CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 4 novembre 2010, n° 08-05247
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sogeros (SNC)
Défendeur :
ITM Logistique International (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Touzery-Champion, Pomonti
Avoués :
SCP Bommart-Forster-Fromantin, Me Nut
Avocats :
Mes Dalin, Masker
Le 15 janvier 1998, la société Sogeros (spécialisée dans l'entreposage et la gestion des stocks pour le compte de clients) et la société ITM Logistique International (ITM LI) (dont l'activité est la logistique, l'entreposage et la distribution de tous produits susceptibles d'être vendus dans les points de vente exploitant sous l'une des enseignes du groupement des Mousquetaires) ont signé un " contrat de dépôt et de prestations logistiques " aux termes duquel la première s'est engagée à exécuter un certain nombre de prestations logistiques (réception, déchargement, stockage et entreposage, gestion des stocks, préparation des commande et chargement des commandes) sur le site de Marly la Ville du 1er mai 1997 au 30 avril 2000 pour le compte de la société ITM et en contrepartie la seconde s'est obligée à régler un loyer annuel de 5 000 000 F HT (762 311,32 euro TTC) payable par trimestre et d'avance, un dépôt de garantie de 3 mois à la signature du contrat ainsi que des prestations selon une tarification prévue sur une base tarifaire ou sur une base budgétaire.
Le 2 mars 2001, ces deux sociétés ont signé un protocole d'accord intitulé " dossier Bricomarché Marly-la-Ville. Année 2001 " comportant un budget réalisé conjointement entre elles à partir des estimations de la société ITM sur l'évolution des volumes mensuels ainsi qu'une tarification des prestations.
Par lettre du 20 mars 2002, intitulée " lettre d'engagement " la société ITM a confirmé son engagement irrévocable de passer un contrat de prestations pour une durée ferme de 4 ans (avec faculté à tout moment de porter la durée à 5 ans), a mis fin au contrat existant sur l'entrepôt de Marly-la-Ville, dont l'activité a été transférée sur le site Bruyères-sur-Oise d'une superficie de 46 132 m2, a versé une somme de 540 645 euro à titre de dépôt de garantie à restituer en fin de contrat, a accepté la prise en charge du loyer de 2 162 579 euro HT à majorer de 5 % durant les 24 premiers mois, étant précisé que la société Sogeros ne saurait faire de profit à propos du loyer mais seulement être couverte de son coût ; il est également indiqué que le contrat à établir sur le nouveau local le sera sur les bases du contrat existant de Marly-la-Ville.
Le 9 octobre 2006, la société ITM a dénoncé le contrat visant l'entrepôt de Bruyères et son débord à Bernes-Sur-Oise avec effet au 31 mars 2007.
Compte tenu de leur désaccord sur les comptes, la société Sogeros a fait assigner par acte du 16 février 2007 la société ITM devant le Tribunal de commerce de Paris, qui par jugement du 29 janvier 2008 a:
- condamné la société ITM à payer à la société Sogeros la somme de 597 941,31 euro,
- condamné la société Sogeros à verser à la société ITM la somme de 564 777,07 euro,
- ordonné la compensation entre les deux sommes, la somme à régler par la société ITM à la société Sogeros étant ramenée à la somme de 33 164,24 euro,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement à charge pour la société Sogeros de fournir une caution bancaire couvrant en cas d'exigibilité de leur remboursement éventuel toutes les sommes versées en exécution du jugement avec les intérêts éventuellement courus sur cette somme,
- condamné la société ITM à payer à la société Sogeros la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions récapitulatives du 8 juillet 2008, la société Sogeros, appelante, poursuit l'infirmation du jugement querellé. Estimant être victime d'un abus de position dépendante de la part de la société ITM, elle réclame la condamnation de cette dernière à lui verser, avec intérêts au taux légal, les sommes suivantes :
- 390 451,61 euro représentant la prise en charge des conséquences du licenciement de son personnel directement affecté à l'activité de la société ITM,
- 597 941,31 euro au titre de factures impayées,
- 942 803,79 euro TTC pour le solde des loyers dûs sur le site de Bruyères-sur-Oise,
- 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions récapitulatives du 27 octobre 2008, la société ITM, intimée formant appel incident, requiert la confirmation de la décision entreprise et le rejet des prétentions de la société Sogeros. Elle souhaite l'allocation d'une indemnité de 5 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.
La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant qu'au soutien de ses demandes, la société Sogeros se plaint d'un abus de position dépendante de la part de la société ITM, en invoquant la part importante de son chiffre d'affaires réalisé avec cette cliente (entre 60 à 82 %) ainsi que les modifications unilatérales imposées par cette dernière dans l'exécution du contrat en fonction de ses seuls intérêts économiques;
Mais considérant que par des motifs adoptés par la cour, les premiers juges ont rejeté cet argument; qu'en effet, l'examen des différents contrats ou accords signés entre les parties entre 1998 et 2006 ainsi que de la correspondance échangée entre elles démontrent qu'elles ont, à chaque étape, pu négocier diverses clauses relatives aux surfaces occupées compte tenu des changements d'activité de la société ITM ou aux conditions économiques (budget, facturation etc.. ) ; que les efforts demandés par la société ITM à son partenaire n'ont pas excédé le cadre de bonnes relations commerciales, celle-ci ne justifiant pas avoir fait l'objet de pressions particulières hors du champ de ces relations que tant la part du chiffre d'affaires réalisée avec la société ITM sur le chiffre d'affaires total " prestations de services " et sur le chiffre d'affaires " prestations de services hors prestation intergroupe " de la société Sogeros, qui est passée de 60,14 % en 2003 à 29,87 % en 2006 et de 80,24 % en 2003 à 51,85 % en 2006 et s'est donc considérablement allégée dans le temps, que la circonstance que la société ITM a informé son partenaire de la rupture de leurs relations 9 mois avant l'échéance, justifient de l'absence d'une exploitation abusive par la société ITM d'un état de dépendance économique ; qu'enfin la société Sogeros ne rapporte pas la preuve de son impossibilité de traiter sur le marché avec d'autres partenaires ;
Considérant que la société Sogeros réclame la prise en charge par la société ITM des conséquences du licenciement de son personnel directement affecté à l'activité de la société ITM à concurrence d'une somme de 390 451,61 euro en se prévalant d'un accord de celle-ci;
Mais considérant que cette prise en charge par la société ITM ne figure dans aucune des conventions signées par les parties ; que le mail du 16 juin 2006 aux termes duquel un représentant de la société ITM, après avoir fait part de son intention de prolonger l'activité du site de Bruyères jusqu'à la fin mars 2007 et demandé à la société Sogeros de lui faire une offre tarifaire proche des conditions actuelles, a écrit:
" l'opération se concluant, ITM pourra accompagner Sogeros plus facilement dans sa demande de prise en charge d'une partie des coûts sociaux de fermeture du site à fin mars,
ITM donnera une réponse définitive tel que Sogeros l'a demandé dans son courrier du 31 mai, pour le 15 septembre "
ne saurait être analysé comme un accord ferme et définitif sur le principe d'une indemnisation, dès lors que l'auteur de ce mail a utilisé un verbe conjugué au futur simple, n'a pas précisé la nature de son engagement et n'a jamais donné de réponse définitive ainsi qu'il l'annonçait ; que la société Sogeros n'est donc pas fondée à invoquer une inexécution fautive de son cocontractant, occupant une position dominante, de ses obligations au préjudice d'un prestataire auquel il est demandé une continuité des services ;
Que ce chef de demande ne peut être accueilli ; que le jugement mérite confirmation de ce chef;
Considérant que la société Sogeros réclame également au titre de factures impayées la somme de 597 941,31 euro dont la société ITM dans ses dernières écritures reconnaît être redevable, en se prévalant toutefois d'une compensation de cette somme avec celle qui lui est due par la société Sogeros au titre de dépôts de garantie versés soit une somme de 556 979,34 euro et de factures litigieuses pour un montant de 7 797,73 euro ;
Qu'à juste titre les premiers juges ont ordonné une compensation entre ces créances réciproques des parties conformément aux dispositions de l'article 1289 du Code civil, dès lors que la société ITM a définitivement quitté les lieux et que la société Sogeros n'émet pas de contestation sur la somme de 7 797,73 euro qu'il s'ensuit que la société ITM reste devoir, après compensation, la somme de 33 164,24 euro que le jugement sera confirmé de ce chef;
Considérant qu'enfin la société Sogeros demande la condamnation de la société ITM à lui régler la somme de 942 803,69 euro représentant le solde des loyers dûs sur le site de Bruyères-sur-Oise de septembre ou décembre 2006 au 31 mars 2007 ;
Considérant qu'il résulte du contrat du 15 janvier 1998 qu'il a été mis à la disposition de la société ITM une surface de 20 000 m2 sur le site de Marly-la-Ville en contrepartie d'un loyer annuel de 762 311,32 euro TTC ; qu'à compter du 20 mars 2002, la superficie a été portée à 46 132 m2 , le loyer étant alors fixé à la somme de 2 162 579 euro HT ; que par courrier du 11 mai 2005, la société ITM a demandé de réduire la mise à disposition des surfaces de stockage à 25 000 m2 sur l'entrepôt de Bruyères-sur-Oise, puis le 1er avril 2006 à 18 000 m2 ; qu'il ressort des correspondances échangées entre les parties qu'un accord a été trouvé pour mettre à disposition les superficies laissées libres par la société ITM à d'autres clients de la société Sogeros, "sur le principe du gagnant" ainsi qu'il a été rappelé à la société ITM dans une correspondance adressée le 20 juin 2006 ; qu'ainsi si les surfaces dédiées à la société ITM ont été occupées pendant un certain temps par les sociétés Gifi et Renault, de sorte que la société Sogeros a adressé à la société ITM des " avoirs " correspondant à ces surfaces, il n'en reste pas moins qu'il était convenu dans la lettre d'engagement du 20 mars 2002 que " Sogeros ne saurait faire de profit à propos de son loyer, mais seulement être couverte de son cout "; que dans ces conditions si la société Sogeros ne pouvait percevoir un excédent de loyer, elle n'avait pas pour autant à assumer la perte de loyers lorsqu'elle ne trouvait pas d'autres locataires pour occuper les surfaces mises à disposition de la société ITM;
Que la circonstance que le 6 janvier 2006, la société Sogeros a accepté de réduire le dépôt de garantie au prorata des surfaces utilisées par la société ITM était conforme à leur accord, puisque ces locaux étaient occupés par d'autres clients; qu'il ne peut être tiré de ce fait la preuve du consentement de la société Sogeros à supporter les loyers des surfaces restées libres, en l'absence de toute novation a l'accord du 20 mars 2002;
Que les sociétés Renault et Gifi ayant respectivement quitté les lieux en septembre et en décembre 2006, la société ITM reste redevable des loyers correspondant jusqu'au 31 mars 2007, date du congé donné par elle ; qu'elle doit en conséquence la somme de 942 803,79 euro TTC à la société Sogeros ;
Considérant que l'équité commande en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile d'allouer, en plus de celle allouée à ce titre par le premier juge, à la société Sogeros une indemnité de 6 000 euro ;
Par ces motifs, Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions, à l'exception de celle relative au rejet de la demande de la société Sogeros d'une somme de 942 803,79 euro ; Statuant à nouveau sur ce seul chef de demande, Condamne la société ITM LI à verser à la société Sogeros la somme de 942 803,79 euro TTC, Condamne la société ITM LI à payer à la société Sogeros, en plus de celle allouée à ce titre par les premiers juges, une indemnité de 6 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société ITM LI aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.