ADLC, 17 décembre 2010, n° 10-D-37
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la cétirizine en comprimés
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Geneviève Wibaux, rapporteure, l'intervention orale de M. Eric Cuziat, rapporteur général adjoint, par Mme Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, Mme Pierrette Pinot, MM. Pierre Godé, Noël Diricq, membres.
L'Autorité de la concurrence,
Vu la lettre, enregistrée le 30 janvier 2008 sous le numéro 08/0011 F par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre sur le marché de la cétirizine ; Vu l' article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 7 décembre 2010 ; Adopte la décision suivante :
I. CONSTATATIONS
A. LA SAISINE MINISTÉRIELLE
1. Par lettre du 28 janvier 2008, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société UCB pharma (ci-après UCB) sur le marché de la cétirizine.
2. Dans sa saisine, le ministre saisissant indique au préalable que la cétirizine est le principe actif d'une spécialité pharmaceutique, commercialisée par UCB sous le nom de Zyrtec(r) mais aussi par le laboratoire Sanofi-Aventis sous le nom de Virlix(r), et que ces deux produits sont utilisés dans le traitement de l'allergie. Selon le saisissant, Zyrtec(r) est, en 2003, le premier médicament prescrit dans le traitement de l'allergie, avec des ventes annuelles oscillant entre 12 et 14 millions de boîtes.
3. Le saisissant met en cause les pratiques d'UCB ayant consisté en un retrait du marché de Zyrtec(r), le 8 septembre 2004, trois mois avant la fin de l'expiration du brevet qui le protégeait, retrait précédé du lancement en mai 2003, d'un nouvel antihistaminique, Xyzall(r), accompagné d'une intense campagne de promotion, afin d'assurer le transfert des prescriptions des médecins de l'ancien vers le nouveau médicament. Le saisissant relève aussi le lancement d'une version non remboursable de Zyrtec(r) (Zyrtec(r) set) en 2005.
4. Cette pratique de retrait de Zyrtec(r) précédée du lancement de Xyzall, et suivie de la commercialisation d'une version non remboursable de Zyrtec(r) (Zyrtec set) constituerait, selon le saisissant, une même pratique à visée anticoncurrentielle.
5. Le saisissant estime en effet qu'UCB ne pouvait ignorer que le retrait du marché de Zyrtec signifiait l'arrêt immédiat de la prescription par les médecins du Zyrtec(r), et, l'impossibilité d'une substitution par les génériques, puisque la substitution s'effectue en pharmacie, à partir d'une ordonnance où figure le nom de marque du médicament. Dès lors, pour le saisissant, le retrait délibéré de Zyrtec(r) du marché, juste avant la fin du brevet, aurait nécessairement eu un objet anticoncurrentiel : celui d'empêcher les génériques de se développer, développement qui aurait gêné UCB en contrariant le report des prescriptions vers Xyzall(r) ou vers Zyrtec(r) set.
6. Par ailleurs, selon le saisissant, la pratique aurait également eu des effets. Les laboratoires fabricants de génériques auraient été confrontés à un "rétrécissement du marché" de la cétirizine : le chiffre d'affaires réalisé par les génériques n'aurait pas été aussi important qu'il aurait dû l'être, en raison du retrait du marché du produit princeps. Le ministre cite à cet égard notamment un extrait de la déclaration du président du GEMME (1) : (...) " qui considère que le comportement d'UCB a divisé par deux, voire trois le potentiel commercial des génériques ".
7. Enfin, selon le saisissant, la pratique aurait causé un préjudice important à l'assurance-maladie, calculé en mesurant la différence de prix entre Xyzall et les génériques, sur la base du taux de remboursement de l'assurance-maladie.
8. Le saisissant conclut, qu'UCB, en position dominante sur le marché de la cétirizine (principe actif du Zyrtec(r)), aurait abusé de cette position.
B. LE SECTEUR CONCERNÉ
1. LES SPÉCIALITÉS PHARMACEUTIQUES INDIQUÉES DANS LE TRAITEMENT DES PATHOLOGIES ALLERGIQUES
9. Selon une étude de la revue Impact Médecine citée dans un document interne d'UCB (2), 25 % à 35 % de la population des pays industrialisés souffrirait de rhinites allergiques. En France, 7 à 8 millions de Français seraient concernés par les rhinites saisonnières, et 4 à 5 millions par les rhinites annuelles. L'étude souligne en outre que si 35 % de la population française est concernée, en 2005, par une maladie allergique, les prévisions pour l'année 2010 donnent un pourcentage de 50 % (3). Une partie encore significative de la population allergique ne serait pas traitée (environ 30 % de la population française (4)).
10. Les pathologies allergiques les plus répandues, à savoir les rhinites allergiques saisonnières et annuelles, l'urticaire chronique et les conjonctivites allergiques, sont couramment traitées en médecine générale et en allergologie par la prise d'antihistaminiques H1.
11. Selon la littérature médicale, le mécanisme d'action de cette classe médicamenteuse est un antagonisme compétitif de l'histamine sur les récepteurs H1, présents au niveau des terminaisons nerveuses du muscle lisse et des cellules glandulaires.
12. D'un point de vue pharmacologique, on distingue traditionnellement deux classes : les antihistaminiques H1 de 1re génération, anti cholinergiques et sédatifs et les antihistaminiques H1 de 2e génération, généralement dépourvus d'effet anti-cholinergique et peu ou pas sédatifs. En raison de leurs avantages sur les anti-H1 de première génération, les anti-H1 de deuxième génération auraient progressivement remplacé les anti-H1 de première génération.
2. LES SPÉCIALITÉS ANTIHISTAMINIQUES DE SECONDE GÉNÉRATION REMBOURSABLES
13. En France, les premières molécules antihistaminiques H1 ou "anti-H1" de deuxième génération sont la loratadine et la cétirizine, toutes deux lancées en 1988. Ces spécialités pharmaceutiques sont vendues sur ordonnance du médecin (généraliste, ORL, allergollogue). La loratadine est commercialisée par le laboratoire Schering-Plough sous la marque Clarytine(r). La cétirizine, avant 2005, est commercialisée, comme mentionné plus haut, à la fois sous la marque Zyrtec(r) par le laboratoire UCB, et sous la marque Virlix(r), par le laboratoire Synthélabo (devenu, à la suite d'une succession de fusions de sociétés, Sanofi-Aventis).
14. En 2002, a été mise sur le marché une spécialité avec comme principe actif la desloratadine, (principal métabolite actif de la loratadine, principe actif de Clarytine(r)) commercialisée par le laboratoire Schering-Plough, sous la marque Aerius(r).
15. Puis, le 22 avril 2003, est apparue une nouvelle molécule antihistaminique, la lévocétorizine, sous le nom commercial Xyzall(r), par le laboratoire UCB Pharma.
16. Le reste du secteur des antihistaminiques est partagé principalement entre deux autres molécules : la fexofénadine, commercialisée depuis 1998 sous la marque Telfast(r) par Aventis (devenu Sanofi-Aventis), et l'ébastine, commercialisée sous la marque Kestin(r) par Almirall, depuis 2002. Les autres molécules antihistaminiques sont commercialisées sous les marques Mizollen(r) (Sanofi-Aventis), Primalan(r) (Pierre Fabre médicaments) et Mistaline(r) (Galderma).
17. Fin 2004, le secteur des anti-histaminiques remboursables (de seconde génération) représente un chiffre d'affaires total de l'ordre de 181,5 millions d'euro dont environ 59,1 millions d'euro pour UCB et 83,2 millions d'euro pour Schering Plough(r) (source AFSSAPS retraité).
18. Toutes ces spécialités antihistaminiques sont remboursées par l'Assurance Maladie et leur prix est fixé après négociation entre le laboratoire pharmaceutique et le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS), en prenant notamment en compte le service médical rendu, évalué par la commission de la transparence. L'évaluation de l'amélioration du service médical rendu détermine aussi le taux de remboursement du médicament.
19. Pour Zyrtec(r), le prix a été fixé à 7,52 euro la boite de 15 comprimés, avec un taux de remboursement de 65 %.
20. En revanche, pour Xyzall(r) 5mg, la constatation d'un service médical rendu modéré (5) ainsi que l'absence d'amélioration du service médical rendu par rapport à la cétirizine et aux autres antihistaminiques non sédatifs a déterminé son inscription sur la liste des médicaments remboursables au taux de 35 % et un prix de vente initial fixé 15 % en-dessous du prix de vente du Zyrtec(r) soit 6,42 euro la boîte de 15 comprimés, c'est-à-dire 0,43 euro par comprimé. Le prix de Xyzall a ensuite été baissé de 25 % en juin 2005, et fixé à 5,02 euro la boîte de 15 comprimés, pour atteindre 4,86euro TTC soit 0,32 euro par comprimé.
3. LES GÉNÉRIQUES DE LA CÉTIRIZINE
21. Le brevet sur le principe actif de Zyrtec expirait en décembre 2004. La plupart des fabricants de génériques ont donc lancé leur cétirizine en comprimés à cette date (Arrow génériques, Laboratoires Biogaran, Laboratoires Eurogenerics (EG), Laboratoires GGAM, Merck génériques, Laboratoire Qualimed, Ratiopharm GmbH et Teva Classics). Toutefois, d'autres l'ont lancée plus tardivement : Ranbaxy et Sandoz en juin 2005, Winthrop en janvier 2006.
22. En 2005, les génériques représentaient [35 à 40] % en valeur et [45 à 50] % en volume du marché de la cétirizine. En 2008, ils atteignent de [75 à 80] % en valeur et de [85 à 90] % en volume de ce marché.
23. Le chiffre d'affaires des génériques, après avoir progressé beaucoup de 2004 à 2005, est resté stable ensuite et se situe en 2008 autour de [9 à 9,5] millions d'euro, correspondant à [4 à 4,5] millions de boites.
24. Le prix des génériques de cétirizine était, en décembre 2005, de 5,05 euro la boite de 15 comprimés, soit 0,34 euro le comprimé, puis en juin 2006, de 4,34 euro la boîte, soit 0,29 euro par comprimé.
4. EVOLUTION DU SECTEUR DES ANTIHISTAMINIQUES DE SECONDE GÉNÉRATION REMBOURSABLES
25. L'évolution du secteur des antihistaminiques de seconde génération remboursables peut être synthétisée dans les tableaux suivants :
<emplacement tableau>
5. LES ANTIHISTAMINIQUES NON REMBOURSABLES
26. À côté des spécialités pharmaceutiques remboursables (et vendues sur ordonnance), il existe aussi des antihistaminiques non remboursables et vendus sans ordonnance.
27. UCB (anciennement DARCI) avait d'ailleurs, dans son portefeuille, un antihistaminique non remboursable, commercialisé sous le nom d'Aphilan(r), qui fut un certain temps en monopole sur le marché des antihistaminiques non remboursables.
28. Toutefois, il s'agissait d'un antihistaminique de 1re génération qui, depuis 2004, subissait la concurrence de Réactine(r) commercialisée par Pfizer (avec l'accord d'UCB) et ayant pour principe actif la cétirizine, molécule de deuxième génération.
29. C'est pourquoi, en mars 2005, UCB a lancé Zyrtec set(r) qui obtient très vite d'excellents résultats (voir tableau ci-après)
<emplacement tableau>
30. Le marché des antihistaminiques non remboursables n'est pas réservé aux princeps. Dès 2004, outre le laboratoire Urgo qui commercialise un produit sous le nom d'Humex(r) rhinite, de nombreux fabricants de génériques sont entrés sur le marché de la cétirizine non remboursable : Téva, Mylan, Biogaran, Ratiopharm, Sandoz. Ils ont réalisé un chiffre d'affaires de l'ordre de [2,5 à 3] millions d'euro en 2008.
6. LES ACTEURS
Le laboratoire UCB pharma
31. Le groupe UCB est un groupe pharmaceutique dont la société mère, UCB SA, est située en Belgique et cotée à la bourse de Bruxelles. Le groupe est présent dans une quarantaine de pays et emploie environ 10 000 salariés. Il produit et commercialise des spécialités pharmaceutiques, dont les principales sont destinées au traitement des pathologies du système nerveux central et de l'allergie, qui ont respectivement représenté [35 à 45 %] et [20 à 25 %] des ventes nettes mondiales du groupe en 2007. Cette même année, le groupe UCB a réalisé un chiffre d'affaires mondial de 3,6 milliards d'euro, dont respectivement [450 à 500] millions et [150 à 200] millions pour les marques Zyrtec(r) et Xyzall(r).
32. UCB France SA est une filiale à 69,1 % de la société mère du groupe, UCB SA
33. La société UCB Pharma SA (France) est la société responsable du développement, de la promotion et de la distribution des produits pharmaceutiques UCB en France. Elle est détenue à 96,4 % par la société UCB France SA
34. UCB Farchim SA, filiale d'UCB est le fabricant de la molécule. Cette société approvisionnait Sanofi en principe actif, qui ensuite le transformait en médicament et assurait son conditionnement.
Le laboratoire Schering Plough
35. La société Schering Plough France (aujourd'hui MSD) est la filiale française du groupe américain Schering Plough Corporation qui a fusionné en 2009 avec le laboratoire Merck, groupe pharmaceutique de taille mondiale qui développe et commercialise des produits pharmaceutiques et des vaccins. La fusion a été autorisée par la Commission Européenne par une décision du 22 octobre 2009. La nouvelle entité, dénommée Merck & Co (aux États-Unis et au Canada) et MSD (dans le reste du monde), a réalisé en 2009 un chiffre d'affaires de 45,9 milliards de dollars (soit 33 millions d'euro) et se situe désormais au 3ème rang du classement des laboratoires mondiaux, derrière l'américain Pfizer, le suisse Roche (qui a fusionné avec Gentech), et devant le suisse Novartis, en quatrième position.
36. La filiale française de Schering Plough (désormais dénommée MSD France depuis la fusion de Schering Plough avec Merck) a réalisé en France, en 2003, un chiffre d'affaires de 620 millions d'euro.
Le laboratoire Sanofi Aventis
37. Issu de la fusion en 2004 du groupe français Sanofi-Synthelabo et du groupe allemand Aventis, le groupe Sanofi-Aventis est le 6e laboratoire pharmaceutique au monde (4ème avant les fusions intervenues dans l'industrie pharmaceutique, en 2009). Il a réalisé en 2009 un chiffre d'affaires de plus de 29,3 milliards d'euro (+ 6,3 % par rapport à 2008). Par l'intermédiaire de sa division Winthrop, il produit et commercialise également des médicaments génériques. En France, Sanofi-Aventis est le leader de l'industrie pharmaceutique.
II. DISCUSSION
A. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
La définition des marchés pertinents dans le secteur pharmaceutique
38. Selon le neuvième rapport du Conseil de la concurrence, " le marché est défini comme le lieu où se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique (...) Une substituabilité parfaite s'obtenant rarement, le Conseil considère que sont substituables, et par conséquent se situent sur un même marché, les produits ou les services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande ".
39. S'agissant des spécialités pharmaceutiques, la pratique décisionnelle et la jurisprudence, tant nationales que communautaires, considèrent que les possibilités de substitution entre les médicaments sont limitées par leurs indications et contre-indications thérapeutiques respectives, qui dépendent elles-mêmes des propriétés pharmacologiques des produits, mais aussi par l'avis des médecins prescripteurs, ainsi que par d'éventuels écarts de prix. La Cour de cassation a approuvé, dans son arrêt " Lilly France " du 15 juin 1999, la cour d'appel qui avait considéré que : " l'interchangeabilité des médicaments ne dépend pas fondamentalement de leur identité physique ou chimique, mais de leur interchangeabilité fonctionnelle du point de vue du dispensateur, et donc, dans le cas des médicaments soumis à prescription, également du point de vue des médecins établis ". Dans le même arrêt, la Cour de cassation a considéré que " si, pour délimiter le marché de référence d'un médicament le troisième niveau [de la classification ATC] est utile, cette classification peut être trop étroite ou trop vaste pour certains médicaments ".
40. L'application de cette jurisprudence fondée, à titre principal, sur l'usage thérapeutique, suppose néanmoins la combinaison de plusieurs critères convergents lorsque les limites des marchés et la substituabilité des produits ne ressortent pas immédiatement des avis ou des recommandations des autorités sanitaires et des pratiques des prescripteurs. La définition du marché pertinent du médicament ne diffère néanmoins pas fondamentalement de l'approche générale qui prévaut pour les autres secteurs et produits, nonobstant les particularités de la demande à visée thérapeutique.
41. Comme l'indique la Commission européenne dans la décision " Astra Zeneca " du 15 juin 2005 : " le marché en cause (des médicaments) n'est pas déterminé en tenant compte du fait que certains produits se sont concurrencés l'un l'autre au sens large, mais bien que ces produits sont suffisamment interchangeables pour exercer une pression sensible sur le pouvoir de marché de l'autre produit, notamment en termes de fixation des prix. En outre, un marché correctement défini ne doit pas comprendre tous les produits interchangeables d'un point de vue fonctionnel ; en effet, une telle interchangeabilité entre produits ne définit normalement que les frontières extérieures d'un marché de produits, mais peut ne pas constituer un critère déterminant.
42. Lorsque des produits, tels que les médicaments, peuvent être largement utilisés dans un même but mais diffèrent en termes de prix, de qualité, de préférences du consommateur ou d'autres caractéristiques clés, ils sont considérés comme distincts. Bien que des produits distincts puissent " se concurrencer " dans une certaine mesure, un marché en cause dans les affaires de concurrence ne devrait inclure que les produits à même d'exercer une pression considérable sur le comportement d'une entreprise et d'empêcher celle-ci de se comporter indépendamment de toute pression concurrentielle effective ".
Le marché officinal et le marché hospitalier
43. La pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence et de l'Autorité identifie deux marchés distincts en fonction du lieu où le médicament est délivré. Les autorités de concurrence distinguent ainsi un marché de la ville, correspondant à la vente en pharmacie d'officine où les prix sont régulés et un marché hospitalier où les prix sont libres. Plusieurs critères de différenciation ont été mis en évidence dans plusieurs décisions, et notamment dans une décision récente de l'Autorité de la concurrence n° 10-D-02 du 14 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des héparines à bas poids moléculaire.
Médicaments remboursables et non remboursables
44. Une autre segmentation est envisageable sur les marchés des médicaments. Elle tient aux modalités de financement de l'achat du médicament.
45. Il existe, en effet, des médicaments pris en charge par l'Assurance-maladie qui font l'objet d'un remboursement par le régime général de la Sécurité sociale et, éventuellement, par les organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM). Les prix de ces médicaments remboursés sont fixés par les pouvoirs publics, en fonction notamment du service médical rendu.
46. Il existe également des médicaments qui ne sont pas pris en charge par l'Assurance-maladie ou par les OCAM. Ces médicaments sont la plupart du temps en vente libre. Leurs prix sont librement déterminés par les acteurs.
L'application au cas d'espèce
L'analyse du marché pertinent sur lequel se situe Zyrtec(r), produit remboursable
47. Le produit en cause (Zyrtec(r)) est un antihistaminique, destiné à traiter les allergies et les rhinites saisonnières.
48. Plusieurs produits pharmaceutiques ont la même indication thérapeutique que Zyrtec(r). Ils figurent dans l'avis de la commission de transparence de l'AFSSAPS relative au Zyrtec(r) 10 mg comprimés du 20 décembre 2000. Cet avis mentionne en effet dans la rubrique "Médicaments de comparaison de la classe pharmaco-thérapeutique" les noms de Clarityne(r), Kestin(r), Mistalline(r), Mizollen(r), Primalan(r),Telfast(r) et Virlix(r) auxquels on peut ajouter Aérius(r) (commercialisé en 2002) et Xyzall(r) (commercialisé en 2003). Ces médicaments, au regard de leur indication thérapeutique, apparaissent donc, pour l'autorité de santé, substituables à Zyrtec(r).
49. Par ailleurs, l'enquête réalisée en 2006 par la Direction nationale des enquêtes de concurrence et de répression des fraudes (DNECRF) (6) auprès de 8 médecins généralistes et 15 allergologues, et qui figure au dossier joint à la saisine ministérielle établit qu'après le retrait de Zyrtec(r), les médecins ont prescrit de façon alternative Xyzall(r) mais aussi Aérius(r), à la place de Zyrtec(r). Les prescripteurs ont donc considéré que ces différents médicaments étaient de fait substituables pour répondre au traitement des rhinites allergiques.
50. Cette substituabilité, relevée par l'enquête précitée, entre les différentes spécialités antihistaminiques de seconde génération est corroborée par le fait que Xyzall(r) (copie de Zyrtec(r)) n'a pas été le seul à bénéficier des transferts de prescription de Zyrtec(r) lorsque ce dernier a été retiré du marché. D'autres spécialités en ont également largement profité. En effet, Xyzall(r) n'a récupéré qu'une partie des parts de marché perdues par UCB, comme l'indique d'ailleurs le rapport administratif (7) : "au mois de février 2005 [le retrait date de début septembre 2004], Xyzall(r) a [seulement] récupéré 40 % des prescriptions de Zyrtec(r)".
51. De fait, la lecture du tableau récapitulant les volumes et parts de marché en volume (voir supra) des différents antihistaminiques en comprimés montre que, s'il y a une augmentation conséquente des volumes de Xyzall(r) de 2004 à 2005 (+1,1 million de boîtes) contre 500 000 unités pour Aérius(r), ce transfert se répartit équitablement l'année suivante entre Xyzall(r) et Aérius (r) dont les volumes augmentent respectivement de 500 000 boites.
52. En outre, même si le prix des médicaments remboursables, fixé par le CEPS, ne peut servir de critère réellement discriminant sur ce marché, il convient de constater la grande proximité des prix des spécialités antihistaminiques remboursables. Le tableau ci-après récapitule le prix au comprimé des différentes spécialités pharmaceutiques. Le prix des génériques est mentionné à titre de comparaison. Il s'agit des prix TTC de vente en pharmacie à la date de commercialisation du produit (source Vidal retraité).
<emplacement tableau>
53. Il peut donc être conclu de ces différents éléments qu'un marché pertinent de la vente en ville des antihistaminiques de seconde génération remboursables peut être défini au moment de la commission des pratiques en cause (lancement de Xyzall(r) en 2003 et retrait de Zyrtec(r) en 2004), marché sur lequel se situe Zyrtec(r) et les autres spécialités.
54. Le saisissant estime qu'il existerait un marché de la cétirizine remboursable. Il fait valoir que dès lors qu'un médecin inscrit le nom d'un médicament sur une ordonnance, le pharmacien a l'obligation de délivrer ce médicament et pas un autre. Selon le saisissant, cela caractériserait l'absence de substituabilité de ce médicament, sauf avec ses éventuels génériques, et conduirait à la délimitation du marché pertinent autour de la molécule ou du principe actif.
55. Toutefois, ainsi qu'il a été indiqué dans les développements qui précèdent, l'appréciation de la substituabilité pour la définition du marché pertinent des médicaments s'effectue à travers l'analyse de la demande, qui s'apprécie en règle générale au moment où le médecin prescripteur, pour le compte du malade, choisit parmi les spécialités pharmaceutiques le traitement adéquat. Dès lors, soit le médecin prescripteur considère qu'un médicament n'a pas de substitut pour différentes raisons et le marché sera limité à ce seul produit, soit il estime que différents médicaments sont interchangeables et le marché sera circonscrit à ces différents substituts qui exercent les uns sur les autres une contrainte concurrentielle. Le pharmacien n'interfère pas dans ce choix puisqu'il a l'obligation de délivrer le médicament inscrit sur l'ordonnance.
56. Il n'est toutefois pas exclu que l'appréciation de la substituabilité soit modifiée au moment de l'entrée de médicaments génériques dans la mesure où le pharmacien peut modifier le choix initial du prescripteur en procédant à la substitution spécialité/générique. Dès lors, il n'est pas improbable qu'un marché distinct de la molécule ou du principe actif et de ses génériques soit identifiable.
57. Au cas d'espèce, il est établi qu'au moment des pratiques examinées, antérieur à l'apparition des génériques de la cétirizine, les médecins prescripteurs considéraient comme substituables plusieurs antihistaminiques dont Zyrtec(r). Un marché pertinent ne pouvait donc être délimité autour de la seule molécule de cétirizine.
L'analyse du marché pertinent sur lequel se situe Zyrtec set(r), produit non remboursable
58. Depuis 2005, UCB commercialise sous le nom de Zyrtec set(r), une présentation de Zyrtec(r) en sept comprimés, vendue sans ordonnance, et non remboursable.
59. Avant 2005, le laboratoire UCB était déjà présent sur le marché des antihistaminiques non remboursables avec un médicament dont le principe actif est la buclizine et qui est commercialisé sous le nom d'Aphilan(r).
60. Les autres opérateurs présents sur le marché sont : Pfizer qui commercialise Réactine(r), puis Urgo avec Humex rhinite(r) et les génériqueurs tels Arrow, Biogaran, Téva, Mylan.
61. Bien que les médicaments en comprimés à base de cétirizine non remboursables aient la même composition chimique que les médicaments en comprimés à base de cétirizine remboursables, ils ne semblent pas substituables au sens du droit de la concurrence. En effet, compte tenu de leur prix beaucoup plus élevé, ces médicaments en comprimés non remboursables semblent destinés à traiter des allergies passagères, ou à soulager de manière temporaire des patients sujets à des allergies plus lourdes, qui nécessitent un traitement de long terme et la consultation d'un médecin. C'est pourquoi les médicaments à base de cétirizine non remboursables sont vendus uniquement sous formes de boîtes de 7 comprimés. En outre, le pharmacien ne substitue généralement pas un médicament remboursé à un médicament non remboursé, car le patient est réticent à ce type de changement.
62. Il peut donc être conclu qu'il existe un marché de la vente en ville des antihistaminiques non remboursables, sans qu'il apparaisse nécessaire de distinguer entre les antihistaminiques non remboursables de 1re génération (Aphilan(r)) et les antihistaminiques non remboursables de 2ème génération.
Conclusion sur les marchés pertinents
63. Deux marchés pertinents sont donc retenus aux fins de l'analyse concurrentielle de la présente espèce : celui, d'une part, de la vente en ville des antihistaminiques de seconde génération remboursables, et celui, d'autre part, de la vente en ville des antihistaminiques non remboursables.
64. Par ailleurs, conformément à la pratique décisionnelle constante du Conseil puis de l'Autorité de la concurrence en matière de marchés pharmaceutiques, les marchés en cause sont de dimension nationale et ne concernent que les officines, pour lesquelles les prix sont réglementés, et non les établissements hospitaliers pour lesquels les prix sont libres.
65. Il convient dès lors d'analyser la position d'UCB sur ces deux marchés distincts.
B. SUR LA POSITION DOMINANTE D'UCB SUR CES MARCHÉS
La position d'UCB sur le marché de la vente en ville d'antihistaminiques de seconde génération remboursables.
66. Pour évaluer l'éventuelle existence d'un abus de position dominante, il convient d'examiner la situation du marché et la position des acteurs au moment des pratiques alléguées.
67. Doivent par conséquent être prises en compte la situation du marché et la position d'UCB au moment où ce dernier a cessé la commercialisation de Zyrtec(r), soit en septembre 2004, cette pratique ayant été précédée par le lancement de Xyzall(r) en 2003.
68. Pour calculer la part de marché d'UCB ont été additionnées ses parts de marché réalisées avec la vente de Zyrtec(r) et celles de Xyzall(r). Il s'agit du marché de la ville, puisque les pratiques ont été développées sur ce marché.
69. Sur ce marché, il n'apparaît pas qu'UCB soit en position dominante, en septembre 2004, puisque sa part de marché en valeur est de 32,6 % et que son concurrent direct, Schering Plough a des parts de marché supérieures, qui se montent à 45,9 %.
70. Compte tenu d'une part de la faiblesse relative de ses parts de marché, qui ne faisaient d'ailleurs que diminuer à l'époque des faits, et de l'importance de celles de son principal concurrent Schering Plough en 2004, la position dominante d'UCB sur le marché de la vente en ville d'antihistaminiques de seconde génération remboursables n'est pas établie.
La position d'UCB sur le marché de la vente en ville des antihistaminiques non remboursables
71. Enfin, il convient d'observer la position d'UCB sur le marché des antihistaminiques non remboursables qui pourrait être considéré comme un marché connexe.
72. Sur ce marché, sont présents tous les produits qui ne sont pas remboursables dont Aphilan(r), Zyrtec set(r), commercialisés par UCB en mars 2005, Réactine(r) lancée en 2004 par Pfizer qui s'est retiré du marché fin 2008, Urgo avec Humex(r) ainsi que les laboratoires génériques.
73. UCB n'est pas en position dominante en 2004, puisqu'à cette date, Pfizer est leader du marché avec 83 % du marché en valeur de la cétirizine non remboursable. Il ne l'est pas non plus en 2005. À cette date, si la position de leader ne peut plus être attribuée à Pfizer, ce n'est pas en raison de la part de marché d'UCB ([de 20 à 25] %) mais en raison de l'entrée des génériques qui totalisent de [45 à 50] % de parts de marché.
C. SUR L'ABSENCE DE QUALIFICATION DES PRATIQUES
74. Dans la mesure où UCB n'est en position dominante sur aucun des deux marchés pertinents définis, il n'est pas possible de retenir un abus d'une telle position.
75. En conséquence, les pratiques dénoncées par le saisissant ne peuvent être qualifiées au regard de l'article 82 du traité CE, devenu 102 du TFUE ou de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Décision
Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.
Notes :
1 Cote 71.
2 Étude décrivant l'état du marché des antihistaminiques en février 2005.
3 Cote 353.
4 Voir cote 2304.
5 Cote 4929.
6 Avec un résultat de 28 réponses obtenues de janvier à avril 2006 voir cote 4551 à 4608.
7 Cote 74.