Cass. com., 14 décembre 2010, n° 09-71.707
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
JPF Investissements (SAS), Déco Rénov Habitat (SARL), Diffusion varoise de menuiserie (SAS)
Défendeur :
Azerad, Sinatra, Majorel, Fenêtres Passion (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Mandel
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Defrenois, Levis, SCP Gaschignard
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 septembre 2009), que M. Azerad, qui était gérant de la société Déco Rénov habitat (société DRH), a cédé le 13 janvier 2006 à la société JPF Investissements les parts sociales qu'il détenait dans cette société et s'est interdit dans le même temps de se rétablir ou de s'intéresser directement ou indirectement dans une société de même nature ; que MM. Majorel et Perret, qui étaient salariés de la société DRH, ont démissionné respectivement les 21 mai et 29 juin 2007 et ont constitué, le 26 juin 2007, avec Mme Bremond, compagne de M. Azerad et belle-mère de M. Majorel, la société Fenêtres passion pour exercer la même activité de fabrication et d'installation de fenêtres ; que M. Sinatra, également employé de la société DRH, a démissionné le 29 juin 2007 avec effet au 29 juillet 2007 pour rejoindre le 1er octobre 2007 la société Fenêtres passion ; que les sociétés DRH, JPF Investissements et Diffusion varoise de menuiserie, ces deux dernières détenant des parts dans la première, invoquant tant une violation des dispositions contractuelles que celles des articles 1626 et 1382 du Code civil par MM. Azerad, Majorel et Sinatra ainsi que par la société Fenêtres passion, les ont assignés afin d'obtenir réparation ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés JPF Investissements, DRH et Diffusion varoise de menuiserie font grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement attaqué en ce qu'il a débouté la société DRH et la société JPF Investissements de leurs demandes à l'encontre de M. Azerad, alors, selon le moyen : 1°) que constitue un intéressement indirect dans une société de la nature de celle cédée, au sens de la convention du 13 janvier 2006, la création, après la cession des parts sociales, par la concubine de longue date du cédant, infirmière de profession n'ayant jamais occupé aucune fonction dans une société commerciale et ignorant tout du métier de la menuiserie, aux côtés de son gendre, ex-salarié responsable commercial de la société cédée et du technicien de cette même société, d'une entreprise absolument identique à celle dont les parts ont été cédées, ayant le même fournisseur et la même cible de clientèle que celle-ci ; qu'en jugeant le contraire, par des motifs inopérants tirés de la séparation des patrimoines des concubins, la cour d'appel a violé la loi des parties, ensemble l'article 1134 du Code civil ; 2°) que le juge ne peut dénaturer les termes clairs et précis des documents qui lui sont soumis ; que Mme Thome, expert en écriture et graphitique près la cour d'appel a conclu son rapport en indiquant que "les mentions manuscrites de date et de lieu "20/9/65 à Voiron" apposées au paragraphe B de la déclaration préalable d'embauche à en-tête "Fenêtres passion" et celles des sept documents censées émaner de M. Georges Azerad relèvent d'une même main" ; qu'en retenant que cette experte conclut que "les écrits présentent des automatismes semblables", pour retenir que cette affirmation est insuffisante à prouver que M. Azerad est le rédacteur de la mention apposée sur la déclaration d'embauche, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du rapport d'expertise graphologique et a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que l'implication de M. Azerad dans la vie de la société Fenêtres passion n'est pas démontrée dès lors qu'aucune des pièces produites n'atteste de sa présence régulière dans les locaux de la société, et que la circonstance que le nom du comptable ou de l'expert comptable ne soit pas mentionné sur le bilan fiscal 2007 de la société Fenêtres passion ne peut prouver l'implication de M. Azerad dans la vie de la société ; qu'en l'état de ces constatations qui relèvent de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve produits et dont il résulte que M. Azerad n'avait pas violé la clause de non-concurrence, la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que les sociétés JPF Investissements, DRH et Diffusion varoise de menuiserie font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'aucun fait de concurrence déloyale n'était démontré à l'encontre de M. Sinatra et de la société Fenêtres passion envers la société DRH et d'avoir débouté cette société et les sociétés JPF Investissements et Diffusion varoise de menuiserie de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions, alors, selon le moyen : 1°) que la caractérisation de la faute de concurrence déloyale n'exige pas la constatation d'un élément intentionnel ; qu'en retenant, pour rejeter l'action en concurrence déloyale dirigée contre M. Sinatra, qu'une volonté de nuire n'est pas démontrée, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ; 2°) que commet une faute constitutive de concurrence déloyale le salarié qui, ayant pris la décision de démissionner de son emploi, indique son numéro de téléphone personnel sur les devis adressés aux clients de son employeur et conserve ce même numéro de téléphone dans le cadre de ses nouvelles fonctions auprès d'une société concurrente ; qu'ayant constaté que M. Sinatra avait indiqué son numéro de téléphone portable personnel sur des devis établis à son nom en avril, juin et juillet 2007, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en jugeant qu'aucun fait de concurrence déloyale n'était établi à son encontre et a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ; 3°) que le juge ne peut méconnaître les termes du litige, tels qu'ils sont fixés par les conclusions respectives des parties ; que la société DRH faisait valoir que M. Sinatra avait indiqué son numéro de téléphone personnel sur tous les devis qu'il avait établis à compter d'avril 2007, ce que ce dernier ne contestait pas puisqu'au contraire il prétendait avoir agi sur instruction de son employeur ; qu'en retenant que ces références ne figuraient que sur trois devis établis à son nom, en avril, juin et juillet 2007, cependant que ces trois devis avaient été produits à titre d'échantillon de l'ensemble de ceux établis par M. Sinatra au titre de la période considérée, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, tels qu'ils étaient fixés par les conclusions respectives des parties et a violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile ; 4°) que commet une faute constitutive de concurrence déloyale le salarié qui, ayant pris la décision de démissionner de son emploi, organise le transfert de clientèle vers sa nouvelle entreprise, et à cette fin, rature sur l'agenda de l'ancien employeur où sont notés tous les rendez-vous avec les clients le nom de ces clients de façon à ce qu'ils soient totalement illisibles et non identifiables par son employeur après son départ ; que la société DRH avait produit les feuilles de l'agenda 2007 faisant apparaître qu'au cours des mois de juin et juillet 2007, pas moins de quarante-huit noms de clients mentionnés dans cet agenda avaient été raturés et étaient illisibles ; qu'en retenant, pour écarter la faute de M. Sinatra, que M. Karib avait indiqué être l'auteur de plusieurs de ces ratures pour annuler ses rendez-vous après son départ, comme le faisait valoir M. Sinatra, sans s'expliquer sur la teneur de cette attestation, dans laquelle M. Karib indique avoir seulement, à l'issue du mois qu'il a passé en mai 2007 au sein de l'entreprise DRH, "annulé trois rendez-vous que j'avais pris au magasin et par conséquent les avoir rayés du cahier tout simplement", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel n'a fait que répondre aux conclusions des sociétés DRH, JPF Investissements et Diffusion varoise de menuiserie qui soutenaient que M. Sinatra avait fait preuve d'une volonté de leur nuire ;
Attendu, en second lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, et qui a relevé que le numéro de téléphone portable de M. Sinatra ne figurait que sur trois devis d'avril, juin et juillet 2007 et que rien ne permettait d'établir que l'agenda 2007, sur lequel certains noms de clients avaient été raturés, était l'agenda personnel de M. Sinatra et que celui-ci était l'auteur des ratures, a retenu, sans méconnaître les termes du litige, qu'aucune faute ne pouvait être imputée à ce dernier ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen : - Attendu que les sociétés JPF Investissements, DRH et Diffusion varoise de menuiserie font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'aucun fait de concurrence déloyale n'était démontré à l'encontre de M. Majorel et de la société Fenêtres passion envers la société DRH et de les avoir déboutées de l'intégralité de leurs demandes, alors, selon le moyen : 1°) que constitue un acte de concurrence déloyale le fait pour un ancien salarié de démarcher, dans le cadre de l'activité concurrente qu'il a créée, la clientèle de son ancien employeur ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le nom de quatre-vingt dix clients de la société DRH figure sur la liste de clients établie par M. Majorel, ancien salarié, dans le cadre de l'activité de l'entreprise concurrente qu'il a créée postérieurement à son départ ; qu'en retenant, pour considérer que la preuve du détournement de son fichier clientèle n'est pas établie par la société DRH, que vingt-et-un des devis concernant ces clients sont postérieurs au départ de M. Majorel de l'entreprise et que deux autres noms comportaient des adresses différentes, sans s'expliquer sur la présence de près de soixante-dix clients de la société DRH, antérieurs au départ de M. Majorel, sur le fichier clientèle de la société Fenêtres passion qu'il a créée après avoir quitté son employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'en ne précisant pas si les clients de la société Fenêtres passion qui attestent l'avoir contactée au vu de publicités ou sur le conseil d'amis ou de relations, pour faire jouer la concurrence, sont également des clients de la société DRH pour lesquels celle-ci avait établi des devis avant le départ de M. Majorel, et dans cette hypothèse, s'il s'agit de tous ces clients de la société DRH, la cour d'appel, qui a statué par des motifs insuffisants à écarter tout détournement de clientèle de la part de M. Majorel, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé que M. Majorel n'était pas lié par une clause de non-concurrence, c'est par une appréciation souveraine des éléments de preuve produits que la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a considéré que la preuve n'était pas rapportée d'un détournement du fichier de la clientèle de la société DRH par M. Majorel et la société Fenêtres passion ;
Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des écritures des sociétés JPF Investissements, DRH et Diffusion varoise de menuiserie devant la cour d'appel, qu'elles aient soutenu que les clients de la société Fenêtres passion attestant l'avoir contactée au vu de publicités ou sur les conseils de relations n'auraient pas été d'anciens clients de la société DRH ; que le grief, nouveau, est mélangé de fait et de droit ; d'où il suit qu'irrecevable en sa seconde branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu que les quatrième et cinquième moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.