CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 30 juin 2010, n° 09-10014
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Filans (SARL), Ateb
Défendeur :
Esso SAF (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gaboriau
Conseillers :
Mmes Bartholin, Porcher
Avoués :
SCP Bernabe-Chardin-Chevillier, SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet
Avocats :
Mes Binisti, Damerval
Procédure et prétentions des parties
Vu le jugement en date du 24 février 2005, rendu par le Tribunal de commerce de Paris qui a statué en ces termes :
* condamne la société Esso SAF à payer à la société Filans
- 2 115,51 euro pour le solde de tout compte y compris la prime de fin de contrat,
- 5 082 euro au titre du manque à gagner,
* outre les dépens et une somme de 2000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel relevé par la société Filans à l'encontre de ce jugement,
Vu les dernières conclusions :
des appelants, déposées au greffe de la cour, le 16 mars 2010 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, au terme desquelles la société Filans et Monsieur Imed Ateb poursuivant la réformation de la décision entreprise, sauf en ce qui concerne l'allocation de la somme de 2 115 euro, prient la cour de:
au visa des articles L. 420-2 et L. 420-3 du Code de commerce, 1134, 1147, 1999 et 2000 du Code civil ainsi que l'accord interprofessionnel de branche du 12 janvier 1994 :
* condamner la société Esso SAF à payer à la société Filans la somme de 128 643,19 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice économique,
sollicitant, en outre, l'allocation d'une somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
De l'intimée, déposées au greffe de la cour, le 30 mars 2010 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, au terme desquelles la société Esso SAF, concluant au rejet de toutes les prétentions adverses et poursuivant la confirmation de la décision entreprise, en ce qui concerne l'allocation de la somme de 2 115 euro mais formant appel incident, prie la cour de:
* débouter la société Filans de ses autres demandes.
Motifs de la décision
Rappel des faits
Les deux parties ont été liées par un contrat, en date du 17 août 2000, portant, pour une durée de 36 mois, location-gérance d'une station-service avec mandat de distribution de produits énergétiques. Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 mai 2003, la société Esso SAF faisait connaître à la société Filans qu'elle ne renouvellerait pas le contrat qui allait expirer le 16 août suivant à minuit. Par assignation du 4 novembre 2004, la société Filans saisissait le Tribunal de commerce de Paris de diverses demandes pécuniaires consécutives à cette fin de relations contractuelles, lesquelles ont abouti au jugement entrepris.
Discussion
Sur la demande relative à la somme de 2 115,51 euro
Cette somme a été allouée pour solde de tout compte y compris la prime de fin de contrat par le jugement entrepris, confirmée par l'arrêt du 31 mai 2006 ; non critiquée par la société Esso SAF, cette condamnation n'est pas concernée par la cassation.
Sur les demandes fondées sur les articles 1999 et 2000 du Code civil
Sur la recevabilité
La Cour de cassation a considéré que la position de l'arrêt de cette cour refusant de déclarer irrecevable, comme nouvelle, la demande de dommages et intérêts fondée sur l'article 2000 du Code civil n'était pas de nature à permettre l'admission du pourvoi.
En demandant à nouveau, devant la cour de renvoi l'examen de sa demande de réparation du préjudice économique de ce chef légal, la société Filans ne présente aucunement une demande irrecevable.
Alors que la Cour de cassation n'était pas saisie d'un pourvoi incident relatif au refus de l'arrêt déféré de faire application de l'article 2000 du Code civil et qu'elle-même n'a pas évoqué cette question, l'on ne saurait considérer qu'elle a tranché celle-ci.
Sur le bien-fondé
Le contrat du 17 août 2000 est soumis aux dispositions de la loi du 20 mars 1956 (devenue L. 144-1 et suivants du Code de commerce) et aux dispositions de l'Accord Interprofessionnel du 12 janvier 1994 relatif à l'exploitation en location-gérance d'un fonds de commerce de station-service de société pétrolière, et, pour la distribution des produits énergétiques, aux articles 1984 et suivants du Code civil à l'exception des articles 1999 et 2000. Il stipule, dans sa rubrique " objet du mandat " traitant de la distribution des produits énergétiques que les parties dérogent expressément aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil.
Dès lors, les pertes alléguées par la société Filans ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation sur le fondement de ces textes.
Sur l'accord interprofessionnel de branche du 12 janvier 1994
L'accord interprofessionnel - en ce compris tous les avenants - fait expressément partie du champ contractuel : en son point 3, il stipule :
-" La société (c'est-à-dire la société pétrolière) constate que la gestion d'une station-service suppose que l'exploitant se comporte en bon commerçant et dégage un résultat d'exploitation positif.
- En conséquence la société s'engage à étudier, à tout moment, le cas de toute station qui pourrait lui être soumis par l'Exploitant qui estimerait ne pas dégager un tel résultat. "
Il ne peut être sérieusement contesté que la société Filans a subi des pertes au cours des exercices 2000, 2002 et 2003 pour un montant total de 104 382 euro. Les chiffres d'activité de la société Filans, conformément aux stipulations du contrat, faisaient l'objet d'un suivi périodique de la société Esso SAF (carburants et hors carburants, de façon distincte). La société Esso SAF avait, au reste, agréé le comptable de la société Filans, lequel établissait annuellement les comptes. La société Esso SAF, qui avait ainsi une vision quasi-permanente sur la conduite de la société Filans que ce soit dans sa mission de locataire-gérant ou dans celle de mandataire, a vu l'évolution des résultats de la société Filans. Par ailleurs, alors qu'elle est en capacité de le faire, elle n'apporte aucune contradiction ni analyse critique ni évaluation différente des documents comptables produits par la société Filans au sujet desquels elle ne fait état d'aucune anomalie.
Ces pertes sont en conséquence établies.
Alors que par courrier du 10 mai 2001, la société Filans alertait la société Esso SAF à propos de l'inadaptation des prévisions " à l'activité et aux besoins de fonctionnement correct de la station ", la société Esso SAF ne lui amena aucun soutien concret, refusa de modifier les prévisions, avec simple rappel de la faculté de discussion avec le chef de secteur. Un courrier du 10 septembre 2002 était encore plus alarmant : " depuis trois mois les prix ne cessent d'augmenter, une partie de la clientèle est partie... je suis à cours d'argumentation raisonnable pour justifier cette hausse de tarif... je constate que je distribue de plus en plus de cadeaux et je vends de moins en moins de carburant ". Là encore aucune décision de prise en compte de cette alarme n'est établie.
La société Esso SAF qui ne fait état d'aucune mesure concrète propre à permettre à l'exploitant de dégager un résultat d'exploitation positif n'allègue pas que la société Filans ne se soit pas comportée " en bon commerçant ". Elle fait état de " réclamations extravagantes " de la société Filans, de lenteur dans la communication de documents utiles à solder son compte et d'une récupération du local retardée de 11 jours, autant d'événements postérieurs à la fin de la location-gérance et du mandat, insusceptibles de caractériser une mauvaise gestion. Quant à l'absence de signature d'une transaction qui avait été envisagée entre les parties, elle ne saurait être reprochée à la société Filans et il ne peut en être tiré aucune conséquence.
Le principe énoncé par les AIP implique, nécessairement, un rééquilibrage par versements de sommes pour compenser les pertes, lorsqu'aucune faute de gestion ne peut être prouvée à l'encontre de l'exploitant.
La société Esso SAF sera en conséquence condamnée à payer à la société Filans une somme de 104 382 euro.
Les autres sommes - frais de formation, frais financiers - réclamées par la société Filans ne découlent pas d'un manquement de la société Esso SAF à ses obligations nées des AIP et seront écartées.
La société Filans ne peut revendiquer une quelconque indemnisation de la non-reconduction du contrat, la société Esso SAF n'ayant pris aucun engagement en ce sens ; la non-conclusion d'un nouveau contrat, même si la société Esso SAF a pu l'envisager sérieusement, en l'absence de preuve d'une rupture abusive des négociations à ce moment-là, ne peut donner lieu à une indemnisation pour " perte de chance de signer un contrat semblable ".
Enfin locataire-gérant, la société Filans elle-même n'était pas propriétaire d'un fonds de commerce et ne peut donc invoquer une dépréciation de celui-ci.
Sur les autres demandes
La société Esso SAF qui succombe en ses prétentions sera condamnée aux entiers dépens de l'appel en ce compris les dépens de l'arrêt cassé.
Il est justifié d'allouer à la société Filans une somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR statuant en dernier ressort : I. Réformant la décision entreprise à l'exception de la condamnation de la société Esso SAF : - aux dépens ainsi qu'à verser une somme en application de l'article 700 du Code de procédure civile, - à verser la somme de 2 115,51 euro à la société Filans pour le solde de tout compte y compris la prime de fin de contrat, dores et déjà définitive, et statuant à nouveau des chefs réformés, Condamne la société Esso SAF à payer à la société Filans la somme de 104 382 euro au titre de l'indemnisation de ses pertes d'exploitation, Rejette les autres demandes pécuniaires de la société Filans, II. Condamne, la société Esso SAF en cause d'appel, à verser à la société Filans une somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, III. Condamne la société Esso SAF aux dépens d'appel en ce compris ceux de l'arrêt partiellement cassé et autorise sur sa demande, la SCP Bernarbe Chardin Cheviller à recouvrer directement contre la société Esso SAF ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.