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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 octobre 2010, n° 10/10306

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Activa Capital Fund FCPR (SAS), Logitrade (SAS)

Défendeur :

François

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fèvre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Bommart-Forster-Fromantin

Avocats :

Mes Brun, Mercade-Choquet

T. com. Paris, du 8 avr. 2010

8 avril 2010

LA COUR,

Vu le jugement du 8 avril 2010 du Tribunal de commerce de Paris qui, dans un litige entre M. Thierry François d'une part, les SAS Logitrade et Activa Capital Fund d'autre part, dont M. François est ancien actionnaire, et ancien salarié de Logitrade, relatif à une clause de non-concurrence contenue dans l'acte de cession des actions détenues par M. François, a dit que ce dernier n'était pas tenu par une clause de non-concurrence, l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts et de publication du jugement, lui a accordé 5 000 euro de dommages-intérêts et débouté les SAS Logitrade et Activa Capital Fund FCPR de l'ensemble de leurs demandes;

Vu l'appel des sociétés Logitrade et Activa Capital Fund FCPR;

Vu la requête, reçue à la cour le 7 juillet 2010, de M. Thierry François, intimé, afin d'être autorisé à plaider à jour fixe, l'ordonnance y faisant droit, l'assignation pour plaider à jour fixe;

Vu les conclusions du 21 septembre 2010, reçues à la cour le 22 septembre, des sociétés Logitrade et Activa Capital Fund qui demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. Thierry François ; l'infirmer pour le surplus ; débouter M. François de toutes ses demandes ; le condamner à leur payer à chacune 50 000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive et 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les demandes de M. Thierry François formulées dans la requête et l'assignation précitées, tendant à faire juger que la société Logitrade n'a pas qualité pour se prévaloir des termes du contrat de cession d'actions conclu le 15 avril 2009 entre lui-même et la société Activa Capital Fund et plus particulièrement de la clause de non-concurrence insérée à son article 6.1 ; dire cette clause illicite, nulle et à lui non opposable, confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré cette clause non applicable à M. François; l'infirmer en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts ; condamner " conjointement et solidairement " les sociétés Logitrade et Activa Capital Fund à lui payer 350 000 euro de dommages-intérêts ; ordonner la publication de l'arrêt dans le journal Les Echos ; débouter les appelantes de leurs demandes ; les condamner à lui payer 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant que M. François a été salarié en qualité de directeur commercial de Logitrade de novembre 2006 à décembre 2008, date à laquelle il a été licencié, ce qui a donné lieu à un litige prud'homal qui s'est terminé par une transaction; que le contrat de travail ne comportait pas de clause de non-concurrence ; que toutefois, parallèlement à sa qualité de salarié, M. François a été pendant quelques mois membre du directoire de Logitrade et donc dirigeant, a acquis des actions d'Activa et conclu en ces qualités un pacte d'actionnaires comportant une clause de non-concurrence et une promesse de vente des actions, lorsque M. François cesserait ses fonctions au sein de Logitrade; que cette promesse de vente a été réitérée dans la transaction et que la cession a été effectuée le 15 avril 2009, l'acte de cession reproduisant la clause de non-concurrence du pacte d'actionnaires conclu le 28 juin 2007, époque à laquelle M. François était " dirigeant " ;

Considérant que l'acte de cession d'actions a été conclu entre Activa et M. François; que Logitrade n'y est pas partie ; que toutefois, c'est à juste titre qu'elle fait valoir qu'elle est recevable à s'en prévaloir notamment de la clause de non-concurrence y inclue, si la violation de celle-ci est constitutive d'une faute qui lui a causé un préjudice ; qu'en outre, elle en est bénéficiaire et a donc intérêt à l'invoquer;

Considérant que la clause litigieuse, qui se borne à reproduire celle du pacte conclu en 2007 est de rédaction défectueuse, commençant par " Les dirigeants (en ce compris notamment M. Thierry François), s'engagent pendant toute la durée du pacte à ne pas exercer... " alors que M. François n'avait plus la qualité de dirigeant le 15 avril 2009, date à laquelle la clause a été souscrite ; mais qu'en application des articles 1156 et suivants, notamment 1157 du Code civil, la cour doit rechercher la volonté des parties et donner un sens aux clauses des contrats ; qu'il est exclu qu'une clause de non-concurrence ait été inclue dans l'acte de cession alors qu'elle aurait été sans objet et n'aurait eu aucun effet ; que c'est M. François qui est visé par cette clause en la qualité qu'il avait lors de sa conclusion ; que sinon, elle ne pouvait avoir aucun effet; que le seul fait de reproduire la clause figurant au pacte d'actionnaires au lieu de la réécrire en l'adaptant à la situation résultant du fait que M. Francois est ancien dirigeant et cesse d'adhérer au pacte en raison de la cession de ses titres est une simple maladresse de rédaction dont on ne saurait déduire l'inexistence de la clause ou son inopposabilité à M. François, l'intention d'Activa étant clairement de maintenir l'obligation de non-concurrence pendant toute la durée du pacte anciennement conclu, même après que M. François ait cessé d'y être partie;

Mais considérant que la durée de ce pacte conclu en juin 2007 était de 10 ans ; que la clause litigieuse imposant une obligation de non-concurrence pendant toute la durée du pacte avait donc une durée de plus de 8 ans à compter d'avril 2009 ; que cette durée est supérieure à tout ce qui est admis en termes de durée raisonnable en matière de clause de non-concurrence; qu'aucune circonstance ne justifie en l'espèce le maintien d'une obligation pour une aussi longue durée ;

Considérant en outre que le territoire concerné, " à savoir l'Europe Continentale " est exagérément étendu et en outre non précisément défini ; que cette étendue et cette imprécision portent atteinte à la liberté de travailler et d'entreprendre;

Considérant que l'objet de l'interdiction " exercer ou entreprendre, directement ou indirectement, pour leur propre compte ou pour le compte d'un tiers une activité à savoir l'activité d'externalisation et de gestion des achats et approvisionnements non stratégiques, concurrente de celle de Logitrade " est lui-même très vaste et imprécis, notamment en raison de l'utilisation des termes " gestion des achats ", même si les appelantes l'interprètent restrictivement dans leurs conclusions ; qu'en outre la raison pour laquelle une prohibition originellement liée à la qualité d'actionnaire devrait être maintenue postérieurement à la perte de celle-ci n'est pas clairement identifiable ; que dès lors il n'est pas établi que la clause de non-concurrence protège un intérêt légitime ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la clause de non-concurrence litigieuse figurant dans l'acte de cession du 15 avril 2009 est nulle à un triple titre ;

Considérant que l'insertion d'une telle clause constitue une faute de la part d'Activa ; qu'il en est résulté nécessairement pour M. François des entraves à son activité ; qu'il produit une lettre du 4 juin 2010 de " Odgers Berntson " dont le signataire déclare " nous sommes dans l'obligation d'informer nos clients de l'existence d'une clause de non-concurrence... celle qui nous lie aujourd'hui est un obstacle majeur et nous empêche pour l'instant de recommander votre candidature pour une fonction dans le domaine des achats... nous serions ravis dès que cette clause pourra être levée de pouvoir considérer votre profil pour des postes de direction Achat ou Supply Chain " ; qu'ainsi, du fait de la clause de non-concurrence, M. François a perdu une chance de retrouver rapidement une activité générant une rémunération du même niveau que celle qu'il avait antérieurement, à la fin de son activité dans le groupe Logitrade; que la cour évalue à 6 000 euro le montant du préjudice en résultant ;

Considérant que l'utilité de la publication du présent arrêt n'est pas démontrée ; que la cour ne fera pas droit à la demande de ce chef;

Considérant qu'il est équitable d'accorder à M. François 5 000 euro pour ses frais irrépétibles d'appel, qui s'ajoutent à ceux accordés par le tribunal, la cour confirmant le jugement sur ce point;

Considérant que la fonction de la cour étant de trancher les litiges, les demandes de " donné acte " présentées par les appelantes sont sans objet ;

Par ces motifs, Infirmant partiellement le jugement entrepris, Dit nulle la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de cession d'actions conclu le 15 avril 2009 entre la société Activa Capital Fund FCPR et M. Thierry François. Condamne la société Activa Capital Fund FCPR à payer à Thierry François la somme de 6 000 euro de dommages-intérêts. La condamne en outre in solidum avec la société Logitrade à payer à M. Thierry François la somme supplémentaire de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.