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Décisions

Cass. soc., 6 octobre 2010, n° 09-40.133

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Fléchais (Epoux)

Défendeur :

Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lamanda

Rapporteur :

M. Ludet

Avocat général :

M. Lalande

Avocats :

SCP Masse-Dessen, Thouvenin, SCP Gatineau, Fattaccini

Versailles, 5e ch. B, du 13 nov. 2008

13 novembre 2008

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 13 novembre 2008), que M. et Mme Fléchais et la société Casino ont conclu à compter du 9 septembre 1997 divers contrats de cogérance en vue de l'exploitation de supérettes, en dernier lieu le 28 mars 2006 ; qu'ils ont contesté, à compter du mois de juin 2006, les modalités d'exécution des contrats successifs conclus avec la société Casino en remettant en cause leur qualité de mandataires au profit de la qualité de salariés placés directement sous la subordination de la société Casino ; que celle-ci a pris l'initiative, après convocation à un entretien préalable, de rompre le 1er septembre 2006 le contrat de cogérance ; que M. et Mme Fléchais ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir la requalification des relations contractuelles en contrats de travail, la fixation d'un salaire afin d'établir les sommes dues par la société Casino au titre de la rupture des relations professionnelles, et le paiement d'heures de travail ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. et Mme Fléchais font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes tendant à la requalification de la relation contractuelle en contrats de travail alors, selon le moyen : 1°) que l'existence d'un lien de subordination est exclusive du statut de gérant non salarié de succursale des commerces de détail alimentaire ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que les époux Flechais assuraient l'exploitation des succursales dans le cadre d'un service organisé mis en place par la société Casino et définissant les conditions de participation des gérants à la politique commerciale comportant l'obligation de vendre les marchandises fournies par la société Casino ou par ses fournisseurs agréées aux prix imposés, de participer aux actions promotionnelles et publicitaires proposées, de présenter les marchandises selon l'agencement fixé par la société, de se conformer à l'utilisation de divers documents transmis par la société, de se soumettre aux contraintes de l'installation locale de la succursale, de porter une tenue vestimentaire imposée, de se conformer à des heures d'ouverture et fermeture, et d'occuper un logement de fonction ; qu'en écartant le statut de salarié en l'état de ces constatations caractérisant l'existence d'un lien de subordination, la cour d'appel a violé les articles L. 121-1 et L. 781-2 du Code du travail devenus L. 1221-1 et L. 7322-2 du Code du travail ; 2°) que les époux Fléchais démontraient par la production de nombreuses pièces être soumis à des consignes très précises concernant notamment leurs rapports à la clientèle, ainsi qu'à une gestion de carrière imposée par la société Casino ; qu'en laissant sans réponse ce moyen déterminant des écritures d'appel des salariés incontestablement de nature à caractériser l'existence d'un lien de subordination, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) qu'est gérant non salarié toute personne qui exploite, moyennant des remises proportionnelles au montant des ventes, les succursales des commerces de détail alimentaire ou des coopératives de consommation lorsque le contrat intervenu ne fixe pas les conditions de son travail et lui laisse toute latitude d'embaucher des salariés ou de se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si les époux Fléchais ne percevaient pas une rémunération forfaitaire sans lien avec le montant des ventes, et en conséquence incompatible avec le statut de gérant non salarié de succursales de commerce de détail alimentaire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 782-1 du Code du travail alors en vigueur, devenu L. 7322-2 du Code du travail ; 4°) qu'est gérant non salarié toute personne qui exploite, moyennant des remises proportionnelles au montant des ventes, les succursales des commerces de détail alimentaire ou des coopératives de consommation lorsque le contrat intervenu ne fixe pas les conditions de son travail et lui laisse toute latitude d'embaucher des salariés ou de se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité ; que les époux Fléchais soutenaient n'avoir aucune liberté d'engager du personnel ni aucune responsabilité dans la gestion du personnel qui était assurée par les services comptables et administratif de la société Casino ; qu'ils étayaient ces affirmations par la production de diverses pièces telles que jugements, plumitif d'audience, attestation, et courrier de la société Casino ; qu'en affirmant que " Yves et Nadia Fléchais sont dans l'incapacité de produire aux débats des instructions personnelles visant à leur imposer l'embauche de personnel déterminé " sans analyser ni même viser les pièces ainsi produites, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 5°) qu'en retenant que " le recours à des professionnels exerçant habituellement au sein de la structure Casino (comptable - avocat) [doit être considéré] comme entrant dans le cadre de l'aide que la société Casino leur a apporté dans la gestion des succursales et plus particulièrement dans la gestion des salaires et charges sociales dus aux salariés placés directement sous leur autorité et dans la gestion des conflits de travail les ayant opposés à leurs salariés, faute de pouvoir eux-mêmes prétendre assurer de telles tâches par leurs propres moyens ou en ayant recours à des relations professionnelles extérieures à la société ", la cour d'appel qui a ainsi caractérisé l'impossibilité pour les époux Fléchais d'embaucher du personnel sous leur responsabilité, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article L. 782-1 du Code du travail alors en vigueur, devenu L. 7322-2 du Code du travail ; 6°) qu'en retenant, pour justifier sa décision, que les époux Fléchais admettaient avoir pu refuser sans sanction d'ouvrir le magasin les jours fériés quand le défaut de mise en œuvre de son pouvoir disciplinaire par l'employeur dans une hypothèse où il aurait éventuellement pu y recourir ne peut exclure l'existence d'un lien de subordination, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ; 7°) que les époux Fléchais produisaient aux débats pas moins de douze pièces différentes établissant l'obligation qui leur était faite d'accepter des marchandises non commandées ; qu'en affirmant que " Yves et Nadia Fléchais sont dans l'incapacité de produire aux débats des instructions personnelles visant à leur imposer [...] l'acceptation de marchandises non commandées ", la cour d'appel a dénaturé ces pièces en violation de l'article 1134 du Code civil ; 8°) qu'à tout le moins, en statuant ainsi sans analyser ni même viser les pièces ainsi produites aux débats, la cour d'appel a de nouveau méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a retenu que M. et Mme Fléchais ne pouvaient tirer des conditions d'exécution de leur travail selon l'organisation définie par la société Casino la preuve de l'existence d'un contrat de travail alors qu'ils avaient pu, sans contrôle de cette société, organiser librement l'exercice personnel de leur activité professionnelle à l'intérieur des différentes succursales en ce qui concerne la répartition des heures de travail entre ouverture et fermeture, les relations avec la clientèle et les relations avec le personnel embauché ou repris ;

Attendu, ensuite, qu'appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis sans être tenue de s'expliquer sur ceux qu'elle décidait d'écarter, la cour d'appel a estimé que M. et Mme Fléchais étaient dans l'incapacité de produire aux débats des instructions personnelles visant à leur imposer l'embauche de personnel déterminé, la reprise de certains salariés n'ayant résulté que de l'application des dispositions relatives au maintien des contrats de travail en cas de transfert d'entreprise, ou à imposer aux cogérants leur remplacement par des personnes dénommées durant leurs congés, l'acceptation de marchandises non commandées et le recours à des professionnels, tels que comptables ou avocats, exerçant habituellement au sein de la structure Casino, ces derniers moyens devant être considérés comme entrant dans le cadre de l'aide que la société Casino leur a apportée dans la gestion des succursales ; que la cour d'appel, qui a fait ressortir que les contraintes pesant sur l'activité professionnelle de M. et Mme Fléchais selon les conditions d'organisation déterminées par la société Casino, n'excédaient pas les limites du cadre inhérent aux relations entre la maison mère et les gérants non salariés de succursales de maison d'alimentation, et relevé que le seul fait, pour cette société, de verser temporairement aux deux cogérants, rémunérés par des remises proportionnelles au montant des ventes, une rémunération forfaitaire complémentaire pour l'exploitation d'une station-service à Massy, ne pouvait suffire à les soustraire au statut de gérants non salariés a, répondant aux moyens développés dans les conclusions déposées devant elle, sans dénaturer les éléments de preuve qu'elle a examinés, et effectuant les recherches qui lui étaient demandées, justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. et Mme Fléchais font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes en paiement de rappels de salaires, d'heures supplémentaires et congés payés afférents alors, selon le moyen : 1°) que les gérants non salariés de succursales de maisons d'alimentation de détail bénéficient de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale ; que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties ; qu'en retenant que les époux Fléchais ne démontraient pas s'être vu imposer l'exécution d'heures supplémentaires quand elle devait exiger de la société Casino qu'elle lui fournisse les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par les époux, et former sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par les époux, la cour d'appel a violé l'article L. 212-1-1 du Code du travail alors en vigueur, actuellement article L. 3171-4 du Code du travail ; 2°) qu'en se bornant à reprocher aux époux Fléchais de ne pas démontrer qu'ils s'étaient vu imposer l'exécution d'heures supplémentaires sans rechercher si les horaires d'ouverture et de fermeture de la succursale, auxquels les époux étaient soumis, et la réalisation des nombreuses tâches qui leur étaient confiées n'exigeaient pas de leur part la réalisation d'heures supplémentaires de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 212-1-1 du Code du travail alors en vigueur, actuellement article L. 3171-4 du Code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu que M. et Mme Fléchais ne démontraient pas que la société Casino leur avait imposé à titre individuel l'exécution d'horaires de travail déterminés, hors les horaires d'ouverture et de fermeture des succursales, a légalement justifié sa décision ;

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. et Mme Fléchais font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes d'indemnités compensatrices de préavis, congés payés afférents et d'indemnités de licenciement, alors, selon le moyen, que les gérants non salariés de succursales de maisons d'alimentation de détail bénéficient de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale ; qu'en déboutant chacun des époux de ses demandes tendant au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents et d'une indemnité de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 782-7 du Code du travail alors en vigueur, devenu L. 7322-1 du Code du travail ;

Mais attendu que sous le couvert d'un grief de violation de la loi, le moyen critique une omission de statuer sur des chefs de demande ; que l'omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du Code de procédure civile, le moyen n'est pas recevable ;

Sur le pourvoi incident de la société Casino : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les moyens de ce pourvoi, qui ne seraient pas de nature à permettre son admission ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois tant principaux qu'incident.