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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 21 janvier 2010, n° 08-06569

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Haucourt Vannier (ès qual.), Pajori Plus (SARL)

Défendeur :

Fiege MPO (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Besse

Conseillers :

Mme Boucly Girerd, Dabosville

Avoués :

SCP Bommart Minault, SCP Keime Guttin Jarry

Avocats :

Mes Beauge Gibier, Affre

T. com. Pontoise, 1re ch., du 1er juill.…

1 juillet 2008

La société Fiege MPO, qui a pour activité le traitement logistique de produits multimédia destinés aux distributeurs de produits culturels, a confié entre les années 2003 et 2006 à la société Pajori Plus une partie du conditionnement de ces produits.

A compter du 1er janvier 2006, la société Fiege MPO qui avait déjà réduit ses ordres depuis le deuxième semestre 2005 a cessé pratiquement toute commande.

Invoquant une rupture unilatérale et brutale de leurs relations commerciales, la société Pajori Plus a, par acte du 16 mai 2006, assigné la société Fiege MPO devant le Tribunal de commerce de Pontoise, aux fins de paiement d'une somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 442-[6] du Code de commerce.

Par jugement du 1er juillet 2008, le Tribunal de commerce de Pontoise a :

- débouté la société Pajori Plus de ses demandes,

- déclaré la société Fiege MPO partiellement fondée en ses demandes reconventionnelles, en constatant la modification unilatérale des tarifs de la société Pajori Plus à laquelle elle a imputé la rupture des relations commerciales,

- dit que la rupture de ces relations commerciales n'entre pas dans le cadre de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce et 1382 du Code civil,

- débouté la société Fiege MPO de sa demande de dommages et intérêts,

- débouté la société Pajori Plus de sa demande d'indemnité de procédure,

- condamné la société Pajori Plus à verser à la société Fiege MPO une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Le 30 avril 2008, le Tribunal de commerce de Chartres a prononcé le redressement judiciaire de la société Pajori Plus, qui a été converti par jugement du 26 juin 2008 en liquidation judiciaire, et par déclaration du 8 août 2008, Maître Haucourt Vannier, désignée comme liquidateur, a relevé appel du jugement du Tribunal de commerce de Pontoise.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 24 novembre 2008, Me Haucourt Vannier ès qualités poursuit l'infirmation partielle de cette décision et la condamnation de la société Fiege MPO à lui payer la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts, mais sa confirmation en ce qu'elle a débouté la société Fiege MPO de sa demande de dommages et intérêts. Elle réclame en outre 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Affirmant que la société Fiege MPO a rompu leurs relations contractuelles pour travailler avec une société concurrente créée par l'ancienne directrice de la société Pajori Plus, elle proteste de ce que :

- si elle a fait une offre d'élévation de ses tarifs, elle ne l'a jamais appliquée face au refus verbalement exprimé par son partenaire, que la rupture de ses relations avec Fiege MPO est intervenue sans préavis après 3 années et représentant près de 50 % de son chiffre d'affaires, que la société Fiege MPO ne démontre pas qu'elle même n'aurait pu continuer à fournir du travail à la société Pajori Plus du fait de ses propres clients, que la rupture brutale visée à l'article L. 442-6 du Code de commerce est établie,

- subsidiairement, l'attitude déloyale de l'auteur de la rupture constitue une faute au sens de l'article 1382 du Code civil, et fonde sa demande de réparation ; que du jour au lendemain, la société Pajori Plus s'est trouvée privée de la moitié de son chiffre d'affaires qui était de plus de 800 000 euro au cours des deux années précédentes, que son préjudice peut être justement évalué à 100 000 euro,

- sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts de la société Fiege MPO, celle ci ne justifie d'aucun préjudice puisqu'aucune augmentation de tarifs ne lui a été appliquée.

La SAS Fiege MPO, par écritures signifiées le 30 janvier 2009, prie la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts, et, statuant à nouveau sur ce point, de condamner Me Haucourt Vannier ès qualités à lui verser 10 000 euro pour procédure abusive, outre une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle justifie la baisse du volume d'affaires confiées à la société Pajori Plus depuis 2004 par sa propre réorganisation aux fins de mieux adapter son activité aux commandes qui lui étaient passées, par la baisse d'activité de ses clients et le changement tarifaire unilatéral de la société Pajori Plus.

Elle soutient :

- que l'article L. 442-6 du Code de commerce est inapplicable à l'espèce, à défaut de relation d'affaires établie et de rupture brutale d'une relation provoquée par la seule société Pajori Plus, et alors qu'elle n'a jamais laissé croire à la société Pajori Plus que leur partenariat serait croissant et de longue durée,

- que celle-ci a modifié substantiellement leurs relations, à tout le moins modifié unilatéralement l'équilibre économique du contrat, qu'en tout état de cause plusieurs prestations lui ont encore été confiées en 2006.

- que la demande de dommages et intérêts n'est pas sérieuse, que le chiffre d'affaires annoncé est faux, qu'il n'est pas fait état de la perte de marge, que les sommes réclamées ne correspondent à aucun argument probant,

- que la demande n'est pas davantage fondée sur l'article 1382 du Code civil, puisqu'elle n'a commis aucune faute, leurs relations commerciales s'étant poursuivies même après 2006, et aucun engagement n'ayant été pris de poursuivre leurs relations dans les mêmes conditions, et en l'absence de preuve d'un préjudice direct,

- que sa propre demande de dommages et intérêts est fondée sur le fait que la société Pajori Plus poursuit une stratégie délibérée aux fins d'obtenir de la société Fiege MPO une réparation indue.

Sur ce

Considérant qu'en application de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait... de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" ;

Considérant que sur ce fondement, subsidiairement sur le fondement de la faute en application de l'article 1382 du Code civil, Me Haucourt Vannier, ès qualités de liquidateur de la société Pajori Plus à l'origine de la procédure, poursuit en dommages et intérêts la société Fiege au motif qu'elle a brutalement interrompu leurs relations commerciales ;

Considérant que le texte ci-dessus visé requiert pour son application la preuve que les entreprises en cause ont entretenu des relations établies et que la rupture a été brutale ;

Considérant que selon le tableau versé aux débats et dont les chiffres ne sont pas contestés, le chiffre d'affaires réalisé par la société Pajori Plus avec la société Fiege MPO s'est élevé :

- pour l'année 2003 à 512 633,08 euro,

- pour l'année 2004 à 309 266,42 euro,

- pour l'année 2005 à 215 633,68 euro,

- pour l'année 2006 à 1 923,67 euro, soit une rupture quasiment totale des relations.

Que les relations ont par conséquent duré 3 ans avant qu'au début de l'année 2006, la société Pajori Plus constate qu'aucune commande n'était plus enregistrée depuis 3 mois et s'adresse le 15 mars 2006 à Fiege MPO pour déplorer une rupture de nos relations commerciales ;

Que certes un courant d'affaires a été entretenu pendant ces années, mais que le volume des missions confiées à Pajori Plus par la société Fiege MPO n'est allé que décroissant; qu'important au départ, puisque de plus de 500 000 euro, le chiffre a chuté progressivement jusqu'à parvenir à moins de la moitié deux ans plus tard ;

Que par lettre du 15 octobre 2005, alors que leur collaboration avait débuté en 2003, le dirigeant de la société Pajori Plus faisait le constat de cette diminution, regrettant d'être contraint d'annuler des contrats de travail CDD, et rappelait les différentes missions que l'entreprise était prête à assumer, l'équipement qu'elle était prête à acquérir pour mieux répondre à la demande, tout en indiquant qu'elle devrait élever son tarif pour le traitement de retours, non rentable au prix convenu ;

Que la société Pajori Plus était par conséquent consciente de la dégradation, n'ignorant pas que la relation d'affaires n'avait pas de caractère stable et cherchait ainsi à établir "une collaboration commerciale saine pour l'avenir" ainsi qu'elle l'écrivait elle même en conclusion de son courrier ;

Qu'aucune pièce n'est produite qui permette de retenir que Fiege MPO aurait laissé croire à Pajori Plus qu'elle entendait maintenir un courant constant d'affaires entre elles, qu'aucun engagement en ce sens ne ressort des écrits échangés ;

Que bien plutôt, et alors que le volume d'affaires était déjà considérablement réduit, la société Pajori Plus a annoncé à son co-contractant qu'elle serait contrainte de modifier ses prix de base, au moins pour certaines prestations, et réitéré son intention dans un courriel du 28 octobre 2005, puis un autre du 14 novembre suivant dans lequel elle indiquait que sans réponse de sa part, elle estimait admis ses nouveaux prix de base ;

Que la société Fiege MPO a alors clairement répondu qu'elle ne pouvait accepter de changer les tarifs "car le coût ne serait pas répercuté auprès de nos clients", tout en se plaignant de la qualité du travail fourni ;

Que même si de fait, l'augmentation recherchée n'a pas été facturée (les relations ayant presque simultanément cessé) la société Pajori Plus avait clairement signifié qu'elle ne pouvait plus maintenir ses tarifs au regard du volume insuffisant des affaires traitées, préparant ainsi une modification de l'économie de leurs relations ;

Qu'il se déduit de ces circonstances que la relation entretenue par Fiege MPO et Pajori Plus si elle a duré 4 années, ne s'est pas brusquement interrompue du fait de Fiege MPO, qu'elle n'avait jamais présenté un flux régulier puisqu'elle était en constante diminution, et que la société Pajori Plus à ce constat a cherché à imposer une nouvelle politique tarifaire, que son client n'a pas voulu supporter ;

Que les conditions d'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce qui vise à atténuer les conséquences de la liberté contractuelle, ne sont pas établies, que la société Pajori Plus ne peut donc pas prétendre bénéficier de sa protection ;

Considérant que la société Pajori Plus argue subsidiairement de la faute de la société Fiege MPO qui aurait eu à son égard une attitude déloyale, lui laissant croire à la poursuite de relations commerciales normales, et s'abstenant de la prévenir par écrit de la rupture ;

Mais considérant qu'ainsi que ci-dessus relevé, aucun élément du dossier ne permet de retenir que la société Fiege a entretenu son fournisseur dans l'illusion de la poursuite de leurs relations commerciales puisque bien au contraire, elle en a réduit considérablement le flux avant de l'interrompre lorsque la société Pajori Plus a annoncé son intention d'élever ses tarifs ;

Que si de fait, la société Fiege MPO n'a pas formalisé son intention de contracter ailleurs ou de prendre elle-même en charge un certain nombre de missions qu'elle avait confiées auparavant à Pajori Plus, ce manquement ne saurait être constitutif d'une faute ouvrant droit à réparation ;

Que la société Pajori Plus a donc été justement déboutée en première instance de l'ensemble de ses demandes ;

Considérant que la société Fiege MPO qui forme reconventionnellement une demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ne démontre pas que la société Pajori Plus n'a pas usé normalement des voies de droit qui lui était offertes pour soutenir son action, ni que celle ci ait été poursuivie avec une intention malicieuse ; qu'elle sera également déboutée de ce chef ;

Considérant qu'au vu des circonstances de la cause, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties la totalité des frais irrépétibles qu'elle a exposés dans l'instance ; que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point ;

Que la société Pajori Plus qui succombe en ses prétentions devra supporter la charge des entiers dépens de première instance et d'appel ;

Par ces motifs, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives à l'article 700 du Code de procédure civile, Statuant à nouveau sur ce point, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Pajori Plus aux entiers dépens de première instance et d'appel et accorde aux avoués à la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.