CA Montpellier, 2e ch., 9 novembre 2010, n° 09-06452
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mayotte Vacances Camping Village (SARL)
Défendeur :
Europe Plein Air (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bachasson
Conseillers :
MM. Chassery, Prouzat
Avoués :
SCP Nègre-Pepratx-Nègre, SCP Argelliès-Watremet
Avocats :
Me Leroux, Lezer
Faits et procédure
La SA Europe Plein Air exploite un réseau de franchise regroupant des professionnels du camping et de l'hôtellerie en France et à l'étranger, sous la marque " Yelloh ! Village ".
Par acte sous seing privé du 10 juin 2003, la SARL Mayotte Vacances Camping Village (la société Mayotte Vacances), exploitant un camping situé à Biscarosse (40), a signé un contrat de franchise avec la société Europe Plein Air d'une durée de quatre ans à compter du 1er janvier 2004, moyennant une redevance calculée en fonction du nombre d'hébergements, avec un montant plancher de 30 490 euro et un montant maximal de 60 980 euro, outre 3 % du chiffre d'affaires apporté grâce à la centrale de réservation.
Un avenant au contrat en date du 22 juillet 2006 a modifié le montant de la redevance due annuellement, qui a été fixée à 3 % HT du chiffre d'affaires " hébergement " hors TVA de l'année en cours jusqu'à 3 millions d'euro et à 2 % HT du chiffre d'affaires pour la partie dépassant les 3 millions d'euro, avec un montant plancher de 38 000 euro HT ; il était convenu qu'une première facture équivalente aux 2/3 du montant de la redevance sera émise en juillet de chaque année et qu'une seconde facture sera émise au 1er février suivant, lorsque sera connu de chiffre d'affaire HT de l'année considérée.
En application de ce nouveau tarif, pour l'année 2006, la société Europe Plein Air a émis, le 21 août 2006, une première facture de 43 825,93 euro, correspondant aux 2/3 de la redevance afférente à l'année 2006 ; cette facture a été normalement réglée par la société Mayotte Vacances.
En revanche, la facture du solde, éditée le 15 mars 2007, d'un montant de 19 254,19 euro, n'a pas été payée par la société Mayotte Vacances, laquelle avait précédemment, par courrier recommandé du 8 février 2007, informé la société Europe Plein Air de sa volonté de dénoncer le contrat de franchise.
Par acte du 9 août 2007, la société Europe Plein Air a fait assigner la société Mayotte Vacances devant le Tribunal de commerce de Montpellier afin d'obtenir sa condamnation à lui payer le montant de sa facture du 15 mars 2007.
Reconventionnellement, la société Mayotte Vacances a demandé que soit prononcée l'annulation du contrat de franchise pour absence de cause et non-respect de l'information précontractuelle prévue à l'article L. 330-3 du Code de commerce et que lui soit restituée la somme de 290 317,87 euro correspondant aux redevances versées entre juin 2003 et février 2007 ; subsidiairement, elle a sollicité la condamnation de la société Europe Plein Air à lui payer, sur un fondement délictuel, la somme de 272 678,51 euro à titre de dommages et intérêts, soit la différence entre le montant des redevances réglées de 2004 à 2007 et le montant effectivement dû, calculé sur le chiffre d'affaires apporté par la centrale de réservation.
Par un jugement en date du 19 août 2009, la juridiction consulaire a débouté la société Mayotte Vacances de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à verser à la société Europe Plein Air la somme de 19 254,19 euro en principal, avec intérêts de droit à compter du 26 juillet 2007, outre la somme accessoire de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Mayotte Vacances a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Elle reprend devant la cour ses prétentions initiales tendant à obtenir, au principal, la nullité du contrat de franchise et la restitution de la somme de 290 317,87 euro au titre des redevances versées depuis juin 2003 et, subsidiairement, l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 272 678,51 euro en réparation de son préjudice, outre le rejet de la demande de la société Europe Plein Air en paiement de la somme de 19 254,19 euro ; elle sollicite, enfin, le versement de la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :
- la marque française " Yelloh ! Village ", déposée à l'Inpi, ne désigne pas la mise à disposition et l'exploitation d'un terrain de camping ou l'activité d'hôtellerie de plein air et la même marque, déposée au niveau européen auprès de l'OHMI, faisait l'objet de quatre oppositions lors de la signature du contrat de franchise, non encore levées, en sorte que ledit contrat, fondé sur une marque inexistante, est nul pour défaut de cause,
- le service offert par la société Europe Plein Air se limite, en effet, à une simple centrale de réservation, tenant l'absence d'originalité et donc, d'attractivité de la marque,
- le contrat de franchise est également nul pour réticence dolosive de la société Europe Plein Air qui, en méconnaissance de son obligation d'information préalable prévue à l'article L. 330-3 du Code de commerce, a omis de lui indiquer les conditions du départ de l'un des exploitants du réseau, de lui fournir une présentation de l'état local du marché et de lui préciser la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l'enseigne ou à la marque, devant être engagés avant le début de l'exploitation,
- la société Europe Plein Air a encore commis une faute, engageant sa responsabilité délictuelle, dès lors qu'elle lui a concédé une marque, dont elle n'était pas propriétaire et sans rapport avec l'activité du contrat de franchise, et qu'elle a manqué à son obligation d'information en ne lui fournissant aucune étude sérieuse sur le marché local,
- son préjudice est lié aux redevances payées sans contrepartie réelle, alors que la seule prestation effectuée, c'est-à-dire la centrale de réservation, a généré un chiffre d'affaires égal à environ 6 % du chiffre d'affaires total.
La société Europe Plein Air conclut, pour sa part, à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 2 000 euro en remboursement de ses frais irrépétibles.
En réplique à l'argumentation adverse, elle expose que :
- le moyen tiré de la nullité pour défaut de cause ou vice du consentement, invoqué par la société Mayotte Vacances, a été soulevé plus de cinq ans après la formation du contrat et par voie d'exception, alors que ledit contrat avait été exécuté par les parties depuis plusieurs années, ce dont il résulte qu'il se trouve atteint par la forclusion,
- la marque française " Yelloh ! Village ", qui a fait l'objet d'un enregistrement provisoire avant qu'un numéro d'identification national lui soit attribué, protège bien en classe 42 les services d'hébergement temporaire et aucune décision n'a été prise à ce jour par l'OHMI, mettant en cause la validité de la marque communautaire,
- le contrat de franchise n'est d'ailleurs pas circonscrit à une licence de marque, puisqu'il permet également au franchisé de bénéficier d'une centrale de réservation et d'une assistance commerciale et technique,
- le contrat ne prévoit à la charge du franchisé, aucun engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité, rendant obligatoire l'exécution d'une obligation d'information précontractuelle sur le fondement de l'article L. 330-3 du Code commerce et, en toute hypothèse, il n'est pas établi en quoi les informations, qui lui auraient été cachées lors de la conclusion du contrat, ont été déterminantes de son consentement,
- l'adhésion de la société Mayotte Vacances au réseau de franchise a eu une incidence évidente sur l'évolution de son chiffre d'affaires à partir de 2004.
Motifs de la décision :
Pour soutenir que le contrat de franchise, conclu le 10 juin 2003, est nul pour absence de cause, la société Mayotte Vacances fait valoir, en premier lieu, que l'obligation de la société Europe Plein Air de lui concéder l'utilisation de la marque " Yelloh ! Village " est dépourvue d'objet, puisque la marque française, déposée à l'Inpi, est sans rapport avec son activité de camping et que la marque européenne, déposée à l'OHMI, est contestée ; cette demande de nullité, qui tend à faire admettre que le paiement des redevances n'avait pas de contrepartie en raison de l'inexistence de la marque concédée, ne vise cependant que la protection des intérêts de la société franchisée, qui se prévaut d'un tel moyen ; il en résulte que la nullité pour absence de cause, invoquée, est une nullité relative soumise à ce titre à la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil.
Or, il n'est pas contesté que les conclusions de la société Mayotte Vacances, contenant la demande de nullité du contrat de franchise, ont été adressées par télécopie à la société Europe Plein Air le 12 juin 2008 en vue de l'audience du 13 juin suivant devant le tribunal de commerce, soit plus de cinq ans après la conclusion du contrat, constituant le point de départ du délai de prescription ; il ne peut être soutenu que le délai n'a commencé à courir qu'à compter du 1er janvier 2004, date d'effet du contrat, alors que dans l'intervalle, la société Mayotte Vacances ne s'est pas trouvée dans l'impossibilité d'agir.
Il est, en outre, soutenu que le contrat est nul pour réticence dolosive de la société Mayotte Vacances, qui n'aurait pas rempli son obligation d'information précontractuelle découlant de l'article L. 330-3 Code de commerce.
S'agissant du régime de la nullité applicable aux vices du consentement, l'article 1304, alinéa 2, dispose que le délai de cinq ans ne court, dans le cas d'erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts ; il incombe néanmoins à la victime de l'erreur ou du dol de prouver à quelle date le vice a cessé, faute de quoi, la prescription court du jour de l'acte.
En l'occurrence, la société Mayotte Vacances ne peut sérieusement prétendre n'avoir pu découvrir le dol avant le 1er janvier 2004 en arguant du fait qu'avant cette date, marquant le début de l'exécution du contrat, il n'était pas possible de découvrir que celui-ci était une coquille vide (sic) ; en effet, les informations, dont elle affirme avoir été privée, qu'il s'agisse de la présentation de l'état local du marché, des raisons du non-renouvellement du contrat d'un autre franchisé ou de l'indication des dépenses et investissements prévisibles, spécifiques à l'enseigne ou à la marque, constituent, par définition, des informations précontractuelles, devant être fournies au candidat franchisé, avant la conclusion du contrat et donc, son exécution ; il convient dès lors de considérer que le délai de la prescription a commencé à courir du jour de l'acte, soit le 10 juin 2003, et que la demande de nullité, fondée sur la réticence dolosive de la société Europe Plein Air, est également prescrite.
Si la partie qui se trouve déchue, du fait de l'expiration du délai de prescription, du droit d'exercer l'action en nullité d'un acte juridique, peut toujours invoquer l'exception de nullité, pour faire échec à la demande d'exécution de cet acte, encore faut-il que celui-ci n'ait pas été exécuté, même partiellement.
En l'espèce, le contrat de franchise, conclu le 10 juin 2003 pour une durée de quatre ans, a été normalement exécuté durant trois années consécutives, de 2004 à 2006, jusqu'à ce que la société Mayotte Vacances prenne l'initiative d'y mettre fin par courrier recommandé du 8 février 2007 ; il s'ensuit que celle-ci n'est pas recevable à invoquer la nullité du contrat, partiellement exécuté, pour s'opposer au paiement de la facture du solde de la redevance afférente à l'année 2006, éditée le 15 mars 2007.
Subsidiairement, la société Mayotte Vacances invoque la responsabilité délictuelle de son cocontractant en raison des manœuvres dolosives, dont elle aurait été victime, pour lui avoir concédé une marque dont elle n'était pas propriétaire et sans rapport avec son activité de camping et pour avoir omis de lui fournir, avant la conclusion du contrat, une étude sérieuse sur le marché local.
Pour autant, il est justifié, par les pièces produites, que la marque " Yelloh ! Village " a bien été déposée le 7 août 2000 auprès de l'Inpi sous le n° d'ordre 028236 et enregistrée sous le n° national 00 3046175 et qu'entre autres produits et services, la marque ainsi enregistrée désigne l'hébergement temporaire, assimilable à l'exploitation d'un terrain de camping ; de plus, le contrat de franchise ne prévoit pas la concession d'une marque européenne, la société Mayotte Vacances exerçant son activité sur le territoire français, et l'existence d'oppositions à l'enregistrement de la marque auprès de l'OHMI ne permet pas de présumer le défaut de validité de celle-ci.
Enfin, le contrat de franchise, par lequel la société Europe Plein Air a concédé à la société Mayotte Vacances, en contrepartie du paiement d'une redevance, l'utilisation de la marque " Yelloh ! Village ", l'accès aux services du réseau, notamment au système de réservation, et la mise à disposition d'une assistance commerciale, ne contient pas un engagement d'exclusivité du franchisé pour l'exercice de l'activité concernée, excluant ainsi l'application de l'obligation d'information prévue par l'article L. 330-3 ; il ne peut dès lors être reproché au franchiseur de n'avoir pas fourni à son partenaire une présentation de l'état général et local du marché, que celui-ci n'ignorait d'ailleurs pas si l'on considère que le gérant de la société, signataire du contrat (Michel Rocher), exploitait depuis de nombreuses années déjà un camping à Biscarosse.
Aucune faute n'étant démontrée à l'encontre de la société Europe Plein Air de nature à engager sa responsabilité délictuelle, la demande subsidiaire de la société Mayotte Vacances en paiement de dommages et intérêts ne peut qu'être rejetée.
Le jugement entrepris, qui a notamment condamné la société Mayotte Vacances au paiement de la somme de 19 254,19 euro en principal, montant de la facture du 15 mars 2007, avec intérêts de droit à compter du 26 juillet 2007, doit en conséquence être confirmé en toutes ses dispositions.
Succombant sur son appel, la société Mayotte Vacances doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Europe Plein Air la somme de 2000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Montpellier en date du 19 août 2009, Y ajoutant, Déboute la société Mayotte Vacances de sa demande subsidiaire en paiement de dommages et intérêts, Condamne la même aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Europe Plein Air la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.