CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 novembre 2010, n° 08-24184
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Réseaux Télécommunications Internationales (SAS)
Défendeur :
France Télécom (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Le Fèvre
Conseillers :
MM. Roch, Vert
Avoués :
SCP Lamarche-Bequet-Regnier-Aubert-Moisan, SCP Duboscq-Pellerin
Avocats :
Mes Fauquet, Dorizon
LA COUR,
Vu le jugement du 4 décembre 2008 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a:
Condamné la société France Télécom à payer à la société Réseaux Télécommunications Internationales la somme de 5 000 euro à titre de réparation du préjudice qu'elle lui a causé en ne respectant pas ses engagements relatifs à la résiliation unilatérale du contrat de distribution de proximité de produits prépayés du 24 décembre 2002,
Débouté la société Réseaux Télécommunications Internationales de la totalité de ses demandes autres, plus amples ou contraires,
Condamné cette dernière à payer à la société France Télécom au titre de factures impayées la somme de 242 549,53 euro TTC avec intérêts au taux légal à compter du 10 août 2006,
Dit n'y avoir lieu à mise en œuvre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Débouté la société France Télécom de toute demande plus ample ou contraire au présent dispositif;
Vu l'appel interjeté par la société Réseaux Télécommunications Internationales (ci-après désignée RTI) et ses conclusions du 22 avril 2009 tendant à faire:
- infirmer le jugement,
- débouter la société France Télécom de ses demandes,
- condamner cette dernière à lui payer à titre de dommages-intérêts la somme de 362 324,39 euro, outre les intérêts au taux légal à compter du 8 novembre 2006,
- la condamner aussi à lui verser une indemnité mensuelle de 8 507 euro à compter du 1er janvier 2007 jusqu'à la conclusion d'un nouveau contrat de distribution dans les mêmes termes que ceux conclus entre la société France Télécom et ses autres grossistes ainsi qu'une somme de 10 000 euro au titre des frais hors dépens;
Vu les conclusions de la société France Télécom du 12 avril 2010 et tendant à faire:
A titre principal :
- confirmer le jugement du 4 décembre 2008 en ce qu'il a débouté RTI de ses demandes au titre de la responsabilité extracontractuelle,
- l'infirmer en ce qu'il a retenu sa responsabilité contractuelle,
- débouter l'appelante de son action de ce chef,
A titre subsidiaire :
- constater que les prétentions de cette dernière relatives à l'attribution d'indemnités ne sont pas justifiées et ou sont excessives,
- la débouter de l'ensemble de ses demandes pécuniaires,
A titre reconventionnel :
- condamner la société RTI au paiement de la somme de 332 422,95 euro ou, du moins, de celle de 242 549,53 euro au titre de factures demeurées impayées,
en tout état de cause :
- condamner l'intéressée au versement de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
Pour assurer la commercialisation de ses services de télécommunications prépayés (cartes téléphoniques ou tickets de rechargement Mobicarte pour téléphone mobile), la société France Télécom a mis en place au sein d'une de ses divisions une activité de grossiste internalisé par l'intermédiaire de ses Agences de Vente Indirecte et de Publiservices (AVIP). Ces dernières ont conclu des contrats de distribution avec de nombreux distributeurs, dont la société RTI.
Ainsi, le 24 décembre 2002, les deux sociétés ont signé un " contrat de distribution de proximité " non exclusif accordant à la société RTI le statut de " distributeur grossiste " pour commercialisation et la promotion des produits et services de la société France Télécom par l'intermédiaire d'un réseau de détaillants.
Son article 13 précisait que celui-ci entrait en vigueur à la date de sa signature pour s'achever le 31 décembre de l'année civile en cours et se renouvellerait par tacite reconduction par période de douze mois sauf dénonciation par l'une ou l'autre partie trois mois avant l'expiration de la période contractuelle en cours.
Ce contrat comprenait des conditions générales de vente pour l'achat par la société RTI des produits concernés (Partie I du Contrat), un engagement spécifique au placement des services de téléphonie de la société France Télécom (Partie Il) ainsi que des conditions particulières liées au statut de grossiste de la société de RTI (Partie III).
Fin 2005 et début 2006, la société France Télécom a procédé à une restructuration de la distribution de ses services de télécommunication prépayés en mettant fin à son activité de grossiste internalisé " AVIP " et en confiant, par contrat, à une trentaine de grossistes, sociétés commerciales autonomes, la gestion de la relation avec les distributeurs.
Par courrier du 18 mai 2006, soit en période de validité de l'engagement, la société France Télécom a informé la société RTI " qu'elle procède actuellement à la réorganisation des modalités de promotion et de commercialisation de ses produits et services ", ce qui la conduit " à revoir les principes actuels de notre collaboration "; que le même courrier précisait : " nous procédons par les précédentes à la dénonciation de manière anticipée du contrat de distribution de proximité qui nous lie (...) ce contrat prendra fin le 30 juin 2006 à l'issue d'un préavis de deux mois "; que l'intimé ajoutait enfin :
" Indépendamment, nous vous rappelons que vous pourrez poursuivre la promotion et la commercialisation de nos produits et services à compter du 1er juillet 2006 selon d'autres modalités contractuelles par l'intermédiaire de nos grossistes dont la liste est annexée au présent courrier;
" Dans ce cadre, nous vous invitons à contacter votre Agence de Vente Indirecte de proximité au numéro suivant : 0 800 543 5434 ".
Entre temps la société France Télécom avait décidé d'engager une procédure de recouvrement à l'encontre de la société RTI afin de s'assurer du paiement de différentes factures demeurées impayées depuis avril 2006.
C'est dans ces conditions que, par acte du 8 novembre 2006, la société RTI a assigné la société France Télécom devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de dommages et intérêts pour rupture d'une relation commerciale établie, abus de position dominante et pratiques discriminatoires et refus de vente et qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré;
Sur la demande indemnitaire présentée par la société RTI du fait de la résiliation du contrat conclu avec la société France Télécom
Considérant que si cette dernière avait motivé la résiliation litigieuse par une externalisation de son réseau de distribution et avait invité la société RTI à poursuivre la commercialisation de ses produits selon d'autres modalités et, notamment, par l'intermédiaire de grossistes, il ressort cependant de l'examen des pièces du dossier qu'antérieurement à la résiliation considérée de nombreuses factures émises par la société France Télécom à l'encontre de la société RTI étaient restées impayées malgré les multiples mises en demeure adressées à cette dernière ; que l'article 10 des conditions générales de vente annexées au contrat prévoyait à ce sujet " qu'en cas de manquement du distributeur à l'une des obligations contractuelles visées aux présentes France Télécom pourra résilier unilatéralement le contrat de vente par lettre recommandée avec avis de réception " ; que, par ailleurs et indépendamment des stipulations contractuelles prévues à cet effet, un manquement aussi caractérisé et réitéré à l'obligation essentielle que constitue le paiement d'une commande régulièrement livrée est de nature à justifier la résiliation de l'engagement correspondant sans obliger la partie le dénonçant à respecter le délai de préavis conventionnel prévu en ce cas ; que, par suite, la dénonciation anticipée litigieuse intervenue avec un préavis raccourci par rapport aux stipulations sus rappelées ne présente, en l'espèce, aucun caractère fautif de nature à engager la responsabilité de la société France Télécom sur le terrain contractuel ou sur le fondement également allégué de l'article L. 442-6-I-5e du Code de commerce;
Sur " l'abus de position dominante " et les " pratiques discriminatoires " imputées à la société France Télécom
Considérant que si la société RTI reproche, en premier lieu, à la société intimée un abus de position dominante il convient de rappeler que le comportement d'une entreprise ne relève de cette qualification que lorsque celle-ci détient sur un marché déterminé et caractérisé la possibilité de se comporter, dans une mesure appréciable, de façon indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs et que son comportement sur ledit marché fait obstacle, par des moyens différents de ceux qui gouvernent la compétition normale basée sur des prestations des opérateurs économiques, au maintien ou au développement de la concurrence;
Considérant, en l'occurrence, qu'au-delà d'affirmations générales et non étayées par des éléments précis, concrets et chiffrés la société RTI ne définit tout d'abord pas le marché pertinent considéré au sens des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code du commerce et constitué par le lieu où se rencontrent l'offre et la demande de produits ou services considérés par les utilisateurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens ou services offerts, et dont la caractérisation et la délimitation sont le préalable obligé de l'appréciation de l'éventuelle position dominante de la société France Télécom et de l'abus que celle-ci en ferait; que, notamment, l'appelante n'apporte aucun élément utile de nature à permettre de définir le marché des services de téléphonie fixe prépayés dont elle excipe et qui ne seraient pas substituables aux services post-payés et constitueraient de ce chef un secteur autonome et spécifique ; qu'elle ne démontre pas davantage en quoi les cartes GSM émises par les opérateurs concurrents ne seraient pas substituables à celles de la société France Télécom ; que, dans ces conditions, et en l'absence de définition du marché de référence, le moyen tiré de l'abus de position dominante ne peut en tout état de cause qu'être écarté;
Considérant, en second lieu, que la société RTI soutient également qu'en abandonnant la distribution directe de ses produits de téléphonie fixe prépayés pour la confier à des grossistes indépendants sélectionnés par ses soins la société France Télécom lui aurait imposé des conditions de vente discriminatoires et lui aurait même de la sorte apposé un véritable refus de vente pur et simple;
Considérant, cependant, qu'il échet de souligner que le choix d'un mode de distribution relève de la libre appréciation du fournisseur, lequel demeure libre de modifier l'organisation de son réseau de distribution sans que ses clients ne bénéficient d'un droit acquis au maintien de leur situation ; qu'une telle modification ne constitue pas en elle-même une pratique anticoncurrentielle dès lors que, comme en l'espèce, les revendeurs disposent, notamment, de la possibilité de s'approvisionner auprès des distributeurs désignés par le fournisseur ; que, de même, toute entreprise peut, sauf réglementation contraire, décider librement du niveau de ses prix de vente et ceux-ci peuvent valablement être modulés en fonction du volume des commandes passées, les différences tarifaires étant ainsi objectivement justifiées et, par là-même, non discriminatoires ;
Considérant, en l'occurrence, que si à la société RTI relève que les prix pratiqués par les grossistes auxquels elle dût s'adresser depuis le 1er juillet 2006 pour acheter les produits prépayés de la société France Télécom sont plus élevés que ceux dont elle bénéficiait dans le cadre du contrat résilié, il sera observé que l'appelant ne disposait en tout état de cause d'aucun droit acquis au maintien des conditions de vente antérieurement consenties par l'intimée à laquelle ne la lie désormais aucun lien de droit; qu'au demeurant ledit contrat dont la société RTI sollicite sans fondement juridique la poursuite prévoyait expressément au travers de ses conditions générales de vente que, même durant sa période d'exécution, la société France Télécom pouvait modifier les tarifs figurant en son annexe I et revoir également le montant ou le principe des remises et ristournes accordées afin de prendre en compte les conditions d'évolution du marché ; que, de même, la société RTI ne rapporte aucunement la preuve que les grossistes auprès desquels elle se fournit désormais et qui constituent le réseau de distribution externalisé de l'intimée ne lui eussent pas fait bénéficier de remises et d'offres promotionnelles éventuellement plus importantes que celles antérieurement accordées par cette dernière ou qu'ils l'eussent discriminée par rapport à ses concurrents directs que sont les autres distributeurs de produits de téléphonie prépayés ;
Considérant qu'il s'ensuit que la société RTI doit être regardée comme ne justifiant nullement ni l'abus de position dominante ni les pratiques discriminatoires allégués ; qu'il convient, par suite, de rejeter les diverses demandes indemnitaires formées par ses soins à ce titre et ce sans qu'il soit besoin de rechercher la réalité des préjudices invoqués ;
Sur la demande reconventionnelle en paiement d'un solde de factures présentée par la société France Télécom
Considérant que la cour fait siens les motifs pertinents retenus par les premiers juges pour condamner la société RTI à payer à ce titre à la société France Télécom la somme de 242 549,53 euro outre les intérêts au taux légal à compter de la sommation du 10 août 2006, ladite somme correspondant aux seules factures utilement justifiées par les bons de commande et de livraisons y afférents;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société France Télécom à payer la société RTI la somme de 5 000 euro, de l'infirmer de ce chef et, statuant à nouveau, de débouter l'appelante de sa demande indemnitaire formée à ce titre et de rejeter le surplus des prétentions respectives des parties ;
Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société RTI à verser à l'intimée la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article susvisé;
Par ces motifs, - Confirme le jugement. - L'infirme toutefois en ce qu'il a condamné la société France Télécom à payer à la société RTI la somme de 5 000 euro et statuant à nouveau de ce chef - Déboute l'appelante de sa demande formée à ce titre. - Rejette le surplus des conclusions respectives des parties. - Condamne la société RTI aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile. - La condamne également à verser à la société France Télécom la somme de 5 000 euro au titre des frais hors dépens.