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Décisions

CA Aix-en-Provence, 17e ch., 26 mai 2008, n° 07-13692

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ludi SFM (SAS), de Bruyn

Défendeur :

Labat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cuttat

Conseillers :

M. Grand, Mme Poirine

Avocats :

Mes Chabas, Lods

Cons. prud'h. Menton, du 5 juill. 2007

5 juillet 2007

Faits et procédure

La SAS Ludi SFM et Monsieur Willy de Bruyn ont relevé appel du jugement rendu le 5 juillet 2007 par le Conseil de Prud'hommes de Menton qui, retenant l'existence

- d'une part d'un contrat de travail de Monsieur André Labat avec la SAS Ludi SFM, rompu pendant la période d'essai

- d'autre part d'un emploi dissimulé de Monsieur André Labat au service de Monsieur Willy de Bruyn,

a condamné:

1) Monsieur Willy de Bruyn à payer à Monsieur André Labat les sommes suivantes:

- 60 000 euro sur le fondement de l'article L. 324-11-1 du Code du travail

- 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement illégal

- 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

2) la SAS Ludi SFM à payer à Monsieur André Labat les sommes de:

- 48 000 euro à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence

- 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les appelants font grief aux premiers juges de n'avoir pas justifié de l'existence d'un lien de subordination entre Monsieur André Labat et Monsieur Willy de Bruyn, et d'avoir assimilé la clause de loyauté liant Monsieur André Labat à la société Ludi à une clause de non-concurrence étant de surcroît souligné l'illogisme consistant à accorder une contrepartie pécuniaire pour une clause jugée nulle.

Monsieur Willy de Bruyn explique que, ne s'étant jamais considéré comme l'employeur de Monsieur André Labat, il ne lui a pas donné de directives ni fourni un travail distinct de celui exercé pour le compte de la SAS Ludi SFM, ni versé un salaire, d'où il déduit l'absence de tout travail dissimulé.

La SAS Ludi SFM soutient qu'en l'absence de comportement fautif de sa part, elle n'a pas rompu abusivement la période d'essai, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges.

Mais elle s'élève contre l'amalgame effectué par le conseil de prud'hommes entre l'obligation de loyauté prévue à article 12 du contrat et la clause de non-concurrence stipulée à l'article 14, laquelle comporte une contrepartie pécuniaire.

L'obligation de loyauté, explique-t-elle, interdit au salarié d'emporter des documents, de capter la clientèle ou de dénigrer la société, mais ne lui interdit en aucun cas d'exercer une activité concurrente, donc ne limite pas ses recherches d'emploi.

Les appelants concluent à la réformation du jugement entrepris, au débouté de toutes les demandes de Monsieur André Labat et à sa condamnation reconventionnelle à payer:

1) à Monsieur Willy de Bruyn les sommes de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour abus de droit et de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

2) à la SAS Ludi SFM une indemnité de 2 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur André Labat, intimé, réplique que s'il avait un lien contractuel avec la SAS Ludi SFM, il était aussi en contact avec son actionnaire principal : Monsieur de Bruyn, qui l'a recruté et auquel il était rattaché et devait rendre compte, alors qu'il n'en rendait aucun à Monsieur Aonzo, président de la SAS Ludi SFM.

Il affirme par ailleurs que la SAS Ludi SFM a abusé de son droit de rompre sans formalité le contrat de travail pendant la période d'essai. Il souligne à cet égard le caractère précipité de cette rupture et le fait qu'elle est survenue après qu'il eut posé des questions sur l'organisation de la société et la rémunération d'un personnel absent.

Il soutient que les clauses de non-concurrence prévues aux articles 12 et 14 du contrat de travail ne sont pas valides car:

a) la clause intitulée "obligation de loyauté" (article 12) ne comporte pas de contrepartie pécuniaire

b) la clause dite expressément "de non-concurrence" (article 14) ne prévoit pas de contrepartie pécuniaire en cas de rupture pendant la période d'essai à l'initiative de l'employeur.

Monsieur André Labat conclut à la réformation parte in qua du jugement entrepris, et à la condamnation solidaire de la SAS Ludi SFM et de Monsieur Willy de Bruyn à lui payer les sommes suivantes :

- 60 000 euro à titre d'indemnité pour travail dissimulé

- 40 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive

- 20 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral

- 120 000 euro à titre de dommages et intérêts pour absence de contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence

- 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est renvoyé au jugement entrepris, aux pièces de la procédure et aux conclusions des parties oralement reprises.

Motifs

1) Le contrat de travail allégué entre Monsieur André Labat et Monsieur Willy de Bruyn et l'existence d'un emploi dissimulé

Il est constant que la SAS Ludi SFM a engagé le 10 février 2006 Monsieur André Labat en qualité de directeur exécutif. Le point décisif est de savoir s'il n'a pas en fait exercé ses fonctions sous la direction de Monsieur Willy de Bruyn, actionnaire principal à 95 % dans des conditions caractérisant l'existence d'un contrat de travail.

Il est déjà significatif de constater que Monsieur Willy de Bruyn a en fait recruté lui-même Monsieur André Labat et que le contrat de travail de celui-ci avec la SAS Ludi SFM a été signé dans les locaux de la société Erusa dont Monsieur Willy de Bruyn est le représentant légal et le porteur d'actions (avec son épouse).

Plus significatif encore : le répertoire des numéros de téléphone des divers postes de la SAS Ludi SFM fait apparaître que Monsieur Aonzo, Président de la société, n'a ni bureau, ni téléphone (fixe ou portable), alors que Monsieur Willy de Bruyn, actionnaire, dispose d'un téléphone portable pris en charge par la société.

Or il résulte de l'article 17 des statuts de la SAS Ludi SFM que : "la société est représentée, dirigée et administrée par un Président, personne physique (...)", sans qu'aucun rôle soit dévolu à l'actionnaire principal dans le fonctionnement, notamment hiérarchique et les rapports avec les salariés.

De même, le contrat de travail du 10 février 2006 stipule-t-il expressément : "le salarié exercera les fonctions de "directeur exécutif" sous l'autorité exclusive et selon les directives de son supérieur hiérarchique, le Président de la société ou les éventuels "directeurs généraux" qui pourront être désignés par décision collective des associés, et lui rendra compte régulièrement de son activité."

Il est risible pour les appelants de soutenir dans leurs conclusions d'appel (pages 12 et 13) oralement reprises que tel a bien été le cas, Monsieur Willy de Bruyn s'étant abstenu de donner des directives, alors que le cabinet H-R Services qui s'était entremis lors de la conclusion du contrat, avait prévu exactement le contraire dans la brochure intitulée "définition de fonction" qu'il avait adressée à Monsieur André Labat en écrivant expressis verbis (page 3): "rattaché à l'actionnaire à qui vous rendez régulièrement compte, vous proposez des actes de travail en matière de fonctionnement et développement, etc..."

De fait, les seuls courriels produits ont été échangés entre Monsieur André Labat et Monsieur Willy de Bruyn, et ils démontrent l'existence d'un lien de subordination puisque le premier rend compte au second de son activité hebdomadaire, répond avec diligence à ses demandes et lui communique ses projets d'activité.

Bref, la subordination de Monsieur André Labat à l'actionnaire principal Monsieur Willy de Bruyn pour un travail donné est patente, ce qui caractérise l'existence d'un contrat de travail entre eux.

A ce sujet, il importe peu que Monsieur André Labat ne sollicite pas la délivrance de documents sociaux afférents audit contrat, car le présent arrêt est suffisant pour qu'il puisse faire valoir ses droits auprès des administrations intéressées par la communication de tels documents.

Compte tenu de la brièveté des relations contractuelles entre les parties, il apparaît à la cour que les premiers juges ont correctement arbitré à la somme de 10 000 euro le montant des dommages et intérêts pour licenciement injustifié et irrégulier qui doivent être à la charge exclusive de Monsieur Willy de Bruyn, la solidarité ne se présumant pas (étant précisé que ce poste est implicitement mais nécessairement inclus dans la demande globale de dommages et intérêts pour rupture abusive présentée par Monsieur André Labat).

En l'absence de déclaration dudit contrat de travail aux organismes sociaux, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a retenu à l'encontre du seul Monsieur Willy de Bruyn le délit de travail dissimulé tel que prévu par l'article L. 324-10 du Code du travail et réprimé par l'article L. 324-11 du Code du travail en le condamnant au paiement de la somme de 60 000 euro de ce chef.

2. La rupture pendant la période d'essai du contrat de travail conclu entre Monsieur André Labat et la SAS Ludi SFM et l'absence de contrepartie financière à la clause de non-concurrence

A l'encontre de ce que soutient Monsieur André Labat, une durée de 6 semaines (2 mai 2006/16 juin 2006) - correspondant à la moitié de la période d'essai contractuelle de trois mois - apparaît à la cour suffisante pour statuer sur sa compétence, en sorte qu'il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir rompu les relations contractuelles avec précipitation.

Rien n'indique par ailleurs que cette rupture est directement liée aux questions posées par Monsieur André Labat quant à la véracité de l'organigramme de la société.

Enfin, il ne peut être sérieusement soutenu que le fait de l'avoir empêché de mener à bien la "stratégie à long terme" qu'il envisageait lui a occasionné un préjudice moral spécifique ouvrant droit à indemnisation, c'est donc à bon droit que les premiers juges l'ont débouté de ce chef de demande.

Concernant la clause de non-concurrence prévue par l'article 14 du contrat de travail, il est indifférent de relever la stipulation selon laquelle "en cas de rupture du contrat de travail pendant la période d'essai à l'initiative de la société, la présente clause ne s'appliquera pas".

De même, ne sont pas pertinentes les objections de Monsieur André Labat à l'argumentaire des appelants, selon lequel la clause de l'article 12 intitulée "obligation de loyauté"' sanctionne uniquement des actes de concurrence déloyale sans interdire à Monsieur André Labat, comme le ferait une clause de non-concurrence, de créer lui-même une société concurrente, ou d'entrer au service d'une société concurrente.

C'est à tort qu'il argue du fait que cette "obligation de loyauté" dure un an après la rupture pour l'assimiler à une obligation de non-concurrence. En effet, il lui est seulement interdit de "récupérer les clients de la société par des manœuvres illicites et/ou anticoncurrentielles". Autrement dit, il peut les récupérer par des manœuvres concurrentielles. Cette clause ne limite donc en rien son accès au marché du travail, et Monsieur André Labat doit donc être débouté de sa demande de dommages et intérêts.

En conséquence, la SAS Ludi SFM doit être mise hors de cause, le jugement querellé étant réformé de ce chef.

Ladite société sera déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive, faute de démontrer qu'a dégénéré en abus le droit qu'avait Monsieur André Labat de soumettre le litige à l'appréciation souveraine de la Cour.

L'équité ne commande pas de faire application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

En raison de la succombance respective de Monsieur Willy de Bruyn et Monsieur André Labat, les dépens doivent être partagés par moitié entre eux.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en matière prud'homale, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la SAS Ludi SFM à payer à Monsieur André Labat les sommes de 48 000 euro au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence et de 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Réforme de ces chefs et, Statuant à nouveau: Déboute Monsieur André Labat de ces deux demandes et prononce la mise hors de cause de la SAS Ludi SFM, Partage les dépens par moitié entre Monsieur Willy de Bruyn et Monsieur André Labat, Rejette toutes autres conclusions contraires ou plus amples des parties.