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Décisions

Cass. soc., 17 novembre 2010, n° 09-65.081

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Total Raffinage Marketing (Sté)

Défendeur :

Rubino (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Rapporteur :

M. Ludet

Avocat général :

M. Aldigé

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Boré, Salve de Bruneton

Versailles, 6e ch., du 14 nov. 2008

14 novembre 2008

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Elf Antar France, aux droits de laquelle ont succédé la société Total France puis la société Total Raffinage Marketing (ci-après la société Total), a conclu avec la société à responsabilité limitée Rubino, représentée par ses deux gérants, M. et Mme Rubino, le 23 juillet 1996, un contrat dit "contrat de gérance" expirant le 31 octobre 1999 ; qu'aux termes de ce contrat, la société Rubino se voyait confier l'exploitation d'un fonds de commerce, composé d'une station-service et d'un magasin de vente de produits alimentaires et non alimentaires, dans le cadre d'un mandat pour la distribution de carburant et d'une location-gérance pour les autres produits et services ; que, le 3 décembre 1997, ce contrat a été résilié à compter du 6 janvier 1998 ; qu'un second contrat dit "contrat de location-gérance", expirant à la date du 30 janvier 2001, reportée au 31 juillet 2001, a été conclu entre les mêmes parties, le 14 janvier 1998, pour l'exploitation d'un autre fonds de commerce de station-service ; que la société Total a, par lettre du 21 mai 2001, mis fin aux relations contractuelles à compter du 31 juillet 2001 ; que, le 11 février 2005, M. et Mme Rubino ont saisi la juridiction prud'homale pour faire juger que l'article L. 781-1 du Code du travail leur était applicable ; que la Cour de cassation a, par arrêt du 2 juillet 2008, rejeté le pourvoi formé par la société Total contre l'arrêt du 11 mai 2007 rectifié par un arrêt du 10 juin 2008 de la Cour d'appel de Versailles qui, statuant sur un contredit de cette dernière société, a dit que les dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail alors applicables régissaient les relations des parties ; que l'arrêt du 14 novembre 2008 par lequel la cour d'appel a statué sur le fond des demandes a été frappé de pourvoi ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Total fait grief à l'arrêt de dire que les dispositions du Livre 1, 3e et 4e parties visées à l'article L. 7321-3 du Code du travail étaient applicables aux époux Rubino, alors, selon le moyen : 1°) que le chef d'entreprise qui fournit les marchandises ou pour le compte duquel sont recueillies les commandes ou sont reçues les marchandises à traiter, manutentionner ou transporter n'est responsable de l'application aux gérants salariés de succursales des dispositions du livre 1er de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et de celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail que s'il a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord ; qu'en ne déterminant pas qui, des époux Rubino ou de la société Total Raffinage Marketing, fixait les conditions de travail au sein des stations-service, la cour d'appel a violé l'article L. 7321-3 du Code du travail ; 2°) que le chef d'entreprise qui fournit les marchandises ou pour le compte duquel sont recueillies les commandes ou sont reçues les marchandises à traiter, manutentionner ou transporter n'est responsable de l'application aux gérants salariés de succursales des dispositions du livre 1er de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et de celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail que s'il a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord ; que la cour d'appel a constaté que les époux Rubino avaient engagé du personnel et disposaient d'une large autonomie dans l'organisation de leur service entre les diverses personnes y concourant ; qu'en ne vérifiant pas si cette circonstance n'était pas de nature à exclure la mise en œuvre des dispositions du livre 1, 3e et 4e parties du Code du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7321-3 du Code du travail ; 3°) que le chef d'entreprise qui fournit les marchandises ou pour le compte duquel sont recueillies les commandes ou sont reçues les marchandises à traiter, manutentionner ou transporter n'est responsable de l'application aux gérants salariés de succursales des dispositions du livre 1er de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et de celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail que s'il a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord ; que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi entre les parties ; que l'article 49 du contrat de location-gérance conclu le 23 juillet 1996 prévoit que " la société embauche et gère librement le personnel nécessaire à la bonne exploitation du fonds. Elle fixe les rémunérations et l'horaire de travail. Elle est responsable de l'application des lois sociales au personnel qu'elle embauche. [...] " ; que l'article 50 du même contrat stipule que " la société, en tant que chef d'établissement sur la station-service, fixera librement les conditions de travail, d'hygiène et de sécurité du personnel. Elle sera donc seule responsable de la constante application de ces règles par elle-même, ses préposés ou les tiers admis dans l'enceinte de la station-service" ; que l'article 3.2, alinéa 2 du contrat conclu le 14 janvier 1998 prévoit que "[...] la société tenue de gérer le fonds de commerce en bon père de famille prendra seule les décisions concernant la gestion de son exploitation et, notamment, en sa qualité de chef d'établissement, les décisions relatives à son personnel, en particulier en matière de conditions de travail, d'hygiène et de sécurité. [...] " ; qu'en ne vérifiant pas si les dispositions contractuelles précitées n'étaient pas de nature à exclure la mise en œuvre de l'article L. 7321-3 du Code du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7321-3 susvisé en ce qu'il prévoit la mise en œuvre des dispositions du livre 1, 3e et 4e parties du Code du travail ; 4°) que la société Total Raffinage Marketing avait fait valoir dans ses conclusions d'appel que les infrastructures de la station-service comme l'ensemble de ses éléments étaient placés sous la garde de la société Rubino conformément à l'article 52 du contrat conclu le 23 juillet 1996 et à l'article 7.2.5 du contrat conclu le 14 janvier 1998 ; qu'il leur appartenait par conséquent de prendre l'initiative de faire intervenir des entreprises extérieures pour effectuer les réparations nécessaires, la circonstance que ces entreprises extérieures soient des entreprises agréées ne permettant pas d'en déduire que la société Total était responsable de l'hygiène et de la sécurité mais seulement qu'en sa qualité de propriétaire desdites installations, elle entendait que les travaux nécessaires soient exécutés dans les règles de l'art ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 5°) que la cour d'appel a constaté que les deux stations-service devaient être ouvertes 7 jours sur 7, 18 heures par jours selon les instructions de la société contenues dans les conventions ; qu'elle a ensuite retenu l'obligation d'ouverture 24 heures sur 24 sept jours sur sept ; qu'elle a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui devait, aux termes de l'article L. 7321-3 du Code du travail, déterminer si la société Total avait fixé dans les faits les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans la station-service sans être liée par le seul contenu des dispositions contractuelles liant les parties a, par une appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, et sans omettre de prendre en considération l'engagement de personnel par les époux Rubino, expressément mentionné dans son arrêt, estimé que les conditions d'application de l'article L. 7321-3 précité étaient satisfaites ; que le moyen, inopérant dans sa dernière branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que la société Total fait grief à l'arrêt de dire qu'elle ne peut prétendre déduire de la créance des époux Rubino contre elle les sommes perçues par eux de la société Rubino au titre de la rémunération de leur gérance, ni compenser, et de la condamner au paiement, à valoir sur leurs demandes, des sommes de 29 000 euro à Mme Rubino et de 37 000 euro à M. Rubino alors, selon le moyen : 1°) que l'exercice d'une même activité ne peut être rémunéré deux fois ; que la cour d'appel a constaté que les époux Rubino avaient perçu une rémunération au titre de la gérance de la station-service ; qu'en admettant le principe d'une nouvelle rémunération au titre d'une activité déjà rémunérée, la cour d'appel a violé les articles 1131 et 1134 du Code civil ; 2°) que la rémunération de gérants d'une station-service sous la forme de versement de salaires en application des articles L. 7321-1 à L. 7321-4 du Code du travail doit être déterminée en tenant compte des rémunérations perçues au titre de la gérance qui ont la même cause ; que la perception d'une rémunération de la gérance par le biais du versement de commissions ou de subventions versées par une première société à une seconde société bénéficiaire du contrat de location-gérance doit être prise en considération dès lors que la mise en œuvre des dispositions du Code du travail applicables aux gérants de succursales permet de considérer que les sommes versées par la première société qui a confié l'exploitation du fonds de commerce de station-service à la seconde société, ont en réalité permis la rémunération directe de la gérance et des gérants et qu'il existe une identité de cause des rémunérations réclamées à titre salarial et de la rémunération versée au titre de la gérance antérieurement à la reconnaissance du bénéfice des dispositions du Code du travail relatives aux gérants de succursales ; qu'en refusant de faire droit à la demande de la société Total Raffinage Marketing, la cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil ;

Mais attendu que la compensation implique l'existence d'obligations réciproques entre les parties ; que les rémunérations perçues par les époux Rubino en tant que gérants de la société Rubino leur ayant été versées par cette société et non par la société Total laquelle n'est ainsi aucunement créancière des époux Rubino à ce titre, la cour d'appel a exactement décidé qu'aucune compensation ne pouvait être opérée entre la créance des époux Rubino sur la société Total et les sommes perçues par eux de la société Rubino ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen : - Vu les articles 2224 et 2234 du Code civil et L. 3245-1 du Code du travail ; - Attendu que pour dire que M. et Mme Rubino étaient en droit de prétendre au paiement d'un salaire à partir d'août 1996 jusqu'au 31 juillet 2001, date de la cessation des relations contractuelles entre les parties, la cour d'appel a retenu que la prescription de cinq ans prévue par les articles L. 3245-1 du Code du travail et 2277 du Code civil alors applicable ne s'appliquait pas lorsque la créance, même périodique, dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier ; que M. et Mme Rubino se trouvant dans l'incertitude sur la nature juridique de leurs liens avec la société Total alors Elf Antar, et donc en définitive sur le principe même de leur créance, étaient dans l'impossibilité matérielle de déterminer le montant des rémunérations susceptibles de leur être dues ; que dès lors, la prescription de cinq ans prévue par les articles L. 3245-1 du Code du travail et 2277 du Code civil ne s'appliquait pas en l'espèce ; qu'ils n'ont pas introduit antérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes le 11 février 2005 d'action en justice leur ayant permis de s'affranchir du statut juridique que la société Total leur imposait ;

Qu'en statuant ainsi alors que la prescription quinquennale prévue par l'article L. 3245-1 susvisé, s'appliquait, en vertu des articles L. 7321-1 à L. 7321-4 du Code du travail, à l'action engagée par les époux Rubino devant la juridiction prud'homale en tant que celle-ci portait sur des demandes de nature salariale, et qu'il ne résultait pas de ses constatations que ceux-ci s'étaient trouvés dans une impossibilité d'agir suspendant cette prescription, l'exclusion apparente, résultant du type de contrats passés entre les époux Rubino et la société Total, de leur droit à bénéficier des dispositions des articles L. 7321-1 à L. 7321-4, ne les ayant pas placés dans l'impossibilité de contester cette situation devant la juridiction prud'homale, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a dit que les époux Rubino étaient en droit de percevoir un salaire antérieurement au 11 février 2000, l'arrêt rendu le 14 novembre 2008, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles, autrement composée.