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Décisions

CA Versailles, président, 19 février 2010, n° 09-04513

VERSAILLES

Ordonnance

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Grandjean

Avoué :

SCP Keime Guttin Jarry

Avocats :

Mes Robert, Grando

TGI Nanterre, JLD, du 29 avr. 2009

29 avril 2009

Par ordonnance du 29 avril 2009, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre a autorisé l'Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visites et saisies domiciliaires, sur le fondement des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, à l'encontre de la société X et autres sociétés du même groupe et de la société XX et autres sociétés du même groupe aux motifs que :

- la société X aurait abusé de sa position dominante sur le marché du C

- les sociétés X et XX France auraient conclu une entente anticoncurrentielle en violation des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 81 et 82 du traité CEE.

Cette ordonnance a autorisé la visite des locaux et dépendances sis, <adresse> et <adresse>, susceptibles d'être occupés par les sociétés précitées.

Les opérations ainsi autorisées se sont déroulées le 5 mai 2009 et ont donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de visite et de saisie le même jour.

Par déclarations au greffe du 20 mai 2009, enregistrées le jour même, la société XX France a exercé un recours contre les modalités d'exécution des opérations de visite et saisies menées le 5 mai 2009.

Aux termes de ses écritures déposées les 3 juin et 24 novembre 2009 et soutenues à l'audience du 11 décembre 2009, la société XX France demande au premier président de la Cour d'appel de Versailles de:

- constater l'irrégularité de la saisie d'un certain nombre de documents dénommés et l'irrégularité de la saisie des messageries électroniques ;

- en prononcer la nullité ;

- ordonner le retrait de ces documents de la procédure et leur restitution à la société XX.

Elle fait valoir que les documents cités n'entrent pas dans le champ de l'autorisation accordée par le juge et qui porte uniquement sur la commercialisation de produits pharmaceutiques confrontés à l'arrivée des génériques et que l'Administration ne pouvait procéder à une saisie indifférenciée des éléments de messagerie sans sélection préalable et sans exclure les correspondances privées et les échanges couverts par le secret professionnel.

Elle souligne sur ce dernier point que la seule existence d'un fichier électronique unique de messagerie qui contient des documents identifiables ne justifie pas plus une saisie globale que ne le ferait une armoire contenant des dossiers et conteste le caractère "insécable" du fichier Outlook ; elle rappelle que l'Administration pouvait poser des scellés provisoires pour se donner le temps d'identifier les documents dont la saisie était pertinente.

Aux termes de ses écritures en date du 30 novembre soutenues à l'audience du 11 décembre 2009, Madame la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence conclut à la régularité des opérations litigieuses en faisant valoir qu'aucun texte n'impose à l'Administration de dévoiler sa méthode d'investigation, qu'elle a bien procédé à une sélection des documents saisis, que l'identification de documents protégés par le secret professionnel devrait conduire à restituer ces documents mais n'invaliderait pas l'ensemble des saisies, que la saisie globale d'une messagerie est justifiée par son caractère insécable.

Elle souligne que la comparaison avec la procédure communautaire n'est pas pertinente dans la mesure où le régime juridique applicable est différent.

Il est renvoyé aux conclusions respectives de chacune des parties pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.

Motifs de la décision

Sur la saisie de documents sur support papier

Considérant que la société XX fait valoir que certains documents qu'elle cite nommément échappent aux limites de l'autorisation judiciaire et ne pouvaient être saisis; qu'indépendamment de la force probante des documents concernés qui échappe à l'appréciation de la juridiction ici saisie, il convient de déterminer si ces documents sont susceptibles de se reporter à la "commercialisation de produits pharmaceutiques confrontés à l'arrivée des génériques" ;

Qu'il faut néanmoins regretter qu'aucune des deux parties n'ait estimé opportun de produire les pièces litigieuses ;

Considérant qu'il ressort des libellés des pièces litigieuses et des indications données par les parties à leur sujet que:

- l'Administration reconnaît que les documents placés sous scellés n° 10 cotes 25 à 27 et 178 à 190, 12 cotes 125 à 181, 18 cotes 10 à 56, 21 cotes 1 à 4 n'ont pas de relation avec l'objet de l'autorisation ; qu'ils devront être restitués ;

- les documents placés sous scellés n° 18 cotes 93 à 97, 98, 99, 100 à 102 ter, 103 à 110, 111 à 134 et 135 à 136, 19 cotes 1 à 6, 20 cotes 39 à 43, 44 à 56, 57 à 58 et 59 concernent un produit D ou B dont il n'est pas contesté qu'il est du C, spécifiquement visé par l'autorisation judiciaire relativement à l'arrivée de produits génériques sur le marché ; que la demande de restitution doit être rejetée les concernant ;

- les scellés n° 6 cotes 54 à 65 et 7 cotes 103 à 163 concerneraient divers médicaments dont l'Autorité de la concurrence se contente d'indiquer qu'ils sont " généricables " ou existent déjà en génériques ce qui correspond à plus ou moins long terme à la quasi totalité des médicaments présents sur le marché ; qu'en l'absence d'éléments permettant de considérer que ces médicaments étaient effectivement confrontés à l'arrivée des génériques à la date à laquelle l'autorisation a été donnée, les saisies correspondantes doivent être annulées et les documents restitués ;

Sur le caractère indifférencié de la saisie informatique

Considérant qu'il ressort du procès-verbal établi par les enquêteurs le 5 mai 2009 que sur 20 bureaux placés sous scellés, seuls quatre bureaux ont fait l'objet de saisies sur support informatique, sept bureaux ont fait l'objet de saisies d'impressions papier de quelques documents informatiques, trois bureaux n'ont fait l'objet d'aucune saisie informatique, un bureau n'a fait l'objet d'aucune saisie ; que ces circonstances établissent la réalité d'une sélection préalable des documents saisis ; qu'à ce stade de l'enquête, aucune disposition légale ou réglementaire n'impose à l'Administration de dévoiler ses méthodes d'investigation et notamment les mots-clés susceptibles d'être utilisés pour rechercher les documents informatiques pertinents ;

Considérant que la requérante reproche à l'Autorité de la concurrence d'avoir procédé à la saisie globale de plusieurs messageries électroniques sans sélectionner les seuls messages relatifs à l'objet de son enquête alors qu'il était aisé de déplacer les données utiles dans un dossier électronique avant de saisir celui-ci et d'exclure ainsi de la saisie tous les documents sans rapport avec l'objet de l'enquête ou protégés par la loi ;

Considérant que l'Administration répond que la méthode utilisée est la seule à préserver la conformité et la fiabilité des documents saisis ;

Qu'en effet, les documents de messagerie litigieux, issus du logiciel Microsoft Outlook 2003 sont stockés dans un fichier unique pour l'ensemble des services fournis à l'utilisateur (messagerie, calendrier, contacts ...) ; que la sélection par message, prônée par la requérante aurait pour effet d'altérer les références électroniques des fichiers déplacés et affecterait tant la fiabilité que l'inviolabilité des fichiers concernés ; que c'est en ce sens que la messagerie électronique est dite " insécable " par sa nature ;

Considérant que la saisie, dans ce cadre global, de certains documents personnels à des salariés ou de documents étrangers à l'objet de l'opération autorisée par le juge n'invalide pas la saisie mais doit conduire l'Administration à restituer les documents concernés dès lors qu'ils sont été identifiés par les intéressés ;

Que le seul fait qu'une messagerie électronique contienne pour partie seulement des éléments entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire suffit à valider la saisie globale opérée ; que la démultiplication des documents contenus par une messagerie électronique par rapport au contenu d'une série de dossiers sur support papier ne modifie pas le régime juridique applicable à ces saisies et qui permet la saisie d'un dossier ou d'une série de dossiers, aussi volumineuse soit-elle dès lors qu'elle présente une certaine unité et comporte des documents visiblement relatifs à l'objet de l'opération autorisée ;

Que néanmoins, l'Administration doit mettre le juge en mesure d'exercer son contrôle sur ce point; Que ce contrôle judiciaire s'appuie en premier lieu sur le procès-verbal et l'inventaire établis par les enquêteurs et requiert que l'Administration établisse un inventaire suffisamment explicite de la cohérence entre les données informatiques saisies et l'étendue de l'autorisation obtenue ;

Qu'en l'espèce, si l'inventaire des fichiers informatiques saisis dans la messagerie de Monsieur Z suffisent à établir qu'une très large partie de ces données entre dans les prévisions de l'ordonnance portant autorisation (références au B, au A, au C...), tel n'est pas le cas de l'inventaire portant sur les données informatiques saisies dans les messageries de Madame Y, Monsieur Z et Monsieur ZZ et dont aucun des libellés n'évoque l'objet de l'enquête ;

Que les saisies de données informatiques faites sur les ordinateurs de ces trois personnes doivent ainsi être annulées et les documents restitués ;

Considérant qu'en application de l'article 56 du Code de procédure pénale auquel renvoie l'article L. 450-4 du Code de commerce, il appartient à l'Autorité de la concurrence de provoquer préalablement aux saisies toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel ; qu'en l'espèce la remise immédiate à la société X d'une copie, sur DVD, de l'ensemble des documents électroniques ensuite saisis et placés sous scellés participe de cette exigence et offrait à la société XX le moyen de solliciter la restitution de documents protégés ;

Qu'en l'absence de toute identification précise par la requérante d'un document protégé, la simple lecture des noms des documents saisis dans la messagerie de Monsieur Z, mentionnés dans l'inventaire annexé au procès-verbal et qui correspondent aux intitulés découverts par l'Administration lors de la visite, ne permet pas de déceler l'existence manifeste de documents protégés parmi ces documents saisis;

Considérant dès lors qu'il appartiendra à la société XX d'identifier les documents saisis sur cette messagerie qu'elle considère comme protégés par le secret de la correspondance ou le secret professionnel ou étrangers à l'objet de l'opération autorisée et d'en solliciter la restitution auprès de l'Administration ;

Par ces motifs, Prononçons l'annulation de la saisie des documents placés sous scellé 10 cotes 25 à 27 et 178 à 190, scellé 12 cotes 125 à 181, scellé 18 cotes 10 à 56, 21 cotes 1 à 4, scellé n° 6 cotes 54 à 65 et scellé 7 cotes 103 à 163 et en ordonnons la restitution à la société XX, en tous exemplaires dans un délai de huit jours à compter de la date de la présente décision ; Prononçons l'annulation des saisies des messageries de Madame Y, Monsieur Z et Monsieur ZZ et en ordonnons la restitution à la société XX en tous exemplaires dans un délai de huit jours à compter de la date de la présente décision ; Déclarons les opérations de visite et saisies régulières pour le surplus ; Déboutons les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions ; Disons que chaque partie conservera la charge des dépens par elle exposés.