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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 novembre 2010, n° 08-16911

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fiat France (SA)

Défendeur :

Groupe Financier Barre (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Le Fèvre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Lagrange, Bourgeon

T. com. Paris, du 24 juin 2008

24 juin 2008

LA COUR,

Vu le jugement du 24 juin 2008 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Fiat France à payer à la société GAO - Loire Ocean Automobiles les sommes de 193 000 euro et 217 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre celle de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté par la société Fiat France et ses conclusions du 27 septembre 2010 et tendant à faire :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau :

- débouter la société Groupe Financier Barre, venant aux droits de la société GAO-LOA, de toutes ses demandes,

- condamner la société Groupe Financier Barre, à lui restituer la somme de 410 000 euro, outre les intérêts à compter de la décision à intervenir, ainsi que celle de 10 000 euro au titre des frais hors dépens ;

Vu les conclusions de la société Groupe Financier Barre venant aux droits de la société GAO-LOA et tendant à faire :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit fautives les décisions de résiliation des contrats de distribution à durée indéterminée Fiat véhicules particuliers et véhicules utilitaires et Lancia conclus respectivement les 17 et 20 juillet 2004, notifiées par la société Fiat France à la société GAO Loire Océan Automobiles le 2 février 2006 avec préavis réduit à 9 mois au lieu des préavis de résiliation ordinaire contractuels de 24 mois, et en ce qu'il a condamné la société Fiat France à payer à la société GAO Loire Océan Automobiles la somme de 193 000 euro à titre de dommages et intérêts en compensation du préjudice subi par cette dernière à ce titre,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Fiat France à indemniser la société GAO Loire Océan Automobiles des incidences de la résiliation des contrats de distribution sur son activité de réparateur agréé des véhicules des marques Fiat et Lancia,

- élever toutefois le montant de la condamnation à dommages et intérêts de la société Fiat France en réparation des préjudices subis par la société GAO Loire Océan Automobiles à ce titre à 254 000 euro,

- Condamner la société Fiat France à payer à la société Groupe Financier Barre la somme de 290 000 euro en réparation du préjudice né de la dévalorisation de son fonds de commerce, outre celle de 10 000 euro au titre des frais hors dépens ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

Courant 1997 la société Fiat France avait confié à la société GAO-LOA, au travers de la conclusion de 3 contrats de concession à durée indéterminée, la distribution des véhicules particuliers et utilitaires de la marque Fiat ainsi que des véhicules particuliers de la marque Lancia sur le territoire de l'agglomération nantaise.

Le 21 mai 2002 la société Fiat France prononçait la résiliation des contrats considérés avec un préavis de deux ans conformément aux stipulations de leurs articles 6-1.

Toutefois n'ayant trouvé aucun nouvel investisseur sur la région nantaise la société Fiat France a cherché en 2004 à renouer ses relations avec la société GAO-LOA.

Au terme de négociations menées entre les parties de mars à mai 2004 des accords sont intervenus entre elles sur la signature de nouveaux contrats de distribution et de réparation des gammes Fiat véhicules particuliers, Fiat véhicules utilitaires et Lancia dans le cadre du règlement communautaire d'exemption n° 1400-2002 relatif aux accords de distribution automobile, ainsi que sur un schéma de relance des marques Fiat et Lancia sur l'agglomération nantaise en parallèle du redressement escompté de leurs ventes sur le marché national.

Ce schéma, formalisé par un courrier de la société Fiat du 11 mai 2004 contresigné par la société GAO - LOA et ayant valeur de protocole d'accord, passait par :

- un "plan de redéploiement" de l'activité de la société GOA-LOA depuis son site de la [...], Village Automobiles Paridis à partir du deuxième semestre 2004 (renforcement de l'équipe de vente "formation" élargissement des horaires d'ouverture), - la définition d'objectifs de vente sur une période de 3 ans du 1er avril 2004 jusqu'au 31 décembre 2006,

- l'engagement de la société GAO-LOA de présenter un projet d'implantation d'un second site sur l'agglomération nantaise avant le 30 juin 2005, la non-réalisation de ces différents points étant susceptible d'entraîner la résiliation des nouveaux contrats à durée indéterminée moyennant un préavis de 6 à 9 mois en cas de résiliation au cours de l'exercice 2005.

A la suite de cet accord, des contrats de distribution correspondant aux nouveaux contrats-type proposés par la société Fiat France à son réseau dans le cadre du règlement 1400-2002 susmentionné entré en vigueur le 1er octobre 2003 ont été conclus les 17 et 20 juillet 2004 pour les gammes Fiat véhicules particuliers, Fiat véhicules utilitaires et Lancia.

Le préavis de résiliation ordinaire desdits contrats fut fixé à 2 ans conformément aux nouvelles dispositions communautaires.

Néanmoins, par courrier du 2 février 2006, la société Fiat France a notifié à la société intimée sa décision de résilier les trois contrats de distribution conclus en juillet 2004, moyennant un préavis réduit à 9 mois, soit à effet du 30 novembre 2006, motif pris de la non-réalisation des objectifs de vente prévus pour 2005 dans le cadre des accords intervenus au printemps 2004 et de l'absence de présentation par la société GAO d'un "projet complet d'implantation" d'un deuxième site d'exploitation avant le 30 juin 2005.

La société GAO-LOA ayant contesté le bien-fondé des résiliations ainsi intervenues a, par acte du 8 juin 2006, assigné en dommages et intérêts la société Fiat France devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de dommages-intérêts. C'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré.

Sur la résiliation des contrats de concession

Considérant que pour justifier les résiliations litigieuses la société Fiat France s'est, tout d'abord, fondée sur la non-réalisation des objectifs de vente convenus dans le protocole d'accord susmentionné du 11 mai 2004 ;

Considérant, cependant, que si, contrairement aux dires de l'intimée sur ce point, il n'y a pas eu " novation " audit protocole du fait de la conclusion des contrats susvisés des 17 et 20 juillet 2004, il échet de relever que la mise en œuvre concrète du protocole et, notamment, des objectifs de vente litigieux qui y étaient mentionnés ne pouvait avoir lieu qu'au travers de la passation de nouveaux engagements de distribution prévoyant la réalisation d'objectifs de vente ; qu'en vertu de l'article 6 des contrats ainsi souscrits de tels objectifs étaient définis comme "une obligation pour le distributeur de s'efforcer de vendre sur une période déterminée .... des quantités minimales de véhicules contractuelles" ; que, toutefois, la société Fiat France n'a jamais articulé un quelconque reproche à l'encontre de la société GAO-LOA quant à l'insuffisance des moyens consacrés à la distribution des véhicules Fiat et Lancia et à l'éventuel lien entre cette carence et la non-réalisation des objectifs assignés dans le protocole du 11 mai 2004 ; qu'au contraire, dans son courrier du 18 avril 2005, l'appelante a expressément reconnu que l'intimée avait exécuté intégralement le "plan de redéploiement" défini dans ledit protocole ; que la société Fiat France ne justifie pas davantage avoir émis au cours de l'année 2005 de quelconques critiques sur les moyens consacrés par la société GAO- LOA à son activité de distribution ; que ce n'est que par un courrier du 16 décembre 2005 que l'intéressée a évoqué pour la première fois une insuffisance des performances de cette dernière par rapport aux objectifs prévus par le protocole sans pour autant que soit alléguée la moindre insuffisance des moyens mis en œuvre à cet effet ; que, par ailleurs, si les ventes réalisées ont été effectivement très inférieures aux objectifs fixés pour l'année 2005 (168 véhicules particuliers Fiat, 24 Lancia et 129 véhicules utilitaires Fiat vendus pendant l'année considérée au regard de prévisions pour les catégories respectives considérées de 324, 36 et 150 unités), il sera observé que lesdites ventes ont représenté un réel progrès par rapport à celles réalisées en 2004 alors que dans le même temps il n'est pas contesté qu'il y a eu une baisse sensible des ventes de la marque Fiat au niveau national et que celle-ci a régressé tant en parts de marché qu'en volume ; que, dans ces conditions, l'inexécution des engagements de ventes souscrits ne peut être considérée comme démonstrative d'une méconnaissance par la société intimée de son obligation de moyen d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation des contrats avec un préavis raccourci par rapport à celui conventionnellement convenu ;

Considérant que si la société Fiat France a également fondé sa décision de résiliation sur la "non-présentation" d'un projet d'implantation tel que prévu dans le " protocole du 11 mai 2004 et si elle soutient que l'intimée n'aurait fourni qu'une présentation sommaire sans descriptif précis ni éléments financiers ", il ressort des pièces du dossier que l'intimée avait transmis à sa cocontractante par courriers du 23 juin 2005 " deux projets d'implantation d'un second site d'exploitation Fiat VP, Fiat VU et Lancia sur la ville de Nantes " ; que les documents joints, même si des études complémentaires étaient nécessaires pour permettre de finaliser les choix à effectuer, étaient suffisamment précis pour autoriser une appréciation de la part du concédant sur leur pertinence de principe tant au niveau urbanistique qu'économique ; qu'au demeurant le protocole du 11 mai 2004 ne soumettait cette présentation à aucun formalisme particulier et se bornait à prévoir une faculté de résiliation des contrats conclus " dès lors qu'aucun projet immobilier n'aurait été présenté à Fiat Auto avant le 30 juin 2005 " ; que ce n'est d'ailleurs que par courrier du 16 décembre 2005, alors que des échanges eurent lieu entre les parties dans le courant de l'année 2005, que la société Fiat France a excipé de la prétendue insuffisance des projets présentés; qu'en effet dans une lettre adressée le 29 juillet 2005 à cette dernière le directeur " développement réseaux " de l'appelante accusait réception sans la moindre réserve des documents transmis en exprimant seulement le souci d'étudier ultérieurement ce projet " Comme convenu dans le protocole référence SNJ/JFC 60380 du 11 mai 2004, vous nous faites part d'un second projet d'implantation sur la ville de Nantes pour exploiter les marques Fiat VUL et Lancia, étant donné l'importance et l'étendue de ce projet, il me semble essentiel d'en discuter de vive voix lors d'un rendez-vous à planifier au tout début du mois de septembre. Nous en profiterons aussi pour faire le point sur l'état d'avancement du protocole cité ci-dessus ";

Considérant, enfin, que la société Fiat France ne pouvait, en tout état de cause, invoquer à l'appui de ses décisions de résiliation le caractère incomplet des documents considérés alors précisément que les correspondances échangées entre les parties témoignaient de l'absence de viabilité à court terme d'un projet de création d'un second site d'implantation sur le territoire nantais, notamment au regard de l'insuffisance du volume de ventes de la marque ;

Considérant qu'il s'ensuit que la société Fiat France n'était pas fondée dans ces conditions à prononcer les résiliations critiquées et a commis à ce titre une faute de nature à engager sa responsabilité à l'endroit de son concessionnaire ;

Sur le préjudice

Considérant que les décisions de résiliation notifiées le 2 février 2006 ont, tout d'abord, privé la société GAO-LOA des gains qu'elle aurait pu retirer de la poursuite des contrats de distribution pendant 15 mois supplémentaires compte tenu de la durée des préavis de résiliation ordinaire prévus à l'article 5.1 des contrats de distribution concernés; que sur la base de l'excédent brut d'exploitation retiré de la vente des véhicules neufs des marques Fiat et Lancia en 2005 le préjudice correspondant doit être évalué à 193 843,75 euro soit 155 075 euro x 15/12 arrondis à 193 000 euro ; que l'appelante ne saurait utilement critiquer le calcul de l'excédent brut d'exploitation ainsi défini et résultant du compte de résultat analytique de l'exercice 2005 au regard du "business management" de ce même exercice, lequel n'est pas un document comptable mais une simple synthèse de certaines données de gestion sollicitée par la société Fiat France dans une perspective de comparaison statistique de l'activité des réseaux du groupe Fiat au plan européen ; que, de même, cette dernière ne peut davantage contester ledit résultat analytique de l'exercice 2005 sans prendre en compte l'existence du résultat cumulé découlant des bilans de la société Groupe Financier Groupe Barre et de la société GAO-LOA sa filiale unique ;

Considérant, en deuxième lieu, que même si elle a poursuivi une activité en tant que réparateur agréé la société GAO-LOA a enregistré, dans le cadre de cette activité après-vente, une diminution obligée de ses recettes induite par la perte de la vente des véhicules neufs des deux marques ; qu'eu égard à l'ensemble des éléments du dossier et compte tenu, notamment, de la baisse de l'excédent brut d'exploitation retiré par la société GAO-LOA de son activité après-vente pendant la période de préavis dont elle a été privée, la cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer son préjudice subi de ce chef à la somme de 150 000 euro ;

Considérant, en revanche, que l'intimée ayant été indemnisée du non-respect par la société Fiat France du préavis conventionnel et n'ayant par ailleurs aucun droit acquis au maintien des contrats litigieux sauf à ce que soit méconnue la liberté contractuelle de chaque partie, n'est pas fondée à solliciter l'indemnisation de la prétendue diminution de valeur de son fonds de commerce dont elle fait état et qui aurait été provoquée par la perte de sa qualité de distributeur ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement sauf à réduire de 217 000 à 150 000 euro la somme allouée à la société intimée au titre des dommages-intérêts afférents à son activité après-vente et de débouter les parties du surplus de leurs demandes respectives ;

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'appelante à verser à l'intimée la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article susvisé.

Par ces motifs, - Confirme le jugement. - Réduit toutefois de 217 000 à 150 000 euro la somme de allouée à la société Groupe Financier Barre au titre de dommages-intérêts afférents à son activité après-vente. - Déboute les parties du surplus de leurs prétentions respectives. - Condamne la société Fiat France aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile. - La condamne ainsi à verser à la société Groupe Financier Barre la somme de 5 000 euro au titre des frais hors dépens.