CA Rennes, 3e ch. corr., 7 décembre 2006, n° 06-00686
RENNES
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thierry
Conseillers :
Mmes Tardy-Joubert, Angel
Avocat :
Me Le Meur-Baudry
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le Tribunal correctionnel de Nantes par jugement en date du 8 décembre 2005, pour
Facturation non conforme, par personne morale, de vente de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle, NATINF 021924
Facturation non conforme, par personne morale, de vente de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle, NATINF 021924
a relaxé société X des fins de la poursuite.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
M. le Procureur de la République, le 13 décembre 2005, à titre principal
La prévention:
Considérant qu'il est fait grief à la société X:
- d'avoir à Saint-Aignan de Grand Lieu, de janvier 2001 à décembre 2002, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, dans les circonstances reprises dans le PV en date du 5 juin 2003, dans le cadre d'une activité professionnelle avec la centrale Y, omis de réclamer des factures conformes aux énonciations de l'article 441-3 du Code de commerce, en l'espèce
- en ne réclamant pas de son prestataire des libellés de factures conformes aux énonciations du Code de commerce susvisées, ceux-ci restant en fait dans des termes généraux, tels que "...opération promotionnelle assortie de bons d'achat...", "présence des produits fournisseur dans l'assortiment régional...", "diffusion statistiques, test merchandising (sic)" ou "amélioration des performances logistiques", "développer les flux d'information".
- en ne réclamant pas en 2001 : 3 factures,
réalisation prestation : 01/01/2001 et 30/06/2001 - facturation : 27/08/2001
réalisation prestation : 01/01/2001 - facturation : 27/08/2001
réalisation prestation :Année 2001 - facturation : 29/03/2002
- en ne réclamant pas en 2002 : 6 factures,
réalisation prestation: 01/01/2002 et 30/06/2001 - facturation : 23/09/2002
réalisation prestation :01/01/2002 et 30/06/2001 - facturation : 23/09/2002
22 et 30/03/2002
réalisation prestation :01/01/2002 et 30/06/2001 - facturation : 23/09/2002
(Contrats n° 48113, 48114, 2003756, 48115, n° 2001772, 2 fois).
faits prévu par Art. L. 441-3 al. 3, Art. L. 441-5 du Code commerce, Art. 121-2 Code pénal et réprimés par Art. L. 441-4, Art. 441-5 Code commerce, Art. 131-38, Art. 131-39 5° Code pénal.
- d'avoir à Saint-Aignan de Grand Lieu de janvier 2001 à décembre 2002, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, dans les circonstances reprises dans le PV en date du 5 juin 2003 de la DDCCRF, dans le cadre d'une activité professionnelle avec la centrale Z, omis de réclamer des factures conformes aux énonciations de l'article 441-3 du Code du commerce, en l'espèce:
- en ne réclamant en 2001, 1 facture dès la fin de la réalisation de la prestation, à savoir les 1er janvier 2001 et 31 décembre 2001, la facture correspondante n'ayant été émise que le 25 mars 2002 ; en 2002, 2 factures, la prestation ayant été réalisée les 16 et 26 janvier 2002, la facturation n'ayant été émise que le 30 juillet 2002.
- en ne réclamant pas de son prestataire des libellés de factures conformes aux énonciations du Code de commerce susvisées, ceux-ci restant en fait dans des termes très généraux tels que "opération promotionnelle assortie de bons d'achat..." Présence des produits fournisseur dans l'assortiment régional..." ou "réalisation de têtes de gondoles..."
faits prévus par Art. L. 441-3 al. 3, Art. L. 441-5 du Code commerce, Art. 121-2 Code pénal et réprimés par Art. L. 441-4, Art. 441-5 Code commerce, Art. 131-38, Art. 131-39 5° Code pénal.
Motifs:
Les appels sont réguliers et recevables en la forme.
Les faits retenus comme fondement des poursuites sont ainsi relatés dans les actes de la procédure:
1. Infractions relevées dans le cadre des contrats de coopération commerciale passés par la société anonyme X, filiale de la SA X1, avec la SA Z, centrale d'achats du groupe A:
Le 24 octobre 2002, un inspecteur et un adjoint de contrôle principal de la direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la Loire-Atlantique, se sont présentés au siège de la SA X, leader du marché des plats céréaliers et deuxième du marché des aides culinaires, et ont pris copies de 21 contrats de coopération commerciale passés avec la SA Z et de 57 factures émises par celle-ci au cours des années 2001 et 2002.
L'exploitation de ces documents a permis de constater que, pour 51 des factures, il y avait un décalage entre la date de réalisation de la prestation de service et la délivrance de la facture, ce décalage pouvant aller de quelques jours, pour la plupart d'entre elles, à une durée de deux, trois, quatre semaines, voire plus d'un mois, et même six mois pour deux factures du 30 juillet 2002.
Or, l'article L. 441-3 du Code de commerce dispose en son second alinéa que le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou de la prestation de service et que l'acheteur doit la réclamer.
D'autre part, l'étude des libellés des 51 factures a conduit les fonctionnaires verbalisateurs et leur chef de service à considérer que la désignation des services facturés, tout en étant parfois longue, était très générale alors que le texte précité dispose en son troisième alinéa que la facture doit mentionner, entre autres indications, la dénomination précise des produits vendus et des services rendus.
Les mentions considérées comme non conformes à cette exigence de précision, et qui se retrouvent à plusieurs reprises dans les documents étudiés, sont les suivantes :
"La réalisation de têtes de gondoles dans les [magasins] affiliés à la Centrale",
"La présence des produits du fournisseur dans l'assortiment régional adapté à la consommation locale et recommandé à l'ensemble des [magasins] dépendant de la Centrale",
"Soit : le maintien de la même gamme de produits que l'année précédente sur la centrale régionale (gamme ou produit désigné ci-dessous). La centrale s'engage à réaliser le volume de chiffre d'affaires indiqué ci-dessous pour cette gamme ou produit ;
Soit : le lancement à l'échelon régional de nouveaux produits du fournisseur au cours de la période définie ci-après",
"Le maintien de la même gamme de produits que l'année précédente sur la centrale régionale (gamme ou produit désigné ci-dessous). La Centrale s'engage à réaliser le volume de chiffre d'affaires indiqué ci-dessous pour cette gamme ou produit".
M. Eric B, directeur commercial grand public, et M. Xavier C, responsable des clients nationaux GMS, ont été entendus le 16 décembre 2002 par les fonctionnaires verbalisateurs auxquels ils ont fourni des explications sur la signification des désignations considérées.
M. Alain D, Directeur de la Centrale d'achats Z, a déclaré qu'en ce qui concerne les têtes de gondoles, le contrat portant sur l'année entière, il n'était pas en mesure, au moment de l'édition du contrat, de préciser quels seront les produits qui se trouveront mis en avant au sein de la gamme, ni la période à laquelle ils le seront, mais qu'il n'avait jamais eu de contestation de facture ni de remarque en la matière, précisant que les logiciels dont dispose sa société reportent automatiquement la désignation du contrat sur la facture.
S'agissant du libellé de la présence des produits de la marque et de la gamme, il a indiqué qu'il était impossible au fournisseur comme à la centrale d'achats de prévoir les évolutions de la gamme, certains produits étant amenés à disparaître et d'autres à apparaître en cours d'année, mais que, depuis début 2003, la réalisation d'avenants aux contrats conclus en début d'année permettait une plus grande précision dans la facturation.
2. Infractions relevées dans le cadre des contrats de coopération commerciale passés par la société anonyme X, filiale de la SA X1, avec la centrale régionale Y:
Le 25 octobre 2002, les deux mêmes fonctionnaires de la DDCCRF de la Loire-Atlantique se sont présentés au siège de la SA X et ont pris copie de 18 contrats de coopération commerciale passés avec la société Y et de 47 factures émises par celle-ci au cours des années 2000, 2001 et 2002.
L'exploitation de ces documents a permis de constater que, pour 28 des factures, il y avait un décalage entre la date de la réalisation de la prestation de service et la délivrance de la facture, ce décalage pouvant aller de quelques jours à une durée de plusieurs semaines, un, deux ou trois mois et même sept mois pour deux factures du 30 août 2002.
Or, l'article L. 441-3 du Code de commerce dispose en son second alinéa que le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou de la prestation de service et que l'acheteur doit la réclamer.
D'autre part, l'étude des libellés de trente des factures a conduit les fonctionnaires verbalisateurs et leur chef de service à relever, dans les désignations des services facturés, un caractère de généralité non conforme à l'exigence de précision formulée au troisième alinéa de l'article L. 441-3 précité.
Les mentions concernées sont les suivantes:
"Diffusion statistique. Test merchandising et consommation. Analyse d'assortiment. Optimisation des flux. Information sur le suivi des dates limites de ventes de produits",
"Budget coop. Enlèvement",
"La présence des produits du fournisseur dans l'assortiment régional adapté à la consommation locale et recommandé à l'ensemble des [magasins] dépendant de la Centrale, pour les produits suivants. Enveloppe logistique/enlèvement",
"L'amélioration des performances logistiques",
"Développer les flux d'information (EDI)".
Entendus le 16 décembre 2002, MM. B et C ont fourni des explications sur la signification des désignations reproduites ci-dessus, ainsi que sur d'autres désignations qui n'ont finalement pas été retenues dans le procès-verbal récapitulatif du 5 juin 2003 transmis au Procureur de la République le 21 août suivant.
M. Yves D, responsable commercial de la Y, a été entendu le 26 janvier 2004.
Sur la désignation dans les factures des prestations de services, il a fourni des explications qui n'apparaissent pas en contradiction avec celles des responsables de la société X.
Quant au non-respect des prescriptions relatives à la délivrance immédiate des factures, il a fait valoir les contraintes inhérentes à la vérification du chiffre d'affaires du fournisseur, dans le cas où la rémunération du service était en pourcentage de ce chiffre d'affaires, ainsi qu'à la connaissance des ventes de l'ensemble des magasins lorsque les factures sont établies sur une valeur forfaitaire en fonction des ventes de produits. Il a ajouté que les délais pouvaient être rallongés en cas de litige avec le fournisseur sur le chiffre d'affaires ou la globalité des ventes.
Sur ce même problème, M. Hubert E, Président du conseil d'administration de la société X à l'époque des faits, a fait état du "délai technique incompressible" nécessaire pour que le distributeur puisse vérifier la réalité des opérations commerciales et promotionnelles dans une multitude de magasins.
Mme Anne-Isabelle F, directeur général de la société à l'époque contrôlée, a déclaré qu'il était prévu que le service comptabilité prenne contact avec les clients pour le règlement en cas de retard dans la remise des factures.
En ce qui concerne le libellé des factures, l'un et l'autre ont indiqué que la responsabilité ne pouvait leur en incomber puisqu'elles étaient établies par celui qui les émettait, Mme F précisant qu'elles correspondaient à un accord-cadre et à des actions commerciales vérifiables et M. E ajoutant qu'il était toujours vérifié que la facture corresponde à une prestation réelle.
Les dispositions du second alinéa de l'article L. 441-3 du Code de commerce imposant au vendeur de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou de la prestation de service et à l'acheteur de la réclamer sont impératives et instituent à la charge des deux cocontractants des obligations complémentaires et réciproques. L'acheteur doit donc réclamer toute facture qui ne lui serait pas délivrée dès la réalisation de la vente ou de la prestation de service.
Dans le cas présent, aucun des délais retenus par la prévention et repris et discutés aux rubriques 1.1 B. et 1.2 B. des conclusions de la société prévenue n'est justifié par des circonstances tenant à la spécificité des conventions passées, notamment quant à la détermination du prix et qui permettraient de retarder la date de réalisation de la prestation de service jusqu'à un terme dont la fixation dépendrait de contingences ne pouvant être vérifiées par les agents chargés du contrôle, telles que la collecte des "données commerciales" et la "remontée consolidée par la centrale régionale des ventes réalisées au cours de la période de cette opération".
En conséquence, les infractions ayant consisté pour la SA X à omettre de réclamer les factures dès la réalisation des prestations de services considérées sont bien caractérisées.
Au regard des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 441-3 du Code de commerce, il apparaît que certaines des dénominations relevées sur les factures par les fonctionnaires verbalisateurs, et retenues par la prévention, ne permettent pas d'identifier avec précision la nature exacte des services rendus.
Il s'agit des libellés suivants:
"Soit : le maintien de la même gamme de produits que l'année précédente sur la centrale régionale (gamme ou produit désigné ci-dessous). La centrale s'engage à réaliser le volume de chiffre d'affaires indiqué ci-dessous pour cette gamme ou produit
Soit : le lancement à l'échelon régional de nouveaux produits du fournisseur au cours de la période définie ci-après".
formule reproduite sur cinq factures de la SA Z et où le mode alternatif et hypothétique de la désignation ne permet pas de savoir quelle sorte de prestation est ainsi facturée;
"Budget coop enlèvement", formule reproduite sur une facture de la Y du 30 janvier 2001,
"L'amélioration des performances logistiques", formule reproduite sur une facture de la Y du 29 mars 2002,
ces mentions lapidaires ne permettant pas d'identifier avec précision la nature exacte des services rendus.
Les autres formulations, tout en employant parfois des termes du vocabulaire technico-commercial, sont conformes à l'exigence de précision posée par le texte visé et ne peuvent par conséquent constituer l'infraction reprochée à la société prévenue.
La prévention ayant retenu tous les faits énoncés aux deux procès-verbaux du 5 juin 2003, il convient de prononcer la relaxe du chef des infractions fondées sur le libellé des factures autres que celles mentionnées ci-dessus.
Les infractions ainsi caractérisées, qu'il s'agisse de l'omission de réclamer les factures de prestations de services dès leur réalisation ou de l'acceptation de factures ne mentionnant pas la dénomination précise des services rendus, sont imputables:
- d'une part à M. Eric B dont les fonctions de directeur commercial grand public comportent la garantie d'une négociation des accords de coopération au meilleur coût ainsi que leur application, l'élaboration et le respect du budget commercial et la garantie du respect de la législation en matière de politiques et pratiques commerciales et tarifaires
- d'autre part à Mme Anne-Isabelle F, titulaire, en sa qualité de directeur général de la société X, d'une délégation de pouvoirs lui conférant "l'autorité et les moyens nécessaires pour veiller efficacement à l'observation et à la bonne application des dispositions légales pouvant entraîner la responsabilité du dirigeant" notamment en matière commerciale, domaine incluant la négociation et la conclusion de tout contrat de prestations de services, de vente, de représentation ou de distribution.
Ces infractions, ayant ainsi été commises dans les conditions prévues par l'article 121-2 du Code pénal, engagent la responsabilité pénale de la société X.
Compte tenu de la nature et des circonstances des infractions, il convient de prononcer à l'encontre de la société prévenue une peine d'amende de 10 000 euro.
Dispositif:
LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire; Reçoit l'appel; Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau : - Déclare la société anonyme X responsable pénalement de tous les faits d'omission de réclamer les factures de prestations de services dès leur réalisation et des faits d'acceptation de factures ne mentionnant pas la dénomination précise des services rendus pour les cinq factures Z des 24 avril, 5 juin, 2 octobre, 5 novembre et 3 décembre 2001 et pour les deux factures Y du 30 janvier 2001 et du 29 mars 2002; - La relaxe pour le surplus; - En répression, - Condamne la société anonyme X à une amende de 10 000 euro. Le président donne à la condamnée l'avis prévu à l'article 707-3 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 120 euro dont est redevable la condamnée en application des dispositions des articles 800-1 du Code de procédure pénale et 1018 A du Code général des impôts.