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Décisions

CJUE, 2e ch., 7 octobre 2010, n° C-515/08

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vítor Manuel dos Santos Palhota, Mário de Moura Gonçalves, Fernando Luis das Neves Palhota, Termiso Limitada

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Cunha Rodrigues

Avocat général :

M. Cruz Villalón

Juges :

MM. Rosas, Lõhmus (rapporteur), Ó Caoimh, Arabadjiev

Avocats :

Mes Stappers, Pertry, Gilliams

CJUE n° C-515/08

7 octobre 2010

LA COUR (deuxième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 56 TFUE et 57 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'une procédure pénale engagée par le ministère public contre MM. dos Santos Palhota, de Moura Gonçalves et das Neves Palhota ainsi que la société Termiso Limitada, établie au Portugal (ci-après, ensemble, les "prévenus au principal"), pour avoir omis, notamment, d'établir le compte individuel prévu par la législation belge à l'égard de 53 travailleurs portugais détachés en Belgique.

Le cadre juridique

La réglementation de l'Union

3 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 96-71-CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1):

"La présente directive s'applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d'une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d'un État membre."

4 L'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive dispose:

"Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l'article 1er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d'emploi concernant les matières visées ci-après qui, dans l'État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées:

- par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives

et/ou

- par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d'application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe:

a) les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos;

b) la durée minimale des congés annuels payés;

c) les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires; le présent point ne s'applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels;

d) les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire;

e) la sécurité, la santé et l'hygiène au travail;

f) les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d'emploi des femmes enceintes et des femmes venant d'accoucher, des enfants et des jeunes;

g) l'égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d'autres dispositions en matière de non-discrimination."

La réglementation nationale

5 L'article 8 de la loi du 5 mars 2002 transposant la directive 96-71 et instaurant un régime simplifié pour la tenue de documents sociaux par les entreprises qui détachent des travailleurs en Belgique (Belgisch Staatsblad, 13 mars 2002, ci-après la "loi du 5 mars 2002") dispose que l'employeur qui satisfait aux conditions visées à l'article 6 ter, paragraphe 2, de l'arrêté royal n° 5, du 23 octobre 1978, relatif à la tenue des documents sociaux (Belgisch Staatsblad, 2 décembre 1978, ci-après l'"arrêté royal n° 5") n'est pas tenu d'établir, durant la période déterminée en vertu dudit paragraphe, entre autres le décompte visé à l'article 15 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs (ci-après le "décompte").

6 L'article 9 de la loi du 5 mars 2002 insère, dans l'arrêté royal n° 5, un chapitre II bis contenant, notamment, l'article 6 ter susmentionné, qui présente le régime simplifié prévu par cette loi (ci-après le "régime simplifié"). Selon le paragraphe 1 de cet article, aux fins dudit chapitre, les employeurs, au sens de l'arrêté royal n° 5, sont ceux qui occupent sur le territoire belge des travailleurs qui, soit travaillent habituellement sur le territoire d'un ou de plusieurs pays autres que le Royaume de Belgique, soit ont été engagés dans un pays autre que le Royaume de Belgique.

7 Aux termes du paragraphe 2 du même article, les employeurs sont dispensés, durant une période déterminée, d'établir et de tenir les documents sociaux prévus par le chapitre II de l'arrêté royal n° 5, dont le compte individuel visé à l'article 4, paragraphe 1, de celui-ci (ci-après le "compte individuel"), pour autant que, premièrement, ils envoient, préalablement à l'occupation des travailleurs concernés, une déclaration de détachement (ci-après la "déclaration de détachement préalable") aux autorités belges et, deuxièmement, ils tiennent à la disposition de ces dernières une copie des documents prévus par la législation du pays où l'employeur est établi et qui sont équivalents au compte individuel ou au décompte (ci-après les "documents équivalents").

8 Selon l'article 2 de l'arrêté royal du 29 mars 2002 fixant les modalités d'exécution du régime simplifié d'établissement et de tenue de documents sociaux pour les entreprises qui détachent des travailleurs en Belgique et définissant les activités dans le domaine de la construction visées à l'article 6, paragraphe 2, de la loi du 5 mars 2002 (Belgisch Staatsblad, 17 avril 2002, ci-après l'"arrêté royal du 29 mars 2002"), la période visée à l'article 6 ter, paragraphe 2, de l'arrêté royal n° 5 est fixée à six mois à partir de la date du début de l'occupation du premier travailleur détaché en Belgique.

9 Aux termes de l'article 3 de l'arrêté royal du 29 mars 2002, les employeurs occupant des travailleurs détachés en Belgique doivent, préalablement au début de la période d'occupation, envoyer par lettre, courrier électronique ou fax une déclaration de détachement conforme à l'article 4 de cet arrêté à l'inspection des lois sociales. Cette dernière atteste la réception et la conformité de ladite déclaration dans les cinq jours ouvrables à dater de cette réception en délivrant, par l'un des moyens de communication susmentionnés, un numéro d'enregistrement à l'employeur, qui ne peut commencer ladite occupation qu'après la date de notification de ce numéro. À défaut, l'employeur ne peut bénéficier de la dispense d'établissement et de tenue de documents sociaux prévue par le régime simplifié.

10 L'article 4 de l'arrêté royal du 29 mars 2002 dispose que la déclaration de détachement, qui doit être conforme au modèle figurant en annexe de cet arrêté, contient les mentions suivantes:

"1 en ce qui concerne l'employeur qui détache des travailleurs en Belgique: le nom, prénom et le domicile ou la raison sociale et le siège social de l'entreprise, la nature de l'activité de l'entreprise, l'adresse, le numéro de téléphone, le numéro de fax, l'adresse courrier électronique et le numéro d'identification ou d'enregistrement de l'employeur auprès de l'organisme de sécurité sociale compétent du pays d'origine[;]

2 en ce qui concerne le préposé ou mandataire de l'employeur auprès duquel les documents équivalents sont mis à disposition conformément à l'article 5, [paragraphe 1], du présent arrêté: le nom et le prénom, la raison sociale, l'adresse, le numéro de téléphone, le numéro de fax et l'adresse courrier électronique;

3 en ce qui concerne chacun des travailleurs détachés en Belgique: le nom et le prénom, le domicile, la date de naissance, l'état civil, le sexe, la nationalité, l'adresse, le numéro de téléphone, le numéro et la nature du document d'identité, la date de la conclusion du contrat de travail, la date du début de l'occupation en Belgique et la fonction exercée;

4 en ce qui concerne les conditions de travail applicables aux travailleurs détachés: la durée hebdomadaire de travail, les horaires de travail;

5 en ce qui concerne le détachement: le type de prestations de services effectuées dans le cadre du détachement, la date du début du détachement et la durée prévisible du détachement, le lieu où les prestations de travail sont effectuées;

6 en ce qui concerne les documents équivalents: le lieu où ces documents sont tenus et conservés conformément à l'article 5 du présent arrêté."

11 L'article 5 dudit arrêté concerne les modalités de mise à disposition et de conservation des documents équivalents durant la période d'occupation des travailleurs détachés en Belgique. Le paragraphe 1 de cet article prévoit que, pendant la période de six mois visée à l'article 2, est tenue à la disposition des services d'inspection désignés une copie des documents équivalents. Cette copie est tenue soit sur le lieu du travail où le travailleur est détaché en Belgique, soit au domicile belge d'une personne physique qui conserve les documents en tant que mandataire ou préposé de l'employeur. À défaut, les employeurs doivent établir et tenir le compte individuel ainsi que le décompte. Selon le paragraphe 2 du même article 5, au terme de cette période de six mois, les employeurs doivent conserver ladite copie pour une période de cinq ans et, en outre, établir les documents sociaux prévus par le chapitre II de l'arrêté royal n° 5 ainsi que le décompte.

12 L'article 6 de l'arrêté royal du 29 mars 2002 concerne les modalités de mise à disposition et de conservation des documents équivalents après la période d'occupation des travailleurs détachés en Belgique. Il énonce que, au terme de cette période, les employeurs doivent envoyer par lettre recommandée ou déposer, moyennant un accusé de réception, la copie des documents équivalents ainsi qu'un inventaire de ceux-ci à l'inspection des lois sociales.

Le litige au principal et la question préjudicielle

13 Il ressort du dossier ainsi que des observations écrites du Gouvernement belge que la société Termiso Limitada détachait régulièrement des soudeurs et des monteurs portugais sur le chantier naval d'Antwerp Shiprepair NV pour réaliser des travaux sur des navires. Lors d'un contrôle de ce chantier, effectué le 12 juillet 2004, les services d'inspection ont constaté que 53 employés portugais de Termiso Limitada y étaient occupés et qu'aucun n'avait fait l'objet d'une déclaration de détachement préalable. En outre, le contremaître portugais n'a pu produire aucun document salarial portugais.

14 Selon le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen, les services d'inspection ont constaté que les conditions imposées par la loi du 5 mars 2002 ainsi que par la directive 96-71 n'avaient pas été observées, de sorte que le droit social belge relatif à la tenue de documents sociaux et, notamment, du compte individuel s'imposait. Les prévenus au principal (les premier, deuxième et troisième en tant que gérants et préposés de la société Termiso Limitada et celle-ci en tant qu'employeur et personne morale pénalement responsable) sont accusés d'avoir, entre le 31 mai et le 13 juillet 2004, omis d'établir ce compte individuel à l'égard des 53 travailleurs susmentionnés en infraction, notamment, à plusieurs dispositions de l'arrêté royal n° 5. Ils sont également accusés d'une série d'infractions à la réglementation belge relative au salaire minimal légal et à la rémunération des heures supplémentaires.

15 La juridiction de renvoi estime que la possibilité de statuer au fond sur les infractions commises contre la législation sociale belge dépend du fait de savoir si la loi du 5 mars 2002, dont la non-observation entraîne l'obligation de se conformer à cette législation, est compatible avec les articles 56 TFUE et 57 TFUE.

16 Dans ces conditions, le rechtbank van eerste aanleg te Antwerpen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Les dispositions de l'article 8 de la loi du 5 mars 2002 et des articles 3, 4 et 5 de l'arrêté royal du 29 mars 2002 (arrêté d'exécution) violent-elles les articles [56 TFUE] et [57 TFUE], en ce qu'elles imposent aux employeurs étrangers qui souhaitent détacher des travailleurs de transmettre préalablement une déclaration de détachement au service d'inspection des lois sociales, ainsi que de tenir à sa disposition des documents comparables au compte individuel ou au décompte belges, [de sorte que] leur accès au marché belge des services serait empêché ou, à tout le moins, gêné?"

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

17 Le Gouvernement belge estime que la question préjudicielle est irrecevable, dès lors qu'elle est fondée sur la prémisse erronée que le régime simplifié est obligatoire, alors que les employeurs étrangers détachant des travailleurs sur le territoire belge ont également le choix d'établir et de tenir des documents sociaux en conformité avec la législation belge.

18 À cet égard, à supposer même que ladite juridiction considère le régime simplifié comme obligatoire, la procédure établie à l'article 267 TFUE se fonde, selon une jurisprudence constante, sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, cette dernière étant uniquement habilitée à se prononcer sur l'interprétation ou la validité des actes de l'Union visés à cet article. Dans ce cadre, il n'appartient pas à la Cour d'apprécier l'interprétation des dispositions du droit national ou de juger si l'interprétation que la juridiction nationale en donne est correcte (voir, notamment, arrêt du 18 janvier 2007, Auroux e.a., C-220-05, Rec. p. I-385, point 25 et jurisprudence citée).

19 Les gouvernements belge et allemand soulèvent, en outre, l'absence, dans la décision de renvoi, d'exposé du cadre juridique ainsi que d'explication du lien entre le litige au principal et la question posée. À cet égard, le Gouvernement belge soutient que cette dernière ne porte pas sur l'interprétation de la directive 96-71, dont l'application serait pourtant contestée dans ledit litige. Ce gouvernement doute également de l'utilité d'interpréter l'article 57 TFUE, dès lors qu'il ne serait pas contesté que les activités exercées en Belgique par la société Termiso Limitada et ses travailleurs constituent une prestation de services.

20 Il résulte d'une jurisprudence bien établie que les questions relatives à l'interprétation du droit de l'Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu'il définit sous sa responsabilité, et dont il n'appartient pas à la Cour de vérifier l'exactitude, bénéficient d'une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d'une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit de l'Union n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C-415-93, Rec. p. I-4921, point 61, ainsi que du 23 décembre 2009, Spector Photo Group et Van Raemdonck, C-45-08, non encore publié au Recueil, point 26).

21 En l'occurrence, comme il ressort des points 14 et 15 du présent arrêt, l'exposé du cadre factuel et juridique du litige au principal dans la décision de renvoi permet de comprendre que, de l'avis du juge de renvoi, en l'absence de compatibilité d'une réglementation nationale, telle que le régime simplifié, avec les dispositions du traité FUE relatives à la libre prestation des services, les prévenus au principal ne sauraient être sanctionnés pour ne pas avoir respecté l'obligation, qui ne s'impose qu'en cas de non-utilisation dudit régime, d'établir le compte individuel pour les employés en question. Cet exposé, certes succinct, suffit pour que la Cour puisse fournir une réponse utile à la question posée.

22 Par ailleurs, l'absence de demande d'interprétation de la directive 96-71 n'affecte en rien la compétence de la Cour pour répondre à la question préjudicielle, dans la mesure où les dispositions du droit de l'Union dont l'interprétation est demandée sont pertinentes pour la résolution du litige au principal.

23 Il découle de ce qui précède que la question préjudicielle est recevable.

Sur le fond

24 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 56 TFUE et 57 TFUE s'opposent à une réglementation d'un État membre prévoyant, pour un employeur établi dans un autre État membre qui détache des travailleurs sur le territoire du premier État, l'envoi d'une déclaration de détachement préalable ainsi que la tenue à la disposition des autorités nationales, pendant la période de détachement, d'une copie de documents équivalant aux documents sociaux ou de travail, tels qu'un compte individuel et un décompte, requis par le droit du premier État.

25 Dans ses observations, le Gouvernement belge a relevé que la juridiction de renvoi ne demandait pas l'interprétation de la directive 96-71. À cet égard, il convient de relever que, si le régime simplifié sert, comme le soutient le Gouvernement belge, à contrôler le respect, par les employeurs détachant des travailleurs étrangers sur le territoire belge, des conditions de travail et d'emploi énumérées à l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96-71, de telles mesures de contrôle ne relèvent pas du champ d'application de cette directive ni ne sont harmonisées au niveau de l'Union européenne.

26 En effet, la directive 96-71 vise à coordonner les réglementations nationales matérielles relatives aux conditions de travail et d'emploi des travailleurs détachés, indépendamment des règles administratives accessoires destinées à permettre la vérification du respect desdites conditions.

27 Il s'ensuit que ces mesures peuvent être librement définies par les États membres, dans le respect du traité et des principes généraux du droit de l'Union (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C-490-04, Rec. p. I-6095, point 19, ainsi que du 18 décembre 2007, Laval un Partneri, C-341-05, Rec. p. I-11767, point 60).

28 En l'occurrence, il n'est pas contesté que le litige au principal concerne une entreprise établie dans un État membre qui a détaché ses propres travailleurs pour une période déterminée sur un chantier situé dans un autre État membre en vue d'une prestation de services. Or, la Cour a déjà constaté qu'une telle situation de fait relève des articles 56 TFUE et 57 TFUE (voir arrêt du 25 octobre 2001, Finalarte e.a., C-49-98, C-50-98, C-52-98 à C-54-98 et C-68-98 à C-71-98, Rec. p. I-7831, point 20).

Sur l'existence d'une restriction à la libre prestation des services

29 Il est de jurisprudence constante que l'article 56 TFUE exige non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (voir, notamment, arrêts du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369-96 et C-376-96, Rec. p. I-8453, point 33, ainsi que du 21 septembre 2006, Commission/Autriche, C-168-04, Rec. p. I-9041, point 36).

30 Il convient de relever, dans ce contexte, que, selon le Gouvernement belge, le régime simplifié en cause dans le litige au principal a été instauré par la loi du 5 mars 2002 à la suite de l'arrêt Arblade e.a., précité. Au point 3 du dispositif de cet arrêt, la Cour a dit pour droit que les articles 56 TFUE et 57 TFUE s'opposent à ce qu'un État membre impose à une entreprise établie dans un autre État membre et exécutant temporairement des travaux dans le premier État d'établir des documents sociaux ou de travail, tels que, notamment, un compte individuel pour chaque travailleur détaché, dans la forme requise par la réglementation du premier État dès lors que la protection sociale des travailleurs susceptible de justifier ces exigences est déjà sauvegardée par la production des documents sociaux et de travail tenus par ladite entreprise en application de la réglementation de l'État membre dans lequel elle est établie.

31 Il ressort de ladite loi ainsi que de l'arrêté royal du 29 mars 2002 que, pour une période de six mois à partir du début de l'occupation du premier travailleur détaché, le régime simplifié dispense les employeurs détachant des travailleurs sur le territoire belge d'établir, notamment, le compte individuel et le décompte requis par la législation belge, pour autant que, premièrement, ils envoient une déclaration de détachement préalable aux autorités belges et, deuxièmement, ils tiennent à la disposition de ces dernières une copie des documents équivalents.

32 Quant à la limitation temporelle de l'application de cette dispense, son caractère éventuellement restrictif n'entre pas en compte dans la présente affaire, dès lors qu'il est constant que le détachement en cause au principal était d'une durée de moins de six mois.

33 En ce qui concerne, en premier lieu, la déclaration de détachement préalable, il ressort de l'article 3 de l'arrêté royal du 29 mars 2002 ainsi que des observations du Gouvernement belge que, d'une part, les autorités belges doivent attester la réception et la conformité de cette déclaration, dans les cinq jours ouvrables à compter de sa réception, par la notification du numéro d'enregistrement de celle-ci à l'employeur des travailleurs à détacher. D'autre part, le détachement ne peut commencer qu'après la date de cette notification, faute de quoi l'employeur ne peut bénéficier du régime simplifié.

34 Force est de constater que la procédure décrite au point précédent ne saurait être qualifiée de simple procédure déclaratoire. Comme l'a souligné M. l'Avocat général au point 70 de ses conclusions, la simple transmission d'informations aux autorités de l'État membre de destination ainsi que l'attestation de la réception ont une capacité potentielle à se transformer en mécanismes de vérification et d'autorisation préalables au commencement de la prestation. En effet, dans la mesure où ladite notification doit précéder le détachement, par l'employeur, de ses travailleurs et n'intervient qu'après le contrôle par les autorités nationales de la conformité de la déclaration de détachement préalable, une telle procédure doit être considérée comme revêtant le caractère d'une procédure d'autorisation administrative (voir, par analogie, arrêt Commission/Autriche, précité, point 41).

35 Or, une procédure qui subordonne l'exercice de prestations de services au moyen de travailleurs détachés sur le territoire national, par une entreprise établie dans un autre État membre, à la délivrance d'une telle autorisation administrative est susceptible de constituer une restriction à la libre circulation des services au sens de l'article 56 TFUE (voir, par analogie, arrêts du 9 août 1994, Vander Elst, C-43-93, Rec. p. I-3803, point 15, et du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, C-244-04, Rec. p. I-885, point 34).

36 En effet, une telle procédure peut entraver, notamment en raison du délai prévu pour la délivrance de cette notification, le détachement envisagé et, en conséquence, l'exercice, par l'employeur des travailleurs à détacher, d'activités de prestation de services, en particulier lorsque la prestation à accomplir nécessite une certaine rapidité d'action (voir, en ce sens, arrêts précités du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, point 35, et Commission/Autriche, point 39).

37 À cet égard, les prévenus au principal mettent en exergue dans leurs observations écrites, sans être contredits sur ce point, le caractère urgent des prestations à effectuer auprès de la société Antwerp Shiprepair NV, nécessitant la mise au travail le plus rapidement possible après la conclusion du contrat y afférent. Or, le Gouvernement belge a constaté, en réponse à une question posée par la Cour à l'audience, que le régime simplifié n'admet aucune exception à la procédure décrite au point 33 du présent arrêt pour les détachements urgents.

38 Il importe peu, comme ce gouvernement l'a également indiqué à l'audience, que la notification d'enregistrement soit, dans la pratique, envoyée à l'employeur des travailleurs à détacher deux ou trois jours après la réception de la déclaration de détachement préalable, dès lors que l'employeur ne saurait exclure, à l'avance, la nécessité d'attendre au moins les cinq jours ouvrables prévus par le régime simplifié pour l'envoi de la notification d'enregistrement avant de procéder au détachement. La possibilité d'une telle attente est, tant pour cet employeur que pour le destinataire d'une prestation de services consistant dans le détachement de travailleurs, de nature à gêner ou à rendre moins attrayante une telle prestation, en particulier lorsque celle-ci revêt un caractère urgent.

39 En outre, la procédure décrite au point 33 du présent arrêt constitue un élément déterminant du régime simplifié, dès lors que, ainsi qu'il ressort de l'article 3 de l'arrêté royal du 29 mars 2002, un employeur qui procède à un détachement sur le territoire belge sans avoir reçu notification du numéro d'enregistrement de sa déclaration de détachement préalable ne peut, à l'égard de ce détachement, se limiter à tenir des documents équivalents, comme le régime simplifié le prévoit, mais doit établir des documents sociaux belges tels que le compte individuel et le décompte.

40 Il en résulte que l'exigence de l'envoi d'une déclaration de détachement préalable ainsi que de la notification du numéro d'enregistrement de celle-ci, telle que prévue par le régime simplifié, constitue une restriction à la libre prestation des services au sens de l'article 56 TFUE.

41 Cette conclusion ne saurait être infirmée par la constatation du Gouvernement belge que le régime simplifié est facultatif, en ce sens que l'employeur souhaitant détacher des travailleurs sur le territoire belge peut s'abstenir de se soumettre à ce régime et doit, dans une telle hypothèse, établir et tenir les documents sociaux belges susmentionnés. Ainsi qu'il est rappelé au point 30 du présent arrêt, la Cour a déjà jugé, dans l'arrêt Arblade e.a., précité, qu'une telle obligation n'est pas elle-même conforme à la libre prestation des services. Qui plus est, il ressort du dossier que, dans le cas de la législation belge en cause au principal, le non-respect d'une telle obligation est passible de sanctions pénales.

42 S'agissant, en second lieu, des obligations imposées, par les articles 5 et 6 de l'arrêté royal du 29 mars 2002, aux employeurs de travailleurs détachés sur le territoire belge, tout d'abord, de tenir une copie des documents équivalents à la disposition des autorités belges, soit sur le lieu de travail en Belgique, soit au domicile belge du mandataire ou préposé de l'employeur, ensuite, d'envoyer, au terme du détachement, cette copie ainsi qu'un inventaire des documents équivalents aux autorités belges et, enfin, de conserver, au terme d'une période de six mois, une copie des documents équivalents à la disposition desdites autorités à l'un des endroits désignés pour une période de cinq ans, il ne saurait être exclu d'emblée que ces obligations entraînent des frais et des charges administratives et économiques supplémentaires pour les entreprises établies dans un autre État membre, de sorte que ces entreprises peuvent ne pas se trouver sur un pied d'égalité, du point de vue de la concurrence, avec des entreprises employant des personnes travaillant habituellement sur le territoire belge.

43 Si le Gouvernement belge a relevé que l'obligation de conserver une copie des documents équivalents à la disposition de ses autorités pour une période de cinq ans après le détachement ne s'applique pas aux détachements de moins de six mois, tels que celui en cause dans l'affaire au principal, il n'en demeure pas moins qu'il n'a avancé aucun argument à l'égard des deux autres obligations. Il a même admis qu'il ne peut être exclu que les dispositions en cause puissent constituer une restriction à la libre prestation des services au sens de l'article 56 TFUE.

44 Dans ces circonstances, il convient de considérer que ces deux obligations constituent une restriction à la libre prestation des services.

Sur la justification des restrictions à la libre prestation des services

45 Selon une jurisprudence constante, une réglementation nationale qui relève d'un domaine n'ayant pas fait l'objet d'une harmonisation au niveau de l'Union et qui s'applique indistinctement à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État membre concerné peut, en dépit de son effet restrictif pour la libre prestation des services, être justifiée pour autant qu'elle répond à une raison impérieuse d'intérêt général et que cet intérêt n'est pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi, qu'elle est propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et qu'elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (voir arrêts précités Arblade e.a., points 34 et 35, ainsi que Commission/Autriche, point 37).

46 Comme il est indiqué au point 25 du présent arrêt, le régime simplifié sert, selon le Gouvernement belge, à contrôler le respect, par les employeurs détachant des travailleurs étrangers sur le territoire belge, notamment des conditions de travail et d'emploi énumérées à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 96-71. Ainsi, il poursuivrait l'objectif d'intérêt général qui consiste dans la protection sociale des travailleurs.

47 À cet égard, la Cour a itérativement jugé que, parmi les raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la liberté de prestation des services, figure la protection des travailleurs (voir, notamment, arrêts Arblade e.a., précité, point 36; Finalarte e.a., précité, point 33, ainsi que du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg, C-445-03, Rec. p. I-10191, point 29).

48 De même, la Cour a reconnu aux États membres la faculté de vérifier le respect des dispositions nationales et du droit de l'Union en matière de prestation de services et a admis le bien-fondé de mesures de contrôle nécessaires pour vérifier le respect d'exigences elles-mêmes justifiées par des raisons d'intérêt général (voir, en ce sens, arrêts précités Arblade e.a., point 38, ainsi que du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, point 36).

49 Il y a donc lieu d'examiner si des mesures, telles que celles comprises dans le régime simplifié, sont propres à garantir la réalisation de l'objectif consistant en la protection des travailleurs et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

50 En ce qui concerne, en premier lieu, la déclaration de détachement préalable, le Gouvernement belge fait valoir que celle-ci permet aux autorités d'exercer un contrôle effectif des conditions de rémunération et de travail dans le cadre d'un détachement de travailleurs en Belgique. À l'audience, ce gouvernement a précisé que, en l'absence d'une telle déclaration, les autorités belges ne seraient pas en mesure de vérifier la date du commencement du détachement en Belgique, dès lors que les documents équivalents ne fourniraient pas de tels renseignements.

51 À cet égard, la Cour a déjà jugé qu'une obligation faite à un employeur établi dans un autre État membre de signaler, préalablement à un détachement, aux autorités locales la présence d'un ou de plusieurs travailleurs salariés à détacher, la durée prévue de cette présence et la ou les prestations de services justifiant le détachement constitue une mesure aussi efficace et moins restrictive qu'une mesure d'autorisation de travail, un contrôle préalable ou encore une confirmation de détachement. Une telle obligation serait de nature à permettre à ces autorités de contrôler le respect de la réglementation sociale et salariale de l'État membre d'accueil pendant la durée du détachement en tenant compte des obligations auxquelles cet employeur est déjà soumis en vertu des règles de droit social applicables dans l'État membre d'origine (voir arrêts précités Commission/Luxembourg, point 31; du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, point 45, et Commission/Autriche, point 52).

52 Il en découle que, si l'envoi de la déclaration de détachement préalable apparaît comme un moyen propre à communiquer aux autorités belges les renseignements mentionnés au point 50 du présent arrêt, une procédure d'enregistrement et de notification, en vertu de laquelle ladite déclaration revêt, ainsi qu'il est relevé au point 34 du présent arrêt, le caractère d'une procédure d'autorisation administrative, va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer la protection des travailleurs détachés.

53 En effet, il résulte de la jurisprudence rappelée au point 51 du présent arrêt qu'une déclaration préalable, en ce qu'elle permet de contrôler le respect de la réglementation sociale et salariale de l'État membre d'accueil pendant la durée du détachement, constitue un moyen plus proportionné pour atteindre cet objectif qu'une telle autorisation ou un contrôle préalable. À cet égard, le Gouvernement belge lui-même n'indique pas que le régime simplifié vise autre chose que le contrôle effectif des conditions de rémunération et de travail des travailleurs détachés pendant la période du détachement.

54 Toutefois, l'exigence d'une déclaration préalable restant une mesure adéquate pour permettre les contrôles nécessaires et éviter les fraudes, l'administration devrait donner à l'employeur détachant des travailleurs sur le territoire belge la possibilité d'apporter la preuve qu'il a effectué une déclaration comportant toutes les informations requises.

55 S'agissant, en second lieu, des documents équivalant au compte individuel et au décompte, le Gouvernement belge explique, dans ses observations écrites, que le compte individuel mentionne les prestations fournies par un travailleur ainsi que les rémunérations y afférentes et que le décompte indique les modalités de calcul de cette rémunération, en tenant compte du nombre d'heures de travail et des jours de congé, ainsi que les retenues effectuées sur celle-ci.

56 En outre, ainsi qu'il est indiqué au point 42 du présent arrêt, il ressort des articles 5 et 6 de l'arrêté royal du 29 mars 2002 que l'employeur de travailleurs détachés sur le territoire belge doit tenir une copie des documents équivalents à la disposition des autorités belges soit sur le lieu de travail en Belgique, soit au domicile belge du mandataire ou préposé de l'employeur. Au terme du détachement, cette copie ainsi qu'un inventaire des documents équivalents doivent être envoyés aux autorités belges.

57 Il apparaît que la tenue d'une copie des documents équivalents, tels que décrits au point 55 du présent arrêt, est propre à permettre aux autorités de vérifier le respect, à l'égard des travailleurs détachés, des conditions de travail telles qu'énumérées à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 96-71 et, partant, de sauvegarder la protection de ces derniers.

58 Par ailleurs, il ressort d'une jurisprudence constante que, dans la mesure où les informations fournies par les documents relatifs aux travailleurs détachés qui sont exigés par la réglementation de l'État d'établissement sont suffisantes, dans leur ensemble, pour permettre les contrôles nécessaires dans l'État membre d'accueil, la production, dans un délai raisonnable, de ces documents ou de leur copie, à défaut le maintien à disposition des mêmes documents ou leur copie sur le chantier ou en un lieu accessible et clairement identifié du territoire de l'État membre d'accueil, constitue un moyen moins restrictif d'assurer la protection sociale desdits travailleurs que l'établissement des documents conformes à la réglementation de cet État (voir, en ce sens, arrêts précités Arblade e.a., points 64 à 66, ainsi que Finalarte e.a., point 74).

59 De même, la Cour a jugé que l'obligation d'envoyer, au terme de la période de détachement, les documents que l'employeur est obligé d'établir en application de la réglementation de l'État membre d'établissement, ou leur copie, aux autorités nationales de l'État membre d'accueil qui pourraient les contrôler et, le cas échéant, les conserver, constitue une mesure moins restrictive d'assurer le contrôle du respect des réglementations liées à la protection des travailleurs qu'une obligation pour l'employeur de conserver ces documents sur le territoire de cet État après cette période (voir, en ce sens, arrêt Arblade e.a., précité, point 78).

60 Compte tenu de ce qui précède, il apparaît que de telles mesures sont proportionnées à l'objectif consistant en la protection des travailleurs.

61 Il convient donc de répondre à la question posée que:

- Les articles 56 TFUE et 57 TFUE s'opposent à une réglementation d'un État membre prévoyant, pour un employeur établi dans un autre État membre qui détache des travailleurs sur le territoire du premier État, l'envoi d'une déclaration de détachement préalable dans la mesure où le commencement du détachement envisagé est subordonné à la notification, à cet employeur, d'un numéro d'enregistrement de ladite déclaration et où lesdites autorités disposent d'un délai de cinq jours ouvrables, à compter de la réception de celle-ci, pour effectuer cette notification.

- Les articles 56 TFUE et 57 TFUE ne s'opposent pas à une réglementation d'un État membre prévoyant, pour un employeur établi dans un autre État membre qui détache des travailleurs sur le territoire du premier État, la tenue à la disposition des autorités nationales, pendant la période de détachement, d'une copie de documents équivalant aux documents sociaux ou de travail requis par le droit du premier État ainsi que l'envoi de celle-ci auxdites autorités au terme de cette période.

Sur les dépens

62 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (deuxième chambre) dit pour droit:

Les articles 56 TFUE et 57 TFUE s'opposent à une réglementation d'un État membre prévoyant, pour un employeur établi dans un autre État membre qui détache des travailleurs sur le territoire du premier État, l'envoi d'une déclaration de détachement préalable dans la mesure où le commencement du détachement envisagé est subordonné à la notification, à cet employeur, d'un numéro d'enregistrement de ladite déclaration et où lesdites autorités disposent d'un délai de cinq jours ouvrables, à compter de la réception de celle-ci, pour effectuer cette notification.

Les articles 56 TFUE et 57 TFUE ne s'opposent pas à une réglementation d'un État membre prévoyant, pour un employeur établi dans un autre État membre qui détache des travailleurs sur le territoire du premier État, la tenue à la disposition des autorités nationales, pendant la période de détachement, d'une copie de documents équivalant aux documents sociaux ou de travail requis par le droit du premier État ainsi que l'envoi de celle-ci auxdites autorités au terme de cette période.