Livv
Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 6 mai 2010, n° 09-03414

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Centrale de Télésurveillance Technique de Gestion (SARL)

Défendeur :

Domotique Alarme Protection (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Raffejeaud

Conseillers :

MM. Garnier, Monge

Avoués :

SCP Laval Lueger, SCP Desplanques Devauchelle

Avocats :

SCP Envergure, Selarl Alience

T. com. Tours, du 25 sept. 2009

25 septembre 2009

La société Domotique Alarme Protection (la société DAP), qui exerce une activité d'installation de systèmes de protection, a conclu le 13 octobre 1997 avec la société Centrale de Télésurveillance Technique de Gestion (la société CTTG) un contrat aux termes duquel elle proposait à sa clientèle le raccordement à la centrale de télésurveillance gérée par la société CTTG, moyennant le versement d'une commission. La société DAP s'est plainte le 15 décembre 2006 de dysfonctionnements de la télésurveillance signalés par des clients et la société CTTG a résilié le contrat, par lettre du 22 décembre 2006, en se référant au préavis contractuel d'un mois. S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société DAP a alors assigné, par acte du 18 septembre 2007, la société CTTG en indemnisation de son préjudice. Reconventionnellement, la société CTTG a formé une demande en dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

Par jugement du 25 septembre 2009, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Tours a condamné la société CTTG à payer à la société DAP les sommes de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts et de 1 754,81 euro au titre de commissions et a débouté les parties de leurs autres demandes.

La société CTTG a relevé appel.

Par ses dernières conclusions signifiées le 2 mars 2010, elle fait valoir qu'elle était contractuellement en droit de mettre fin au contrat, en faisant observer qu'il n'a existé qu'un seul contrat, les dépannages confiés à la société DAP étant liés au raccordement des clients à la centrale de télésurveillance. Elle s'estime fondée à avoir mis un terme aux relations contractuelles compte tenu des accusations sans preuve portées par la société DAP qui n'a pas recherché toutes les causes des dysfonctionnements allégués. Elle considère que la demande de dommages et intérêts n'est pas justifiée en son quantum. Elle ajoute qu'elle a bien respecté le préavis d'un mois et qu'il n'existe donc pas de rupture brutale. Elle indique que les 16 clients apportés par la société DAP sont désormais liés par un contrat de télésurveillance avec elle et qu'elle ne peut les " restituer ". Elle affirme qu'en matière de dépannage aucun accord d'exclusivité n'a été convenu, de sorte qu'elle n'a pu commettre d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la société DAP. Elle prétend, en revanche, que la société DAP a traité directement avec certains de ses clients pour des ventes d'installations et de matériel, ce qui l'a privée de sa marge qu'elle n'a pu refacturer à ces clients. Elle demande, en conséquence, à la cour d'ordonner une expertise pour vérifier les facturations directes de la société DAP à destination de ses clients et pour déterminer sa perte de marge. Elle sollicite l'allocation d'une provision de 20 000 euro à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ainsi que de la somme de 10 000 euro pour procédure abusive.

Par ses écritures du 12 février 2010, la société DAP souligne que l'essentiel de son chiffre d'affaires résulte des dépannages effectués auprès de sa clientèle après avoir été informée par la société CTTG des éventuels désordres. S'agissant de l'activité de présentation de clientèle, elle rappelle que si le contrat mentionnait un préavis d'un mois, les juridictions contrôlent néanmoins si le délai prévu est raisonnable et qu'eu égard aux dix années de coopération commerciale, ce délai est manifestement trop court. En ce qui concerne le partenariat de dépannage, qui n'a pas fait l'objet d'un écrit, elle relève qu'après la rupture elle n'était plus informée des pannes subies par ses clients et ne pouvait plus intervenir, se voyant ainsi amputer de 40 % de son chiffre d'affaires. Elle soutient qu'une relation de plus de dix ans mérite au moins un préavis d'un an et demande la réparation de son préjudice à hauteur de 43.304 euro ou, subsidiairement de 10 000 euro, outre la somme de 1 754,81 euro allouée par le tribunal au titre des commissions pour les prestations de télésurveillance de janvier à octobre 2007. Elle prie la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles d'expertise et de provision formées par la société CTTG, dans la mesure où les clients sont libres de choisir leur fournisseur pour l'installation, le dépannage et la maintenance de leur système d'alarme.

Sur quoi

Sur la rupture des relations commerciales établies

Attendu, selon l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ; que cette réglementation n'interdit pas de procéder à la rupture de la relation commerciale entre le fournisseur et son client, mais a simplement pour objet d'en sanctionner le caractère abusif, pour autant que l'autre partie ait exécuté ses obligations ou qu'il n'existe pas un cas de force majeure ;

Qu'il n'est pas nécessaire d'entrer dans la détail de l'argumentation des parties sur l'origine des dysfonctionnements et que seule importe la brutalité de la rupture du fait de son caractère imprévisible et soudain et de l'absence de préavis ou de sa durée insuffisante ; que le contrat du 13 octobre 1997 avait été conclu pour un an et était renouvelable par tacite reconduction avec possibilité de résiliation par chaque partie à tout moment, moyennant l'observation d'un préavis d'un mois donné par lettre recommandée avec accusé de réception ; que, toutefois, l'existence d'un accord entre les parties ne dispense pas la juridiction d'examiner si le préavis, qui respecte le délai minimal fixé par le contrat, tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'affaire ; qu'en l'espèce, la société DAP n'a apporté en une dizaine d'années que 16 clients à la société CTTG pour la souscription de contrats de télésurveillance, et les relations commerciales entre les deux parties s'étaient dégradées puisque la société DAP avait mis en cause le 15 décembre 2006, en termes comminatoires, la centrale de télésurveillance de son prestataire ; qu'au regard de ces circonstances, le préavis doit être fixé à six mois pour permettre à la société DAP de pallier les inconvénients de la perte du marché de dépannage fourni par la société CTTG qui a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de son ancien partenaire pour avoir appliqué un préavis trop bref ;

Attendu, en revanche, que les éléments de calcul des dommages et intérêts proposés par la société DAP sont sujets à caution ; qu'en effet, la société intimée s'est basée uniquement sur le chiffre d'affaires réalisé en 2005, alors que son volume d'activité a connu de fortes variations pour passer de 133 000 euro en 2004, 265 000 euro en 2005 et 225 000 euro en 2006, dernière année de coopération avec la société CTTG ; que contrairement à ses affirmations, elle n'a pas perdu 40 % de son chiffre d'affaires après la rupture des relations puisque les recettes de 2007 s'établissent à 201 000 euro, soit une baisse de 10,67 % ou 24 000 euro par rapport à l'année précédente ; que, compte tenu du taux de marge indiqué de 40 %, la cour dispose des éléments suffisants pour condamner la société CTTG à payer à la société DAP la somme de 4 000 euro à titre de dommages et intérêts, correspondant à 5 mois de marge sur la perte de chiffre d'affaires après l'exécution du préavis d'un mois ;

Attendu, par ailleurs, que la réparation ne peut porter que sur le préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non sur celui découlant, le cas échéant, de la rupture elle-même, de sorte que la société DAP ne peut obtenir le paiement des commissions réclamé à hauteur de 1 754,81 euro, le jugement étant infirmé de ce chef ;

Sur les faits de concurrence déloyale reprochés à la société DAP

Attendu que l'action en concurrence déloyale suppose l'existence d'une faute commise par le défendeur et celle d'un préjudice souffert par le demandeur ; que la société CTTG reproche à la société DAP d'avoir traité directement des opérations de vente de matériel et d'installations avec ses propres clients ; que, toutefois, le contrat liant les parties ne contient aucune clause de non-concurrence ou d'exclusivité et en vertu du principe de libre concurrence, aucune clientèle ne peut faire l'objet d'un droit privatif ; que rien n'indique que le processus opérationnel mis en œuvre par la société CTTG avec son partenaire principal Guardian Alarm pour la facturation des travaux puisse s'appliquer au présent litige ; que le jugement mérite donc confirmation en ce qu'il a rejeté les demandes d'expertise et de provision formées par la société CTTG ;

Sur les demandes accessoires

Attendu que le sens du présent arrêt implique de rejeter, comme le tribunal, la demande de la société CTTG en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Que dès lors qu'il est fait droit partiellement à l'appel, l'équité commande de ne pas allouer d'indemnité de procédure;

Que la société CTTG supportera en revanche les dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Centrale de Télésurveillance Technique de Gestion avait rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Domotique Alarme Protection et l'a déboutée de ses demandes en dommages et intérêts pour concurrence déloyale et procédure abusive ; L'infirmant sur le montant de la réparation accordée à la société Domotique Alarme Protection ; Condamne la société Centrale de Télésurveillance Technique de Gestion à payer à la société Domotique Alarme Protection la somme de 4 000 euro à titre de dommages et intérêts ; Rejette la demande de la société Domotique Alarme Protection en paiement de commissions pour l'année 2007 ; Dit n'y avoir lieu à indemnisation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la société Centrale de Télésurveillance Technique de Gestion aux dépens d'appel. Accorde à la SCP Desplanques Devauchelle, titulaire d'un office d'avoué, le droit reconnu par l'article 699 du même Code.