CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 29 juin 2010, n° 10-01095
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cedom (SAS), SCP Caviglioli Baron F. (ès qual.), Benoit (ès qual.)
Défendeur :
Leroy Merlin France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bouyssic
Conseillers :
MM. Roger, Delmotte
Avoués :
SCP Malet, SCP Boyer Lescat Merle
Avocats :
Me Cohen, Selarl Letartre Meignie Hanicoote Simoneau Vynckier Henneuse Wambeke Vercaigne Cliquenois
Faits, Procédure, Moyens et Prétentions des parties
Attendu que la société Cedom conçoit et fabrique des systèmes d'alarme qui sont commercialisés depuis plus de dix ans par la société Leroy Merlin France (la société Leroy Merlin).
Attendu que par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 août 2008, la société Leroy Merlin a notifié à la société Cedom la rupture de leurs relations commerciales avec un préavis de deux ans.
Qu'estimant que la société Leroy Merlin avait engagé sa responsabilité pour inexécution et rupture fautive de la relation commerciale, la société Cedom l'a assignée en paiement de dommages et intérêts devant le Tribunal de commerce de Toulouse ; qu'accueillant l'exception d'incompétence soulevée par la société Leroy Merlin, le tribunal s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lille par jugement du 27 avril 2009.
Attendu que statuant sur le contredit formé par la société Cedom, la cour de céans, qui a infirmé ce jugement, a dit que le Tribunal de commerce de Toulouse était compétent pour connaître de l'action délictuelle engagée par la société Cedom.
Attendu que la société Cedom a été mise en redressement judiciaire par jugement du 11 août 2009, M. C. étant nommé administrateur judiciaire et M. Benoît désigné en qualité de mandataire judiciaire.
Attendu que par jugement du 22 février 2010, le tribunal a rejeté les demandes de la société Cedom, débouté la société Leroy Merlin de sa demande reconventionnelle et condamné M. Benoît, ès qualités, à payer à celle-ci la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Attendu que la société Cedom, la SCP Caviglioli et M. Benoît, ès qualités, ont relevé appel le 3 mars 2010 de ce jugement.
Attendu que par ordonnance du 12 mars 2010, le délégué du Premier Président de cette cour a autorisé la société Cedom à assigner la société Leroy Merlin pour l'audience du 6 avril 2010 ; que l'assignation à jour fixe a été délivrée le 22 mars 2010.
Attendu que par conclusions du 17 mars 2010, la société Cedom, son administrateur et son mandataire judiciaire demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré, de dire que la société Leroy Merlin a engagé sa responsabilité délictuelle pour manœuvres dolosives commises dans le cadre de la relation commerciale et rupture fautive de cette relation et,
- au principal, de condamner cette société au paiement de la somme de 6 907 836 euro à titre de dommages et intérêts pour gain manqué du 1er janvier 2004 au 31 août 2008, celle de 5 201 616 euro à titre de dommages et intérêts pour gain manqué au titre de la durée du préavis, celle de 3 000 000 euro à titre de dommages et intérêts pour ruine de l'entreprise consécutive à la rupture fautive, des intérêts au taux légal courant sur ces sommes à compter de l'acte introductif d'instance,
- à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise financière pour déterminer les éléments propres à chiffrer le préjudice, et de condamner la société Leroy Merlin au paiement d'une provision de 3 000 000 euro,
- de condamner la société Leroy Merlin au paiement d'une somme de 35 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Attendu que les appelants imputent différents faits à la société Leroy Merlin :
1. Au moyen de manœuvres dolosives, la société Leroy Merlin aurait conduit son fournisseur exclusif, la société Cedom à développer une nouvelle gamme de produits à compter de 2003, a proposé à celle-ci, par courriel du 26 septembre 2003, un engagement en termes de produits, de quantités annuelles comme en termes de prix et de parutions promotionnelles ce que la société Cedom a accepté alors même que la société Leroy Merlin, qui n'avait aucune intention de respecter cet engagement, ne l'a pas exécuté ;
2. La société Leroy Merlin s'est livrée de façon délibérée aux déférencements des produits de la société Cedom, a imposé une baisse du produit Aktan au cours de l'année 2008 et a dénigré son fournisseur en faisant courir, dès 2006, la rumeur selon laquelle celui-ci serait en grande difficulté financière ;
3. La société Leroy Merlin s'est rendue coupable de pratiques déloyales en évinçant la société Cedom du marché national de l'alarme, de concert avec son nouveau fournisseur la société Atral ;
4. Le déférencement abusif des produits du fournisseur ayant conduit à la chute considérable du chiffre d'affaires de celui-ci serait constitutif de la rupture abusive des relations commerciales alors par ailleurs que le préavis est factice, les magasins Leroy Merlin ayant cessé de diffuser les systèmes d'alarme Tanit fabriqués par la société Cedom.
Attendu que par conclusions du 2 avril 2010, la société Leroy Merlin France demande à la cour de confirmer le jugement, de rejeter les demandes adverses et de condamner la société Cedom à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre celle de 60 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Que tout en observant que le présent litige doit être analysé à la lumière de la condamnation pour contrefaçon dont la société Cedom a fait l'objet par jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 16 septembre 2009, la société Leroy Merlin, qui conteste l'état de dépendance économique de la société Cedom et qui dénie toute valeur contractuelle au courriel du 26 septembre 2003, souligne que les relations commerciales sont soumises à des conditions générales d'achat et de vente signées le 18 juillet 2001. Que la société Leroy Merlin conteste le caractère abusif de la rupture des relations commerciales ainsi que l'ensemble des faits qui lui sont reprochés.
Motifs :
Attendu que la société Cedom fonde l'essentiel de son argumentation sur un courriel daté du 26 septembre 2003 auquel elle attache une valeur contractuelle et en vertu duquel la société Leroy Merlin aurait pris des engagements quantitatifs sans limitation de durée.
Mais attendu que c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le tribunal, qui a interprété et analysé les termes de ce courriel à la lumière des relations entre les parties, a considéré que ce document ne constituait pas un contrat mais s'inscrivait dans le cadre d'une négociation pour la gamme de produits 2004.
Attendu à cet égard que la thèse de la société Cedom est combattue par la pratique antérieurement suivie par les parties ; que celles-ci sont liées par un contrat-cadre dénommé "conditions générales d'achat" lesquelles ont été acceptées le 18 juillet 2001 par la société Cedom ; qu'ainsi qu'en justifie la société Leroy Merlin, les parties négocient chaque année, en fonction du marché et des produits présentés par les fabricants et de la concurrence, l'objet de leurs relations commerciales pour l'année à venir ce qui aboutit à la signature de contrats dénommés "conditions commerciales des opérations d'achat vente". Qu'ainsi, le 5 décembre 2003, les parties ont signé un avenant n° 1 au contrat de "coopération commerciale" décidant de façon expresse que les conditions négociées pour l'exercice 2003 dans le cadre du contrat de coopération commerciale étaient reconduites intégralement pour une période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2004. Que, sans faire référence au courriel du 26 septembre 2003, qui s'inscrivait dans le cadre de simples pourparlers, les parties ont négocié de nouveaux contrats pour les années 2004, 2005, 2006, 2007 et 2008.
Attendu dès lors que le courriel du 26 septembre 2003, dénué de toute force obligatoire, ne peut être opposé à la société Leroy Merlin pour faire la preuve de comportements déloyaux ou dolosifs ou de déférencements abusifs.
Attendu que pour la période s'étendant jusqu'à la lettre de rupture, la société Cedom, qui n'était pas le fournisseur exclusif de la société Leroy Merlin, ne démontre pas davantage que cette société aurait employé des manœuvres déloyales ou dolosives qui ne pouvaient conduire qu'à sa disparition ; que l'examen des multiples courriels échangés entre les parties, des comptes rendus de réunions de travail et des pièces produites aux débats révèle que la société Leroy Merlin s'est inquiétée de la situation économique de son fournisseur, l'a mis en garde sur le fait que son chiffre d'affaires, généré par ses relations avec la société Leroy Merlin, constituait l'essentiel de ses ressources (par exemple courrier du 8 octobre 2003) et l'a invité à diversifier ses activités et sa clientèle ce qui contredit l'existence d'une situation de dépendance économique ; que pareillement, la société Leroy Merlin a attiré l'attention de son fournisseur sur le vieillissement de sa gamme de produits ce que la société Cedom a elle-même reconnu dans les correspondances échangées avec les chefs de produits de la société Leroy Merlin ; qu'alertée par son fournisseur sur la campagne de dénigrement dont celui-ci ferait l'objet, la société Leroy Merlin a immédiatement réagi sans pour autant qu'il soit établi que le distributeur soit à l'origine de la rumeur relative à la dégradation de la situation financière de la société Cedom ; qu'enfin, la transaction intervenue entre la société Leroy Merlin et la société Atral à la suite de l'instance en contrefaçon engagée contre la société Cedom et la société Leroy Merlin ne démontre pas pour autant qu'un pacte secret se serait noué entre ces deux sociétés pour éliminer du marché de l'alarme un concurrent, une partie étant libre de se désister de son action et de faire le choix d'éteindre une procédure nuisible à ses intérêts économiques.
Attendu qu'au regard de la dégradation de leurs relations et de la perte de confiance générée par l'instance en contrefaçon, la société Leroy Merlin, qui était libre de ne pas pérenniser ses relations avec la société Cedom, lui a notifié la rupture des relations commerciales en respectant un préavis, dont la durée est conforme à celle préconisée par le Code des bonnes conduites des pratiques commerciales entre professionnels du bricolage, et qui exclut toute brutalité dans la cessation de ces relations ; que contrairement aux affirmations de la société Cedom, la société Leroy Merlin justifie, par la production de plusieurs constats d'huissiers, avoir maintenu les produits Cedom exposés en magasin et sur son site Internet et avoir organisé deux opérations promotionnelles en 2009 ; qu'il était d'ailleurs de l'intérêt économique de la société Leroy Merlin, ainsi que l'a relevé le tribunal, de maintenir ces produits en vente dès lors qu'elle se trouvait en situation de sur-stockage. Que la société Cedom ne peut imputer au distributeur la responsabilité de la perte de son chiffre d'affaires, la perte d'attractivité et de compétitivité des produits fabriqués par la société Cedom trouvant son origine dans le vieillissement de la gamme des systèmes d'alarme et leur absence de renouvellement, éléments sur lesquels le distributeur avait attiré l'attention du fournisseur (par exemples, courriers des 1er et 4 juillet 2008 du chef de produits de la société Leroy Merlin).
Attendu en conséquence qu'à défaut de rapporter la preuve du caractère artificiel du préavis de rupture et des fautes délictuelles commises par la société Leroy Merlin, ce qui rend inutile l'examen des moyens relatifs au préjudice, il convient de rejeter l'ensemble des demandes formées par les appelants et de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Attendu que la société Leroy Merlin ne démontrant pas en quoi l'exercice de l'action engagée contre elle par la société Cedom a dégénéré en abus, la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée.
Attendu qu'au regard de la procédure collective ouverte à l'égard de la société Cedom, il n'y a pas lieu d'accueillir la demande formée par la société Leroy Merlin au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Déboute la société Leroy Merlin de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette les demandes de la société Cedom, de son administrateur judiciaire et de son mandataire judiciaire et de la société Leroy Merlin ; Condamne la société Cedom, aux entiers dépens de l'instance.