; que celle-ci n'a été précédée d'aucun préavis oral ou écrit de la part de l'intimée qui n'a fourni aucune explication à son partenaire et n'a jamais explicité ses intentions pour l'avenir ; que s'il est toujours loisible pour tout opérateur économique de mettre fin aux relations engagées avec tout autre agent, il ne peut cependant le faire qu'en respectant une durée minimale de préavis déterminée, ainsi que le prévoit l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, en référence à la durée de la relation et aux usages du commerce ; qu'en l'occurrence il échet, compte tenu de l'ancienneté sus-rappelée des relations considérées, de fixer la durée d'un tel préavis à un an ; que la brutalité de la rupture intervenue en méconnaissance directe de cette exigence engage nécessairement la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé de ce fait ; qu'eu égard au volume des achats habituellement faits par la société Rica auprès de la société Chevignon pendant les années précédant la rupture ainsi qu'à la marge commerciale moyenne réalisée sur les produits de la marque dont s'agit la cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer à 50 000 euro le préjudice découlant du caractère brutal de la rupture litigieuse;

Sur la demande en dommages et intérêts formée par la société Rica à la suite du refus de livraison que lui a opposé la société Chevignon pour les commandes afférentes aux saisons hiver 2008 et été 2009

Considérant que si la société Chevignon excipe, tout d'abord, de l'irrecevabilité d'une telle prétention qui n'a pas été soumise aux premiers juges et si elle soutient qu'elle ne peut être l'accessoire ni la conséquence ou le complément de la demande initiale, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 564 du Code de procédure civile les parties peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions dès lors qu'il s'agit de " faire juger les question nées de la survenance d'un fait ", en l'occurrence les refus d'approvisionnements survenus postérieurement au jugement et après que les relations entre les parties aient repris depuis plusieurs saisons ; que la demande susvisée sera, donc, déclarée recevable;

Considérant en second lieu, que si la société intimée a, pour les commandes en cause, modifié le mode de règlement antérieurement convenu en invoquant à cet effet une détérioration du crédit de l'acheteur et sollicité la fourniture préalable d'une garantie bancaire, elle ne justifie aucunement par les documents versés aux débats de la réalité du " risque financier " dont elle fait état ou du moindre incident de paiement imputable à la société Rica ; que, par suite, le défaut de livraison des produits commandés pour les saisons susmentionnées au motif que cette dernière n'aurait pas produit l'ensemble des nouvelles garanties exigées doit être considérée comme fautif car dépourvu de tout motif légitime et intervenu en violation des conditions de vente auxquelles étaient jusqu'alors soumises les commandes; que la société Rica n'a ainsi pu s'approvisionner en produits de la marque Chevignon et a subi de ce fait un préjudice obligé correspondant à la perte de marge afférente aux commandes passées et non honorées; que la cour fixera ce chef de préjudice, compte tenu du montant des dites commandes et de la marge commerciale habituelle en la matière, à la somme de 5 000 euro;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la rupture par la société Chevignon de sa relation commerciale avec la société Rica était intervenue sans préavis écrit et engageait sa responsabilité, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau et y ajoutant, de condamner la société Chevignon à payer à la société Rica les sommes de 50 000 et 5 000 euro de dire que la somme de 50 000 euro sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt, conformément à l'article 1153-1 du Code civil auquel il n'y a pas de raison de déroger et de débouter les parties du surplus de leurs prétentions;

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Chevignon à payer à la société Rica les sommes de 3 000 euro au titre des frais hors dépens exposés tant en première instance qu'en cause d'appel;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement en ce qu'il adit que la rupture par la société Chevignon de sa relation commerciale avec la société avec la société Rica était intervenue sans préavis écrit et engageait sa responsabilité. L'infirme pour le surplus. Et statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la société Chevignon à payer à la société Rica les sommes de 50 000 euro et 5 000 euro. Dit que la somme de 50 000 euro sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt. Déboute les parties du surplus de leurs prétentions, Condamne la société Chevignon aux entiers dépens de l'instance et d'appel et dit que ceux-ci seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. La condamne également à verser à la société Rica la somme de 3 000 euro au titre des frais hors dépens exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.