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Décisions

Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-67.107

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

JM Weston (SAS)

Défendeur :

Capuce (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Mandel

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez

TGI Paris, du 5 sept. 2007

5 septembre 2007

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, du 1er avril 2009), que, revendiquant la titularité du droit d'auteur, depuis 1946, sur un modèle de chaussure " Mohican " créé par Eugène Blanchard, ainsi que ses droits résultant du dépôt de ce modèle à l'Institut national de la propriété industrielle en 1991, la société JM Weston a agi en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Capuce ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société JM Weston fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle n'établissait pas être titulaire de droits d'auteur sur ce modèle depuis 1946 et d'avoir rejeté l'ensemble de ses demandes, alors, selon le moyen : 1°) que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de l'arrêt que la divulgation du mocassin " pantoufle-Mohican " était bien réalisée, de longue date, sous le nom de la société Weston ; qu'en effet l'arrêt relève notamment qu'un magazine " Adam " de 1949 présentait une photographie de chaussures pour homme sous laquelle figure la légende " De Weston également, ce mocassin Pantoufle en box, Semelle mince ", et que le livre de report du magasin à l'enseigne Weston, 106 boulevard de Courcelles du 1er octobre 1954 indique la référence " Mohican " ; qu'en déboutant la société Weston de son action en contrefaçon dirigée contre la société Capuce, faute pour elle d'avoir établi qu'elle était titulaire des droits d'auteur sur le modèle " Mohican ", quand bénéficiant d'une présomption de titularité de ces droits, il appartenait à la société Capuce d'apporter la preuve contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du Code de la propriété littéraire et artistique ; 2°) qu'en l'espèce, M. Penaud attestait par écrit du 25 septembre 2008 de ce que lorsqu'il avait été embauché en 1957 en qualité de responsable de l'atelier broche par la manufacture de chaussures Weston, tous les salariés et tous les contremaîtres avec lesquels il avait travaillé lui avaient alors témoigné de ce que M. Blanchard avait conçu le modèle successivement baptisé " pantoufle, 1800, 180 et Mohican ", dont la commercialisation avait fait le succès des manufactures Weston ; qu'en affirmant que M. Penaud n'attestait d'aucun fait qu'il ait eu à constater par lui-même, quand il rapportait des propos dont il avait été personnellement témoin, la cour d'appel a violé le principe général du droit selon lequel les juges ne peuvent dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; 3°) qu'il résulte des documents notariés produits, et notamment de l'attestation du notaire Bosgiraud (produite en pièce n° 47) que la société de famille à responsabilité E. Blanchard et compagnie avait été créée le 7 mars 1950 et ne s'était transformée, après le décès d'Eugène Blanchard, que le 1er juin 1956 en société anonyme sous la dénomination de " Anciens Etablissements E. Blanchard et compagnie " ; qu'en affirmant néanmoins qu'il résultait d'éléments versés aux débats que la dénomination " établissements Blanchard " n'apparaît qu'en 1956 après la mort d'Eugène Blanchard et la constitution par ses héritiers de la société Etablissements Blanchard et compagnie, la cour d'appel a violé le principe général du droit selon lequel les juges ne peuvent dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; 4°) que les juges sont tenus d'analyser les pièces produites par les parties au soutien de leurs conclusions ; qu'en l'espèce, en pièces 46, la société Weston produisait l'attestation du notaire Me Normand certifiant avoir reçu le 28 juin 1974 l'acte constatant la réduction du capital par voie d'attribution en nature au profit de la société française de chaussures (Weston), ayant attribué à cette dernière " l'ensemble de l'établissement industriel de manufacture de chaussures exploité à Limoges rue Emile Zola par la société Chaussures Unic, Usines Fenestrier ", et tous les éléments incorporels y attachés ; qu'en se contentant d'affirmer que le procès-verbal du 28 juin 1974 portait sur l'attribution de biens immobiliers situés à Limoges ou de biens mobiliers, à savoir un fonds de commerce et trois marques " Weston ", mais ne mentionnait aucun droits d'auteur, sans examiner l'attestation notariale produite en cause d'appel qui établissait le contraire, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la présomption selon laquelle, en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation d'une œuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'œuvre, qu'elle soit collective ou non, du droit de propriété incorporelle de l'auteur, suppose que la preuve de cette exploitation soit rapportée ; que l'arrêt retient à cet égard que le livre de report concerne le fonds de commerce sis 98 boulevard de Courcelles à Paris à l'enseigne JM Weston, dont il apparaît qu'il est exploité par la société Française de chaussures Weston, créée en 1932, et non par les établissements Blanchard au sein desquels aurait été créé le modèle en cause ; qu'il relève encore que l'ouvrage édité aux Editions La Sirène fait état de la reprise par Eugène Blanchard en 1919 de la manufacture Chatenet et non des Etablissements Blanchard, et que ce même ouvrage est sans intérêt dans le présent litige quand il fait état du succès de la marque " Weston ", dont il apparaît qu'elle a été déposée en 1922 par Jean Viard pour désigner des chaussures ; qu'il en conclut justement que la preuve de l'exploitation de ce modèle par la société Etablissements Blanchard et compagnie, aux droits de laquelle viendrait la société JM Weston n'est pas rapportée ;

Attendu, d'autre part, que M. Penaud attestant que lorsqu'il avait été embauché en 1957 en qualité de responsable de l'atelier " brochure " par la manufacture Weston, tous les salariés et tous les contremaîtres avec lesquels il avait travaillé lui avaient alors témoigné de ce que M. Blanchard avait conçu le modèle successivement baptisé " pantoufle 1800, 180 et Mohican ", dont la commercialisation avait fait le succès des manufactures Weston, la cour d'appel n'a nullement dénaturé ce document en constatant que " son auteur n'attestait d'aucun fait qu'il ait eu à constater par lui-même ", dès lors que le fait dont la preuve faisait débat tenait à la création personnelle du modèle par Eugène Blanchard ;

Attendu, enfin, qu'en retenant qu'un ouvrage fait état de la reprise par Eugène Blanchard en 1919 de la manufacture Chatenet et non des Etablissements Blanchard, dénomination qui, selon d'autres éléments versés aux débats n'apparaît qu'en 1956 après la mort d'Eugène Blanchard avec la constitution par ses héritiers de la société Etablissements Blanchard, la cour d'appel a, hors toute dénaturation, évalué la valeur probante des éléments qui lui étaient soumis ;

Et attendu, enfin, que l'arrêt retenant qu'il n'y a pas lieu d'examiner la chaîne des droits, faute de preuve de création du modèle par Eugène Blanchard, le moyen s'attaque à un motif surabondant ; d'où il suit qu'inopérant en sa dernière branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable en la cause ; - Attendu que pour annuler le modèle déposé par la société JM Weston sous le n° 910560 le 29 janvier 1991 et rejeter l'action en contrefaçon fondée sur ce dépôt, l'arrêt retient par motifs propres et adoptés que le modèle de chaussure photographié en page 56 de l'ouvrage de Jean-Jacques Ficat, " L'art de bien se chausser ", créé en 1936 par l'américain Georges Bass constitue une antériorité destructrice de la nouveauté du modèle de la société JM Weston ;

Attendu qu'en se déterminant au vu de cette publication dont elle ne précise pas la date, et qui ne donne pas date certaine à l'antériorité retenue, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a annulé le modèle déposé le 29 janvier 1991 sous le n° 910560, relatif au mocassin " Mohican " et en ce qu'il a rejeté l'action en contrefaçon, en tant que fondée sur les droits issus de ce dépôt, l'arrêt rendu le 1er avril 2009, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.