CA Paris, 5e ch. A, 22 février 2006, n° 04-08746
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
MGC International (SA)
Défendeur :
Sogeci (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffaukt-Silk
Conseillers :
MM. Roche, Byk
Avoués :
SCP Taze-Bernard-Broquet, SCP Naboudet-Hatet
Avocats :
Mes Barbaud, Charpentier Oltramare, Maranhas-Guitton
Les sociétés Sogeci, qui fabrique des produits cosmétiques, et MGC International, qui en distribue, sont entrées en relation d'affaires à partir d'avril 1998.
Considérant qu'aux termes des accords conclus entre les parties, il lui avait été octroyé un droit de distribution exclusif des laits éclaircissants Mayebô et Roxance X18 et estimant qu'il avait été contrevenu par Sogeci à ce droit, MGC assignait, par acte du 23 décembre 2002 Sogeci devant le Tribunal de commerce de Paris pour manquement aux obligations contractuelles.
Par jugement du 2 avril 2004, cette juridiction la déboutait de sa demande et, recevant les demandes reconventionnelles de Sogeci, condamnait MGC à lui verser 70 000 euro pour détournement de clientèle, 20 000 euro pour atteinte à l'image, 40 000 euro pour perte de capacités concurrentielles, 1 500 euro pour procédure abusive et 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, avec exécution provisoire.
Par déclaration du 28 avril 2004, MGC International a fait appel de cette décision et conclut, le 29 décembre 2005, à l'infirmation de la décision entreprise et à la condamnation de l'intimée à lui payer 383 550 euro au titre de la perte de gain pour la période allant du 1er avril 1998 au 7 août 2002, outre 5 euro par produit vendu à compter du 8 août 2002 et 45 000 euro au titre du préjudice commercial et moral et de la résistance abusive, étant au surplus sollicitée la cessation, sous astreinte de 2 000 euro par jour de retard, de toute vente directe des produits en exclusivité, les clients devant être informés d'avoir à passer leurs commandes auprès de MGC ; 8 000 euro sont réclamés au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que la levée du séquestre ordonné le 4 juin 2004 par le juge des référés, l'intimée devant supporter la charge des honoraires y afférents.
Sogeci sollicite par conclusions du 14 décembre 2005 et du 10 janvier 2006 la confirmation dans le principe et l'infirmation quant au quantum, 150 000 euro étant réclamés à MGC au titre du détournement de clientèle et de la perte de bénéfices en résultant, 100 000 euro pour atteinte à l'image, 100 000 euro pour perte de capacités concurrentielles, 10 000 euro au titre de la procédure abusive et la même somme sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce,
Sur la demande de rejet des conclusions de Sogeci en date du 10 janvier 2006
Par conclusions du 13 janvier, MGC sollicite un tel rejet au motif que déposées le jour de la clôture et contenant une pièce nouvelle, il ne lui a pas été possible de conclure sur ladite pièce ;
Considérant qu'il résulte en effet de l'état et de la chronologie de la procédure que l'intimée, sans modifier ses demandes, a dans des conclusions déposées le jour de la clôture, produit une pièce n° 61 nouvelle, qu'à son égard le principe du contradictoire n'a donc pu être respecté et qu'il convient d'ordonner le rejet de cette pièce des débats, cette décision n'affectant pas, par ailleurs, les conclusions du 10 janvier dès lors qu'elles portent sur des demandes et moyens de droit identiques à ceux contenus dans les précédentes conclusions;
Considérant en conséquence qu'il convient de déclarer partiellement bien fondées les conclusions de procédure de MGC et d'ordonner le rejet des débats de la pièce n° 61 soumise par Sogeci;
Sur la nature et la portée des relations contractuelles
Considérant que pour fonder son appel, MGC estime qu'elle bénéficiait selon les termes d'un contrat du 1er avril 1998, conclu pour un an et renouvelable automatiquement par période de 3 ans, de l'exclusivité de la distribution des produits Mayebô et Roxance X18 et que dès janvier 1999 Sogeci a violé ses obligations contractuelles en ne la faisant pas figurer comme distributeur exclusif sur les publicités et en confiant à des tiers la distribution exclusive desdits produits sur le territoire de MGC et sans son autorisation ;
Considérant qu'en réponse à ces arguments, Sogeci conteste que les relations contractuelles entre les parties aient été fondées sur une clause d'exclusivité au profit de MGC, Sogeci déniant toute valeur contractuelle au document du 1er avril 1998 contenant une telle clause (articles 1 et 2);
Considérant qu'il résulte des pièces au débat que ledit document, contenant des clauses identiques, dont les articles 1 et 2, y figure sous deux versions, l'une, la pièce n° 1 produite par Sogeci, et intitulée "projet de convention de concession" étant un original signé exclusivement par MGC et la pièce n° 1 produite par MGC (cote 14) étant la copie du premier avec comme différences la rature paraphée des mots "projet de" et la signature pour ordre, contestée par l'intimée, de Joseph Noudjou, gérant de Sogeci;
Considérant que si le premier de ces documents ne saurait valoir en tant que tel contrat, le second, qui ne lui est pas substantiellement différent, prend bien la forme et l'apparence d'un contrat valide, que ces caractères ne sauraient être démentis par les protestations de Sogeci s'agissant de la validité de la signature de son gérant, Sogeci n'ayant déposé aucune plainte ni sollicité à cet égard de mesure d'instruction;
Considérant qu'au surplus il ne résulte nullement des dispositions de l'article L. 441-6 du Code de commerce, qui crée une obligation à l'égard des producteurs (Sogeci en l'espèce) vis-à-vis de leurs acheteurs de leur fournir les conditions de vente, prix et conditions de règlement, une obligation de recourir à l'écrit pour définir l'ensemble de leurs relations contractuelles, qu'en l'espèce une liste de prix figure d'ailleurs en annexe 1 du contrat;
Considérant qu'en revanche il résulte des échanges pré-contractuels que c'est Sogeci qui a adressé à MGC le projet de convention le 17 mars 1998 (lettre de Sogeci du 19 mars 1998), comme le confirme d'ailleurs le fait que les documents soumis à analyse sont rédigés sur papier à en-tête de Sogeci;
Considérant qu'en réponse à cet envoi MGC écrit (télécopie du 19 mars 1998) qu'elle "souhaite que ... Sogeci s'engage à faire paraître une publicité concernant chacune des marques mensuellement dans le magazine Amina en page quadri mentionnant le nom et l'adresse de MGC international comme distributeur exclusif';
Considérant que M. J. Noudjou, gérant de Sogeci fait aussitôt connaître (lettre précitée du 19 mars 1998), son "accord pour mentionner dans la convention les éléments concernant la parution dans Amina de la publicité";
Considérant que le même courrier précise, s'agissant des articles 1 et 2 du projet concernant les produits en distribution exclusive et les territoires concernés : "sur les articles 1 et 2 nous ne trouvons rien à redire et sommes prêts à apporter les modifications souhaitées par vous";
Considérant que le 28 mars 2004, Sogeci soucieuse d'une conclusion rapide du contrat (cf. les termes de la lettre du 19 mars précitée : " nous souhaitons que vous nous indiquiez rapidement si nous pouvons engager ces modifications de sorte à vous envoyer le plus rapidement possible l'original de la convention dûment signé par nous ") adressait à MGC une télécopie la pressant de confirmer son accord à la mention devant faire figurer MGC comme "distributeur exclusif sur la France et autres pays" sur les publicités à paraître dans Amina et Black Beauty;
Considérant qu'enfin Sogeci adressait le 31 mars 1998 à MGC "le nouveau projet de convention modifié suivant vos préoccupations", projet en tous points conforme au contrat du 1er avril portant la signature des parties (pièce n° 1 MGC);
Considérant en conséquence qu'il résulte tant des termes du contrat signé par les parties le 1er avril 1998 que de leur intention réciproque résultant des négociations précontractuelles que Sogeci a conféré à MGC pour les territoires visés à l'article 2 du contrat une exclusivité de distribution des produits mentionnés à l'article 1er;
Sur la durée de la convention et la rupture des relations
Considérant que Sogeci invoque les dispositions de l'article 4 qui prévoit, à l'issue d'un an, qu'" une réunion bipartite devra fixer les objectifs chiffrés en termes de ventes et de couverture des marchés " pour estimer que faute d'un tel accord, le contrat n'a pu se poursuivre au-delà d'un an ;
Considérant que MGC s'appuie sur les dispositions finales de l'article 4 qui énoncent qu' "à l'issue de cette période de un an le contrat sera renouvelé automatiquement par période de trois ans" pour conclure, au contraire, à la poursuite des relations contractuelles et de son statut de distributeur exclusif ;
Considérant que l'article 4 des dispositions contractuelles, qui s'intitule "quotas, durée", se lit ainsi :
"Aucun quota d'achat n'est exigible avant un délai de un an. Délai au terme duquel une réunion bipartite devra fixer des objectifs chiffrés en termes de volume de ventes et de couverture des marchés. Cependant MGC international devra fournir les efforts nécessaires pour promouvoir et développer dès à présent les produits Mayebô et Rosance sur les marchés qui lui sont cédés. A l'issue de cette période de 1 an le contrat sera renouvelé automatiquement par période de 3 ans";
Considérant qu'il ne saurait être déduit de cette rédaction, sans en dénaturer le sens, que le renouvellement ne pourrait avoir lieu qu'à l'issue de la négociation bipartite et qu'à défaut ou en cas d'échec d'une telle négociation, le contrat ne serait pas renouvelé;
Considérant que le défaut de sanction explicite de l'absence ou de l'échec des négociations prévues à l'article 4 ne saurait ainsi avoir de conséquence sur la volonté contractuelle explicite de prévoir à l'issue de la période originelle d'un an du contrat un renouvellement automatique par période de 3 ans;
Considérant, au surplus, qu'il résulte d'un échange de lettres (du 2 avril 1999 pour MGC et du 7 avril pour Sogeci) que les parties tout en continuant leurs relations (des publicités mentionnant MGC comme distributeur ont été faites par Sogeci au-delà du délai d'un an) sont convenues d'une date de réunion bipartite au 5 mai 1999, soit postérieurement à l'expiration du délai d'un an;
Considérant que le mécanisme de prorogation indéfinie ci-dessus rappelé ne pouvait avoir pour conséquence que la transformation du contrat, à l'issue d'une année en contrat à durée indéterminée, rendant possible, pour chaque partie, la possibilité d'y mettre fin à tout moment sous réserve d'un préavis raisonnable;
Considérant qu'il n'est nullement rapporté la preuve qu'à l'issue de cette réunion il aurait été mis fin au contrat, aucun compte-rendu de la réunion ne figurant aux débats;
Considérant que la rupture des relations contractuelles est, au contraire, intervenue lorsque Sogeci a confié à partir du 13 avril 2000 (contrat avec la société Gapardis) à d'autres sociétés la distribution des produits concernés pour les marchés sur lesquels MGC avait la qualité de distributeur exclusif;
Considérant qu'intervenue dans de telles conditions, cette rupture doit être considérée comme brutale, que Sogeci ne saurait arguer pour la justifier "des conditions déséquilibrées du contrat" dès lors que n'étant pas démontrée l'existence d'obligations purement potestatives au profit de MGC, le contrat doit s'exécuter comme la loi des parties;
Sur l'indemnisation du préjudice de MGC
Considérant que pour justifier sa demande MGC fait valoir qu'elle est en droit de solliciter 333 526,39 euro correspondant au chiffre sur les ventes réalisées en direct par Sogeci, jusqu'au 7 août 2002;
Considérant qu'il y a lieu, en effet, de retenir comme élément constitutif du préjudice la perte de bénéfices subie par MGC du fait des ventes directes relevées par constat d'huissier le 7 août 2002 et concernant la période contractuelle;
Considérant que pour établir son préjudice de ce chef, MGC fournit un tableau (pièce 11) alignant par produits et années les sommes réclamées en fonction d'une marge comptable à chaque fois différente;
Considérant qu'au vu de ce document, non étayé de pièces comptables, la cour n'est pas en mesure de fixer le quantum de ce chef de préjudice;
Considérant, en conséquence, qu'il convient de commettre à cette fin un expert-comptable avec mission de vérifier la liste des ventes concernées, à partir du constat d'huissier, et de déterminer la perte de bénéfices au vu du tarif figurant en annexe du contrat du 1er avril 1998 ainsi que des pièces comptables et autres documents produits par MGC concernant sa marge;
Considérant que MGC sollicite en outre une somme de 5 euro par nouvelle infraction constatée à partir du 8 août;
Mais considérant que la cour a estimé que les relations contractuelles avaient cessé au 7 août 2002 du fait de la rupture brutale imposée par Sogeci à son cocontractant, que de ce fait MGC ne saurait solliciter au-delà de cette date la condamnation de Sogeci pour de nouvelles infractions aux dispositions d'un contrat résilié;
Considérant que, pour les mêmes raisons, la demande de MGC sollicitant qu'il soit enjoint à Sogeci de cesser toute vente directe et d'informer ses clients de l'obligation de passer par MGC, sous astreinte de 2 000 euro par jour de retard, doit être rejetée dès lors que les relations contractuelles ont cessé le 7 août 2002;
Considérant que MGC sollicite, en outre, une somme de 45 000 euro au titre de préjudice commercial et moral ainsi que de la résistance abusive;
Considérant qu'au vu du caractère brutal de la rupture intervenue du fait de Sogeci en août 2000 après plus de deux années contractuelles, rupture qui aurait dû conduire MGC à bénéficier d'un préavis raisonnable de 6 mois, et au vu du chiffre d'affaires sur les produits en exclusivité pendant la période contractuelle (120 000 euro), il y a lieu de faire droit à cette demande à hauteur de 30 000 euro;
Considérant que la responsabilité de Sogeci étant ainsi reconnue, il y a également lieu de prononcer la main-levée du séquestre ordonné le 4 juin 2004 et de condamner Sogeci à en payer les frais;
Sur les demandes de Sogeci
Considérant que la cour ayant reconnu la responsabilité de Sogeci dans la rupture brutale des relations contractuelles le 7 août 2000, il ne saurait être fait droit aux demandes de celle-ci à voir condamner l'appelante pour des actes de détournement de clientèle, d'atteinte à l'image, de perte des capacités concurrentielles et de procédure abusive, la réalité de ces allégations étant démentie par la relation des faits telle que reprise par les motifs du présent arrêt;
Sur les frais irrépétibles,
Considérant que l'équité commande de condamner en outre, Sogeci à payer 7 000 euro à MGC au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Ecarte des débats la pièce n° 61 produite par Sogeci, Infirme le jugement entrepris et déboute la société Sogeci de ses demandes, Condamne la société Sogeci à indemniser la société MGC des pertes de bénéfices résultant des ventes directes sur les produits et le territoire concédés pendant la période contractuelle, Commet Madame Marie-Paule Degeilh, expert-comptable inscrit sur la liste de la Cour d'appel de Paris, domiciliée 41, avenue de Friedland à Paris 8e (Tél. 01 42 89 28 66), avec pour mission, connaissance prise de la procédure et au vu de l'état du constat d'huissier du 7 août 2000 et des pièces comptables et documents à produire par MGC sur sa marge ainsi que de l'annexe contractuelle relative aux prix, d'évaluer le préjudice subi par MGC, Dit que MGC devra consigner au greffe de la cour une provision de 5 000 euro à valoir sur les frais d'expertise, dans un délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt, Dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de 6 mois à compter du jour où il sera avisé par le greffe de la consignation de la provision, Dit qu'à défaut de consignation dans ce délai la désignation de l'expert sera caduque en application de l'article 271 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Sogeci à payer à la société MGC 30 000 euro de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale des relations contractuelles, outre 7 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Prononce la main-levée du séquestre ordonné le 4 juin 2004, les frais étant à la charge de Sogeci, Déboute MGC de sa demande de paiement de 5 euro par infraction constatée en violation des obligations contractuelles au-delà du 8 août 2000, La déboute de sa demande visant à enjoindre à Sogeci, sous astreinte de 2 000 euro par jour de retard, de cesser toute vente directe et d'informer ses clients de l'obligation de contracter avec MGC, Réserve les dépens.