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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. com. B, 28 octobre 2010, n° 09-02131

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Greif France (SAS)

Défendeur :

Tiag Industries (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Filhouse

Conseillers :

M. Bertrand, Mme Brissy Prouvost

Avoués :

SCP Curat-Jarricot, SCP Guizard-Servais

Avocats :

Mes Pierchon, Debray

T. com. Nîmes, du 12 mars 2009

12 mars 2009

Exposé

Vu l'appel interjeté le 5 mai 2009 par la SAS " Greif France " à l'encontre du jugement prononcé le 12 mars 2009 par le Tribunal de commerce de Nîmes.

Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la mise en état le 25 août 2010 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les conclusions déposées au greffe de la mise en état le 5 novembre 2009 par la SA " Tiag Industries ", intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure en date du 3 septembre 2010.

Il ressort des écritures et pièces des parties qu'il peut être tenu pour faits constants :

- que la SA " Tiag Industries ", qui fabrique des fûts à usage industriel, était depuis l'année 1993 en relation d'affaires avec la SA " Blagden Packaging France ", qui avait mis à sa disposition des moules nécessaires à la fabrication d'outres spécifiques suivant convention du 15 mars 1993 ;

- qu'à la suite d'un traité de fusion intervenu le 31 mars 2008 et déposé au greffe du Tribunal de commerce de Rouen selon déclaration de régularité du 29 avril 2008, la SAS " Greif France " vient aux droits de la SA " Blagden Packaging France " qui était devenue entre-temps la SAS " Greif Packaging France " ;

- qu'à la suite du refus de la SA " Blagden Packaging France " de réviser les prix de vente des outres en fonction des volumes effectivement commandés et livrés au cours des exercices comptables 2002 à 2005, ainsi que d'accepter les dernières exigences tarifaires de la SA " Tiag Industries ", cette dernière notifiait à sa cocontractante, par télécopie du 9 novembre 2009, qu'elle cessait d'honorer les commandes en raison de l'inexécution de ses propres obligations ;

Par exploit du 2 janvier 2007, la SA " Tiag Industries " a fait assigner la SA " Blagden Packaging France " en paiement de solde de créance devant le Tribunal de commerce de Versailles qui, par jugement du 10 octobre 2007, faisait droit au déclinatoire de compétence de la SAS " Greif Packaging France " et renvoyait la cause devant le Tribunal de commerce de Nîmes lequel, selon jugement du 12 mars 2009, a :

- condamné la SAS " Greif France ", venant aux droits de la SA " Blagden Packaging France " et de la SAS " Greif Packaging France ", aux dépens et à payer à la SA " Tiag Industries " :

* la somme de 197 447,28 euro correspondant à la facture litigieuse n° 246000038, avec intérêts à compter du 11 juillet 2006,

* 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile

- rejeté le surplus des demandes.

La SAS " Greif France " a relevé appel de ce jugement pour voir, au visa des articles 1134, 1583 du Code civil, L. 441-3 alinéa 3 et L. 442-6 I du Code de commerce :

- débouter la SA " Tiag Industries " de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner la SA " Tiag Industries " aux dépens et à lui payer :

* 300 000 euro de dommages et intérêts pour rupture sans préavis de la relation contractuelle et rétention pendant trois mois du matériel de fabrication,

* 3 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SA " Tiag Industries " conclut à la confirmation du jugement, sauf à y ajouter :

- en ordonnant la capitalisation des intérêts sur les sommes dues par la SAS " Greif France " ;

- en condamnant la SAS " Greif France " aux dépens et à lui payer 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

Discussion

Attendu qu'il ne ressort pas des pièces de la procédure de moyen d'irrecevabilité de l'appel que la cour devrait relever d'office, et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point ;

Sur la demande principale :

Attendu qu'à l'appui de son appel, la SAS " Greif France " reproche aux premiers juges d'avoir fait droit à l'argumentaire de la SA " Tiag Industries " fondé uniquement sur l'émission de ses offres de prix, d'une part, et sur le silence de la SA " Blagden Packaging France " dont il est déduit son consentement, d'autre part, alors :

- qu'aucune convention écrite n'est intervenue pour constater un accord de variation du prix en fonction des quantités commandées ;

- que la preuve étant libre en droit commercial, elle peut se faire notamment par les factures émises par le vendeur ;

- qu'en l'espèce, les parties sont convenues de la chose vendue et du prix, la marchandise a été livrée, la facturation a été émise et le paiement est intervenu ;

- qu'il n'est fait aucune mention d'un prix conditionné par les quantités sur les factures émises par la SA " Tiag Industries " et réglées par la SA " Blagden Packaging France " à leur échéance ;

- que la SA " Blagden Packaging France " a contesté la facturation rétroactive émise le 1er mars 2006 par la SA " Tiag Industries " pour des produits livrés et payés depuis l'année 2002 ;

- que les conditions générales d'achat, jugées opposables à la SA " Tiag Industries " par le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Versailles le 10 octobre 2007, stipulent que l'acceptation des commandes de la SA " Blagden Packaging France " supposent l'impossibilité de modifier les termes de la commande sans accord écrit préalable du service achat de la SA " Blagden Packaging France " ;

- que la facture émise le 1er mars 2006 est irrégulière :

* dès lors qu'en application de l'article L. 441-3 du Code de commerce, le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente,

* dès lors qu'en vertu de l'article 289-I-3 du Code général des impôts, les factures doivent être émises dès la réalisation de la livraison de biens ou de la prestation de services et que l'article 38, 2bis du même Code fixe à celui de la date de livraison du bien ou à l'achèvement de la prestation, l'exercice auquel les créances commerciales sont considérées acquises et doivent être rattachées,

* et dès lors que l'usage de facturations récapitulatives doit être justifié par la fréquence et le faible montant des livraisons, mais pas comme au cas d'espèce pour un complément de prix facturé rétroactivement avec plusieurs années de décalage ;

Mais attendu que les textes invoqués qui précisent, d'une part, les obligations du vendeur en matière de facturation et, d'autre part, le rattachement des factures à un exercice comptable en vue de la détermination du bénéfice net imposable, ne font pas obstacle à l'émission de factures de régularisation afin de rendre compte de la réalité des conventions des parties ;

Attendu que par ailleurs la stipulation des conditions générales d'achat qui figurait au verso des bons de commande de la SA " Blagden Packaging France ", et selon laquelle " aucune modification ne pourra être apportée aux termes de la présente commande sans accord préalable écrit du service achat ", n'a pas pour vocation de dispenser la SAS " Greif France " des engagements souscrits par la SA " Blagden Packaging France " aux droits de laquelle elle vient ;

Et attendu que si la preuve de ces engagements peut être rapportée par tous moyens, les indications portées sur les factures de la SA " Tiag Industries " peuvent être complétées par les autres éléments dont se prévaut cette dernière, peu important que les factures n'aient pas fait référence à un tarif tenant compte des volumes commandés ;

Or attendu que les commandes passées par la SA " Blagden Packaging France ", n'étaient pas une succession d'achats distincts les uns des autres ;

Attendu qu'en effet elles s'inscrivaient dans le cadre d'une convention de sous-traitance matérialisée par le " contrat de mise à disposition d'outillage de production " du 15 mars 1993 et les appels d'offres de prix effectués chaque année par la SA " Blagden Packaging France ", dont il ne saurait être fait abstraction, sans rompre l'équilibre économique recherché par les parties ;

Et attendu que la SA " Tiag Industries " justifie par les pièces produites :

- que par lettre du 16 octobre 2001, la SA " Blagden Packaging France " sollicitait, pour ses usines de Laudun (30) et de Val-de-Reuil (27), les appels d'offre de meilleurs prix de la SA " Tiag Industries " pour la fourniture d'outres de 3,7 kg et de 2,7 kg " par tranche de quantité et par lieu " ;

- qu'en réponse à cette demande la SA " Tiag Industries " lui adressait ses propositions commerciales de prix " en cumul sur l'année " pour les tranches de volumes de 15 000 à 40 000 unités, de 40 001 à 60 000 unités et supérieures à 60 000 unités ;

- que les bons de commande passés par la SA " Blagden Packaging France " à la suite de cette proposition, visaient expressément le prix unitaire de la tranche supérieure à 60 000 unités ;

- que par lettre du 20 novembre 2002, la SA " Blagden Packaging France " sollicitait les offres de meilleurs prix de la SA " TIA G Industries " pour l'année 2003, en lui demandant toujours de détailler ses offres " par tranche de quantité et par lieu " ;

- qu'en réponse à cette demande, la SA " Tiag Industries " lui adressait une première proposition le 17 décembre 2002, et interrogeait la SAS " Greif France " sur ses propositions de " rétablissement " des prix contractuels antérieurement arrêtés en fonction des volumes cumulés de l'année 2002, le compte faisant apparaître à son préjudice un " manque à gagner " de 77 797,96 euro TTC ;

- que par lettre du 15 janvier 2003 qui faisait suite à un entretien du 9 janvier 2003, la SA " Tiag Industries " adressait à la SA " Blagden Packaging France " de nouvelles propositions inférieures aux précédentes et réitérait sa demande de " régularisation " des prix de l'année 2002 ;

- que par lettre du 17 février 2003 la SA " Tiag Industries ", d'une part, prenait note du désir de la SA " Blagden Packaging France ", " pour des raisons économiques et de volumes ", de revoir le cahier des charges de production quant à l'utilisation d'outres de couleur, quant à la standardisation des deux types d'outres en un seul type de poids intermédiaire et quant à l'évolution des cols, d'autre part, lui adressait de nouvelles propositions de prix, ainsi que le récapitulatif des sommes lui restant dues pour l'année 2002 ;

- que par lettre du 15 avril 2003, qui faisait suite à une rencontre des parties en date du 14 avril 2003, la SA " Tiag Industries " adressait à la SA " Blagden Packaging France " ses propositions finales des prix " en cumul sur l'année " arrêtés en commun lors de cette rencontre du 14 avril 2003 pour les tranches de volume de 10 000 à 20 000 unités, de 20 001 à 40 000 unités et supérieures à 40 000 unités ;

- que les bons de commande passés par la SA " Blagden Packaging France " à la suite de cette proposition, visaient expressément le prix unitaire franco de port de la tranche supérieure à 40 000 unités ;

- que pour l'année 2004 aucune nouvelle offre n'était demandée par la SA " Blagden Packaging France " dont les bons de commande continuaient à appliquer le prix convenu en 2003 pour des quantités supérieures à 40 000 unités ;

- que par lettre du 19 octobre 2004, la SA " Tiag Industries " protestait à nouveau du non-respect des volumes prévisionnels qui avaient servi de base pour déterminer les prix unitaires visés sur les bons de commande et réclamait la régularisation des arriérés de " manque à gagner " de 77 797,96 euro TTC pour l'année 2002 et de 39 986,11 euro TTC pour l'année 2003, tout en lui adressant ses propositions de prix pour l'année 2005 " en cumul sur l'année " pour les tranches de volumes de 10 000 à 20 000 unités, de 20 001 à 40 000 unités et supérieures à 40 000 unités ;

- que selon courriel du 19 janvier 2006 la SA " Tiag Industries ", en raison de ce non-respect récurrent des volumes prévisionnels, informait la SA " Blagden Packaging France ", en lui transmettant ses tarifs pour l'année 2006, qu'elle lui demandait de passer désormais ses commandes sur la base des volumes effectivement réalisés au cours de l'année précédente avec engagement de sa part de lui accorder une ristourne de fin d'année selon les quantités effectivement vendues ;

- que par facture n° 246000038 du 1er mars 2006, la SA " Tiag Industries " exigeait le paiement du solde de sa créance au titre des livraisons effectuées depuis le 1er janvier 2002 ;

Attendu qu'en l'état de ces éléments, les premiers juges ont exactement déduit que la démonstration était suffisamment rapportée que l'accord des parties s'était fait au début de chaque exercice en fonction d'un tarif dégressif tenant compte du volume cumulé de commandes sur l'année à venir ;

Attendu qu'en application des dispositions de l'article 1134 du Code civil, invoquées par la SAS " Greif France ", les conventions doivent être exécutées de bonne foi, de sorte que dans la mesure où les tarifs demandés par la SA " Blagden Packaging France " ont été négociés et payés en fonction d'un volume prévisionnel de commande qui n'a pas été atteint, la SA " Tiag Industries " était en droit de réclamer la régularisation du prix payé en fonction de celui qui avait été convenu pour la tranche de volume cumulé inférieure correspondant aux quantités effectivement commandées au cours de l'année considérée ;

Attendu qu'il s'ensuit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande principale ;

Sur la demande reconventionnelle :

Attendu qu'à l'appui de sa demande reconventionnelle, la SAS " Greif France " reproche à la SA " Tiag Industries " d'avoir cessé brutalement et sans prévenance d'honorer les commandes en novembre 2006 et retenu le matériel de fabrication jusqu'au mois de février 2007, au mépris des dispositions de l'article 442-6 § I du Code de commerce, ci-après reproduites par extraits :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait :

4° d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des prix, des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente ;

5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. [...] Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure " ;

Mais attendu que dans le cas d'espèce, la SA " Tiag Industries " a suspendu l'exécution des commandes en raison du refus de la SA " Blagden Packaging France " de respecter ses propres engagements tarifaires ;

Et attendu que la SA " Blagden Packaging France " ayant considéré que la SA " Tiag Industries " avait, ce faisant, rompu unilatéralement la convention des parties, il ressort des courriers échangés entre les parties, que si la SA " Tiag Industries " avait évoqué la possibilité d'exercer un droit de rétention des moules de sa cocontractante dans l'attente du règlement de sa créance, elle y a renoncé et n'a fait aucune difficulté pour que la SA " Blagden Packaging France " vienne les retirer ;

Attendu qu'il s'ensuit qu'en l'état de ces éléments, les premiers juges en ont exactement déduit que la responsabilité de la SA " Tiag Industries " n'était pas engagée, de sorte que la SAS " Greif France " doit être déboutée de sa demande reconventionnelle ;

Sur les frais de l'instance :

Attendu que la SAS " Greif France " qui succombe devra supporter les dépens de l'instance et payer à la SA " Tiag Industries " une somme complémentaire équitablement arbitrée à 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Reçoit l'appel en la forme. Au fond, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions Et y ajoutant en tant que de besoin, Déboute la SAS " Greif France " de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts. Dit que la SAS " Greif France " supportera les dépens d'appel et payera à la SA " Tiag Industries " une somme complémentaire de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile. Dit que la SCP d'avoués Guizard-Servais pourra recouvrer directement contre la partie ci-dessus condamnée, ceux des dépens dont elle aura fait l'avance sans en recevoir provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.