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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 16 décembre 2010, n° 09-09987

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Pom'paille (Sté)

Défendeur :

Etam prêt-à-porter (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mme Poinseaux, M. Testut

Avoués :

SCP Jupin & Algrin, SCP Fievet-Lafon

Avocats :

Mes Bessis, Mendes-Moreira

T. com. Nanterre, 2e ch., du 11 déc. 200…

11 décembre 2009

Par un jugement du 11 décembre 2009 le Tribunal de commerce de Nanterre a :

- dit que les sociétés Pom'paille et Etam prêt-à-porter avaient une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce,

- dit que la société Etam prêt-à-porter n'avait pas de préavis à donner à la société Pom'paille,

- débouté la société Pom'paille de toutes ses demandes d'indemnités,

- débouté la société Etam prêt-à-porter de sa demande au titre de dommages et intérêts,

- condamné la société Pom'paille à payer à la société Etam prêt-à-porter la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Pom'paille a interjeté appel à l'encontre de cette décision le 24 décembre 2009.

Dans ses dernières écritures en date du 21 mai 2010 la société Pom'paille demande, au visa de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce, à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que " les sociétés Pom'paille et Etam Prêt à Porter avaient une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce ",

- l'infirmer pour le surplus dans toutes ses dispositions,

- dire que la société Etam prêt-à-porter a abusivement rompu sans préavis écrit et sans motif la relation existant depuis 2002 avec la société Pom'paille,

- condamner en conséquence la société Etam prêt-à-porter au paiement d'une somme de 372 106 euro à titre de réparation du préjudice subi au profit de la société Pom'paille, avec intérêts au taux légal du jour de la demande,

- débouter la société Etam prêt-à-porter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner de plus la société Etam prêt-à-porter au paiement d'une somme de 15 000 euro au titre des frais irrépétibles par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Etam prêt-à-porter aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de la SCP Jupin Algrin.

Dans ses dernières écritures en date du 28 septembre 2010 la société Etam prêt-à-porter SAS demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 11 décembre 2009 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a reconnu l'existence d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-5 du Code de commerce, et l'a déboutée de sa demande au titre de dommages et intérêts,

- dire que la société Etam prêt-à-porter a passé de simples commandes ponctuelles à la société Pom'paille, qu'elle n'a conclu aucun contrat à durée indéterminée, ni ne s'est pas engagée à un volume de commande ou à une quelconque exclusivité,

- dire en conséquence que l'article L. 442-6 5° du Code de commerce n'est pas applicable,

- dire, à titre subsidiaire, que la société Etam prêt-à-porter a seulement pris acte de la rupture des relations par la société Pom'paille et qu'elle n'était donc pas tenue de respecter un préavis,

- débouter en conséquence la société Pom'paille de l'intégralité de toutes ses demandes,

- condamner la société Pom'paille à lui verser la somme de 10 000 euro pour procédure abusive,

- condamner la société Pom'paille à lui payer en outre la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Fievet Lafon.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties pour un exposé complet des faits et de la procédure, qu'il convient toutefois de rappeler que :

- entre 2002 et 2006, la société Pom'paille, créateur et fabricant de vêtements de prêt-à-porter féminin, a fourni à la société Etam prêt-à-porter de nombreux modèles sous la marque Etam, moyennant un chiffre d'affaires de:

* 326 944,22 euro HT en 2002,

* 1 227 910,60 euro HT en 2003,

* 795 131,13 euro HT en 2004,

* 629 825,87 euro HT en 2005,

* 124 357,30 euro HT en 2006.

- en 2007 les relations commerciales entre les parties ont cessé;

- la société Pom'paille a engagé une action en contrefaçon et concurrence déloyale à l'encontre de la société Etam prêt-à-porter;

Considérant que la société Pom'paille invoque la rupture brusque et sans préavis écrit, par la société Etam prêt-à-porter, de leur relation commerciale alors qu'elle avait un flux d'activité établi et continu avec ce donneur d'ordre de 2002 à 2006,

qu'elle estime que ni la fluctuation du chiffre d'affaires d'un mois à l'autre, justifiée par le caractère saisonnier de l'activité, ni sa diminution en 2006 du fait des difficultés de la marque Etam, ni l'absence de contrat-cadre, de garantie de chiffre d'affaires ou d'exclusivité, ni les spécificités du secteur de la mode, ne peuvent exclure l'existence d'une telle relation, alors en outre qu'aucune mise en compétition préalable n'existait,

qu'elle conteste être à l'origine de la rupture des relations commerciales et du lien de confiance entre les parties,

qu'elle explique que cette rupture résulte de la cessation, sans explication, ni critique, des commandes, par l'intimée, à compter de 2007, alors que le courriel invoqué du 2 mars 2007 n'a été suivi d'aucune commande,

qu'elle ajoute que le marché " Célinette " a été confié à des tiers dès août 2006, décision antérieure de quatre mois à la saisie-contrefaçon effectuée à son initiative et que la cour d'appel de Versailles par arrêt du 10 décembre 2009 a d'ailleurs retenu des actes de concurrence déloyale de la part de la société Etam prêt-à-porter;

Considérant qu'elle chiffre son préjudice à la somme de 372 106 euro correspondant à une perte de marge pour 4 saisons,

que ce montant correspond à une marge moyenne de 33 % justifiée par son expert comptable, compte tenu de la durée des relations, de la marque de distributeur justifiant un préavis double et du chiffre d'affaires réalisé,

qu'elle observe que la diminution, puis la suppression du chiffre d'affaires réalisé avec la société Etam prêt-à-porter ont aggravé la baisse de son chiffre d'affaires global;

Considérant qu'elle conclut au rejet de la demande reconventionnelle de la société Etam, arguant de l'importance économique de cette dernière dont elle n'était qu'un modeste fournisseur;

Considérant que la société Etam prêt-à-porter conteste toute rupture brusque et sans préavis, qu'elle soutient pour cela l'absence de relations établies avec ce fournisseur du fait :

- de l'absence de contrat-cadre, ou même d'un accord oral démontrant une relation suivie et vouée à durer,

- du caractère ponctuel et indépendant des commandes dictées par les tendances de la mode et non par le caractère saisonnier de l'activité, ainsi que du défaut récurrent de commandes pendant plusieurs mois,

- de l'absence de garantie du chiffre d'affaires, de volume ou d'exclusivité, du fait des spécificités du domaine de la mode,

qu'elle remarque qu'elle-même traite toujours à la commande avec ses nombreux fournisseurs, selon les saisons, les modèles et les demandes,

qu'elle soutient avoir subi elle-même en 2006 une année difficile expliquant la nette diminution du chiffres d'affaires entre les parties, et justifiant cette absence de garantie d'un volume de commande;

qu'elle explique qu'en tout état de cause la société Pom'paille, professionnelle de la mode, était nécessairement avertie de la précarité de leur relation et avait connaissance de sa mise en concurrence avec d'autres fournisseurs;

Considérant que la société Etam prêt-à-porter soutient, à titre subsidiaire, que l'absence de commande d'après 2007 est le fait de la société Pom'paille, alors qu'elle-même n'entendait pas rompre définitivement leurs relations, ainsi qu'il ressort de l'absence de lettre de rupture et de sa proposition du 2 mars 2007, non acceptée en raison de l'incapacité de Pom'paille à fabriquer le chemisier sollicité,

qu'elle ajoute qu'elle a pris acte de la rupture des relations commerciales à l'initiative de la société Pom'paille, à la suite de son assignation en contrefaçon et concurrence déloyale, le 4 juillet 2007 et de la rupture du lien de confiance consécutive,

qu'elle rappelle que l'absence de commandes, comme entre mars et juillet 2007, était courante dans les relations entre les parties,

qu'à cet égard, elle observe que le choix de faire fabriquer la robe Célinette par d'autres fournisseurs dès août 2006 ne démontre pas son intention de rompre ses relations avec la société Pom'paille et qu'elle lui a, au contraire, passé ultérieurement des commandes;

qu'à titre infiniment subsidiaire, elle remarque que la société Pom'paille ne rapporte la preuve ni d'un préjudice réel correspondant "au bénéfice qu'elle aurait pu escompter obtenir si des commandes avaient été passées", ni d'un lien de causalité avec la faute alléguée, alors que :

- le préavis de 4 saisons, soit 2 ans, apparaît injustifié au regard des relations des parties et de la jurisprudence applicable, un tel préavis, le cas échéant, ne pouvant être supérieur à une saison, selon elle,

- la marge de 33% prise en compte mais non explicitée, est erronée, l'attestation de l'expert comptable, en se basant sur les seuls documents fournis par l'appelante, apparaissant sans force probante,

- les pertes de chiffres d'affaires alléguées du fait de la société Etam ne sont pas justifiées, au regard de la baisse du chiffre d'affaires global de la société Pom'paille en 2006,

- en tout état de cause, le montant réclamé est erroné, au vu de la moyenne du chiffre d'affaires réalisé, laquelle, en tout état de cause, ne peut être retenue, en raison de la baisse constante du chiffre d'affaires entre les parties,

qu'elle estime que l'étendue du préjudice allégué, résultant de la privation d'une vente, doit être appréciée à la baisse, pour ne pas être indemnisé deux fois, compte tenu de sa condamnation au paiement de la somme de 75 000 euro à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale;

Considérant qu'elle invoque, à l'appui de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts, le caractère abusif de la procédure engagée, aux fins d'intimidation, deux ans après la cessation des relations commerciales, sans preuve ni d'une quelconque rupture abusive, ni du préjudice allégué;

Sur l'application des règles de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce

Considérant que, pour se déterminer, le premier juge a analysé la nature des relations commerciales existantes entre la société Pom'paille et la société Etam au regard de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce,

qu'il a décrit le processus des relations existant entre les parties, en décrivant le mécanisme de préparation des collections pour remarquer qu'en l'espèce il s'agissait d'un usage habituel dans le domaine de la mode dont il a rappelé les spécificités,

qu'il a souligné le caractère indépendant des commandes passées ponctuellement, modèles par modèles, avec un cycle de facturation relativement erratique, lié pour chaque modèle en particulier à l'engouement de la clientèle finale,

qu'il a cependant remarqué, à juste raison, que lorsque les transactions portent sur d'assez nombreux modèles comme c'est le cas en l'espèce, il se produit un phénomène de mutualisation des commandes, permettant une compensation des succès relatifs des différents modèles et lissant dans le rapport commercial existant entre le distributeur et son fabricant le caractère aléatoire de la mode;

Considérant que, pour écarter l'application de l'article L. 442-6 5° précité, la société Etam explique l'absence de relations établies avec la société Pom'paille, au regard du critère formel de l'absence de convention écrite, et de celui opérationnel de la multiplicité de commandes successives indépendantes dont elle ne saurait garantir un approvisionnement pérenne;

Considérant cependant qu'aucun texte n'impose qu'une relation commerciale entre deux partenaires fasse l'objet d'un écrit préalable,

qu'il suffit qu'une transaction relevant de l'article L. 110-1 du Code de commerce ait été conclue entre deux commerçants pour qu'il y ait relation commerciale; que la répétitivité de transactions de mêmes natures entre les mêmes agents dans un laps de temps significatif permet de qualifier la relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce,

qu'en l'espèce les rapports entre les parties se sont développés sur près de cinq années pour des montants d'ailleurs significatifs;

Considérant que le premier juge a rejeté, par une analyse pertinente que la cour adopte, l'argument qu'entendait tirer la société Etam de la multiplicité des modèles de vêtements que la société Pom'paille lui fournissait,

qu'ainsi la cessation des relations commerciales entre la société Pom'paille et la société Etam doit s'analyser au regard des règles fixées par l'article L. 442-6 5° du Code de commerce ;

Sur la rupture de la relation commerciale

Considérant que, pour imputer la responsabilité de la rupture des relations établies, le premier juge a retenu:

- que la société Etam avait fait une proposition commerciale concrète à la société Pom'paille qui n'en avait pas accepté les conditions, conduisant alors la société Etam à s'adresser à un autre fournisseur,

- que ce seul fait établissait que la société Etam entendait de bonne foi poursuivre des relations commerciales avec la société Pom'paille même si leur volume avait considérablement diminué au cours des dernières années;

Considérant cependant qu'une relation commerciale doit s'analyser au regard des positions respectives des agents économiques concernés;

Considérant que, pour l'ensemble de la période de relations établies, la société Pom'paille, façonnier, a présenté soit d'initiative, soit à la demande des modèles de vêtements à la société Etam,

que dans les collections proposées à son client, ce dernier choisissait soit de ne pas poursuivre l'exploitation d'un modèle, soit de distribuer des vêtements sur des volumes et cadences indiqués,

que précédemment à la cessation des relations entre les parties, la société Etam a sollicité le 2 mars 2007, la société Pom'paille pour la fabrication d'un modèle de chemisier dont elle évoquait une éventuelle exclusivité,

qu'à cette demande était jointe celle de la remise du dossier technique de fabrication d'une robe dénommée " Célinette " créée antérieurement par la société Pom'paille, modèle que la société Etam avait commercialisé lors de saisons antérieures,

que la société Pom'paille a spontanément transmis les documents techniques sollicités concernant la robe " Célinette ", éléments que la société Etam connaissait pour avoir commercialisé auparavant ce modèle,

que la société Pom'paille a fait savoir à la société Etam qu'elle n'était pas en mesure de réaliser ce modèle de chemisier, gamme de produit ne rentrant pas dans ses compétences industrielles;

Considérant que le premier juge ne pouvait alors arguer de cette circonstance pour en déduire un refus de vente équipollent à une rupture, aucun industriel n'étant tenu de commercialiser des produits n'entrant pas dans ses compétences techniques;

Considérant que le premier juge a également relevé que la société Pom'paille, en envoyant un huissier dans un grand magasin parisien de la société Etam aux fins d'une saisie-contrefaçon, ne pouvait ignorer qu'elle portait atteinte à l'image de marque de la société Etam, mettait un terme à la relation de confiance établie entre les deux société et qu'elle ne pourrait plus attendre de commande de ce donneur d'ordre,

Mais considérant qu'il a été jugé par un arrêt définitif de la présente cour que, dès le 18 mars 2007, soit quinze jours après avoir obtenu de la société Pom'paille la remise du dossier technique et du dessin de la robe " Célinette ", la société Etam a commandé à des concurrents de la société Pom'paille la fabrication de chemisiers reproduisant les éléments originaux de ce modèle,

qu'en tout état de cause, la mesure de saisie-contrefaçon, dûment autorisée par ordonnance présidentielle ne revêt aucun caractère abusif ou fautif;

Considérant en revanche, que la société Etam, en ne consultant plus la société Pom'paille ni n'honorant celle-ci de la moindre commande à compter de début 2007, a manifesté sa décision de ne plus poursuivre une relation commerciale établie,

que le caractère brutal de cette rupture, seule faute susceptible de réparation au regard des dispositions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce est caractérisé par la manœuvre de la société Etam qui s'est fait remettre les dessins originaux de la société Pom'paille pour les faire reproduire par des concurrents à moindre coût;

Sur le préjudice

Considérant que la société Pom'paille a subi du fait de cette faute, un préjudice distinct de celui déjà réparé au titre des faits de contrefaçon et de concurrence déloyale,

que le préjudice subi résulte de la perte de la marge qu'aurait réalisée la société Pom'paille si elle avait pu poursuivre avec la société Etam un chiffre d'affaire équivalent à une saison, soit six mois, la moyenne du chiffre d'affaire courant devant être analysée sur les trois dernières années,

Considérant que la cour dispose ainsi d'éléments suffisants, pour réparer ce préjudice par l'octroi de la somme de 89 000 euro;

Sur les accessoires

Considérant que le caractère indemnitaire de la réparation exclut que les intérêts au taux légal soient accordés au jour de la demande;

Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande en dommages et intérêts formée par la société Etam;

Considérant que la société Pom'paille a dû engager des frais irrépétibles en cause d'appel que la cour fixe à la somme de 10 000 euro,

Considérant que les dépens seront mis à la charge de la société Etam dont au profit de la SCP Jupin Algrin.

Par ces motifs, LA COUR statuant par arrêt contradictoire, Infirme le jugement entrepris, Condamne la société Etam à payer à la société Pom'paille le somme de 89 000 euro, au titre de la rupture abusive des relations commerciales, Condamne la société Etam à payer à la société Pom'paille la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Met les dépens à la charge de la société Etam dont au profit de la SCP Jupin Algrin dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.