Cass. com., 23 novembre 2010, n° 09-72.031
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi
Défendeur :
Beauté Prestige International (SA), Chanel (SAS), Comptoir nouveau de la parfumerie Hermès parfums (SA), Elco (SNC), Guerlain (SA), Kenzo parfums (SA), Marionnaud parfumeries (SA), Nocibé (SAS), L'Oréal produit de luxe France (SNC), Parfums Christian Dior (SA), Parfums Givenchy (SA), Sephora (SA), Shiseido Europe (SAS), Clarins fragrance Group (SAS), Yves Saint-Laurent (SAS), Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
M. Bonnet
Avocats :
Me Ricard, SCP Hémery, Thomas-Raquin, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Piwnica, Molinié, SCP Defrenois, Levis, SCP Peignot, Garreau, SCP Bénabent, SCP Boré, Salve de Bruneton
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 10 juillet 2008, Bull. civ. IV n° 152, pourvoi n° 07-17.439 et a.), que le Conseil de la concurrence (le Conseil), devenu l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) s'est saisi d'office, le 21 octobre 1998, de la situation de la concurrence dans le secteur de la parfumerie de luxe ; que, par décision n° 06-D-04 bis du 13 mars 2006 rectifiée le 24 mars 2006, le Conseil a dit établi que les sociétés Guerlain, Shiseido, Givenchy, Kenzo, Dior, Chanel, Sephora, BPI, Yves Saint-Laurent beauté, Elco, Hermès, devenue Comptoir nouveau de la Parfumerie Hermès parfums, Marionnaud, L'Oréal, Nocibé, Pacific création parfums et Thierry Mugler parfums avaient, en participant à des ententes sur les prix entre 1997 et 2000, enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu l'article 101 du TFUE, a infligé à ces sociétés des sanctions allant de 90 000 à 12 800 000 euro et a ordonné une mesure de publication ; que, saisie de recours de ces entreprises, la cour d'appel a annulé la décision du Conseil, d'une part, en ce qu'elle concernait le marché des cosmétiques de luxe, d'autre part, en ses dispositions relatives à la société Pacific création parfums, et a réduit le montant des sanctions pécuniaires pour les sociétés demeurées dans la cause ;
Sur la recevabilité des moyens : - Attendu que les sociétés L'Oréal produits de luxe France (la société L'Oréal), Beauté prestige international (la société BPI), et Clarins fragrance Group, anciennement Thierry Mugler parfums, soutiennent que les moyens invoqués par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi (le ministre) sont irrecevables en ce que celui-ci n'a particulièrement pris aucune conclusion sur la durée excessive de la procédure et les conséquences pouvant y être attachées et qu'en conséquence tous ses moyens qui tendent à remettre en cause cette appréciation de la cour d'appel sont irrecevables comme nouveaux et mélangés de fait et de droit ;
Mais attendu que dans ses observations présentées devant la cour d'appel, le ministre a précisé qu'il partageait l'analyse du Conseil de la concurrence telle qu'exposée dans la décision n° 06-D-04 bis du 13 mars 2006 rectifiée le 24 mars 2006, laquelle écartait les moyens des parties relatifs à la durée excessive de la procédure et au dépassement du délai raisonnable ; qu'il en résulte que ses moyens ne sont pas nouveaux ;
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; - Attendu que pour dire que le délai de la phase d'instruction non contradictoire devant le Conseil avait dépassé les limites d'un délai raisonnable et pour annuler en conséquence la décision du Conseil ainsi que l'instruction qui l'a précédée, l'arrêt, après avoir qualifié d'"excessive" la "procédure d'enquête" et relevé que le délai très court de la deuxième phase de la procédure montrait que la complexité de l'affaire était très relative, retient un certain nombre d'éléments dont il conclut que les fabricants sont restés dans l'ignorance de la saisine et des actes d'enquête ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir en quoi la durée de la première phase non contradictoire de la procédure du Conseil n'était pas raisonnable et ne pouvait être justifiée par la complexité de l'affaire et les diligences menées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur ce moyen, pris en sa sixième branche : - Vu l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; - Attendu que pour dire que l'atteinte irrémédiable, effective et concrète aux droits de la défense, par le dépassement d'un délai raisonnable entre la date des comportements reprochés et le jour où les entreprises ont su qu'elles auraient à en répondre, était démontrée et annuler en conséquence la décision du Conseil ainsi que l'instruction qui l'a précédée, l'arrêt relève que les fabricants sont restés dans l'ignorance de la saisine et des actes d'enquête et précise que les premières auditions formelles et offensives, qui auraient éventuellement alerté les entreprises sur les visées du Conseil, n'ont eu lieu qu'en janvier et février 2005 et ont été la seule occasion de communication démontrée des annexes du futur rapport ; que l'arrêt précise encore que pour combattre la preuve des éléments fondant la décision du Conseil, les parties en cause auraient dû apporter certains éléments qu'il énumère, et observe qu'elles se trouvaient en 2005, compte tenu du délai écoulé entre les pratiques supposées et la notification des griefs, dans l'impossibilité de les présenter ; que de l'ensemble de ces observations et constatations, l'arrêt conclut que devant l'accusation d'une entente verticale généralisée, reposant sur la communication ou la connaissance de prix conseillés ou indicatifs, sur l'acquiescement des distributeurs et sur une police des prix assurée par les fabricants à leur profit, les entreprises mises en cause auraient dû réunir, dès 1999, une masse d'informations que non seulement elles avaient légitimement égarées, mais dont elles ont jusqu'au dernier moment ignoré la nature exacte ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par une motivation générale, sans rechercher en quoi le délai écoulé durant la phase d'instruction devant le Conseil avait causé à chacune des entreprises, formulant un grief à cet égard, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 novembre 2009, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.