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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 15 avril 2010, n° 09-01365

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lucane (SARL)

Défendeur :

Sacag Editions (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maron

Conseillers :

Mmes Brylinski, Beauvois

Avoués :

SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, SCP Bommart Minault

Avocats :

Mes Cocusse, Berto, Adler

T. com. Versailles, 1re ch., du 7 janv. …

7 janvier 2009

Faits et procédure

Christian Debarre a créé en 1990 la bande dessinée " Joe Bar Team ", albums humoristiques relatant les aventures d'un groupe de motards. La société Editions Vents d'Ouest en était l'éditeur ; elle était titulaire des droits de propriété littéraire et artistique et dessins de l'univers et des personnages de cette bande dessinée, incluant notamment leur utilisation dans le cadre de la réalisation de produits dérivés, ainsi que de la marque semi-figurative française nº 3458504 " Joe Bar Team " déposée le 24 octobre 2006 en classes 9, 16, 28, 35, 38, 39, 40 et 41.

Le 1er octobre 1990 elle a cédé à la SARL Lucane, exerçant l'activité d'agence de publicité et de communication et créée en 1987 par Monsieur Yves Touchard, Madame Laure Blanchet et Monsieur Hervé Debarre frère de Christian Debarre la licence sur ces droits, lui permettant de façon exclusive l'exploitation des produits dérivés reproduisant les noms, personnages, sujets et dessins de la bande dessinée. Ainsi, par contrats successifs des 1er octobre 1990, 15 juillet 1993, 31 mars 1995, 17 juin 1998 et 18 juin 2003, la société Editions Vents d'Ouest a concédé à Lucane le droit de reproduire les noms, personnages, sujets et dessins de Joe Bar Team pour la fabrication et la vente dans le monde entier d'une gamme de produits Moto et cadeaux, représentant plus de 400 produits ; le dernier contrat du 18 juin 2003 a été conclu à titre non exclusif pour une durée de cinq ans expirant le 17 juin 2008, reconductible d'année en année à défaut par l'une des parties d'informer l'autre, moyennant le respect d'un préavis de trois mois, de son intention de ne pas le prolonger ; des avenants ont été signés les 8 juillet 2006, 21 septembre 2006, 18 octobre 2006 et 29 juillet 2006, ne concernant que l'actualisation des nouveaux produits à commercialiser par la société Lucane.

Depuis 1990 Lucane a centré la quasi-totalité de son activité sur l'exploitation des produits dérivés de la bande dessinée " Joe Bar Team ", représentant finalement plus de 90 % de son chiffre d'affaires.

La société Glénat Editions, ayant absorbé la société Editions Vents d'Ouest, par lettre recommandée AR en date du 13 mars 2008, a informé Lucane qu'elle n'entendait pas poursuivre le contrat au-delà du terme du 17 juin 2008, lui précisant que si elle souhaitait bénéficier de la période d'écoulement des stocks de 6 mois prévue à l'article 12 du contrat du 18 juin 2003, la totalité de son encours de redevances devrait être réglée immédiatement.

La SARL Lucane a assigné la SA Glénat Editions aux fins d'obtenir sa condamnation, sur le fondement des articles L. 236-3 et L. 442-6, l, 5° du Code de commerce, au paiement des sommes de 5 530 272 euro en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales, et de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts complémentaires en réparation de l'atteinte à la réputation commerciale.

Le Tribunal de commerce de Versailles, par jugement rendu le 7 janvier 2009, a débouté la SARL Lucane de l'ensemble de ses prétentions, débouté la SA Glénat de sa demande reconventionnelle, condamné la SARL Lucane au paiement de la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La SARL Lucane a interjeté appel et, aux termes de ses dernières écritures en date du 13 novembre 2009, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés, demande à la cour, sous le visa des articles L. 236-3 et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil, 564 et 566 du Code de procédure civile, d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de condamner la SA Glénat Editions à lui payer les sommes de 2 765 136 euro à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies et concurrence déloyale postérieurs à la rupture, de 31 417,15 euro HT, ou pour le moins la somme de 25 379,63 euro HT à titre de restitution de redevances indûment payées, TVA en sus, 100 000 euro à titre de dommages et intérêts complémentaires ; elle sollicite par ailleurs la condamnation de la SA Glénat Editions au paiement de la somme de 25 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que Glénat ne lui a jamais adressé la moindre mise en demeure préalablement à la lettre du 13 mars 2008 qui ne vise aucun manquement ou inexécution quelconque, et accorde même un préavis de trois mois excluant la rupture sans préavis pour cause d'inexécution ; qu'ainsi il a été mis fin à la relation commerciale sans aucun grief, Glénat prétendant seulement après avoir été assignée, reprocher à Lucane des manquements à ses obligations contractuelles.

Elle explique les raisons de ses difficultés financières l'ayant amenée à solliciter des délais de paiement, soulignant avoir payé toutes les redevances jusqu'en décembre 2008 et que le plan d'apurement à compter de 2006 avait fait l'objet d'un accord entre les parties.

Elle conteste les prétendues insuffisances de déclaration relevées par l'audit réalisé en août 2007, faisant valoir que cet audit n'a pas été effectué contradictoirement et qu'elle n'a pas eu communication du rapport avant sa production dans le cadre de la procédure de première instance.

Elle critique la facturation établie par Glénat au vu de ce rapport dont elle conteste le contenu, en ce qu'il lui reproche un défaut de déclaration de la totalité du chiffre d'affaires réalisé par Lazer, alors d'une part qu'elle était tenue au paiement de redevances calculées exclusivement sur le chiffre d'affaires correspondant à ses propres ventes, et que la rémunération qu'elle avait perçue de Lazer correspondait à une prestation de services et non à une vente et ne devait pas être comprise dans son chiffre d'affaires soumis à redevance. Elle souligne que l'insuffisance de déclaration de base relevée par ailleurs sur son propre chiffre d'affaires se rapporte à l'année 2006, période au cours de laquelle Glénat avait imposé unilatéralement une modification de la comptabilisation des produits ; qu'indépendamment de ces erreurs d'imputations l'audit n'a révélé qu'un écart de 0,003 % ; que par ailleurs l'audit a révélé un excédent de déclaration au titre des redevances 2005-2006 que Glénat a refusé de prendre en considération.

Elle sollicite en conséquence la restitution de sommes indûment perçues au titre des redevances calculées sur la base du rapport d'audit.

Elle fait valoir qu'antérieurement au litige, Glénat ne lui a jamais fait grief de commercialiser des produits qui n'auraient pas été approuvés par elle et l'auteur, et a toujours accepté d'encaisser les redevances correspondantes, et que certains produits auxquels Glénat fait référence ne sont que des évolutions de produits existants par changements de coloris ne nécessitaient pas d'approbation préalable ; que seulement 6 références sont concernées par un défaut d'approbation écrite, mais que Glénat elle-même n'avait pas répondu à ses demandes et avait indiqué ultérieurement qu'elle n'entendait pas s'opposer à leur commercialisation ; que dans ces conditions aucune violation grave à ses obligations ne peut lui être reprochée de ce chef.

Elle détaille l'évolution des relations entre Hervé Debarre et elle-même mais souligne que le contrat de licence ne contenait aucune clause d'intuitu personae.

Elle affirme avoir parfaitement respecté ses obligations de destruction du stock et de paiement du reliquat des redevances, et quant aux indications figurant sur son site Internet.

Elle s'oppose à la demande d'expertise de Glénat faisant valoir que les relations contractuelles ont été définitivement rompues et que le contrat ne prévoit pas la réalisation d'un audit après son terme.

Elle détaille les éléments permettant d'établir l'existence d'une relation commerciale établie caractérisée non seulement par sa durée mais également par son intensité, souligne le caractère brutal de la rupture notifiée avec un préavis limité à trois mois et conteste que celle-ci ait pu être prévisible.

Elle explique les raisons qui selon elle justifient que le préjudice résultant de la brutalité de la rupture soit un indemnisé sur la base de la marge brute escomptée, par référence à la moyenne réalisée sur les trois dernières années, appliquée sur une durée de préavis raisonnable de 36 mois soit après déduction du préavis accordé, de 33 mois.

Elle considère avoir par ailleurs subi un préjudice commercial tenant à l'atteinte à son image en raison de la rupture brutale des relations, alors que seule celle-ci peut lui permettre d'obtenir la concession de nouveaux droits d'exploitation.

Elle reproche à Glénat des manœuvres déloyales pour avoir tenté de détourner sa clientèle en adressant une lettre-circulaire, dont les termes sont générateurs d'un préjudice commercial dès lors que Lucane ne peut que compter sur son réseau de clients établi depuis plusieurs années pour continuer à réaliser son objet social.

La SA Glénat Editions, aux termes de ses dernières écritures en date du 14 décembre 2009, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens développés, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL Lucane de l'ensemble de ses demandes ;

- faisant droit à son appel incident, désigner tel expert-comptable qu'il lui plaira avec pour mission de contrôler l'exactitude, l'exhaustivité et la sincérité des relevés semestriels de chiffre d'affaires relatifs aux produits dérivés "Joe Bar Team " adressés par la SARL Lucane à la SA Glénat Editions au titre de la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, et à cette fin, se rendre au siège social de la SARL Lucane et se faire remettre toutes pièces utiles à l'accomplissement de cette mission et entendre tout sachant ;

- confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives à l'indemnité de procédure et aux dépens ;

- condamner la SARL Lucane au paiement d'une indemnité supplémentaire de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Se référant aux réunions tenues et correspondances échangées entre Glénat et Lucane à partir du dernier trimestre 2007, et aux conditions dans lesquelles a été négocié le prix de rachat des parts de Monsieur Hervé Debarre dans la société Lucane, elle soutient que la rupture des relations commerciales était prévisible et nullement impromptue, et d'autant moins brutale que Lucane a été autorisée, sans que Glénat y soit contrainte, à écouler ses stocks pendant une période de six mois après la fin du contrat.

Elle précise que le contrat de licence dont elle a respecté les termes prévoyait un préavis de trois mois qui, sauf circonstances exceptionnelles, doit être considéré comme suffisant au regard des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, le contrat faisant la loi des parties ; soulignant que rien n'obligeait Lucane, qui n'a pas ou peu cherché d'autres partenaires commerciaux ou contrats de licence, à limiter son activité aux produits dérivés " Joe Bar Team ", elle soutient que les circonstances de l'espèce ne commandent pas de ne pas considérer le préavis contractuel comme raisonnable et suffisant, au mépris de la convention des parties.

Rappelant que l'article L. 442-6 du Code de commerce décharge l'auteur de la rupture de son obligation de préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure, elle fait valoir que la rupture des relations est justifiée par les manquements de Lucane à ses obligations contractuelles qu'elle expose de façon détaillée, lui reprochant des défaillances dès 2006 dans le paiement des redevances dans les délais convenus, des insuffisances de déclarations de chiffre d'affaires révélées par l'audit réalisé en août 2007, la violation de la procédure d'approbation des produits prévue par le contrat, constatée le 11 juin 2008, la rupture entre Monsieur Hervé Debarre et ses associés.

Elle discute les divers chefs de préjudice allégués par Lucane et leur mode de calcul.

Elle soutient que la demande de restitution de redevances indûment payées est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel, et en tout état de cause mal fondée, se référant au rapport d'audit du mois d'août 2007.

Elle justifie sa demande d'expertise par la nécessité de vérifier l'exactitude et la sincérité de relevés semestriels communiqués par Lucane, sur la base desquels les redevances doivent être facturées, pour la période écoulée de janvier 2007 jusqu'à la fin de la période accordée à Lucane pour écoulement de ses stocks, se référant à l'article 10 du contrat.

DISCUSSION

Il est incontestable et non contesté que Glénat venant aux droits de Vents d'Ouest et Lucane, en raison de la succession ininterrompue des contrats de licence depuis 1990, quand bien même ils n'ont pas tous été conclus aux mêmes conditions, et de l'importance et l'intensité des rapports, se trouvaient engagées dans une relation commerciale établie régie par les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5º du Code de commerce, qui dispose que "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale (...) les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".

Ni ce texte ni aucune autre disposition de quelque nature que ce soit n'imposait à Glénat de motiver sa décision de mettre fin aux relations commerciales, et ce d'autant plus qu'elle s'est bornée à notifier sa volonté de ne pas renouveler le contrat à durée déterminée arrivé à échéance ; dès lors la circonstance qu'aucune mise en demeure ni formalisation de grief n'ait précédé la lettre du 13 mars 2008 qui n'en formule pas davantage est indifférente.

La seule obligation de Glénat à l'initiative de la rupture était d'adresser un préavis écrit, avec un préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale et ce quelle que soit la durée du préavis conventionnellement fixé dans le dernier contrat à durée déterminée, sauf à rapporter la preuve d'un manquement par Lucane à ses obligations contractuelles.

L'argument selon lequel Glénat ne s'est pas prévalu des manquements aujourd'hui allégués, pour procéder à une résiliation anticipée du contrat et, a accordé à Lucane le préavis de trois mois prévu au contrat est inopérant ; en effet Glénat avait le choix des modalités de la rupture et le fait qu'elle a laissé le contrat se poursuivre pendant 10 mois jusqu'à son terme n'emporte pas interdiction ni renonciation à se prévaloir d'un manquement qui aurait pu justifier une résiliation anticipée ; par ailleurs si l'existence d'un manquement d'une partie à ses obligations contractuelles dispense l'autre partie de respecter tout préavis, elle ne lui interdit pas pour autant d'en accorder un.

Lucane ayant rencontré des difficultés financières à compter de 2006 et ayant sollicité des délais de paiement en faisant état d'une situation préoccupante, Glénat a fait procéder à un audit conformément à la faculté qui lui en était donnée par l'article 10 du contrat du 18 juin 2003.

Cet audit a été réalisé au cours du mois d'août 2007 dans les locaux de Lucane, en présence de Madame Laure Blanchet associée en charge de la comptabilité.

Au vu du rapport déposé, Glénat a émis une facture d'un montant de 60 636,68 euro au titre de redevances non déclarées. Lucane et Glénat ont échangé à compter de cette date diverses correspondances portant sur les modalités de règlement de cette facture dont ni le principe ni le montant n'ont été contestés par Lucane.

Dans un courrier adressé le 11 février 2008 à Monsieur Hervé Debarre ayant pour objet le départ de ce dernier de la société et une proposition de prix de rachat de ses parts, Lucane faisait état du montant des pertes s'expliquant par une baisse du chiffre d'affaires et " le contrôle fait par Glénat de 60 000 euro " qui correspond à l'audit contesté, précisant que ces chiffres étaient réels et avaient été transmis aux experts comptables pour qu'il n'y ait pas de doute sur cette situation.

Le 17 juin 2008 s'est tenue une réunion entre Glénat et Lucane ayant pour objet notamment de faire le point sur la fin de contrat et la période de " sell off " de six mois. Monsieur Yves Touchard qui en a rédigé le compte rendu, relatant la réponse apportée par Glénat à son interrogation sur les motifs du non-renouvellement du contrat dont notamment le résultat de l'audit, ne formule aucune critique sur celui-ci dont il a nécessairement eu connaissance puisqu'il en présente son analyse, se bornant à indiquer que " le résultat de l'audit est clair, comme le mentionne votre expert-comptable et l'intitulé de votre facture relative à l'audit : références omises dans les catégories de famille de CA. Le montant de cette facture a été régularisé par les traites que nous vous avons envoyées ".

Lucane ne peut, dans ces conditions, prétendre ne pas avoir eu connaissance de ce rapport d'audit avant la communication qui en a été faite au cours de la procédure de première instance.

L'audit, qui a vérifié la période de juillet 2004 à décembre 2006, dans un premier temps à procédé, compte tenu d'une modification de la procédure de déclaration du CA sous licence compter de juin 2004, à une " réconciliation des données de la gestion commerciale avec la comptabilité générale ", qui a fait ressortir sur le chiffre d'affaires réalisé directement par Lucane, une insuffisance de déclaration de 246 746 euro, non critiquée.

Il a également analysé le chiffre d'affaires réalisé grâce aux ventes par correspondances réalisées par ADCL filiale à 100 % de Lucane et, reprenant sous certaines réserves les demandes de corrections exprimées par les responsables de Lucane, a pris en compte un excédent de déclaration de 97 606 euro, déduit du montant total de ses autres rectifications.

Il a par ailleurs procédé à l'examen des redevances perçues par Lucane à raison d'un contrat de fabrication et de distribution exclusive conclu le 15 juillet 2003 avec la société de droit belge Cross HM SA dite Lazer portant sur des casques de moto, a relevé que seul le chiffre d'affaires afférent à la période de juillet à décembre 2003 avait fait l'objet de déclaration auprès de Vents d'Ouest et considéré qu'il fallait réintégrer dans les déclarations servant de base de facturation, le montant des ventes réalisées par Lazer depuis le 1er janvier 2004, estimé à partir des factures émises par Lucane pour ses propres redevances, et a retenu une insuffisance de déclaration de 471 708 euro.

Le contrat du 18 juin 2003 prévoit à la charge de Lucane le paiement de redevances calculées sur le prix de vente de ses articles à un taux de 8 % ou 10 % du chiffre d'affaires HT selon que celui-ci est supérieur ou égal à 1 372 041 euro HT par an, ou inférieur à ce montant ; l'expression " le prix de vente de ses articles " par référence à l'article 1 du contrat, vise les articles spécialement énumérés en annexe B, du contrat du 18 juin 2003 puis de ses avenants, pour la fabrication et la vente desquels Lucane s'était vu consentir le droit non exclusif de reproduire les noms personnages sujets et dessins précisément définis en annexe A-I, étant observé que ce contrat n'envisageait pas l'hypothèse d'une concession d'une sous-licence par Lucane à un tiers.

Le 15 juillet 2003 Lucane a signé avec Lazer un contrat intitulé " contrat de fabrication et de distribution exclusive ".

Celui-ci rappelle que Lucane s'est vu concéder le droit de reproduire les noms, personnage, sujets et dessins de l'univers des personnages de Joe Bar Team à l'occasion de la fabrication et de la distribution d'articles et de produits fabriqués sous licence et dans ce cadre a reçu l'agrément de Vents d'Ouest pour fabriquer et commercialiser des casques motos sous les marques Joe Bar Team et Lazer associées, et expose que Lucane se rapproche de Lazer producteur et distributeur de casques pour fabriquer des casques selon un graphisme réalisé par Lucane et afin de l'autoriser à distribuer les dits casques sur le secteur moto.

Par ce contrat Lucane concède à Lazer la fabrication exclusive de deux modèles de casques, organise les modalités selon lesquelles le graphisme doit être apposé, et selon lesquelles Lazer pourra proposer de nouveaux modèles ; il prévoit le prix fixé pour chacun des modèles fabriqués par Lazer, Lazer se voyant attribuer la distribution de ceux-ci dans son réseau de distribution moto et Lucane achetant les casques à Lazer pour les distribuer dans les autres secteurs.

Ce contrat tel qu'il est rédigé s'analyse non pas comme une cession partielle de licence, mais comme une sous-licence, modalité particulière de l'exercice par Lucane des droits qui lui avaient été consentis par Glénat, ne la déchargeant nullement de ses obligations envers cette dernière, consistant à la rémunérer à raison des droits par elle concédés, sur tous les produits vendus dans le cadre du contrat de licence du 18 juin 2003 dont elle bénéficiait, et ce quel que soit le mode de distribution adopté.

Les parties à cette convention et particulièrement Lucane en étaient d'autant plus conscientes que le contrat prévoyait expressément en son article 6 que Lucane ferait son affaire personnelle de la redevance à verser à la société Editions Vents d'Ouest, et que les redevances que Lazer devait verser à Lucane à hauteur de 20 % du chiffre d'affaires net HT et hors remises devait lui permettre de verser à son tour à Glénat les redevances prévues au contrat du 18 juin 2003.

Dès lors, le fait pour Lucane de n'avoir déclaré, à partir de fin décembre 2003, aucun chiffre d'affaires au titre des casques Joe Bar Team-Lazer vendus dans le cadre du contrat de sous-licence du 15 juillet 2003 constitue un manquement à ses obligations contractuelles, suffisant à justifier que soit écartée l'obligation pour Glénat de respecter un préavis tenant compte de la durée des relations commerciales.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a débouté Lucane de ses demandes en réparation des préjudices, perte de marge et atteinte à l'image, résultant de la rupture des relations commerciales.

Sur les autres demandes de Lucane

La demande en restitution de Lucane se rapporte à la perception prétendument indue de redevances pendant le cours du contrat, et non aux conséquences ou suites de la rupture, objet du litige, et Lucane disposait de tous les éléments lui permettant de la présenter en première instance ; dans ces conditions elle doit être déclarée irrecevable comme nouvelle en cause d'appel.

La demande d'indemnisation au titre d'un préjudice commercial est fondée sur les prétendues manœuvres déloyales qu'aurait commises Glénat postérieurement au jugement entrepris, en écrivant aux clients de Lucane.

Le courrier litigieux sous forme de circulaire, tel qu'il est produit aux débats est rédigé de la façon suivante : " Nous vous informons que notre contrat avec la société Lucane a pris fin le 31 décembre 2008 période de sell off incluse et que ladite société n'est plus titulaire de la licence Joe Bar team. Voici la liste des licenciés actuels de Joe Bar Team auxquels vous pouvez vous adresser dorénavant... très cordialement "

Ces courriers datés du 16 février 2009 ont ainsi été adressés alors que Lucane ne disposait plus d'aucun droit de distribution sur les produits dérivés Joe Bar Team depuis plus d'un mois ; ils présentent une information précisément limitée à la licence Joe Bar Team, faisant référence de façon neutre à la fin du contrat, sans présentation péjorative ou trompeuse ni propos dénigrant.

Il ne peut être considéré comme étant constitutif d'un comportement fautif ou déloyal, de nature à engager la responsabilité de Glénat ; Lucane sera en conséquence déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef.

Sur la demande d'expertise de Glénat

L'article 10 du contrat du 18 juin 2003 prévoit que Glénat pourra à tout moment demander que l'exactitude des relevés fournis par le cessionnaire soit vérifiée par une personne de son choix qui pourra se faire présenter la comptabilité du cessionnaire afférente aux opérations entrant dans le cadre du contrat.

Cet examen étant possible à tout moment, dès lors qu'il porte sur les opérations entrant dans le cadre du contrat, et la période de six mois suivant l'expiration du contrat, pour écouler les stocks, étant prévue par l'article 12 du contrat, Lucane n'est pas fondée à s'opposer à la demande de Glénat.

Sur les frais et dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux indemnités de procédure et dépens de première instance ; en cause d'appel Lucane supportera les dépens, et devra verser à Glénat une indemnité de procédure qu'il convient de fixer à la somme de 8 000 euro.

Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déclare la demande de la SARL Lucane en restitution de redevances irrecevable en application des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile ; Déboute la SARL Lucane de sa demande en paiement de dommages et intérêts au titre d'actes de concurrence déloyale ; Désigne Monsieur Jean-Charles Legris <coordonnées>, aux fins de contrôler l'exactitude, l'exhaustivité et la sincérité des relevés semestriels de chiffre d'affaires relatifs aux produits dérivés " Joe Bar Team " adressés par la SARL Lucane à la SA Glénat Editions au titre de la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, et à cette fin, se rendre au siège social de la société Lucane et se faire remettre toutes pièces utiles à l'accomplissement de cette mission et entendre tout sachant. Dit que l'expert sera rémunéré suivant les modalités prévues à l'article 10 du contrat du 18 juin 2003 ; Condamne la SARL Lucane payer à la SA Glénat Editions la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SARL Lucane aux dépens d'appel, dont recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.