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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 25 novembre 2010, n° 09-04054

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Selarl Vincent (ès qual.), Oumim (SARL)

Défendeur :

Cannelle (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Olivier

Conseillers :

Mmes Cagnard, Neve De Mevergnies

Avoués :

SCP Thery-Laurent, SCP Deleforge Franchi

Avocats :

Mes Chataignier, Sellier

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 8 avr. 200…

8 avril 2009

Vu le jugement rendu contradictoirement le 8 avril 2009 par le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing qui a débouté Me Vincent ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Oumim de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Cannelle la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel de Me Catherine Vincent et de la Selarl Catherine Vincent, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Oumim enregistré au greffe de la cour le 5 juin 2009.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 28 janvier 2010 par la Selarl Catherine Vincent, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Oumim, sollicitant la cour, au visa des articles 1382 du Code civil, subsidiairement 1147 du Code civil, de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989, du décret n° 91-337 du 4 avril 1991, de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- condamner la société Cannelle à lui payer, ès qualités, la somme de 363 000 euro à titre de dommages et intérêts, et celle de 6 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouter la société Cannelle de toutes ses demandes.

Vu les conclusions déposées le 8 décembre 2009 par la SA Cannelle qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement ;

- débouter la Selarl Vincent de l'ensemble de ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 5 000 euro complémentaires en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, procédures, prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 mai 2010.

Motifs de la décision

M. Pierrel Lionel, gérant de la SARL Oumim, immatriculée au RCS du Havre depuis le 4 avril 2006, a signé le 15 mars 2006 avec la SA Cannelle un contrat de franchise-commission d'une durée de cinq ans, expirant le 28 février 2011.

M. Pierrel était déjà commerçant au Havre, en qualité de cogérant avec Mme Aziza Boubtane de la SARL Tourim, exploitant depuis février 2004 un magasin de prêt-à-porter pour femmes dans le cadre d'un contrat de franchise de la marque "Morgan".

La signature du contrat a été précédée, à partir de novembre 2005, d'échanges d'informations entre les parties et de la remise par la société Cannelle de documents constitutifs des informations précontractuelles prévues par la loi du 31 décembre 1989 dite " loi Doubin ", devenue l'article L. 330-3 du Code de commerce, et son décret d'application du 4 avril 1991, codifié sous les numéros R. 330-1 et R. 330-2 du Code de commerce.

Le magasin à l'enseigne Cannelle a débuté son activité en juin 2006.

La SARL Oumim a contracté un emprunt bancaire d'un montant de 114 000 euro afin de financer le démarrage de son activité (dont 25 000 euro HT pour les travaux d'agencement, 8 000 euro pour le financement du droit d'entrée et 65 000 euro pour celui de l'acquisition du droit au bail).

Dès le 7 mars 2007 la société Oumim alertait la société Cannelle sur ses difficultés financières et sollicitait d'urgence une avance de trésorerie.

Faute d'accord sur les modalités de celle-ci, et constatant l'alourdissement des prélèvements rejetés, restés impayés, la société Cannelle résiliait le contrat avec effet immédiat le 4 mai 2007.

Le 25 mai 2007, le Tribunal de commerce du Havre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire immédiate à l'encontre de la société Oumim et désigné la Selarl Catherine Vincent en qualité de liquidateur.

Estimant que la société Cannelle avait manqué à ses obligations d'informations précontractuelles, la Selarl Vincent, ès qualités, a sollicité l'indemnisation des préjudices résultant de cette faute. C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement critiqué.

Sur les fautes de la société Cannelle

Aux termes de l'article L. 330-3 du Code de commerce, le franchiseur, en l'espèce la SA Cannelle, est tenu de fournir au candidat franchisé, préalablement à la signature du contrat, et au moins 20 jours avant celle-ci, un document donnant des informations sincères à ce candidat pour lui permettre de s'engager en connaissance de cause. Ce document doit notamment préciser l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants.

L'article R. 330-1 du Code de commerce précise, s'agissant des informations relatives à l'entreprise, qu'elles peuvent ne porter que sur les cinq dernières années qui précèdent celle de la remise du document, et qu'elles doivent être complétées par une présentation de l'état général et local du marché du produit ou service devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché.

En ce qui concerne la présentation du réseau d'exploitants, ce texte prévoit qu'elle doit comporter :

- la liste des entreprises qui en font partie avec indication pour chacune d'elles du mode d'exploitation ;

- l'adresse des entreprises établies en France avec lesquelles le franchiseur est lié par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, la date de conclusion ou de renouvellement de ces contrats étant précisée.

En l'espèce, la société Cannelle justifie avoir adressé à M. Pierrel les documents suivants :

- des informations, tenant sur une page recto, donc très générales, sur la franchise Cannelle, datées du 8 novembre 2005, mais envoyées en réalité le 16 novembre (pièce 6 de Cannelle) ;

- des informations relatives au chiffre d'affaires de 8 magasins Cannelle en centre-ville, en projection pour l'année 2005 à la fin de la semaine 49, datées du 8 novembre 2005, mais établies le 13 décembre et envoyées à cette date (pièce 4 de Cannelle) ;

- la liste des boutiques Cannelle en France et en Belgique, le 24 novembre 2005, cette liste ne précisant pas la date de conclusion ou de renouvellement des contrats ;

- un compte prévisionnel d'exploitation sur 3 ans, comportant une hypothèse basse, une hypothèse moyenne et une hypothèse haute, le 12 décembre 2005 (pièce 28 de Cannelle) ;

- un " document d'information précontractuel " le 5 janvier 2006, comprenant, outre une présentation plus complète de l'entreprise (le réseau Cannelle en France demeurant limité à l'énoncé de sa composition à fin juillet 2005 de 78 boutiques, réparties en 37 franchises-commission et 41 succursales, et à l'énoncé des contrats expirés et créés au cours des 12 derniers mois), un exposé du marché en 2003, un dossier de faisabilité économique établi au 26 décembre 2005, restant à terminer, indiquant succinctement la zone de chalandise, les autres enseignes de lingerie (au nombre de 4), les magasins Cannelle les plus proches (Rouen et Avranches), l'état du marché local actuel (3 lignes) et les perspectives de développement (2 lignes), l'emplacement et l'environnement du magasin, un tableau de chiffre d'affaires prévisionnels sur 3 ans en prenant pour référence le magasin d'Amiens, un tableau comparatif de chiffre d'affaires et de surface portant sur 10 magasins établissant un chiffre d'affaires moyen/m2 de 4 771 euro (pièce de Cannelle ) ;

- un dossier de faisabilité économique, non daté, signé du chargé d'expansion et du directeur commercial de la société Cannelle, d'une part, de M. Pierrel, d'autre part, complétant les éléments précédents en apportant d'autres chiffres au tableau prévisionnel de chiffre d'affaires (350 000 euro en année 1 au lieu de 300 000, 380 000 euro en année 2 au lieu de 330 000, 410 000 euro en année 3 au lieu de 355 000), en incluant un tableau de financement, un compte d'exploitation et un compte de trésorerie prévisionnels sur 3 ans (pièce 16 de Cannelle) ; la Selarl Vincent soutient que ce dernier document a été remis à M. Pierrel le jour de la signature du contrat, et la société Cannelle ne rapporte pas la preuve contraire.

La SA Cannelle ne rapporte pas la preuve que le tableau relatif à l'évolution du réseau (sa pièce 21) a été remis à M. Pierrel avec les documents d'information précontractuels, ceci d'autant moins que ce tableau mentionne les évolutions en 2006 et 2007, postérieures à la date de signature du contrat.

La SA Cannelle ne rapporte pas plus la preuve de l'envoi à M. Pierrel de la liste des boutiques en franchise et des magasins en succursales au 25 août 2005, indiquant la date du contrat initial et des renouvellements (ses pièces 2 et 3), et du tableau retraçant l'évolution des chiffres d'affaires des magasins de référence pour le Havre (sa pièce 34), dès lors que, contrairement à toutes les autres pièces précédemment visées, aucune mention relative à un envoi par fax ne figure sur ces pièces.

L'examen des documents ainsi remis à M. Pierrel lors des pourparlers précontractuels conduit à retenir, comme le souligne à juste titre la Selarl Vincent, que :

" les informations données sur le réseau d'exploitants, très générales et uniquement sur l'année 2005, sont très largement insuffisantes en l'absence d'éléments sur l'évolution du réseau lors des cinq dernières années précédant la date de signature du contrat, et sur la date de conclusion ou de renouvellement des contrats passés avec les différents membres du réseau dont la liste été communiquée ;

" les informations données sur le marché national pêchent par leur caractère déjà ancien (2003) au regard de la date du projet à horizon mars 2006, et la SA Cannelle ne peut sérieusement soutenir qu'elle ne disposait pas d'autres éléments à cette époque, ce qu'elle se borne d'ailleurs simplement à affirmer ;

" les informations données sur la situation locale du marché (" concurrence essentiellement au centre Coty (Étam et Princess Tam-Tam ) ; 2 indépendants à proximité (Debeauvais : mag de 60 m2 moins bien placé et très vieillot) ; zone de chalandise très importante ") et ses perspectives de développement (" la zone piétonne est en plein développement avec l'arrivée de nouvelles enseignes : Burton, Morgan, etc... Le centre du Havre est en pleine mutation ") sont, d'une part, très générales et imprécises, d'autre part, incomplètes dès lors que cinq autres enseignes installées au Havre ne sont pas mentionnées, et aucun renseignement n'est apporté sur le chiffre d'affaires réalisé par la concurrence ; la SA Cannelle ne pouvait se dispenser de communiquer ces renseignements aux motifs qu'il s'agirait de magasins ne pouvant développer une activité significative en matière de lingerie susceptible de concurrencer la société Oumim, que ces magasins ne figurent pas au répertoire Codata qu'elle a utilisé pour son étude, alors qu'il lui appartient de fournir des renseignements précis et complets, sans se limiter à certaines références qui, de surcroît, comme en l'espèce, ne sont pas à jour puisque les références Codata datent de juillet 2000 et que le projet étudié se situe sur décembre 2005 et le premier trimestre 2006 ; elle ne pouvait en outre s'abstenir de renseigner les rubriques relatives au chiffre d'affaires estimé des autres enseignes de lingerie aux motifs que cette obligation ne lui est pas imposée par les textes légaux et réglementaires et que ces chiffres ne lui sont accessibles que pour les magasins situés en centres commerciaux, alors que, l'article L. 330-3 du Code de commerce lui impose de décrire l'état du marché local, qui comprend nécessairement la concurrence, et en conséquence de donner au candidat franchisé des éléments lui permettant d'apprécier la manière dont elle se situe face à cette concurrence, que, même si les dispositions de l'article précité et celles de l'article R. 330-1 ne visent pas expressément tel ou tel renseignement à fournir, elle a elle-même pris l'initiative d'établir une fiche (sa pièce 7/3) relative à la concurrence comportant 3 tableaux où figure une rubrique consacrée au chiffre d'affaires estimé des enseignes listées, qu'elle s'oblige donc à renseigner de façon sincère, exacte et objective, et que, précisément, deux références citées (Étam et Princess Tam-Tam) sont situées en centre commercial et qu'elle pouvait donc avoir accès à leur chiffre d'affaires ;

" les indications données sur les chiffres d'affaires prévisionnels des trois premières années d'activité doivent, même si le franchiseur n'est pas tenu d'établir un tel document, être établies de façon sincère, sur des bases sérieuses, exactes et objectives lorsque, comme en l'espèce, la société Cannelle a fait le choix de communiquer de telles prévisions ; or il apparaît, d'une part, que les chiffres retenus sur les derniers prévisionnels étaient en sensible augmentation par rapport à ceux qui avaient été fixés sur les documents remis le 5 janvier 2006 ; que les références de la SA Cannelle pour accréditer les chiffres indiqués sont en majorité des magasins existant depuis plusieurs années, figurant parmi les plus performants, exploités majoritairement en succursales qui ont la particularité de présenter pour une part prépondérante les meilleurs chiffres d'affaires ; que ces éléments ont été connus trop tardivement et partiellement de M. Pierrel, le jour de la signature du contrat, les dates d'ouverture des magasins, dont ceux de référence et leurs performances ne résultant que des pièces produites au cours de la procédure ; que, d'autre part, ces chiffres correspondaient à une surface de vente de 70 m2 alors qu'après la signature du contrat, la SA Cannelle a imposé une réduction de la surface de vente à 51,50 m2 comme en attestent les plans du projet au 13 avril 2006 (pièce 29 de la Selarl Vincent) ; qu'enfin le chiffre d'affaires réalisé par la SARL Oumim au 27 mai 2007 était de 127 295 euro HT, très loin du chiffre d'affaires prévisionnel de la première année fixé à 292 642 euro HT (350 000 euro TTC), en retrait de 56,5 % par rapport à celui-ci, sans que soit mis en cause une faute quelconque de la SARL Oumim dans l'absence de réalisation de l'objectif prévu ; en outre, la Selarl Vincent établit qu'au 31 décembre 2007 58 magasins Cannelle sur 125 parvenaient à réaliser un chiffre d'affaires supérieur à 350 000 euro (sa pièce 27), démontrant ainsi l'inexactitude grossière et l'absence de sérieux des prévisions données par la SA Cannelle à son candidat franchisé.

L'ensemble de ces éléments caractérise une défaillance grave de la SA Cannelle dans l'exécution de ses obligations d'information précontractuelle, telle que prévue aux articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce : informations imprécises, incomplètes, tardives, erronées ou grossièrement inexactes sur des éléments essentiels à la prise de décision du candidat franchisé qui n'a donc pas pu contracter en réelle connaissance de cause.

Cette faute ouvre droit à réparation des préjudices subis sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil.

Le jugement sera donc infirmé.

Sur le préjudice

Aucune faute de la SARL Oumim ayant concouru à la réalisation des préjudices dont il est demandé réparation n'est établie ni même invoquée par la SA Cannelle.

La Selarl Vincent justifie de l'état des créances inscrites au passif de la SARL Oumim au 28 novembre 2008, arrêté à la somme de 134 710,67 euro. Ce montant représente pour sa plus grande part le solde du prêt bancaire accordé par la Bred pour l'installation et le lancement du magasin, ressortant à 107 100,57 euro.

Ce résultat déficitaire du fonds de commerce est imputable aux seules fautes de la SA Cannelle qui ont conduit le dirigeant de la SARL Oumim à s'engager dans une entreprise dont la présentation était erronée et trompeuse. Il y a donc lieu de faire droit à la demande pour la somme de 134 710 euro, le fait que cette somme ne comprenne pas la créance de la société Cannelle, pour une raison que la cour ignore, ni le montant des réalisations d'actifs, étant indifférent.

En ce qui concerne le gain manqué sur 5 ans (durée initiale du contrat), la Selarl Vincent n'est pas fondée en sa réclamation basée sur le prévisionnel dont elle a démontré le caractère erroné et excessif. Sa demande doit donc être rejetée.

Sur les autres demandes

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la Selarl Vincent le montant de ses frais irrépétibles fixés à 5'000 euro.

La SA Cannelle supportera l'intégralité des dépens de première instance et d'appel avec, pour ceux-ci, application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe ; Infirme le jugement déféré ; Statuant à nouveau, Condamne la SA Cannelle à payer à la Selarl Catherine Vincent, ès qualités de liquidateur de la société Oumim, la somme de 134 710 euro à titre de dommages et intérêts ; Déboute la Selarl Catherine Vincent, ès qualités, du surplus de sa demande ; Condamne la SA Cannelle à payer à la Selarl Catherine Vincent, ès qualités, la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA Cannelle aux dépens de première instance et d'appel avec, pour ceux-ci, application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la SCP Théry-Laurent, avoué.