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Décisions

CA Versailles, président, 16 avril 2010, n° 5475-09

VERSAILLES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Saint-Gobain Isover (SA)

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Grandjean

Avocat :

Me de Dautret

TGI Paris, JLD, du 3 juin 2009

3 juin 2009

Par ordonnance du 3 juin 2009, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris a autorisé l'Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visites et saisies domiciliaires, sur le fondement des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, à l'encontre notamment de la société Saint-Gobain Isover afin d'apporter la preuve de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la certification, production et distribution des produits de construction d'isolation thermique et a donné commission rogatoire au juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre pour désigner les officiers de police judiciaire chargés de contrôler l'exécution de l'opération autorisée dans les locaux situés <adresse>.

Par ordonnance du 4 juin 2009, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre a désigné Messieurs C. et V., commissaires de police pour y procéder.

Au cours des opérations menées le 11 juin 2009, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre, saisi oralement d'une demande tendant à autoriser la poursuite des visite et saisies dans les locaux de la société Saint-Gobain Isover situés [...] qui abritaient la branche nationale de l'activité d'isolation et le bureau de Madame Sylvie X., a rendu une ordonnance complémentaire autorisant les visites et saisies dans les locaux mentionnés et désignant les mêmes officiers de police judiciaire pour y assister.

Les opérations ainsi autorisées se sont déroulées le 11 juin 2009 et ont donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de visite et de saisie le même jour.

Par déclarations au greffe du 19 juin 2009, enregistrées le jour même, la société Saint-Gobain Isover a interjeté appel de l'ordonnance rendue le 4 juin 2009 et a formé un recours contre les modalités d'exécution des visites et saisies opérées en exécution des ordonnances rendues les 3 et 4 juin 2009.

Par déclarations au greffe du 19 juin 2009, enregistrées le jour même, la société Saint-Gobain Isover a interjeté appel de l'ordonnance complémentaire rendue le 11 juin 2009 et a formé un recours contre les modalités d'exécution des visites et saisies opérées en exécution des ordonnances rendues les 3 et 11 juin 2009.

Aux termes de ses écritures déposées le 18 février 2010 et soutenues à l'audience du 19 février 2010, la société Saint-Gobain Isover demande au premier président de la Cour d'appel de Versailles de:

- constater l'incompétence du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre pour délivrer l'ordonnance complémentaire rendue le 11 juin 2009,

- annuler cette ordonnance complémentaire du 11 juin 2009 ;

- ordonner la restitution des documents saisis sur le fondement de cette ordonnance,

- déclarer irrégulière la saisie massive des messageries électroniques opérée à Courbevoie et à Suresnes et l'annuler,

- déclarer irrégulières, toutes les opérations de visites et saisies effectuées le 11 juin 2009 et les annuler,

- ordonner la restitution des documents saisis couverts par le secret de la relation avocat-client.

Après avoir souligné la compétence du premier Président de la Cour d'appel de Versailles pour statuer sur la validité des ordonnances rendues par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre dans le cadre d'une commission rogatoire délivrée par le juge du Tribunal de grande instance de Paris, indépendamment de la saisine parallèle du premier président de la Cour d'appel de Paris aux fins d'annulation de l'ordonnance principale, la société Saint-Gobain Isover reproche principalement au premier juge :

- d'avoir outrepassé les limites de la commission rogatoire reçue de son homologue parisien en autorisant une visite de locaux différents de ceux mentionnés dans l'ordonnance principale,

- d'avoir accueilli une requête émanant de Monsieur Y., rapporteur de l'Autorité de la concurrence non muni d'une délégation de pouvoir de madame la Rapporteure générale seule habilitée à déposer une requête,

- d'avoir omis de mentionner dans l'ordonnance complémentaire, tant la commission rogatoire que les voies de recours ouvertes.

Elle soutient que le premier Président de la Cour d'appel de Versailles est compétent pour apprécier la validité des opérations menées dans son ressort en exécution des ordonnances secondaires et complémentaires mais, soulignant l'ambiguïté des nouvelles dispositions législatives, s'en rapporte à justice sur la répartition des compétences sur ce point entre celui-ci et le premier président de la Cour d'appel de Paris également saisi.

Elle produit la liste des pièces dont elle sollicite la restitution au motif qu'elles sont couvertes par le secret professionnel.

Aux termes de ses écritures en date du 15 février 2010 soutenues à l'audience du 19 février 2010, Madame la Rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence reproche à la société Saint-Gobain Isover de mélanger dans les mêmes conclusions les moyens relatifs à la contestation de la validité de l'ordonnance complémentaire et ceux relatifs à la contestation du déroulement des opérations et conclut à l'irrecevabilité des demandes.

Elle fait valoir que l'article L. 450-4 alinéa 6 du Code de commerce donne compétence pour connaître de la légalité de l'ordonnance principale et de l'ordonnance secondaire au premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé l'opération, en l'espèce le juge du Tribunal de grande instance de Paris alors que l'ordonnance secondaire rendue par le juge du Tribunal de grande instance de Nanterre ne porte pas autorisation mais uniquement aménagement des modalités d'exécution de l'ordonnance principale ; elle en induit l'incompétence de la présente juridiction pour statuer sur la validité de l'ordonnance secondaire et sollicite à tout le moins qu'il soit sursis à statuer sur la demande d'annulation dans l'attente de la décision du premier président de la Cour d'appel de Paris sur la validité de l'ordonnance principale.

L'Autorité de la concurrence invoque en outre l'incompétence du premier président de la Cour d'appel de Versailles pour statuer sur la légalité de l'exécution de l'autorisation de visites et saisies accordée par le juge du Tribunal de grande instance de Paris.

Elle soutient que l'ordonnance complémentaire du 11 juin 2009 a été rendue sur une requête orale valablement présentée par un rapporteur désigné par le chef du service investigations lui-même désigné par la Rapporteure générale, que le juge du Tribunal de grande instance de Nanterre avait compétence pour désigner de nouveaux locaux dont la visite était nécessaire à l'exécution de l'ordonnance principale et que, s'inscrivant dans le cadre de l'autorisation de visite et de saisie donnée par le juge du Tribunal de grande instance de Paris, elle ne peut être contestée que devant le premier Président de la Cour d'appel de Paris.

Elle indique enfin que le défaut de mention de la commission rogatoire ou des voies de recours ouvertes est indifférent à la validité de l'ordonnance complémentaire.

Motifs de la décision

Considérant que le fait qu'une partie soutienne deux recours distincts dans un même jeu de conclusions est indifférent à la recevabilité des dits recours qui ne peut être appréciée qu'à la date à laquelle ces recours ont été formés ;

Que le moyen tendant à l'irrecevabilité des recours exercés par la société Saint-Gobain Isover doit ainsi être rejeté ;

Considérant au contraire qu'il est d'une bonne administration de la justice d'examiner dans une même décision les deux recours exercés par la société Saint-Gobain Isover qui se rapportent aux mêmes circonstances de fait ; que cet examen joint n'exclut pas une distinction claire des moyens de droit qui se rapportent à la légalité des ordonnances critiquées et des moyens de droit qui soutiennent la demande d'annulation des opérations de visites et saisies, ainsi qu'il sera fait ci-dessous;

Qu'il convient en conséquence, pour une bonne administration de la justice, de joindre les instances enregistrées sous les numéros 09-5475 et 09-5476 ;

Sur la compétence du premier président de la Cour d'appel de Versailles pour statuer sur la validité des ordonnances secondaires et complémentaires rendues les 4 et 11 juin 2009 par le juge du Tribunal de grande instance de Nanterre

Considérant que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce qui donnent compétence au premier président de la cour dans le ressort de laquelle l'ordonnance d'autorisation de visite et saisies a été rendue, n'excluent pas la compétence du premier président de la cour dans laquelle une ordonnance a été rendue sur commission rogatoire pour organiser les modalités pratiques d'exécution de cette autorisation, pour statuer sur la validité de cette ordonnance rendue sur commission rogatoire ;

Qu'à cet égard, il convient de relever que nonobstant son libellé, l'ordonnance complémentaire critiquée n'est pas une ordonnance d'" autorisation " au sens de l'article L. 450-4 du Code de commerce en ce qu'elle ne statue pas sur les mérites du recours par l'administration à des visites et saisies domiciliaires à l'encontre de la société Saint-Gobain Isover mais tend uniquement à ajouter un local à ceux déjà visés afin que l'autorisation initialement accordée puisse être pleinement exécutée ;

Que l'exception d'incompétence doit ainsi être rejetée ;

Sur la demande de sursis à statuer

Considérant que l'incidence nécessaire du résultat de la contestation élevée, devant Monsieur le premier président de la Cour d'appel de Paris, relativement à la validité de l'ordonnance principale, n'exclut pas davantage l'examen d'une action simultanée devant le premier président de la Cour d'appel de Versailles relativement à la validité d'une ordonnance rendue sur commission rogatoire dès lors que des moyens de nullité propres à cette seconde ordonnance sont invoqués ;

Que tel est le cas en l'espèce en ce qui concerne l'ordonnance complémentaire dans la mesure où, indépendamment de la validité contestée par ailleurs de l'ordonnance rendue par le juge parisien, la société Saint-Gobain Isover fait valoir que l'ordonnance rendue le 11 juin 2009 est entachée de nullité aux motifs que le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre aurait excédé les termes de la commission rogatoire et aurait statué sur une requête déposée par une personne n'ayant pas qualité;

Considérant que la pertinence des moyens de nullité invoqués à l'appui de la demande d'annulation de l'ordonnance rendue le 11 juin 2009 peut manifestement être examinée indépendamment de la décision qui sera prise par Monsieur le premier président de la Cour d'appel de Paris sur la validité de l'ordonnance dite principale;

Que la portée de la présente décision sera nécessairement limitée aux moyens soulevés dans le cadre de la présente instance et ne peut avoir d'incidence sur l'issue de l'instance pendante devant Monsieur le premier président de la Cour d'appel de Paris et qui a un autre objet ;

Qu'il n'y a donc lieu de surseoir à statuer sur la contestation de la validité de l'ordonnance rendue le 11 juin 2009 ;

Considérant que la société Saint-Gobain Isover ne présente pas le moindre moyen de nullité à l'encontre de l'ordonnance rendue le 4 juin 2009 ; que, s'opposant à la demande de sursis à statuer présentée par l'Autorité de la concurrence, elle ne fait pas davantage valoir que des moyens tendant à l'invalidation de l'ordonnance principale rendue le 3 juin 2009 imposeraient l'annulation de l'ordonnance rendue le 4 juin 2009 ; qu'aussi bien, dans l'hypothèse où l'ordonnance d'autorisation rendue le 3 juin 2009 serait annulée par le premier Président de la Cour d'appel de Paris, la demande d'annulation de l'ordonnance secondaire rendue le 4 juin 2009 deviendrait manifestement superflue et sans effet dès lors que l'ensemble des opérations litigieuses serait invalidé comme dépourvu d'autorisation ;

Qu'il n'y a donc pas lieu, en l'espèce, de surseoir à statuer sur la demande d'annulation de l'ordonnance du 4 juin 2009 ;

Sur la compétence du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre pour étendre l'autorisation de visite et saisies à des locaux non visés par l'ordonnance principale

Considérant que le juge recevant une commission rogatoire est seul compétent pour statuer sur une modification des locaux à visiter dans son ressort tels qu'ils sont désignés par l'ordonnance principale après avoir apprécier la pertinence de la requête au regard de l'étendue de l'autorisation délivrée par le juge commettant;

Qu'en l'espèce, avoir relevé que l'activité de Madame X. au sein de la société Saint-Gobain Isover était expressément visée par l'ordonnance principale au titre des indices de fraudes, que la société Saint-Gobain Isover avait, en sus des locaux situés à Courbevoie, des locaux situés à Suresnes qui abritaient l'activité sur le secteur de la certification, production et distribution des produits de construction d'isolation thermique, visée par l'ordonnance principale et le bureau de Madame X., ce qui n'est pas contesté, le juge commis a pu valablement étendre l'autorisation initiale accordée par ordonnance du 3 juin 2009 aux locaux situés <adresse> ;

Que le moyen doit ainsi être rejeté ;

Sur la qualité à agir du requérant à cette ordonnance complémentaire

Considérant que l'article L. 450-1 du Code de commerce donne compétence à tout agent des services d'instructions de l'Autorité de la concurrence habilité à cet effet par Madame la Rapporteur générale pour procéder à toute enquête nécessaire;

Que si les dispositions de l'article L. 450-4 du même Code imposent au juge saisi d'une demande d'autorisation de visite et de saisies de s'assurer que la requête s'inscrit dans le cadre d'une enquête demandée par Madame la Rapporteure générale, ce qui résulte nécessairement de la signature par la rapporteur générale elle-même de la requête, aucune disposition législative n'impose l'intervention personnelle de la Rapporteure générale au cours des opérations judiciairement autorisées ;

Considérant qu'il ressort de l'ordonnance critiquée que le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Nanterre a été saisi, au cours du déroulement des opérations autorisées par ordonnance du 3 juin 2009, par Monsieur Jean-Marc Y., agent habilité par décision du 9 mars 2009, d'une requête orale tendant à permettre l'extension des opérations à des locaux non visés dans l'ordonnance initiale ;

Qu'il n'est pas contesté que Monsieur Y., dont la qualité de rapporteur apparaît sur le procès-verbal établi le 11 juin 2009, a été habilité à procéder à l'enquête concernant la société Saint-Gobain Isover et incluant les opérations de visite et saisies dont Madame la Rapporteure Générale avait sollicitée elle-même la mise en œuvre devant le juge parisien ;

Que cette habilitation emporte qualité pour saisir le juge commis de toute requête afférente à l'exécution de l'autorisation judiciaire précédemment délivrée ;

Qu'en l'espèce, les vérifications précises faites par le juge sur ce point exemptent l'ordonnance de toute critique ;

Que le moyen doit ainsi être rejeté ;

Sur l'absence de visa de la commission rogatoire et des voies de recours dans l'ordonnance complémentaire

Considérant que l'ordonnance critiquée vise à la fois l'ordonnance rendue le 3 juin 2009 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris et l'ordonnance rendue le 4 juin 2009 sur commission rogatoire ;

Qu'il ressort du procès-verbal dressé le 11 juin qu'elle a été notifiée avec l'ordonnance principale, le représentant de la société Saint-Gobain Isover étant alors informé qu'il disposait d'un délai de quinze jours pour former appel ;

Qu'en toute hypothèse l'absence de mention d'une voie de recours n'invalide pas la décision concernée mais empêche le cours du délai ouvert pour agir ;

Que le moyen doit ainsi être rejeté ;

Sur la compétence du premier président de la Cour d'appel de Versailles pour statuer sur la validité des opérations de visite et saisies menées le 11 juin 2009

Considérant qu'en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce, le déroulement des opérations de visites ou saisies peut faire l'objet d'un recours devant le premier Président de la cour d'appel dans le ressort du juge les ayant autorisées ;

Qu'il est constant que l'autorisation judiciaire donnée à la mise en œuvre de ses opérations a été délivrée par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris ;

Qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus la formulation ambiguë de l'ordonnance rendue le 11 juin 2009 ne vaut pas "autorisation" au sens de ce texte ;

Qu'il convient en conséquence de nous déclarer incompétent pour statuer sur les moyens relatifs au déroulement des opérations de visite et saisies portant notamment sur le caractère global de la saisie des messageries électroniques et la saisie de documents couverts par le secret de la relation avocat-client ;

Par ces motifs, Statuant par mise à disposition au greffe et contradictoirement, Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros 09-5475 et 09-5476 ; Rejetons l'exception d'incompétence relativement à l'appel contre les ordonnances rendues les 4 et 11 juin 2009 ; Disons n'y avoir lieu de surseoir à statuer sur les moyens relatifs à la validité des dites ordonnances ; Déboutons la société Saint-Gobain Isover de ses demandes, fins et conclusions relatives à la validité des ordonnances rendues les 4 et 11 juin 2009 ; Nous déclarons incompétent pour statuer sur le recours contre le déroulement des opérations de visite et saisies menées le 11 juin 2009 et renvoyons l'affaire devant Monsieur le premier Président de la Cour d'appel de Paris ; Condamnons la société Saint-Gobain Isover aux dépens de la présente instance.