CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 7 janvier 2010, n° 08-05549
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pre Press La Gravure Postscript Francilienne (Sté)
Défendeur :
Mondadori Magazines France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Maron
Conseillers :
Mmes Brylinski, Beauvois
Avoué :
SCP Bommart Minault
Avocats :
SCP Bayonne Corvaisier, Me Hue de la Colombe
Faits et procédure
La société EMAP, devenue Mondadori Magazines France, ci-après désignée Mondadori, a confié à compter de 1995, à la société Pre Press La Gravure Postscript Francilienne, ci-après désignée Pre Press, ayant pour activité la photogravure et la publication assistée par ordinateur, de documents en vue de leur impression, la réalisation de travaux préalables à l'édition, pour trois de ses magazines.
Le 31 janvier 2007, Mondadori a informé Pre Press de l'arrêt de leur collaboration à compter du 4 mai 2007, soit après un préavis de quatorze semaines lié aux conditions générales de vente de la profession, invoquant notamment la reprise en interne d'une partie des tâches sous-traitées, en particulier certains traitements chromatiques et la création des fichiers PDF, outre l'arrêt de deux titres.
Par une nouvelle correspondance du 12 février 2007, Mondadori a prorogé le préavis jusqu'à la fin du mois de mai 2007 mais a refusé de revenir sur sa décision de ne plus confier de travaux à Pre Press.
Après une dernière tentative de Pre Press d'obtenir la reprise des relations commerciales, par courrier du 15 juin 2007, auquel Mondadori a répondu négativement le 2 juillet 2007, Pre Press a assigné Mondadori devant le Tribunal de commerce de Nanterre le 15 octobre 2007 sollicitant la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 101 000 euro au titre de préjudice causé par la rupture brutale de leur relation commerciale, outre une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement rendu le 17 juin 2008, le Tribunal de commerce de Nanterre a débouté Pre Press de toutes ses demandes, l'a condamnée à payer à Mondadori une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.
Appelante de cette décision, par conclusions signifiées le 5 novembre 2008, la société Pre Press demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué, sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, de dire que Pre Press et Mondadori entretenaient une relation commerciale établie, que Mondadori a rompu de façon brutale cette relation commerciale, et en conséquence de condamner cette dernière à lui payer la somme de 101 000 euro au titre du préjudice causé, outre 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 20 mars 2009, la société Mondadori Magazines France demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter Pre Press de toutes ses demandes et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
A l'appui de son appel, Pre Press fait valoir que la relation commerciale entre les deux sociétés duraient depuis plus de douze ans sans discontinuité, la société Emap, puis Mondadori, lui sous-traitant les opérations préalables à l'édition de certains de ses magazines. Pre Press précise que ces opérations représentent environ 20 % de son chiffre d'affaires de photogravure.
La rupture des relations commerciales a été brutale. Le préavis accordé est insuffisant au regard de la durée des relations commerciales. Il ne permettait pas à Pre Press de retrouver du travail en quantité suffisante pour compenser une telle perte d'activité. La qualité de son travail n'est pas remise en cause.
Son état de dépendance économique est évident et en 2004, lorsque Mondadori avait cessé de recourir à ses services pour les opérations d'une de ses revues, elle avait mis une année complète pour retrouver un certain équilibre.
Au cours de leurs nombreuses années de collaboration, elle a réalisé de nombreux investissements pour répondre aux demandes de Mondadori et elle lui a régulièrement consenti des remises supérieures à celles des autres fournisseurs.
Le caractère brutal de la rupture est en conséquence établi et Mondadori devra être condamnée à l'indemniser sur la base de la marge brute HT générée par ses commandes sur 7 mois.
Mondadori en réplique ne discute pas la durée des relations commerciales avec Pre Press et la bonne qualité de leurs rapports. Elle rappelle que les relations commerciales ont été instaurées sans contrat écrit, qu'il n'existe pas de dispositions contractuelles fixant la durée du préavis.
Elle soutient qu'en application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, ce n'est qu'à défaut d'usage reconnu ou d'accord interprofessionnel qu'il est recouru aux critères jurisprudentiels pour déterminer le caractère raisonnable du délai.
Or, elle a calculé le préavis de 14 semaines en fonction des usages professionnels et conditions générales de vente publiés par le Syndicat des Industries de la Communication Graphique et de l'Imprimerie française. Au surplus, elle a accédé à la demande de Pre Press de prolonger le préavis.
Aucune faute ne saurait en conséquence lui être reprochée puisqu'elle s'est conformée aux usages professionnels en vigueur et que la rupture ne peut être en aucun cas considérée comme brutale et abusive.
Elle a d'ailleurs répondu le 2 juillet 2007 à Pre Press qu'il ne lui appartenait pas de contester la pertinence des choix opérationnels motivant sa décision.
En outre, Pre Press ne produit aucune pièce justifiant la réalité du préjudice et permettant d'en fixer le quantum.
La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 11 juin 2009.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
L'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose qu' " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, par tout producteur, commerçant ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels".
Il résulte de ce texte que ce n'est pas la rupture par elle-même qui est fautive mais sa brutalité, le fait qu'elle soit effectuée sans préavis écrit ou avec un préavis insuffisant compte tenu de la durée et de l'importance de la relation commerciale, de la nature des produits ou services, objet de la relation et du temps nécessaire pour remédier à la désorganisation résultant de la rupture.
L'existence de relations commerciales établies entre les parties depuis 1995 n'est pas contestée. Il n'est pas discuté que ces relations commerciales se sont instaurées sans contrat écrit.
Pre Press soutient que le délai de préavis de quatre mois qui lui a été accordé par Mondadori était insuffisant au regard en particulier de la durée des relations commerciales et de l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouvait.
Mondadori répond qu'elle a respecté le délai de préavis prévu par les usages de la profession et qu'il n'y a pas lieu de se référer aux critères utilisés par la jurisprudence, comme notamment la durée, la nature, l'importance financière des relations commerciales antérieures et du temps nécessaire pour remédier à la désorganisation résultant de la rupture.
Mondadori verse aux débats un extrait des usages professionnels et conditions générales de vente publiés par le Syndicat des Industries de la Communication Graphique et de l'Imprimerie française (Sicogif) dont il ressort que la durée du préavis est définie en fonction de la tranche dans laquelle se situe le chiffre d'affaires HT en euros réalisé. Il en résulte qu'en vertu de ces usages auquel Mondadori s'est référée dans ces courriers échangés avec Pre Press, le délai de préavis applicable s'élevait à 14 semaines, le délai ayant été porté finalement à quatre mois.
L'existence de ces usages n'est pas discutée par Pre Press qui ne conteste pas plus que le délai prévu qui était applicable, compte tenu du chiffre d'affaires, était de 14 semaines.
Le délai de préavis prévu par les usages de la profession est défini par la seule référence au chiffre d'affaires, sans aucun égard pour la durée des relations commerciales établies.
Or, contrairement à ce qu'affirme Mondadori, ces usages ne dispensent pas la juridiction d'examiner si le préavis, qui respecte le délai minimal fixé par ces usages, tient compte de la durée de la relation commerciale établie entre les parties, et ce en application de L. 442-6 I 5° du Code de commerce.
En l'espèce, le préavis de quatre mois accordé par la société Mondadori est manifestement insuffisant eu égard à la durée des relations commerciales existant entre les parties depuis douze années et la rupture intervenue dans ces circonstances est brutale.
La société Mondadori doit donc réparation à la société Pre Press du préjudice résultant de cette rupture brutale.
La société Pre Press sollicite le paiement de la somme de 101 000 euro au titre du préjudice causé, correspondant selon elle à la marge brute HT générée par les commandes de la société Mondadori pendant 7 mois.
La cour n'est cependant pas en mesure, au vu des pièces produites, d'apprécier le quantum du préjudice causé par la rupture brutale, et notamment de vérifier le montant de la marge brute que la société Pre Press a effectivement réalisée sur les commandes de la société Mondadori.
Il y a lieu en conséquence de révoquer l'ordonnance de clôture et d'ordonner la réouverture des débats en enjoignant à la société Pre Press de produire les pièces justifiant de la marge brute HT générée sur le chiffre d'affaires qu'elle a réalisée avec la société Mondadori pendant les trois exercices comptables précédant la rupture.
A cette fin, il convient de renvoyer les parties à une audience de mise en état.
Par ces motifs, Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, Infirme le jugement entrepris. Dit brutale la rupture par la société Mondadori des relations commerciales établies avec la société Pre Press La Gravure Postscript Francilienne. Dit que la société Mondadori doit réparer le préjudice causé à la société Pre Press La Gravure Postscript Francilienne par cette rupture brutale. Révoque l'ordonnance de clôture du 11 juin 2009, Enjoint à la société Pre Press La Gravure Postscript Francilienne de produire les pièces justifiant de la marge brute HT générée sur le chiffre d'affaires qu'elle a réalisée avec la société Mondadori pendant les trois exercices comptables précédant la rupture des relations commerciales. Renvoie à l'audience de mise en état du 06 Mai 2010 pour clôture avec injonction aux parties d'avoir à conclure avant le 8 avril 2010 et pour plaidoiries à l'audience du 20 septembre 2010. Réserve les dépens. Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.