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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 9 juillet 2010, n° 10-12649

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mulmann dite de Fontenay, Association Comité Miss France

Défendeur :

Miss France (SAS), Endemol Développement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulon

Conseillers :

Mmes Martinez, Roine

Avoués :

SCP Fanet-Serra, SCP Monin d'Auriac de Brons

Avocats :

Me Bonnault-Daly, Bouretz

CA Paris n° 10-12649

9 juillet 2010

Faits constants :

1- Le Comité Miss France, Miss Europe, Miss Univers, association de la loi de 1901 - l'association - a été déclarée le 15 octobre 1954 pour Monsieur Louis Poirot de Fontenay:

2 - L'association a notamment pour objet : " la défense matérielle et morale des jeunes filles élues aux différents titres ".

3 - Madame Geneviève Mulmann domiciliée dans le ressort territorial de Nanterre (ayant pris le pseudonyme " de Fontenay ") a après le décès du fondateur dont elle était la " compagne " pris la présidence de cette association.

4 - Le 23 mai 1986 Geneviève de Fontenay déposait la marque " Miss France " à l'INPI.

5 - En 1992, Monsieur Xavier Poirit de Fontenay (fils du fondateur) et sa mère Geneviève de Fontenay ont constitué la SARL Miss France dont l'activité consistait à organiser l'élection nationale de Miss France et sa retransmission en direct à la télévision.

6 - Un protocole d'accord du 6 février 2002 signé par la SARL Miss France et l'association confiait à cette dernière la supervision des directions des " miss régionales ".

7 - Un article 2.4 prévoyait :

" La société Miss France s'engage à ce que l'élection de Miss France soit organisée avec le plus grand sérieux et dans le respect des règles de moralité qui ont toujours présidé à cette élection ".

8 - Le 8 février 2002 Geneviève de Fontenay cédait à la SARL Miss France la propriété de la marque " Miss France ".

9 - Le 9 février 2002 la SARL Miss France concédait à titre onéreux à l'association le droit à cette marque.

10 - Le 27 février 2002 Geneviève de Fontenay et son fils cédaient à la SAS Endemol Développement (Endemol) l'intégralité de leurs titres dans la SARL Miss France.

11 - Ce document rédigé en anglais et intitulé " share purchase agreement " comporte un article 6.4 stipulant que tous les vendeurs acceptent être liés par l'engagement de non-concurrence stipulé à l'article 2 du " management agreement ".

12 - Le " management agreement " du 27 février 2002 comporte un article 2 intitulé " engagement de non-concurrence " prévoyant :

- le champ d'application à l'article 2.1 et à l'article 2.3

13 - la durée de cet engagement à l'article 2 - 2.1

14 - Le 22 mai 2006 le protocole signé le 6 février 2002 (§ 6) était renouvelé.

15 - Par lettre du 13 février 2010 adressée à la SARL Miss France, Geneviève de Fontenay indiquait :

" C'est en qualité de directrice salariée que je considère qu'en agissant comme vous l'avez fait... vous avez gravement manqué de loyauté à mon égard et m'avez mise dans l'impossibilité de poursuivre ma mission dans le respect des valeurs qui ont toujours été les miennes ", et précisait qu'elle entendait effectuer son préavis de 3 mois.

16 - Le 7 avril 2010, la SARL Miss France prenait acte de la démission de Geneviève de Fontenay.

17 - Le 19 avril 2010, la SARL résiliait :

- le protocole visé aux § 6, 7, 14

- la concession de marque (§ 9)

18 - le 27 avril 2010, Geneviève de Fontenay saisissait le Conseil de prud'hommes de Paris de demandes :

- indemnitaires afférentes à la rupture du contrat de travail

- tendant à la nullité de la clause de non-concurrence (§ 11, 12 et 13).

19 - Le 27 mai 2010, la SARL Miss France et Endemol assignaient Geneviève de Fontenay et l'association devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris.

20 - Par ordonnance contradictoire entreprise du 15 juin 2010 ce juge :

- disait les demanderesses mal fondées en leur exception d'incompétence tendant à la compétence territoriale du Tribunal de grande instance de Nanterre

21- ordonnait à Geneviève de Fontenay et à l'association de cesser tout acte susceptible de constituer des actes de dénigrement direct ou indirect, quel qu'en soit le support ou en présence de tiers à l'encontre de la SARL Miss France et d'Endemol et de son groupe et ce sous astreinte

22 - lui ordonnait de cesser d'entreprendre tout acte de quelque nature que ce soit en vue d'organiser une élection concurrente à l'élection de Miss France 2011 sous astreinte

23 - disait n'y avoir lieu à ordonner des mesures de publication

24 - condamnait l'Association et Geneviève de Fontenay à payer à chacune des sociétés Miss France et Endemol 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'Association et Geneviève de Fontenay interjetaient appel le 18 juin 2010.

25 - Par ordonnance du 25 juin 2010, le Premier Président de cette juridiction autorisait une assignation pour l'audience du 5 juillet 2010.

Prétentions et moyens des appelants

26 - Par assignation du 28 juin 2010, les appelants :

- invoquent la nullité de l'ordonnance pour violation du principe fondamental de la publicité du prononcé de la décision, celle-ci ayant été obtenue par l'intimée avant la date prévue de mise à disposition au greffe

- invoquent la compétence d'attribution du juge du tribunal de commerce au profit de celui du tribunal de grande instance puisque :

* ni Geneviève de Fontenay (assignée à titre personnel) ni l'association ne sont commerçantes

* l'exercice de la liberté d'expression relève de la loi du 29 juillet 1881 donc du tribunal de grande instance

* les abus de liberté d'expression, - ici la diffamation -, ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil

* les propos litigieux ne relèvent pas de l'article 1382 du Code civil

27 - Les appelantes, tirant les conséquences de la nécessaire requalification des faits en diffamation en déduisent :

- que l'ordonnance doit être annulée puisque n'a pas été respecté l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, non plus que l'article 55

- que le non-respect du délai de 10 jours ne pouvant être couvert prive l'appel de l'effet dévolutif

28 - Elles ajoutent à titre subsidiaire :

* qu'il n'y a pas trouble manifestement illicite :

- en l'absence de propos péjoratifs et de dénigrement

29 - alors que la clause de non-concurrence est elle-même illicite n'étant ni limitée dans le temps et l'espace, ni proportionnée à l'objet de la convention et étant potestative.

30 - qu'il n'y a pas dommage imminent

31 - Elles demandent :

* l'infirmation de l'ordonnance

* de dire compétent le Tribunal de grande Instance de Nanterre

* de prononcer la nullité de l'assignation introductive d'instance

* à titre subsidiaire de dire n'y avoir lieu à référé

* à chaque SAS 50 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ces parties entendent bénéficier des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile

32 - Prétentions et moyens de la SAS Miss France et de la SAS Endemol Développement

Par dernières conclusions du 2 juillet 2010 auxquelles il convient de se reporter, les SAS soutiennent :

- qu'il est inexact de prétendre qu'elles ont pu obtenir l'ordonnance du premier juge avant l'heure prévue par celui-ci

- que le protocole d'accord du 22 mai 2010 (§ 14) prévoit une clause attributive de juridiction au profit des Tribunaux de Paris

- que Geneviève de Fontenay qui exerce des actes de commerce a été attraite en qualité d'ancien directeur général délégué de la société Miss France et que sa mise en cause relève des tribunaux de commerce.

- que l'association " dont l'activité est commerciale relève de la seule compétence du tribunal de commerce ".

33 - que les propos reprochés à Geneviève de Fontenay visent leurs prestations fournies en vue de l'élection, dans " le prolongement et au soutien de la violation de la clause de non-concurrence "

34 - que lesdits propos caractérisent à l'évidence un dénigrement pour conclure au rejet des exceptions de procédure

35 - Elles ajoutent :

- que les propos tenus constituent un trouble manifestement illicite

36 - qu'un dommage imminent est établi

- que tous ces actes justifient " la compétence " du juge des référés

37 - que la clause de non-concurrence de Geneviève de Fontenay est claire et précise

38 - que le juge des référés peut dans l'attente de l'interprétation de la clause de non-concurrence par le juge du fond saisi, prononcer une interdiction temporaire d'exercice d'une activité concurrentielle

39 - que le dommage imminent persiste malgré l'ordonnance

40 - Elles demandent :

* la confirmation de l'ordonnance sauf à ordonner la publication de l'ordonnance dans 10 journaux

* de rejeter les exceptions de nullité et d'incompétence

* à chaque appelant 50 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Sur quoi, LA COUR,

Sur la nullité de l'ordonnance pour " violation du principe fondamental de la publicité du prononcé de la décision "

Considérant qu'il résulte de l'article 458 du Code de procédure civile que les prescriptions prévues par l'article 450 al. 2 du même code ne sont pas sanctionnées par la nullité ; que l'omission ou la violation (alléguée) de ces prescriptions ne porte pas atteinte aux droits consacrés par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Sur l'incompétence du juge des référés du Tribunal de commerce de Paris

Considérant que la compétence d'une juridiction s'apprécie au vu de la demande initiale qui se veut être une demande en dénigrement ; que le tribunal de commerce est donc compétent ;

Considérant que les conséquences alléguées de ces dénigrements ont été subies notamment à Paris lieu des sièges sociaux de ces sociétés ; que le Tribunal de commerce de Paris était donc compétent pour connaître de la demande telle que présentée par les sociétés demanderesses ;

Sur le " fond " du référé

Considérant que selon l'article 873 al. 1 du Code de procédure civile le juge des référés peut toujours même en présence d'une constatation sérieuse prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite, soit pour prévenir un dommage imminent ;

Sur le dénigrement

Considérant que l'examen des nombreuses pièces communiquées démontre en premier lieu que l'action litigieuse n'est pas une action en diffamation " déguisée ", ni ne concerne la liberté d'expression, en deuxième lieu que cette action est fondée sur le seul dénigrement, et enfin en troisième lieu que cette action est bien fondée en raison des nombreux propos de discrédit concernant d'une part l'élection Miss France et d'autre part les SAS Miss France et Endemol, par Mme Geneviève de Fontenay qui revendiquant l'organisation d'une autre élection semblable reconnaît par là même que celle-ci est bien une élection concurrente ; que le premier juge a justement estimé qu'un tel comportement constituait un trouble manifestement illicite et a pris les mesures adéquates (cf § 21) pour faire cesser celui-ci.

Sur la clause de non-concurrence

Considérant que le " management agreement " du 27.02.2002 (§ 12), dont la traduction libre réalisée est reconnue pour bonne par les parties, comporte un article 2-1 et un article 2-3 ainsi rédigés :

" Article 2 engagement de non-concurrence de Madame de Fontenay et de Monsieur de Fontenay

Article 2.1 Champ d'application

Madame de Fontenay et Monsieur de Fontenay s'engagent, par le présent contrat, de façon irrévocable, à ne pas être engagés, directement ou indirectement (que ce soit en qualité de salarié, investisseur, collaborateur, associé, prestataire de service, membre d'un organe ou toute autre qualité), seul ou avec l'aide d'autres personnes, dans une activité concurrente aux activités de la société [la société Miss France] et dans des activités concurrentes de celles conduites actuellement ou dans l'avenir par le Groupe Endemol, en France ou dans tout autre pays dans lequel le Groupe Endemol exerce de telles activités (ci-après " activités ").

A titre d'information seulement, les activités de la société consistent actuellement et principalement dans la sélection, la promotion, l'exploitation et l'organisation d'événements et d'élections, le développement et la production de programmes de télévision en relation avec ces événements ou élections, la gestion des artistes et des participants, et de toutes activités liées (et notamment la production sur Internet et l'exploitation de droits accessoires) en France.

2.3 Par souci de clarté, Madame de Fontenay et Monsieur de Fontenay ne peuvent pas investir de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, seuls ou avec l'aide de personnes interposées, dans une entité ou un projet en rapport avec l'activité (...) Nonobstant ce qui précède, Endemol Développement reconnaît et accepte le fait que Madame de Fontenay et Monsieur de Fontenay sont et demeureront, après la date des présentes, membres du bureau du Comité Miss France, cette fonction au sein du bureau ne sera pas considérée comme un activité concurrente, à condition que les activités de Madame de Fontenay et de Monsieur de Fontenay soient et demeurent profitables à la société ou au Groupe Endemol, et à condition que la relation et la coopération existant actuellement entre la société et le Comité Miss France continue conformément à l'accord de coopération conclu le 6 février 2002"

Considérant qu'il résulte de l'article 873 susvisé que la violation d'une clause contractuelle de non-concurrence ne peut constituer un trouble manifestement illicite si la dite clause est elle-même manifestement illicite, que le premier juge ne pouvait en conséquence, en se contentant de constater l'existence d'une " clause claire et précise " selon les termes des SAS, en déduire l'existence d'un trouble manifestement illicite sans s'interroger sur l'illicéité alléguée de la clause ;

Considérant que la simple lecture de la dite clause démontre que celle-ci n'est pas limitée dans l'espace puisqu'elle interdit à Geneviève de Fontenay d'exercer une quelconque activité ayant un rapport avec une des activités du Groupe Endemol (et non pas seulement des SAS Miss France et d'Endemol Développement) dans un des pays où celui-ci conduit ses activités, et dans les pays où "dans l'avenir" celui-ci les exercera ; que l'illicéité patente de cette clause, devait conduire le premier juge à constater que les actes reprochés à Madame Geneviève de Fontenay ne constituaient pas un trouble manifestement illicite ; que le jugement sera reformé en ses points rappelés aux § 22 et § 24 ci-dessus.

Par ces motifs, Déboute Madame Geneviève de Fontenay et l'Association Comité Miss France, Miss Europe, Miss Univers, de leur demande de nullité, et rejette leur exception d'incompétence; Reforme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a : - ordonné à Geneviève de Fontenay et à l'Association de cesser tout acte de quelque nature que ce soit et vue d'organiser une élection concurrente à l'élection de Miss France 2011 (§ 22) - condamné les mêmes à payer 5 000 euro à chacune des sociétés Miss France et Endemol au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Confirme l'ordonnance pour le surplus ; Y ajoutant, Déboute Madame Geneviève de Fontenay et l'Association en leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne les SAS Miss France SAS Endemol Développement aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.