CA Versailles, président, 16 avril 2010, n° 9602-08
VERSAILLES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
L'Oréal (SA), Lascad (SNC), G. Maybelline Garnier (SNC)
Défendeur :
Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grandjean
Avoué :
SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod
Avocat :
Me Lazarus
Par ordonnance du 30 juin 2006, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre a autorisé le directeur régional, chef de la DGCCRF et le rapporteur général du Conseil de la concurrence à procéder à des opérations de visites et saisies domiciliaires, sur le fondement des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, à l'encontre de plusieurs sociétés dont les sociétés L'Oréal SA, Lascad SNC et G. Maybelline Garnier SNC aux motifs que ces sociétés auraient participé à des rencontres et échanges d'information susceptibles de caractériser des infractions aux dispositions des articles 450-1 du Code de commerce et 81-1 du traité de Rome dans le secteur des produits d'hygiène et de soin du corps.
Le 10 juillet 2006 le juge des libertés et de la détention du même tribunal a rendu une décision intitulée " Ordonnance de rectification d'erreur matérielle " à la requête de deux inspecteurs de la direction nationale des enquêtes de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et du rapporteur permanent au Conseil de la concurrence ordonnant que le procès-verbal de réception du Conseil de la concurrence qui mentionnait le nom d'un demandeur de clémence, pièce non listée dans les annexes à la requête, soit retiré de la procédure et remplacé par une copie sur laquelle le nom des entreprises en cause serait occulté.
Les opérations ainsi autorisées se sont déroulées le 6 juillet 2006 et ont donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de visite et de saisie le même jour.
Par déclarations au greffe du 11 décembre 2008, les sociétés L'Oréal, Lascad et G. Maybelline Garnier ont interjeté appel de ces deux ordonnances.
Aux termes de ses écritures déposées notamment le 29 janvier 2010 et soutenues à l'audience du 19 février 2010, les appelantes demandent l'annulation des ordonnances rendues les 30 juin 2006 et 10 juillet 2006 aux motifs :
- s'agissant de la première, qu'elle a été rendue sur la base d'éléments non versés au dossier, faisant ainsi échec à toute possibilité de contradictoire, qu'elle a été rendue sur la requête d'une personne incompétente pour la présenter et qu'elle n'est pas précisément motivée,
- s'agissant de la seconde, qu'elle a rompu l'égalité entre les parties et les prive du droit à un recours effectif.
Dans ses écritures déposées le 6 janvier 2010 et soutenues à l'audience du 19 février 2010, l'autorité de la concurrence relate que le procès-verbal de réception par le Conseil de la concurrence de la demande de clémence qui faisait apparaître le nom du demandeur avait été laissé par erreur dans les pièces annexées à la requête ; à la requête du rapporteur du Conseil de la concurrence, l'ordonnance rendue le 10 juillet 2006 a permis de remplacer ce document par une copie anonymisée.
Elle relève qu'elle n'a aucune obligation de produire le procès-verbal de réception de la demande de clémence à l'appui de sa requête et note que le juge a indiqué dans son ordonnance que ce procès-verbal avait pour seul intérêt de confirmer l'existence de la demande de clémence et de révéler le nom du demandeur de clémence. Elle conclut que les droits des appelantes ne sont pas affectés par l'absence de cette pièce.
Elle soutient que les requérants devant le juge des libertés et de la détention avaient qualité à agir et que l'ordonnance est suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 450-4 alinéa 2 du Code de commerce.
Elle ajoute que l'ordonnance rectificative rendue le 10 juillet 2006 ne constitue qu'une mesure d'administration judiciaire et n'est sujette à aucune voie de recours et qu'elle n'affecte pas les droits des appelantes.
Il est renvoyé aux écritures respectives de chacune des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Pour une bonne administration de la justice il convient de joindre les instances n° 08-9602 et 09-9341 qui se rapportent au même recours ;
Motifs de la décision
Sur le moyen tiré du défaut de qualité des auteurs de la requête
Considérant que déposée conjointement par Monsieur M. directeur régional, chef de la direction nationale des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes, dont la qualité à agir n'est pas contestée et par Monsieur D. rapporteur général du Conseil de la concurrence, la requête s'inscrit nécessairement dans le cadre d'une enquête demandée par ce dernier conformément aux dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce en vigueur à l'époque;
Que le moyen doit ainsi être rejeté ;
Sur le moyen tiré de la prise en compte par le juge d'éléments non versés au dossier
Considérant que l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 a ouvert la voie de l'appel contre les ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant des opérations de visites et saisies domiciliaires sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
Que pour être effectif, ce recours exige que l'appelant puisse prendre connaissance des pièces qui ont été soumises au juge et qui ont motivé la décision contestée ;
Que tel est l'objet de la liste des annexes accompagnant la requête et du dépôt au greffe des pièces correspondantes ;
Considérant en l'espèce qu'il ressort expressément des motifs de l'ordonnance rendue le 30 juin 2006 que le juge a fondé sa décision notamment sur la présentation d'un procès-verbal de réception par le Conseil de la concurrence d'une demande de clémence dont l'identité de l'auteur était apparente ; que le juge mentionne en effet " le procès-verbal de réception du Conseil de la concurrence (page 1), qui justifie que le demandeur de clémence ou ses conseils ont été reçus par le Conseil de la concurrence, nous a été présenté et nous avons pu le consulter ; que ce document a pour seul intérêt de mentionner le nom du demandeur de clémence ; que ce dernier s'est par ailleurs engagé à faire des recherches documentaires afin d'étayer ses déclarations et de répondre à son obligation de collaboration loyale et totale " ;
Qu'il est constant que cette pièce n'est pas mentionnée dans la liste des pièces annexées à la requête initiale ;
Considérant que l'Autorité de la concurrence reconnaît expressément que les dispositions relatives à la possibilité qui lui est donnée de produire des pièces anonymisées n'ont pas d'incidence en l'espèce ; qu'en effet, elle a choisi de soumettre au juge non pas un document celant le nom de l'entreprise concernée, comme elle aurait pu le faire, mais un procès-verbal mentionnant clairement le nom du demandeur de clémence ;
Considérant que cette pièce, manifestement destinée à conforter la copie anonymisée de la procédure écrite introduite par le demandeur de clémence - seul document incluant des éléments de fait sur les infractions suspectées - a nécessairement eu une incidence sur l'appréciation du premier juge ainsi qu'il ressort du libellé des motifs de la décision repris ci-dessus notamment quant aux réelles possibilités pour le demandeur de clémence de procéder à une recherche documentaire complémentaire ;
Qu'en acceptant de prendre en compte cette pièce sans veiller à ce qu'elle soit portée sur la liste des annexes à la requête, le premier juge a laissé créer une situation pouvant faire échec aux droits de la défense en ce que le caractère contradictoire ne pouvait être rétabli en cas de recours;
Qu'il n'appartient pas à un juge d'exclure la possibilité d'un débat contradictoire sur une des pièces produites par une partie au motif que cette pièce aurait une valeur probante limitée, en l'espèce, à l'identification du demandeur de clémence ;
Considérant que la requête en rectification présentée par la DNECCRF et le Conseil de la concurrence et qui a donné lieu à l'ordonnance en date du 10 juillet 2006 confirme que l'administration entend exclure du débat contradictoire susceptible d'être ouvert en cas de recours, la pièce litigieuse pourtant présentée au premier juge; que sa substitution par une copie anonymisée n'est pas indifférente aux droits des sociétés appelantes dès lors que l'Administration s'est prévalue devant le premier juge de l'identité du demandeur de clémence et que cet élément de fait a participé à l'appréciation par le juge du bien fondé de la requête initiale ;
Que si une décision de rectification d'une erreur matérielle affectant une décision de justice et imputable à la juridiction est effectivement une mesure d'administration judiciaire qui n'est pas susceptible de recours de façon autonome, tel n'est pas le cas de la décision rendue le 10 juillet 2006 dont toutes les parties conviennent qu'elle n'a pas pour objet de rectifier l'ordonnance initiale mais qui a pour objet la rectification d'une erreur de l'Administration dans la présentation des pièces annexées à sa requête initiale ;
Qu'il n'appartient pas au juge de retirer de débats éventuels une pièce qui lui a été soumise ;
Que les deux ordonnances critiquées forment désormais un tout dès lors qu'elles déterminent le contenu du dossier sur lequel s'appuie le recours des sociétés appelantes ;
Que la référence aux mérites et contraintes de la procédure de demande de clémence n'a pas d'incidence sur la solution du présent litige, dès lors que l'Administration aurait pu préserver l'anonymat de l'intéressé lorsqu'elle a soutenu sa requête initiale ou présenter celle-ci sur d'autres éléments de fait ;
Considérant que l'ensemble de ces motifs conduit à annuler les ordonnances rendues les 30 juin 2006 et 10 juillet 2006 ;
Sur le défaut de motif de l'ordonnance du 30 juin 2006 examiné à titre surabondant
Considérant que, selon l'article L. 450-4 alinéa 2 du Code de commerce, lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du Code de commerce en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée ;
Considérant qu'après avoir fait référence à des pratiques anticoncurrentielles susceptibles d'être imputées à un grand nombre de sociétés parmi les majors du secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers et/ou du secteur des produits d'hygiène et du soin du corps et consistant notamment en des contacts réguliers et échanges d'information lors de réunions périodiques qui se seraient tenues entre 2004 et le mois de février 2006, date à laquelle des visites et saisies ont été opérées sur autorisation judiciaire dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers, le premier juge a indiqué qu'il " n'[était] pas exclu que ces agissements perdurent dans le secteur des produits d'hygiène et du soin du corps nonobstant les investigations déjà réalisées dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides ménagers " ; sans faire référence à la moindre circonstance de fait, postérieure au mois de février 2006, susceptible d'étayer une poursuite effective des agissements dénoncés antérieurement sur un autre secteur d'activité ;
Que dans ces circonstances, la décision attaquée n'est pas suffisamment motivée au regard du texte susvisé et doit être annulée ;
Que les motifs qui précèdent rendent sans objet les autres moyens ;
Par ces motifs, Statuant par mise à disposition au greffe et contradictoirement, Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros 08-9602 et 09-9341 ; Prononçons l'annulation des ordonnances rendues les 30 juin 2006 et 10 juillet 2006 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre ; Ordonnons en conséquence la restitution aux sociétés L'Oréal SA, Lascad SNC et G. Maybelline Garnier des documents saisis.