Livv
Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 29 novembre 2010, n° 09-02246

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lemoine (SARL), de la Galbaudine (SCEA)

Défendeur :

Francopia (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Maunand

Conseillers :

M. Ciret, Mme Hussenet

Avoués :

SCP Delvincourt-Jacquemet-Caulier-Richard, SCP Thoma-Delaveau-Gaudeaux

Avocats :

Selas Gassert Simon, Me Froger

T. com. Châlons-en-Champagne, du 7 mai 2…

7 mai 2009

Faits et procédure

Suivant acte sous seing privé en date du 23 juin 1988, la société à responsabilité limitée (SARL) Francopia, " agissant en son nom personnel et pour le compte de Sanofi-Chimie ", a " conclu pour la seule année 1988 " un " contrat de prestation " avec la SARL Lemoine, sise à Sompuis (51), aux termes duquel celle-ci s'engageait à assurer " une prestation comprenant la réception, le stockage, le séchage, le battage, le triage, l'expédition de pavots récoltés en capsules entières ".

Par la suite, de nouveaux accords annuels avec le même objet ont été conclus entre la SARL Francopia et la SARL Lemoine et ce jusqu'à la signature d'un " contrat de prestation 2006 ", en date du 1er juin 2006.

Parallèlement, la SARL Francopia a conclu des contrats de production d'oeillette mûre (variété de pavot cultivé pour ses graines) avec des agriculteurs-exploitants de la région Champagne-Ardenne, dont la société civile d'exploitation agricole (SCEA) dénommée de la Galbaudine, également sise à Sompuis (51), dans les bâtiments de laquelle était exercée l'activité de la SARL Lemoine.

Par lettre du 25 juillet 2006, la SARL Francopia a avisé les agriculteurs produisant des oeillettes, dont la SCEA de la Galbaudine, qu'elle était contrainte " de réduire fortement les surfaces d'oeillette dans toutes les régions de production, notamment dans celle de la Champagne-Ardenne " et qu'il ne lui serait " plus possible, dès la campagne 2007 " de leur " proposer un contrat de culture ".

Ayant appris cette décision, dont elle a dénoncé le 27 juillet 2006 par téléphone le caractère, selon elle, " brutal ", la SARL Lemoine a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 4 août 2006, fait savoir à la SARL Francopia qu'elle souhaitait en avoir par écrit les raisons et motivations.

Par courrier en réponse daté du 11 septembre 2006, envoyé selon les mêmes formes, la SARL Francopia a invoqué les raisons suivantes :

- des stocks mondiaux de matière première très importants

- des stocks élevés en granulés, conséquence de deux années d'importantes productions pour Francopia

- une concurrence extrêmement agressive notamment sur les marchés internationaux

- maintien d'une répartition géographique nationale pour réduire le risque de l'incidence climatique.

Puis, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 12 septembre 2006 faisant référence au " contrat de prestation du 1er juin 2006 ", la SARL Francopia a informé la SARL Lemoine de sa " décision d'abandonner la totalité de (ses) activités relatives à la production d'oeillette récoltée en mûr dans la région Champagne Ardenne " et de ce qu''en conséquence, et conformément aux stipulations de l'article 11 du contrat susmentionné, elle résiliait " ce contrat, et ce à compter du 31 octobre 2006 ".

Par courrier du 23 février 2006, la SARL Lemoine a sollicité de la SARL Francopia " une solution acceptable pour toutes les parties ", indiquant qu'à défaut de recevoir une proposition satisfaisante dans un délai de quinzaine, elle saisirait son avocat " afin d'engager une action judiciaire ".

La SARL Francopia a répondu le 12 mars 2007 qu'elle était " d'accord " pour " rencontrer " la SARL Lemoine " afin d'examiner (sa) réclamation ".

Par acte du 23 août 2007 , la SARL Lemoine et la SCEA de la Galbaudine, invoquant les articles 1134, 1147 et 1382 du Code civil et L. 442-6-I du Code de commerce, ont assigné la SARL Francopia devant le Tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne en paiement, avec exécution provisoire, des sommes de 120 000 euro et de 51 497,96 euro à la SARL Lemoine et de celle de 139 754,64 euro à la SCEA de la Galbaudine, à titre de dommages-intérêts. Soulignant la durée des relations contractuelles entre les parties (18 ans) et leur situation de dépendance envers la SARL Francopia, leader mondial sur le marché licite des opiacés à destination de la santé publique, et faisant valoir que les exigences de cette société leur avaient imposé des investissements non amortis, représentant, selon des factures d'investissements et d'entretien datées des années 2004, 2005 et 2006, 51 497,96 euro toutes taxes comprises (TTC) pour la SARL Lemoine et 139 754,64 euro TTC pour la SCEA de la Galbaudine, les demanderesses ont stigmatisé la brutalité de la rupture intervenue sans préavis écrit adapté. La SARL Lemoine a estimé avoir ainsi été privée des bénéfices 2007 escomptés, évalués au minimum à 120 000 euro.

La SARL Francopia a conclu au débouté, faisant valoir que la décision de rompre n'est pas subordonnée à l'exigence d'un motif légitime, qu'elle n'avait commis aucune faute et que les préavis de non-renouvellement des contrats de prestation et de culture litigieux étaient suffisants et conformes aux usages dans le secteur d'activité concerné, preuve en étant que la SCEA de la Galbaudine avait, pour la campagne 2007, pu remplacer la culture de l'oeillette par celle du colza. Subsidiairement, elle a soutenu que les demanderesses ne prouvaient pas la réalité du préjudice qu'elles invoquaient, ni le lien de causalité entre la prétendue faute et celui-ci. La défenderesse a sollicité plus subsidiairement, au cas où une faute serait retenue à son encontre, l'institution d'une expertise aux fins d'estimation de l'éventuel préjudice subi par les demanderesses en raison de la cessation des relations contractuelles entre les parties. A titre infiniment subsidiaire, elle a prié le tribunal de dire que les éventuels dommages-intérêts porteraient intérêts légaux à compter du jugement. Elle a, enfin, réclamé une indemnité de 5 000 euro pour frais non taxables. Par jugement rendu le 7 mai 2009, le Tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne a :

- dit que les délais de préavis de non-renouvellement des contrats de culture et de prestation étaient suffisants et conformes aux usages dans le secteur d'activité

- constaté, en conséquence, l'absence de brusque rupture

- constaté que les non-renouvellements de contrats étaient motivés et justifiés

- dit, en conséquence, que la société Francopia n'a commis aucune faute contractuelle

- débouté la SARL Lemoine de toutes ses demandes

- débouté la SCEA de la Galbaudine de toutes ses demandes

- dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

- condamné solidairement la SARL Lemoine et la SCEA de la Galbaudine aux entiers dépens liquidés à la somme de 93,29 euro.

La SARL Lemoine et la SCEA de la Galbaudine ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 4 septembre 2009.

Moyens des parties

En l'état de leurs dernières conclusions déposées le 27 septembre 2010, la SARL Lemoine et la SCEA de la Galbaudine sollicitent l'infirmation du jugement déféré et prient la cour de condamner la SARL Francopia à payer à la SARL Lemoine les sommes de 252 093 euro et de 46 263 euro aux titres, respectivement, de la perte de marge brute et des investissements non amortis de celle-ci, ainsi que la somme de 67 024,37 euro à la SCEA de la Galbaudine en compensation des investissements non amortis de cette dernière. Chacune des appelantes réclame, en outre, l'allocation d'une indemnité de 5 000 euro pour frais non répétibles. Invoquant l'article 442-6-I du Code de commerce, la SARL Lemoine soutient que la SARL Francopia a rompu une relation commerciale établie, qui avait duré 18 ans. Elle soutient que le délai de préavis fixé par le contrat du 1er juin 2006 doit être écarté, parce que trop bref alors qu'elle dépendait de la société intimée pour 90 % de son chiffre d'affaires, qu'elle avait investi la somme de 51 497,96 euro TTC peu avant la rupture pour satisfaire aux exigences de cette dernière et que la spécificité de son activité lui interdisait toute reconversion. La SARL Lemoine ajoute que "les motifs avancés par la société Francopia sont fallacieux et traduisent sa mauvaise foi". Quant à elle, la SCEA de la Galbaudine prétend qu'elle peut invoquer l'exécution défectueuse du contrat passé entre les sociétés Francopia et Lemoine et réclamer réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Par ses dernières écritures déposées le 5 octobre 2009, la SARL Francopia conclut à la confirmation du jugement déféré, faisant valoir que la décision de rompre n'est pas subordonnée à l'exigence d'un motif légitime, qu'elle n'a commis aucune faute et que les préavis de non-renouvellement des contrats de prestation et de culture litigieux étaient suffisants et conformes aux usages dans le secteur d'activité concerné, ce dont elle veut pour preuve le fait que SCEA de la Galbaudine a, pour la campagne 2007, pu remplacer la culture de l'oeillette par celle du colza. Subsidiairement, elle soutient que les appelantes ne prouvent pas la réalité du préjudice qu'elles invoquent, ni le lien de causalité entre la prétendue faute et celui-ci. La société intimée sollicite plus subsidiairement, au cas où une faute serait retenue à son encontre, l'institution d'une expertise aux fins d'estimation de l'éventuel préjudice subi par les appelantes en raison de la cessation des relations contractuelles entre les parties. A titre infiniment subsidiaire, elle prie la cour de dire que les éventuels dommages-intérêts porteraient intérêts légaux à compter de l'arrêt. Elle réclame, enfin, l'allocation d'une indemnité de 7 500 euro pour frais non taxables.

L'ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 12 octobre 2010.

SUR CE,

Sur la rupture du contrat conclu avec la SARL Lemoine

Attendu que l'article L. 442-6- I du Code de commerce dispose : Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) ;

" 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ; (...) ";

Attendu qu'entre dans le champ d'application de ce texte toute relation commerciale établie, que celle-ci porte sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service ;

Que tel est le cas de la relation commerciale entre la SARL Francopia et la SARL Lemoine, matérialisée :

- à l'origine, par un contrat de prestation en date du 23 juin 1988, " conclu pour la seule année 1988 ", aux termes duquel cette dernière société s'engageait à assurer une prestation comprenant la réception, le stockage, le séchage, le battage, le triage, l'expédition de pavots récoltés en capsules entières,

- puis, par de nouveaux accords annuels avec le même objet et ce jusqu'à la signature d'un " contrat de prestation 2006 ", en date du 1er juin 2006 ;

Attendu que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 12 septembre 2006, reçue le 15 septembre 2006 par sa destinataire et faisant référence au " contrat de prestation du 1er juin 2006 ", la SARL Francopia a informé la SARL Lemoine de sa " décision d'abandonner la totalité de (ses) activités relatives à la production d'oeillette récoltée en mûr dans la région Champagne Ardenne " et de ce qu'en conséquence, et conformément aux stipulations de l'article 11 du contrat susmentionné, elle résiliait " ce contrat, et ce à compter du 31 octobre 2006 " ;

Mais attendu qu'il résulte des productions (pièces n° 69 et 102 des appelantes) que les besoins de la SARL Francopia en approvisionnement d'oeillette cultivée dans la région Champagne-Ardenne n'avaient pas pris fin à l'issue de la campagne 2006, de sorte que ladite société pouvait continuer ses relations commerciales avec la SARL Lemoine ;

Que ne caractérisent pas une quelconque inexécution du contrat par la SARL Lemoine les remarques adressées à celle-ci par la SARL Francopia suivant courriers des :

- 10 octobre 1988, à propos de la publication d'un article dans le journal l'Union du 6 octobre 2008 sur la culture du pavot, la SARL Francopia reconnaissant toutefois qu'elle n'avait " pas préalablement à (sa) collaboration (avec la SARL Lemoine) suffisamment attiré l'attention " de celle-ci sur la discrétion nécessaire,

- 17 août 1999, attirant l'attention de la SARL Lemoine " sur la nécessité de ventiler les tas pour réduire l'humidité afin d'obtenir des graines et des pailles à des humidités respectives inférieures à 10 et 12 % (cf. contrat de prestation) ",

- 2 septembre 2004, signalant à la SARL Lemoine qu'une " fuite " a été " constatée à la sortie du Trommel : de la graine part à la granulation ", que " le granulé déjà fabriqué doit être stocké (...) et devra donc être séché ", qu' " un échantillon doit être prélevé à chaque pesée de benne " et qu' " un registre des pesées doit être constitué ",

- 27 janvier 2005, indiquant que " le temps de vidage des camions est trop long ", que " la ventilation a été insuffisante en durée et/ou en efficacité ", que " les granulés fabriqués sont trop humides (13-16 %) " et préconisant diverses " améliorations pour la campagne 2005 " ;

Attendu que l'article 11 du contrat de prestation 2006 susvisé stipule que " ce contrat est conclu pour la campagne 2006 qui s'achèvera au 31 octobre 2006 " et qu'il " sera reconduit pour la campagne suivante sauf dénonciation par la SARL Lemoine ou par Francopia dans le délai minimum d'un mois avant la date d'échéance ";

Que la SARL Francopia soutient que ce délai était " suffisant " et " conforme aux usages dans le secteur d'activité considéré ";

Mais attendu que, d'une part, la relation commerciale établie entre la SARL Francopia et la SARL Lemoine durait depuis plus de 18 ans lorsque la première citée a décidé de dénoncer ledit contrat ;

Que, d'autre part, il résulte des productions, que la SARL Lemoine a dû procéder, dès 1991, à l'extension de ses capacités de stockage et mettre à la disposition de la SARL Francopia l'appareillage de ventilation et de battage nécessaire pour satisfaire cette dernière, qui souhaitait que sa cocontractante assure le traitement (stockage-battage) de 600 tonnes d'oeillette (pièces n° 5, 6 des appelantes) ;

Qu'à compter de la campagne 1994, la SARL Lemoine a, en outre, assuré la prestation de broyage et granulation des pailles séparées des graines (pièce n° 14 des appelantes) ;

Attendu, que, dès le 4 juillet 1995, la SARL Francopia rappelant à la SARL Lemoine les servitudes liées à la culture de l'oeillette (" éloignement des parcelles des bords de route ", " surveillance et déclaration aux gendarmeries et aux délégués Francopia de toutes intrusions " et " destruction rapide des chaumes après la récolte "), a informé sa cocontractante " d'une nouvelle contrainte ", à savoir, que " les pailles de céréales ou de pois qui suivent immédiatement une culture d'oeillette ne doivent pas être commercialisées ", car " elles peuvent contenir des traces d'alcaloïdes morphiniques ";

Qu'en outre, la SARL Lemoine a dû, au fil des ans, s'adapter pour traiter une récolte d'oeillette en augmentation constante, à savoir, à l'origine, celle provenant de 281,20 hectares cultivés (soit 548,34 tonnes traitées, pièce n° 6 des appelantes), puis de 331,85 hectares (1992; pièce n° 11) de 450 hectares (1996), de 581 hectares (1997, pièce n° 21), de 620 hectares (1999, 2000, 2001, pièce n° 22, 23, 24) et de 660 hectares (2002, pièce n° 25) ;

Attendu, au vu des observations qui précèdent, que le préavis du 12 septembre 2006, avec effet au 31 octobre 2006, était trop bref eu égard à l'ancienneté des relations commerciales établies entre la société intimée et la SARL Lemoine et à l'organisation des structures et des prestations mise en place pour satisfaire la SARL Francopia ;

Qu'en effet, ce préavis ne permettait pas à la SARL Lemoine de prendre ses dispositions pour donner en temps utile une nouvelle orientation à ses activités, sachant qu'il ressort de la lecture du " contrat de production d'oeillette mûre pour l'année culturale 2006 " conclu entre la société intimée et la SCEA de la Galbaudine que la SARL Francopia était " acheteur exclusif du produit de la culture d'oeillette ", donc donneur d'ordre exclusif pour les prestations de stockage-battage de la récolte d'oeillette et de broyage et granulation des pailles séparées des graines ;

Attendu, en l'espèce, que le préavis raisonnable auquel la SARL Lemoine aurait pu prétendre aurait dû être de quinze mois, ce qui aurait permis à celle-ci d'assurer la diversification de ses activités pour l'année 2008 ;

Que n'ayant pas respecté un tel délai, la SARL Francopia a ainsi commis une faute dans la rupture de ses relations commerciales avec la SARL Lemoine, dont elle doit réparation à cette dernière ;

Attendu que la SARL Francopia n'ayant observé qu'un préavis d'un mois et demi doit indemniser la SARL Lemoine de sa perte de marge sur les treize mois et demi subsistants et de la perte résultant d'investissements non amortis exclusivement liés à l'activité prévue au contrat qui liait ces deux sociétés et qui seraient devenus inutiles ;

Que, sur ce point, la SARL Francopia fait, à juste titre, observer que la cour ne dispose pas de tous les éléments permettant d'évaluer ces pertes ;

Qu'avant dire droit sur le montant de la réparation due par la SARL Francopia, il sera donc ordonné l'expertise telle que sollicitée par la société intimée, ce aux frais avancés de la SARL Lemoine, qui a un intérêt certain à l'exécution de cette mesure d'instruction ;

Sur la réclamation de la SCEA de la Galbaudine

Attendu que la SCEA de la Galbaudine reproche au tribunal de l'avoir déboutée de sa demande d'indemnisation en considérant qu'elle " était liée par un contrat de culture avec la société Francopia et que ce contrat avait été régulièrement rompu ", alors que, selon elle, " cette motivation est hors débat dans la mesure où (elle) n'a jamais prétendu à une quelconque indemnisation au titre de ce contrat de culture ";

Attendu qu'invoquant l'article 1382 du Code civil, la SCEA de la Galbaudine fait valoir que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ;

Qu'elle ajoute que la SARL Francopia a " fauté dans le cadre de ses relations contractuelles avec la société Lemoine en rompant brusquement une relation d'affaires ancienne de 18 ans " et qu'elle-même, avait, " peu de temps avant la rupture ", " consenti des investissements lourds destinés à l'activité de la société Lemoine dans le cadre de ses relations contractuelles avec la société Francopia ", dont, " par exemple, les déterreurs jumbo (facture AGRICOM Pièce n° 48), non amortis au 30 juin 2006, représentaient une valeur nette comptable de 67 024,37 euro ";

Attendu que l'appelante entend être " indemnisée sur cette base ";

Mais attendu que cette facture Agricom, du 23 septembre 2004, ne saurait correspondre à un investissement fait spécifiquement pour la culture de l'oeillette, car elle est afférente, selon la description y figurant, à du matériel permettant la récolte des pommes de terre ou des oignons;

Que, par ces motifs, substitués à ceux du tribunal, la décision entreprise se trouve justifiée en ce qu'elle a rejeté la demande en dommages-intérêts de la SCEA de la Galbaudine ;

Sur les demandes annexes

Attendu qu'il y a lieu de dire que la SCEA de la Galbaudine conservera à sa charge les dépens qu'elle a engagés, en première instance comme en appel, en raison du présent litige ;

Que ladite société ne saurait donc voir prospérer ses demandes pour frais non taxables ;

Attendu que le tribunal a, à bon escient, rejeté la réclamation formée par la SARL Francopia à l'encontre de la SCEA de la Galbaudine sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Que l'équité et les situations économiques respectives de ces deux sociétés commandent de débouter la SARL Francopia de sa demande pour frais irrépétibles d'appel formée à l'encontre de la SCEA de la Galbaudine ;

Attendu, enfin, que les dépens engagés, en première instance comme en appel, en raison du présent litige, par les sociétés Lemoine et Francopia seront réservés, de même que les demandes pour frais irrépétibles de ces deux sociétés, dont le sort est subordonné à celui desdits dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Déclare recevable et bien fondé l'appel principal relevé par la société à responsabilité limitée Lemoine. Dit recevable et mal fondé l'appel principal formé par la société civile d'exploitation agricole " de la Galbaudine ". Statuant dans les limites des appels, Infirme le jugement rendu le 7 mai 2009 par le Tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne en ce qu'il a dit que le délai de préavis de non-renouvellement du contrat de prestation était suffisant et conforme aux usages dans le secteur d'activité, constaté, en conséquence, l'absence de brusque rupture, dit, en conséquence, que la société Francopia n'a commis aucune faute contractuelle et en ce qu'il a débouté la SARL Lemoine de toutes ses demandes. Statuant à nouveau, Dit que la faute telle que caractérisée commise par la société à responsabilité limitée Francopia engage la responsabilité de celle-ci envers la société à responsabilité limitée Lemoine sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce. Avant dire droit sur le montant de la réparation, ordonne une expertise, confiée à M. Jean-Claude Ferre, [...], avec pour mission de : - déterminer la perte de marge subie par la société à responsabilité limitée Lemoine sur la période du 1er novembre 2006 au 15 décembre 2007, durant laquelle les relations commerciales de ladite société avec la société à responsabilité limitée Francopia auraient dû perdurer si elles n'avaient pas été rompues abusivement par cette dernière avec effet au 31 octobre 2006, - tenir compte, pour ce faire : * de la répartition du chiffre d'affaires de la société à responsabilité Lemoine entre les divers clients de celle-ci * du coût des frais sur achats, à déduire du chiffre d'affaires en même temps que l'achat de matières premières * de la répartition du coût de main d'œuvre ente les diverses productions de la société à responsabilité limitée Lemoine * des frais directs de production (machines, fournitures diverses, emballage, transport, etc...), - donner son avis sur la perte résultant d'investissements non amortis faits par la société à responsabilité limitée Lemoine, exclusivement liés à l'activité prévue au contrat qui liait ladite société à la société à responsabilité limitée Francopia, et qui seraient devenus inutiles du fait de la rupture abusive par la société à responsabilité limitée Francopia de ses relations commerciales avec la société à responsabilité limitée Lemoine, Rappelle que l'expert devra accomplir sa mission conformément aux dispositions du Code de procédure civile et dans le respect du principe de la contradiction, l'expert pouvant notamment se faire remettre par les parties tous documents et pièces utiles à sa mission. Dit que l'expert devra adresser aux parties un projet de son rapport en leur impartissant un délai de quinze jours, délai de rigueur, pour présenter leurs dires ou observations éventuels. Dit que l'expert devra déposer au greffe de la cour son rapport définitif dans un délai de cinq mois à compter du jour où il aura été avisé de la consignation ci-après ordonnée. Fixe à la somme de deux mille euro (2 000 euro) la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, qui devra être consignée par la société à responsabilité limitée Lemoine avant le 10 janvier 2011 à la Régie d'avances et de recettes de la Cour d'appel de Reims. Rappelle que, faute de consignation de ladite provision dans le délai ci-dessus indiqué, la désignation de l'expert sera caduque, sauf à la cour à tirer toute conséquence de l'abstention ou du refus de consigner. Désigne le Président de la chambre civile 1re section de la Cour d'appel de Reims pour assurer le contrôle de la mesure d'instruction ci-dessus ordonnée et, pour, le cas échéant, procéder au remplacement de l'expert par simple ordonnance en cas d'empêchement. Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état des causes du 15 février 2011. Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société civile d'exploitation agricole de la Galbaudine de toutes ses demandes, y compris de sa réclamation pour frais non taxables et en ce qu'il a débouté la société à responsabilité limitée Francopia de sa demande pour frais non recouvrables formée à l'encontre de la société civile d'exploitation agricole de la Galbaudine. Y ajoutant, Dit que la société civile d'exploitation agricole de la Galbaudine conservera à sa charge les dépens qu'elle a engagés, en première instance comme en appel, en raison du présent litige. Déboute la société civile d'exploitation agricole de la Galbaudine de sa demande pour frais non répétibles d'appel. Déboute la société à responsabilité limitée Francopia de sa demande pour frais irrépétibles d'appel formée à l'encontre de la société civile d'exploitation agricole de la Galbaudine. Réserve les dépens engagés, en première instance comme en appel, en raison du présent litige, par les sociétés Lemoine et Francopia, de même que les demandes pour frais irrépétibles de ces deux sociétés.