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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 10 juin 2010, n° 09-00298

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Cabep

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Valantin

Conseillers :

M. Regimbeau, Mme Calot

Avoués :

SCP Bommart Minault, Me Seba

Avocats :

Me Vandenbogaerde, Cauly

TGI Chartres, 1re ch., du 17 déc. 2008

17 décembre 2008

Rappel des faits et de la procédure

Mme Liliane X, agricultrice depuis 1984 en Eure-et-Loir, s'est fournie en engrais et semences auprès de la Cabep, la Coopérative Agricole de la Beauce et du Perche, durant de nombreuses années.

Il était convenu entre eux que la Cabep faisait les avances des engrais et semences de Mme X tandis que celle ci réglait le montant de la moisson fin août de chaque année.

Au mois de décembre 2005, Mme Liliane X a subi un incendie de sa bergerie et a bénéficié d'une avance de la part de la Cabep.

Le 6 avril 2007, la Cabep a refusé l'avance des engrais et des semences en l'absence de paiement.

Par exploit d'huissier du 22 février 2008, Mme Liliane X a fait assigner la Cabep devant le Tribunal de grande instance de Chartres aux fins de réparation du préjudice subi pour la rupture unilatérale et abusive de leurs relations commerciales.

Mme Liliane X a interjeté appel du jugement rendu le 17 décembre 2008, qui a :

- dit que la Cabep avait engagé sa responsabilité contractuelle,

- rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme Liliane X faute de preuve,

- condamné Mme Liliane X à payer à la Cabep la somme de 71 818,30 euro assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2008,

- ordonné l'exécution de la décision,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié par Mme Liliane X et par moitié par la Cabep.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 2 mars 2010, Mme Liliane X, appelante, prie la cour, au visa des articles L. 442-6 du Code de commerce et 1134 du Code civil, de :

- constater la rupture unilatérale et abusive du crédit consenti par la Cabep et de leurs relations commerciales,

- condamner la Cabep à lui payer la somme de 54 216 euro au titre des pertes subies dans le cadre de sa production, la somme de 20 000 euro au titre de la perturbation de son exploitation agricole, soit la somme totale de 74 126 euro,

- donner acte à Mme Liliane X de ce qu'elle reconnaît devoir à la Cabep la somme de 74 695,85 euro, selon relevé du 5 février 2008,

- constater qu'aucun accord n'est jamais intervenu pour ce qui concerne les intérêts appliqués unilatéralement par la Cabep,

- dire que le montant de ces sommes se compenseront et que Mme Liliane X restera devoir à la Cabep la différence, soit la somme de 569,85 euro,

- condamner la Cabep à lui payer la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 3 février 2010, la Cabep, intimée, prie la cour, au visa des articles L. 442-6 4° du Code de commerce et 1109, 1116, 1131, 1134, 1147 et 1149 du Code civil, de :

- déclarer justifiée par les graves inexécutions chroniques de Mme Liliane X à ses obligations contractuelles, sa totale défaillance à l'obligation de l'article 1134 du Code civil, la rupture des relations commerciales sans préavis,

- infirmer le jugement,

- déclarer opposable à Mme Liliane X la stipulation d'intérêts visée aux factures et conforme aux délibérations du conseil d'administration,

- condamner Mme Liliane X au paiement de la somme de 77 927,25 euro avec intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2008,

- ordonner la capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil,

- condamner Mme Liliane X au paiement de la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 9 juin 2010.

Moyens des parties

Considérant que Mme Liliane X fait grief au jugement d'avoir rejeté sa demande de dommages et intérêts,

Qu'elle rappelle qu'elle reconnaît qu'elle est débitrice de la somme de 74 695,85 euro envers la Cabep,

Qu'elle expose que son préjudice s'élève à la même somme,

Qu'elle fait valoir que la rupture des relations par la Cabep a été brutale et injustifiée après 23 ans de collaboration, sans préavis ni mise en demeure, alors qu'elle n'avait pas manqué à ses obligations,

Qu'elle a fait son possible pour rembourser la Cabep de son avance à la suite de l'incendie qu'elle a subi, mais que l'indemnité d'assurance qu'elle a reçue à la suite du sinistre ne lui a pas permis de rembourser immédiatement la Cabep, qu'une partie de cette indemnité a été saisie par la Banque Populaire à hauteur de 22 649,15 euro et que le prix de vente de sa maison n'a pas atteint le montant qu'elle espérait, qu'elle a livré la totalité de sa récolte à la Cabep,

Que cette dernière ne lui a adressé aucune mise en demeure, ni aucun préavis avant de cesser de lui livrer les semences,

Qu'elle rappelle qu'aux termes de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la rupture brutale des relations commerciales établies, sans préavis écrit, entraîne réparation,

Qu'elle ajoute que la Cabep a manqué à son obligation de loyauté au regard de l'article 1134 du Code civil,

Qu'elle fait valoir que son préjudice est établi,

Qu'elle a l'obligation d'ensemencer à partir du printemps faute de quoi elle perd une prime PAC de 30 000 euro et qu'elle a eu de grandes difficultés à s'approvisionner en semences avant la fin de l'été 2007, ce qui a entraîné la perte d'une récolte, qu'elle n'a pu semer du maïs qu'elle a remplacé par de l'escourgeon qu'elle avait en stock, mais que n'ayant pu être traité, il n'a pu être récolté, sa perte s'élevant aux sommes de 11 340 euro et de 6 885 euro, qu'elle a également semé des pois qu'elle avait en stock, qui n'ont pas été traités et que sa perte s'élève à ce titre à la somme de 8 600 euro, que l'absence de traitement sur la récolte d'hiver a entraîné une perte de rendement s'élevant à la somme de 22 491 euro, que la remise en état des terres du fait de l'absence de traitement s'élève aux sommes de 910 euro et de 3 900 euro, soit au total de 54 126 euro,

Qu'à ces pertes d'exploitation, s'ajoute une perte économique liée aux difficultés pour nourrir ses brebis allaitantes qui s'élève à la somme de 18 108 euro pour 2007 et 2006, qui est sous évaluée compte tenu de la baisse entraînée en 2006 par les conséquences de l'incendie survenu en 2005, que son préjudice total s'élève donc à la somme de 74 126 euro,

Que la demande de la Cabep à hauteur de 77 927,25 euro est mal fondée au regard du relevé du 5 février 2008, qui évalue sa créance à la somme de 76 980,58 euro, qu'aucun accord n'est intervenu sur les intérêts , soit sur les sommes de 1 133,47 euro et 1 151,26 euro, que la créance de la Cabep s'élève donc à la somme de 74 695,85 euro, que cette somme se compensant avec le préjudice de Mme Liliane X, elle doit la différence s'élevant à la somme de 569,85 euro,

Considérant que la Coopérative Agricole de la Beauce et du Perche réplique que Mme Liliane X n'a pas exécuté le jugement,

Qu'elle rappelle qu'avant l'incendie du 30 décembre 2005, l'appelante devait 12 factures impayées pour des approvisionnements de 2004 et 2005, qu'au printemps 2006, la Cabep lui a consenti une avance de 30 000 euro, en garantie de laquelle elle a consenti un warrant agricole sur les récoltes attendues de ses terres données en fermage, que Mme Liliane X s'était engagée le 29 mars 2006 par écrit à payer à la Cabep fin juin 2006 à titre de remboursement de 83 072,65 euro, les sommes qu'elle devait percevoir, soit 82 000 euro au titre de l'indemnité d'assurance (dont 53 000 euro payable au mois d'avril 2006), 29 000 euro au titre de la succession de son beau-père payable au mois de mai 2006, 350 000 euro au titre de la vente d'une maison à Chartres payable au mois de juin 2006, 20 000 euro au titre de la récupération de la TVA, 29 633 euro au titre d'une subvention PAC et 27 150 euro au titre de la vente de bétail, que le chèque d'acompte de 3 000 euro s'avéra impayé à sa présentation,

Que Mme Liliane X n'établit pas le préjudice qu'elle invoque, que son éventuel préjudice n'est lié qu'à l'absence de préavis et à la brutalité de la rupture, mais non à la rupture elle même, que Mme Liliane X s'est approvisionnée pour 21 109 euro en 2006, pour 33 037 euro en 2007 et pour 38 305 euro en 2008, que sa capacité d'approvisionnement n'a donc nullement été affectée par l'absence de préavis,

Que la Cabep rappelle que sa créance figure au passif de son bilan de l'exercice 2007 à hauteur de 75 829 euro, que les factures émises dès 2004 mentionnent expressément que faute de paiement à la date mentionnée, les intérêts de retard seront facturés au taux en vigueur arrêté par le conseil d'administration de la Coopérative, que la stipulation d'intérêts à hauteur de 6 135,95 euro est valable et que le tribunal a outrepassé sa saisine en prononçant la remise d'intérêts que Mme Liliane X n'avait pas demandée, que la somme de 77 972,25 euro arrêtée au 31 mai 2008 est valable.

Motifs de la décision

Considérant que la Cabep soutient que l'article L. 442-6 5° du Code de commerce prévoit la possibilité d'une rupture unilatérale des relations commerciales sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses engagements, qu'aux termes de l'article 1131 du Code civil, la cause de l'avance de 30 000 euro était l'apurement d'un fort encours auquel Mme Liliane X s'était engagée, mais qu'elle n'a pas effectué, que cette dernière a donné des garanties de paiement à tort, a remis un chèque sans provision, n'a pas payé les marchandises dues et n'a pas livré les récoltes, qu'elle adhérait à une autre coopérative, que les juges du fond excluent la rupture abusive face à un comportement abusif ;

Considérant que Mme Liliane X a laissé des factures impayées en 2004 et 2005 et n'a pas respecté l'engagement qu'elle avait signé le 29 mars 2006, la contrepartie de l'avance de 30 000 euro accordée par la Cabep étant l'octroi d'un warrant agricole sur les récoltes attendues de ses terres données en fermage, se déclarant dans l'attente de rentrées financières en avril et juin 2006 ;

Que le chèque d'acompte de 3 000 euro est revenu impayé le 26 mars 2007 ;

Qu'il convient de s'interroger si le manquement de Mme Liliane X à ses obligations contractuelles, autorisait la rupture brutale des relations commerciales nouées entre les parties depuis de nombreuses années, même sans préavis écrit, l'appelante précisant que l'intimée étant son seul fournisseur ;

Considérant que Mme Liliane X soutient que dès le 6 avril 2007, la Cabep lui a interdit verbalement de se servir auprès de la coopérative et lui a intimé l'ordre de lui rembourser immédiatement le montant des sommes dues ;

Qu'il est seulement produit un courrier de réclamation du 9 mai 2007 pour une somme de 74 303,62 euro ;

Considérant qu'au regard de la durée des relations commerciales nouées entre les parties, 23 ans selon l'appelante et des accords convenus entre eux, la rupture contractuelle, devait être précédée d'un préavis ou d'une mise en demeure ;

Que toutefois, le seul préjudice indemnisable est celui entraîné par le caractère brutal de la rupture et non par la rupture elle même, qui était justifiée par la gravité des manquements contractuels réitérés imputables à l'appelante ;

Que cette absence de préavis de résiliation, du fait que la relation d'affaires s'inscrivait dans la durée et la continuité, ouvre droit à indemnité, qui sera évaluée à la somme de 15 000 euro ;

Considérant que l'appelante souligne que la créance de la Cabep s'élève seulement à la somme de 74 695,85 euro selon son propre relevé, alors que celle-ci objecte que les factures émises dès 2004 mentionnent expressément que faute de paiement à la date mentionnée, les intérêts de retard seront facturés au taux en vigueur arrêté par le conseil d'administration de la Coopérative, que la stipulation d'intérêts à hauteur de 6 135,95 euro est valable et que le tribunal a outrepassé sa saisine en prononçant la remise d'intérêts que Mme Liliane X n'avait pas demandée, que la somme de 77 972,25 euro arrêtée au 31 mai 2008 est valable ;

Considérant que la mention figurant sur les factures produites faute de paiement à la date ci-dessus, des intérêts de retard vous seront facturés au taux en vigueur ne permet pas de déterminer si les intérêts de retard seront facturés conformément au taux d'intérêt légal (TEG selon certaines factures) ou bien selon le taux en vigueur arrêté par le conseil d'administration de la Coopérative, comme le prétend la société intimée ;

Que faute de stipulation sur la détermination du taux contractuel, la demande complémentaire de l'intimée au titre des intérêts de retard sera rejetée et le jugement déféré sera confirmé de ce chef ;

Qu'après compensation des créances et dettes respectives, Mme Liliane X reste devoir la somme de 64 695,85 euro, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2008 ;

Qu'il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts et il sera alloué une indemnité de procédure à la société intimée ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la Cabep a engagé sa responsabilité contractuelle et rejeté sa demande au titre des intérêts de retard, Le réforme pour le surplus, Et statuant à nouveau, Dit que l'absence de préavis de résiliation ouvre droit à l'allocation d'une indemnité de 15 000 euro, Dit qu'après compensation des créances et dettes respectives des parties, Mme Liliane X est débitrice de la somme de 64 695,85 euro, En conséquence, Condamne Mme Liliane X à payer à la Cabep la somme de 64 695,85 euro assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2008, Dit que les intérêts échus depuis plus d'un an seront capitalisés chaque année à la date anniversaire de la demande et porteront eux mêmes intérêts au même taux, par application de l'article 1154 du Code civil, Condamne Mme Liliane X à payer à la Cabep la somme de 2 500 euro au titre des frais irrépétibles, Rejette toute autre demande, Condamne Mme Liliane X aux entiers dépens (de première instance et d'appel) et admet Me Seba, avoué à la cour, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.