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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 mars 2010, n° 09-16250

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mipa France (SAS), Sofranac (SARL)

Défendeur :

Desmazures, Investissement & Patrimoine (SARL), NJL Investissements (SARL), Normand, Portanier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fèvre

Conseillers :

M. Roche, Mme Ravelier

Avoués :

SCP Baufume-Galland-Vignes, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes de Balmann, Kalopissis

T. com. Paris, du 2 juill. 2009

2 juillet 2009

LA COUR,

Vu le jugement du 2 juillet 2009 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a:

- prononcé la nullité des contrats de franchise conclus entre la société Mipa France et Messieurs Desmazures et Normand, condamné à payer à la société Investissement & Patrimoine la somme de 27 824 euro, condamné à la société NJL Investissement la somme de 55 694 euro avec intérêts au taux légal et anatocisme;

- condamné la société Mipa France à payer à Monsieur Desmazures la somme de 23 478 euro et à Monsieur Normand celle de 15 093 euro à charge pour eux de fournir une caution bancaire en garantie jusqu'à ce que le présent jugement soit devenu définitif,

- débouté Monsieur Portanier de ses demandes à titre personnel, débouté la société Sofranac de toutes ses demandes,

- condamné la société Mipa France à payer à la société Investissement & Patrimoine, à la société NJL Investissement, à Monsieur Desmazures et à Monsieur Normand la somme de 3 000 euro chacun, à Monsieur Portanier la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu l'appel interjeté par les sociétés Mipa France et Sofranac;

Vu l'ordonnance du 15 septembre 2009 par laquelle le Premier Président de la cour a fait droit à la requête des intimés aux fins d'être autorisés à plaider l'affaire à jour fixe;

Vu, enregistrées le 1er décembre 2009, les conclusions présentées par les appelantes et tendant à faire:

- infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a dit que M. Portanier n'avait pas qualité à agir à titre personnel,

- débouter les intimés de l'ensemble de leurs prétentions,

- dire n'y avoir lieu à annulation des contrats de franchise,

- prononcer la résiliation des contrats de franchise aux torts des intimés,

- subsidiairement, prononcer la résiliation desdits contrats de franchise aux torts partagés des parties,

- en toute hypothèse, dire n'y avoir lieu à restitutions et dédommagements,

- subsidiairement, dire que les intimés ne pourraient prétendre qu'au remboursement des droits d'entrée,

- dire que, dès lors que les contrats de franchise viendraient à être annulés ou résiliés aux torts du franchiseur, il y aurait lieu de prendre corrélativement en compte les dépenses de prestations de services exposées par la société Mipa et dire que lesdites dépenses compenseraient toutes sommes dues aux intimés au titre des restitutions,

- constater que c'est à l'initiative de Monsieur Desmazures et pour le compte de la société Investissement & Patrimoine que la société Sofranac a acquis un terrain sis à Conchy-les-Ponts,

- condamner solidairement Monsieur Desmazures et la société Investissement & Patrimoine à rembourser à la société Sofranac la somme de 66 790,77 euro au titre des frais exposés pour cette acquisition,

- donner par ailleurs acte à la société Sofranac qu'elle renonce à la demande de garantie qu'elle avait formée à l'encontre de Monsieur Normand et de la société NJL Investissement dès lors qu'elle ne se trouve plus engagée à hauteur de la somme de 45 500 euro au titre de l'acquisition d'un terrain sis à Mige,

- condamner chacun des intimés à payer à la société Mipa France la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu, enregistrées le 11 janvier 2010, les conclusions présentées par les sociétés Investissement & Patrimoine et NJL Investissement ainsi que par Messieurs Desmazures, Portanier et Normand et tendant à faire:

- confirmer le jugement en ce que qu'il a prononcé la nullité des contrats de franchise signés par les sociétés Investissement & Patrimoine et NJL Investissement, en ce qu'il a alloué à la société Investissement & Patrimoine les sommes de 25 000 euro au titre du remboursement du droit d'entrée, 2 824 euro au titre des pertes d'exploitation, 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à la société NJL Investissement les sommes de 25 000 euro au titre du remboursement du droit d'entrée, 30 694 euro au titre des pertes d'exploitation, 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à Monsieur Desmazures les sommes de 23 478 euro au titre du manque à gagner en termes de rémunération, 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en ce qu'il a alloué à Monsieur Normand les sommes de 15 093 euro au titre du manque à gagner en termes de rémunération, 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'en ce qu'il a alloué à Monsieur Portanier la somme de 2 000 euro au même titre ; le confirmer aussi en ce qu'il a débouté la société Sofranac de l'intégralité de ses demandes ; l'infirmer en ce qu'il n'a pas fait droit aux demandes formées par les intimés au titre de la réparation de leur entier préjudice, en ce qu'il a dit que Monsieur Portanier n'avait pas qualité à agir personnellement et l'a débouté de ses demandes;

- dire que Monsieur Portanier est recevable et bien fondé dans son action personnelle,

- condamner la société Mipa France à payer à ce dernier la somme de 53 900 euro au titre du manque à gagner en termes de rémunération ainsi que celle de 10 357 euro au titre de son apport en compte courant, la condamner à payer à Monsieur Desmazures la somme de 19 540 euro à payer à Monsieur Normand la somme de 9 500 euro au titre de leurs apports respectifs en compte courant, la condamner à payer à la société Investissement & Patrimoine les sommes de 35 095 euro au titre des pertes d'exploitation (37 919 euro - 2 824 euro), 47 730 euro pour le manque à gagner en termes de marge sur le chantier de Monsieur Portanier annulé à la suite de la carence du franchiseur et la somme de 42 637,98 euro au titre du remboursement du solde des emprunts dû à la date de délivrance de l'assignation,

- condamner la société Sofranac à rembourser à la société Investissement & Patrimoine la somme de 14 050 euro au titre des acomptes versées par cette dernière lors de la réservation des terrains, et à rembourser à la société NJL Investissement la somme de 8 000 euro au titre des acomptes versés par cette dernière lors de la réservation des terrains,

- dire que ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1154 du Code civil,

- condamner la société Mipa France à payer à chacun des intimés, la somme de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Mipa France, laquelle appartient au même groupe que la société Mikit, fournisseur de kits d'intérieur pour des maisons en construction, a développé un concept dénommé " Mipa " qui consiste à permettre à des particuliers souhaitant investir dans l'immobilier d'acheter un terrain sur lequel ils édifieront une maison traditionnelle intégrant des kits " Mikit " et destinée au marché locatif.

Différents franchisés ont été recrutés par la société Mipa France, laquelle percevait de ceux-ci un droit d'entrée de 25 000 euro puis une redevance proportionnelle correspondant à 4,5 % de leur chiffre d'affaires avec un minimum de 3 000 euro la première année.

Toutefois, devant les difficultés rencontrées à commercialiser le concept " Mipa " la société Mipa France décidait de mettre fin à son activité de franchiseur et à l'animation du réseau qu'elle avait mis en place.

Contestant la réalité même du concept " Mipa " et constatant l'absence de résultats commerciaux des franchisés, Messieurs Desmazures et Normand ainsi que les sociétés d'exploitation de leur franchise créées par leurs soins et respectivement dénommées Investissement et Patrimoine et NJL Investissement, de même que M. Portanier, cogérant de la société Investissement Patrimoine, ont, par acte du 16 mars 2000, assigné la société Mipa France devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins, à titre principal, de voir prononcer la nullité des contrats des franchisés en cause avec les conséquences indemnitaires y afférentes, et, à titre subsidiaire, la résiliation desdits engagements et l'octroi de dommages et intérêts.

C'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement présentement déféré après que la société Sofranac, mandatée par la société Mipa France pour acheter les terrains nécessaires aux franchisés pour la poursuite de leur activité, soit volontairement intervenue à l'audience.

Sur la recevabilité à agir de M. Portanier

Considérant que si l'intéressé n'a initialement pas cosigné le contrat de franchise conclu entre la société Mipa France et M. Desmazures, il sera observé que le 30 octobre 2008 le franchiseur a adressé à ce dernier un courrier dont les termes sont les suivants:

" Vous avez promu Monsieur Portanier Vincent à la fonction de binôme (gérant associé). A ce titre, il sera considéré par nous comme l'un des dirigeants opérationnels de la franchise et pourra être notre interlocuteur direct (...). Dans ce contexte il est évident que cette personne a intégralement accès, comme vous-même, à l'ensemble du savoir-faire Mipa (...). Pour ce faire, il suffit (...) de lui faire signer ce courrier en faisant précéder sa signature de la mention : je déclare avoir pris pleine connaissance du contrat de franchise signé par Monsieur Jérémy Desmazures et plus particulièrement de l'article III et reconnaîs qu'il m'est intégralement et irrévocablement opposable " ;

Considérant que M. Portanier a apposé la mention manuscrite "lu et approuvé, Bon pour accord" sur ce courrier et l'a signé ; que, par suite, il doit être regardé comme partie au contrat de franchise en cause et est, en conséquence, recevable à en solliciter la nullité ainsi que la réparation du préjudice qu'il soutient avoir subi à ce titre;

Au fond

Sur l'annulation des contrats de franchise litigieux

Considérant que la société Mipa France, ayant entendu inscrire ses relations avec ses partenaires dans le cadre de la franchise, est tenue, notamment, par les dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce aux termes duquel :

" Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause... "; que si ledit article ne met pas à la charge du franchiseur l'obligation d'établir une étude de marché, il appartient, toutefois à ce dernier de préciser l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état des perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que les champs de l'exclusivité de nature à permettre au futur franchisé éventuel de s'engager en connaissance de cause;

Considérant, en l'espèce, que ni M. Desmazures ni M. Normand n'ont reçu communication de la date de signature de l'ensemble des contrats de franchise des membres du réseau, les empêchant ainsi d'appréhender avec exactitude la pérennité et la stabilité de celui-ci; que, de même, aucun des éléments remis ne leur a permis de connaître l'existence d'un précédent échec du réseau courant 2004 et 2005 et sa récente réactivation en 2006 ;

Considérant que la société Mipa France ne justifie pas davantage avoir fourni d'informations crédibles sur les perspectives de rentabilité et de développement de l'activité considérée ni même sur une quelconque expérimentation et exploitation préalables de celle-ci pendant une période suffisamment longue pour que le concept correspondant puisse avoir été utilement testé sur le plan commercial ; qu'au demeurant étaient remis aux candidats à la franchise non seulement les comptes de la société Mipa France mais également ceux de la société Mikit, ce qui ne pouvait qu'accroître la confusion dans l'esprit des intéressés quant à la pertinence du concept proposé par le franchiseur; que la connaissance de l'ensemble des informations manquantes sus-énoncées aurait été un élément indispensable pour éclairer la réflexion de tout candidat sur la nature du risque auquel il s'exposait en intégrant un tel réseau ; que ces omissions qui s'analysent en un manquement à l'obligation de sincérité mise à la charge de la société Mipa France par l'article L. 330-3 susvisé et ont nécessairement empêché toute appréciation pertinente par Messieurs Desmazures et Normand du degré de stabilité et de rentabilité du réseau dont s'agit ainsi que de la réalité du savoir-faire du franchiseur doivent être regardées comme constitutives d'une réticence dolosive ; que les franchisés considérés ayant été ainsi trompés sur une composante essentielle de leur décision, sont fondés à exciper du caractère vicié de leur consentement; qu'il est évident que, s'ils avaient connu la situation réelle, l'absence d'un véritable réseau et de perspectives de développement, ils n'auraient pas contracté ; qu'ils sont fondés à solliciter l'annulation, en application de l'article 1116 du Code civil, des contrats de franchise litigieux ;

Sur les sommes respectivement sollicitées par les parties

Considérant que la nullité ci-dessus prononcée des contrats de franchise ayant pour effet obligé de remettre les parties dans leur état d'origine la société Mipa France sera condamnée à rembourser à chacune des sociétés Investissement & Patrimoine et NJL Investissement la somme de 25 000 euro représentant le montant du droit d'entrée et du droit d'intégration dans le réseau;

Considérant que si les intimés demandent, en deuxième lieu, le " remboursement des acomptes versés lors de l'achat des terrains ", il sera observé qu'ils n'apportent aucune précision sur le sort desdits acomptes et n'indiquent aucunement s'il y a eu ou non remboursement de ceux-ci; qu'en l'absence de toute information sur ce point la prétention susvisée ne peut qu'être rejetée;

Considérant, en troisième lieu, que les sociétés Investissement & Patrimoine ainsi que NJL Investissement réclament l'indemnisation de leurs pertes d'exploitation ; qu'en l'occurrence la faute du franchiseur, constituée par la réticence dolosive ci-dessus caractérisée, a été à l'origine directe de l'engagement des franchisés et, donc, des pertes d'exploitation subies par les société susvisées ; que celles-ci sont, dès lors, fondées à solliciter la condamnation de la société Mipa France à les indemniser de ce chef de préjudice, lequel sera évalué au regard des pièces produites et des explications fournies, à 2 824 euro pour la société Investissement & Patrimoine et 30 694 euro pour la société NJL Investissement;

Considérant, en quatrième lieu, que la société NJL Investissement sollicite le " remboursement du solde de l'emprunt contracté " par ses soins " pour l'activité Mipa ";

Que, cependant, outre le fait que la destination de l'emprunt n'est pas démontrée, seul le coût financier généré pour la société dont s'agit pour l'obtention dudit prêt aurait pu être éventuellement constitutif d'un préjudice indemnisable et nullement le montant du solde litigieux lui-même ; qu'en l'espèce aucune indication n'est fournie sur le coût financier dont s'agit ; que la demande ainsi présentée sera, dès lors, rejetée ;

Considérant, en cinquième lieu, que les avances en compte courant effectuées par Messieurs Desmazures, Portanier et Normand au profit des sociétés d'exploitation des franchises souscrites par leurs soins sont par principe remboursables lors de la liquidation desdites sociétés ; qu'elles ne sauraient, donc, en l'état représenter un dommage susceptible d'indemnisation;

Considérant que si, en sixième lieu, Messieurs Desmazures, Portanier et Normand excipent tous trois d'un " manque à gagner en termes de rémunération " ou de " marge " sur chantiers imputable aux " manquements du franchiseur à ses obligations précontractuelles et contractuelles " et s'ils font état pour ce faire des sommes mentionnées dans les comptes d'exploitation prévisionnels, il convient de rappeler que les contrats de franchise ayant été annulés aucune rémunération ou indemnité compensatrice ne saurait revenir aux franchisés au titre desdits engagements ; qu'en tout état de cause le franchiseur qui ne contracte pas d'obligation de résultat en la matière n'a pas à garantir la réalisation des prévisions comptables indiquées dans les comptes adressés aux candidats à la franchise sauf à méconnaître directement le principe même de l'autonomie juridique et financière du commerçant indépendant qu'est tout franchisé;

Considérant, enfin, qu'en l'absence de toute faute prouvée de la part des franchisés la société Sofranac ne saurait demander à ceux-ci le remboursement des frais, au surplus non précisément démontrés, qu'elle aurait exposés pour l'achat d'un terrain nécessaire à la finalisation d'une opération engagée dans le cadre des contrats de franchise ci-dessus annulés ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a dit que M. Portanier n'avait pas qualité à agir à titre personnel à la présente instance et en ce qu'il a condamné la société Mipa France à payer à M. Desmazures la somme de 23 478 euro et à M. Normand celle de 15 093 euro, de l'infirmer sur ces deux points, et statuant à nouveau, de dire M. Portanier recevable à agir à titre personnel, de rejeter les demandes formées par Messieurs Desmazures et Normand au titre de manque à gagner en termes de rémunération et, y ajoutant, de débouter les parties du surplus de leurs demandes respectives;

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Mipa France à payer à chacun des intimés la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article susvisé ;

Par ces motifs, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a dit que M. Portanier n'avait pas qualité à agir à titre personnel à la présente instance et en ce qu'il a condamné la société Mipa France à payer à M. Desmazures la somme de 23 478 euro et à M. Normand celle de 15 093. L'infirme sur ces deux chefs, et statuant à nouveau, Dit M. Portanier recevable à agir à titre personnel. Rejette les demandes formées par Messieurs Desmazures et Normand au titre du manque à gagner en termes de rémunération. Y ajoutant, Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives. Condamne la société Mipa France aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile. La condamne également à payer à chacun des intimés la somme de 1 000 euro au titre des frais hors dépens.