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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 2 novembre 2010, n° 09-07877

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Landousie (SARL)

Défendeur :

HPS (Sté), Groupe Elancia (SAS), Picard (ès qual.), Bissieux (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mme Cocchiello, M. Christien

Avoués :

SCP Guillou & Renaudin, SCP Brebion, Chaudet

Avocats :

Mes Mercier, Bernard

T. com. Lorient, du 4 sept. 2009

4 septembre 2009

Exposé du litige

Au cours de l'année 2007, la société HPS, qui a développé un réseau d'établissements de restauration rapide exploités sous l'enseigne " Point chaud ", s'est rapprochée de la société Landousie en vue de conclure un contrat de franchise portant sur la création d'un restaurant à Lorient.

Le 11 février 2007, le franchiseur communiqua le document d'informations précontractuel auquel était annexé un projet de contrat, mais, en dépit d'un début d'exploitation du restaurant à compter du mois de mai 2007 notamment concrétisé par une commande auprès de la société Elancia, fournisseur du réseau, la société Landousie différait la régularisation de l'acte jusqu'à l'aboutissement de négociations sur les conditions financières de la franchise.

Puis, par courrier du 21 juillet 2007, elle refusait de contracter avec la société HPS, à laquelle elle imputait la responsabilité de la rupture en lui faisant grief de ne pas avoir respecté ses engagements relatifs à la formation initiale du franchisé et au montant du droit d'entrée dans le réseau.

Prétendant que la société Landousie avait ainsi fautivement rompu les pourparlers précontractuels et laissé une facture de fourniture impayée, les sociétés HPS et Elancia la firent assigner, par acte du 28 novembre 2007, devant le Tribunal de commerce de Lorient.

Après la mise en redressement judiciaire de la société Elancia, Maîtres Picard et Bissieux, administrateur et mandataire judiciaires, sont intervenus à la procédure.

Par jugement du 4 septembre 2009, les premiers juges ont statué en ces termes :

" Prend acte de l'intervention à la procédure de Maître Picard, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Elancia, et de Maître Bissieux, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Elancia ;

Condamne la société Landousie à verser à la société HPS la somme de 9 139,36 euro, avec intérêts de droit à compter de la signification du présent jugement liquidant la somme due ;

Déboute Maître Picard et Maître Bissieux, ès qualités, de leur demande ;

Reçoit la société HPS en sa demande, la dit partiellement fondée ;

Condamne la société Landousie à payer à la société HPS la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de l'instance ;

Déboute la société HPS du surplus de sa demande au titre de la concurrence déloyale ".

La société Landousie a relevé appel de cette décision le 12 novembre 2009 en demandant à la cour de :

" Débouter la société HPS de sa demande d'indemnisation au titre d'une prétendue rupture des pourparlers ;

Débouter la société HPS de sa demande d'indemnisation au titre d'une prétendue concurrence déloyale ;

Dire et juger que la société HPS a commis une faute délictuelle en laissant la société Landousie dans l'illusion de son intégration au réseau " Point chaud " ;

Dire et juger que la société HPS a tenté d'imposer la souscription d'un contrat de franchise à la société Landousie par des manœuvres d'intimidation et par la contrainte, commettant ainsi une faute délictuelle ;

Condamner la société HPS à régler à la société Landousie la somme de 9 593,30 euro au titre du préjudice subi du fait de la rupture abusive des pourparlers et des manœuvres dolosives;

Condamner la société HPS à rembourser à la société Landousie la somme de 8,10 euro au titre des frais bancaires correspondant au rejet des traites émises sans droit ni titre par la société HPS ;

Dire et juger que les sociétés HPS et Elancia ont commis un abus de droit et de procédure en souhaitant avant tout affaiblir la société Landousie ;

Condamner solidairement la société HPS et la société Elancia à régler à la société Landousie la somme de 50 000 euro au titre du préjudice subi du fait de l'abus de droit et de procédure ;

En toute hypothèse, débouter les sociétés HPS et Elancia de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

Condamner solidairement les sociétés HPS et Elancia au paiement de la somme de 10 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ".

Les intimés concluent quant à eux en cause d'appel en ces termes :

" Dire et juger la société HPS recevable et bien fondée en sa demande ;

Débouter la société Landousie de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

En conséquence, condamner la société Landousie à verser à la société HPS les sommes de :

- 10 000 euro au visa de l'article 1382 du Code civil, en réparation de la rupture abusive des pourparlers,

- 901,78 euro au titre de la facture 09731 du 30 mai 2007,

- 20 944 euro, au titre de la concurrence déloyale ;

La condamner à verser à HPS et à la société Elancia une somme de 2 000 euro à chacune sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ".

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Landousie le 9 juin 2010, et pour les sociétés HPS, Elancia, Maîtres Picard et Bissieux, ès qualités, le 17 août 2010.

Exposé des motifs

Les relations contractuelles envisagées par les parties avaient notamment pour effet de mettre à la disposition de la société Landousie une marque ou une enseigne en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité, de sorte qu'elles auraient dû, conformément aux dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce, être précédées de la signature d'un contrat écrit à expiration d'un délai d'au moins 20 jours suivant la transmission du document d'informations précontractuel.

Or, alors qu'elle avait ouvert et commencé à exploiter le restaurant dès le mois de mai 2007, la société Landousie n'a finalement averti la société HPS qu'elle renonçait à conclure le contrat de franchise que le 21 juillet 2007 tout en s'octroyant le droit de continuer son exploitation sous les signes distinctifs du réseau jusqu'à la fin du mois de septembre 2007.

Pour justifier la rupture des pourparlers précontractuels et le refus de signer le projet de contrat de franchise qui lui avait été soumis, la société Landousie invoque :

- la facturation d'un droit d'entrée dans le réseau supérieur à celui initialement promis,

- l'insuffisance de la formation initiale dispensée par le franchiseur,

- la transmission tardive et le caractère inacceptable de la zone d'exclusivité territoriale que le franchiseur lui concédait,

- la situation économique obérée du fournisseur du réseau et la mauvaise qualité des produits fournis.

Pourtant, le document d'informations précontractuel qui lui avait été transmis dès le 11 février 2007 mentionnait bien le versement à la charge du franchisé d'un droit d'entrée dans le réseau de 13 000 euro hors taxes, la circonstance que le site Internet de la fédération française de la franchise évoquait en 2008 un montant de droit d'entrée dans le réseau " Point chaud " de 10 000 euro n'ayant pu faire naître de droits en faveur de la société Landousie qui a reconnu avoir pris connaissance des termes de l'offre de la société HPS en paraphant et en signant le document d'informations précontractuel et qui ne pouvait donc se méprendre sur le montant du doit d'entrée lorsqu'elle a commencé l'exploitation du restaurant.

D'autre part, la société Landousie reconnaît que son dirigeant social a, en mars 2007, suivi trois jours de formation au siège de la société HPS aux termes desquels une documentation technique et commerciale composée de six guides lui a été remise puis a passé six jours dans un magasin pilote de Villefranche-sur-Saône, de sorte que, lorsqu'elle a commencé l'exploitation de son restaurant, elle avait pleinement connaissance du contenu d'une formation qu'elle n'a au demeurant critiquée pour les besoins de la cause qu'à compter du mois de juin 2007.

Il est par ailleurs établi que la société Landousie a pu prendre connaissance au plus tard le 2 mai 2007 de la zone d'exclusivité territoriale que le franchiseur lui concédait, étant précisé que la localisation du fonds dans lequel la franchise devait être exploitée n'a été connue que le 2 mars 2007, date de la signature du compromis de cession du fonds de commerce.

Si, comme le soutient à présent l'appelante sans d'ailleurs le justifier par des considérations concrètes tenant à des facteurs locaux de commercialité et des éléments de comparaison avec les franchises voisines ou concurrentes, les délimitations de cette zone étaient " inacceptables ", il n'est pas compréhensible qu'elle ait néanmoins pris le risque d'ouvrir un restaurant en exploitant les signes distinctifs et les produits du réseau " Point chaud ".

En outre, la société Landousie s'empare de toute évidence pour les besoins de la cause de la mise en redressement judiciaire du fournisseur du réseau, la société Elancia, le 29 janvier 2008, alors que rien ne démontre que la situation économique de cette société était déjà obérée lors de la rupture des pourparlers précontractuels du mois de juillet 2007, ou qu'en tout cas cette situation était connue d'elle et l'a conduit à rompre les négociations pour ce motif.

Enfin, les critiques relatives à la qualité des produits fournis aux franchisés demeurent à l'état d'allégation insuffisamment démontrée, l'existence d'un litige non tranché judiciairement entre la société HPS et un autre franchisé lorientais étant impropre à faire cette preuve.

Il est par conséquent établi que ce n'est qu'à un stade très avancé des négociations et sans raison légitime que la société Landousie a fait différer la signature du contrat de franchise pour finalement refuser de contracter, alors qu'elle avait ouvert depuis près de trois mois son restaurant.

Elle a ainsi abusivement rompu les pourparlers précontractuels dans le dessein de tirer profit, sans avoir à supporter les charges de la franchise, de la transmission du savoir-faire du franchiseur ainsi que de la notoriété du réseau auprès de la clientèle de l'enseigne, afin de percer plus rapidement le marché local.

Jugée responsable d'une rupture abusive des pourparlers précontractuels, la société Landousie doit en réparer les conséquences dommageables, lesquelles ne peuvent consister, faute de lien causal suffisant, dans la perte des gains qu'aurait dû lui procurer la signature du contrat de franchise, ni même dans la perte d'une chance de réaliser ces gains.

Dès lors, les premiers juges ne pouvaient, sur ce fondement, accorder à la société HPS le montant des redevances qu'elle aurait dû percevoir pendant la période au cours de laquelle la société Landousie a exploité son restaurant en faisant usage des signes distinctifs du réseau, alors que le préjudice né de l'abus du droit de rompre des pourparlers ne peut consister que dans les frais vainement exposés au cours de la négociation par la partie victime de la rupture.

La société HPS sollicite à cet égard la condamnation de la société Landousie au paiement d'une somme de 10 000 euro, mais les seuls frais avérés sont ceux relatifs à la communication de savoir-faire et à la formation du candidat à la franchise, lesquels seront exactement réparés par l'allocation de dommages-intérêts d'un montant de 5 000 euro, auxquels il faut ajouter la livraison de matériels divers ayant donné lieu à facturation du 30 mai 2007 à hauteur de 754 euro hors taxe.

La société Landousie sera donc condamnée, au titre de la rupture abusive des pourparlers, au paiement de dommages-intérêts d'un montant total de 5 750 euro, le jugement attaqué étant réformé en ce sens.

Mais la société HPS fait aussi valoir à juste titre que l'exploitation d'un restaurant mettant en œuvre le savoir-faire et arborant les signes distinctifs du réseau " Point chaud " constitue un acte de concurrence déloyale ayant permis à son auteur de détourner la clientèle du réseau.

En effet, la transmission du savoir-faire du réseau ainsi que la création d'un risque de confusion entre le restaurant exploité par la société Landousie et les établissements appartenant au réseau " Point chaud " a permis à l'appelante de percer plus rapidement le marché de la restauration rapide, privant ainsi les autres franchisés situés dans les secteurs géographiques voisins d'une partie de leur chiffre d'affaires.

À cet égard, la société Landousie ne saurait justifier ces actes de concurrence déloyale en arguant de l'insuffisance de contenu de la formation et de la circonstance que les signes distinctifs du réseau étaient déjà en place lorsqu'elle a racheté le fonds appartenant à un ancien franchisé, alors que, d'une part, il a été précédemment relevé que la formation du candidat à la franchise avait bien été dispensée par le franchiseur et que, d'autre part, il appartenait à l'appelante de s'abstenir de commencer à exploiter son fonds en faisant usage des signes distinctifs du réseau tant que le contrat de franchise n'était pas conclu.

Enfin, en dépit du fait que le franchiseur n'a pas de clientèle propre, la société HPS, qui perçoit des redevances assises sur le chiffre d'affaires de ses franchisés, est bien victime par ricochet de du détournement de clientèle invoqué.

Cependant, le préjudice né de ces actes de concurrence déloyale ne peut consister que dans les gains effectivement manqués par le franchiseur, et non dans ceux qu'il escomptait réaliser si le contrat de franchise avait été conclu, de sorte que la société HPS n'est pas davantage fondée à réclamer sur ce fondement que sur celui de la rupture abusive des pourparlers le paiement des redevances qu'elle aurait pu percevoir entre mai à novembre 2007.

En outre, la société HPS ne justifie pas de l'importance du chiffre d'affaires manqué en raison du report de la clientèle des franchises voisines sur le restaurant exploité déloyalement par la société Landousie.

Mais néanmoins, il s'infère nécessairement de ces actes de concurrence déloyale l'existence d'un trouble commercial qu'il convient, au regard des éléments de la cause, de réparer par l'allocation de dommages-intérêts d'un montant de 5 000 euro.

Dès lors que la cour a admis que la société Landousie avait abusivement rompu des pourparlers en vue de la conclusion du contrat de franchise et avait commis des actes de concurrence déloyale, cette dernière ne peut sérieusement prétendre avoir été victime de manœuvres déloyales et d'un abus de procédure de la part de la société HPS.

L'appelante ne saurait au demeurant, sans se contredire, soutenir à la fois que la société HPS l'aurait fautivement laissée dans l'illusion de son intégration au réseau " Point chaud " et qu'elle aurait usé d'intimidations, voire de contrainte, pour lui imposer la souscription d'un contrat de franchise, étant de surcroît précisé que ces prétendues manœuvres n'ont pas été démontrées.

Enfin, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société HPS l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une indemnité complémentaire de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

En revanche, aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de la société Elancia.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 4 septembre 2009 par le Tribunal de commerce de Lorient, sauf en ce qu'il a condamné la société Landousie au paiement d'une indemnité de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance ; Condamne la société Landousie à payer à la société HPS les sommes de 5 758 euro au titre de la rupture des pourparlers précontractuels et de 5 000 euro au titre de la concurrence déloyale ; Condamne la société Landousie à payer à la société HPS une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne la société Landousie aux dépens d'appel ; Accorde à la société civile professionnelle Chaudet et Brebion, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.